Texte intégral
RFI - 14 décembre 1997
RFI : Le sommet de Luxembourg auquel vous venez de participer a décidé d’élargir l’Union européenne dans les années qui viennent à onze nouveaux pays, ce qui portera le total à vingt-six. En même temps il a décidé, pour le moment en tout cas, d’exclure la Turquie. Vous aviez prévu pour elle un processus particulier, qui consistait, pour commencer, à l’inviter à une conférence européenne. Manifestement, on est très fâché, à Ankara. Le Premier ministre Meszu Tilmaz, a dit cet après-midi que cette invitation ne l’intéressait pas et qu’il n’y aurait plus de dialogue politique entre la Turquie et l’Europe : cela pose un gros problème, non ?
Pierre Moscovici : Oui, en effet. Je sais que la Turquie est déçue et je peux le comprendre. Le président de la République, hier, en commentant les résultats du sommet, a expliqué qu’il aurait aimé qu’on soit un tout petit peu plus allant. Et en même temps, constations quand même qu’on a créé la Conférence européenne, qui était une proposition française, que la Turquie y est invitée, et cette invitation demeure. Donc, je crois qu’il ne faut pas réagir trop à chaud, qu’on a encore du temps pour reprendre le dialogue, que l’institution qui peut accueillir ce dialogue existe, c’est la Conférence ; c’est l’essentiel mais il est vrai que la tonalité des Européens n’a peut-être pas été suffisamment positive par rapport à la Turquie.
RFI : Mais sans le Turquie, à quoi elle sert cette Conférence européenne ?
Pierre Moscovici : Je ne veux pas penser que la Conférence européenne se fera sans la Turquie. Elle va se réunir le 30 mars ; jusque-là nous avons encore le temps de renouer les fils du dialogue. Mais je pense qu’il faut s’y employer.
RFI : Cela dit, les Chypriotes turcs ne veulent pas participer à une négociation dans une délégation qui serait dirigée par les Chypriotes grecs. On parle là du problème de Chypre. Alors, comment est-ce que vous allez faire ? Là aussi, c’est difficile.
Pierre Moscovici : Le président de la République a clairement manifesté hier, et ça a fait partie d’ailleurs des conclusions du Sommet, que nous demandons que pour les négociations avec Chypre, la délégation représente bien les deux communautés, la communauté grecque et la communauté turque.
RFI : Mais il faut qu’elle soit dirigée par quelqu’un tout de même ?
Pierre Moscovici : Elle sera bien sûr dirigée par un Chypriote grec, puisque c’est là, la légitimité. Mais il faut qu’il y ait les deux communautés. Et c’est quelque chose de très important, et cela a été marqué par les Quinze.
RFI : Les Turcs ont tout de même réagi, même si c’est à chaud, très violemment, en disant qu’ils allaient continuer l’intégration de la partie Nord de Chypre, dont on sait qu’ils l’occupent en ce moment. Est-ce qu’il n’y a pas là un risque de vrai conflit ?
Pierre Moscovici : Il y a des risques. Et en même temps, aujourd’hui nous sommes face à une posture, à une réaction à chaud, une réaction très vive ; il faut la prendre comme telle, et ne rien faire qui puisse précipiter la crise. Et donc, nous ne ferons rien qui puisse précipiter la crise. Il faut, je le répète, renouer les fils du dialogue.
Je ne veux pas penser que tout soit consommé aujourd’hui, que la partie turque de l’île soit intégrée en Turquie, que les pourparlers d’intégration se passent mal avec Chypre, etc.
Ne faisons pas de scénario catastrophe. Essayons au contraire, derrière ce qui a été, sans doute, le point le plus insuffisant de Luxembourg, de recoller les morceaux. C’est ce que la France s’attachera à faire.
RFI : Il y a de même eu un élargissement. Il faut le rappeler. Alors, cet élargissement, c’est aussi l’une des très grandes étapes de l’histoire européenne. Vous, vous avez senti le vent de l’histoire, à Luxembourg ?
Pierre Moscovici : Ah oui, sans aucun doute. C’est pour cela que – je comprends qu’on commence avec la Turquie, parce que c’est l’évènement, sans doute le plus négatif ; on a toujours une tendance à insister sur ce qui ne va pas – mais malgré tout, c’était un Conseil européen très réussi avec cette décision très importante d’ouvrir des négociations d’élargissement, non pas seulement avec cinq plus un (Chypre), mais avec tous. Et là, effectivement, il y a eu une attitude très allante. La France était plutôt sur cette ligne, les pays scandinaves aussi, la présidence luxembourgeoise a joué ce rôle. Je participais hier au déjeuner avec les ministres des Affaires étrangères des PECO : tous étaient satisfaits. Et ça, c’est très important. Ils ont le sentiment qu’il n’y a pas de ligne de fracture, que tout le monde est effectivement sur la même ligne de départ, et que tout le monde va, ensemble, vers la réunification de l’Europe.
Alors, c’est vrai, on utilise souvent l’adjectif « historique » à bon compte. Mais là, je crois que c’est vraiment historique. C’était la première réunion, hier, de la grande Europe, avec cette photo de famille.
Cela prendra du temps, on le sait. Les conditions ne seront pas faciles, on le sait aussi. Ces négociations doivent être des négociations tout à fait sérieuses, on le sait. Mais en même temps, c’est vrai, à l’’échelle de l’Histoire, les quatre, cinq, sept ans, je ne sais que cela prendra, c’est assez peu de chose.
RFI : Alors, des négociations très difficiles, mais également beaucoup d’autres chantiers qui se trouvent être ouverts exactement en même temps, l’euro, la réforme du budget, la réforme des institutions pour que l’Europe fonctionne, est-ce que cela ne fait pas beaucoup de choses en même temps, à digérer pour l’Union européenne ? Est-ce qu’on n’a pas eu les yeux plus gros que le ventre ?
Pierre Moscovici : On n’a pas eu les yeux plus gros que le ventre. Je crois que toutes ces échéances étaient imposées. L’euro, ça été fixé par un traité ; nous sommes d’ailleurs maintenant dans la phase concrète d’entrée en vigueur. Elle va se décider en mai. Et on voit bien quand même que la résolution de tout le monde est prise, y compris celle des Britanniques. Car, paradoxalement, leur attraction pour le Conseil de l’euro prouve qu’ils attachent une extrême importance à l’euro. Donc, c’est bien leur projet aujourd’hui. Donc l’euro, c’était prévu par le Traité.
Le paquet financier, c’est-à-dire les problèmes budgétaires, il faut le faire, puisque l’actuel dure jusqu’à l’an 2000. Il faut prévoir la période 2000-2006.
Quant à la réforme des institutions, là, soyons clairs, c’est une revendication, une exigence française. Il faut absolument réviser les institutions avant de conclure un nouveau traité d’élargissement.
Bref, il faut faire tout cela, et ça prouve en même temps que le chantier européen est extrêmement vaste. Il est très complexe, reconnaissons-le.
Mais ce qui me rend optimiste, bien qu’on ait eu cet ordre du jour extraordinairement embrouillé, difficile, on s’est en sorti hier. Il y a eu un esprit qui a soufflé à Luxembourg.
RFI : Sur les institutions, vos partenaires vous ont rejoint pour dire qu’il fallait effectivement qu’il y ait une réforme avant d’élargir. En revanche, sur le budget, il semble que vous ne soyez pas très d’accord, et c’est fondamental. On ne sait pas du tout ce que va coûter cet élargissement, s’il va permettre à l’Union des Quinze de mener ses politiques de façons constante. On ne sait pas grand-chose, en fait.
Pierre Moscovici : C’est vrai qu’on n’a pas conclu, mais à la fin, on a quand même adopté un certain nombre de principes qui sont des principes importants.
Premier principe, il faut une discipline budgétaire pour l’Union, comme il en faut pour les Etats membres. Cela veut dire en pratique, même si cela n’a pas été prononcé, que l’actuel plafond des ressources propres à 1,27 % doit être maintenu. Certains ne voulaient pas l’écrire : on ne l’a pas écrit, mais on peut le comprendre.
La deuxième chose qui a été décidée, c’est qu’il y aurait une double évaluation, ou une double programmation des dépenses., d’une part à Quinze, d’autre part pour l’élargissement. C’était une exigence française. Elle est passée.
La troisième chose qui est très importante, et on s’est beaucoup battu pour cela, c’est qu’on a maintenu ce qu’on appelle la ligne directrice agricole, en bref le montant des dépenses agricole, avec ses mécanismes d’indexation, et donc, cela veut dire que le modèle agricole européen continuera. Et je crois que ça c’est une victoire française.
Il est vrai que nous étions un peu seul à le demander, mais nous l’avons obtenu. On ne le souligne pas assez. Et de ce point de vue-là, je crois que les résultats sont tout à fait appréciables. Honnêtement, ils ne pouvaient pas être beaucoup plus importants, compte tenu du fait qu’on n’avait pas travaillé peut-être autant que l’on aurait dû sur ces questions.
RFI : Enfin, avec une petite douzaine, on a du mal à se mettre d’accord pour se mettre tous dans les conditions de l’adoption d’une monnaie unique ; comment cette Europe va pouvoir fonctionner à vingt-six pays ?
Pierre Moscovici : C’est bien pour cela que nous demandons qu’il y ait une réforme des institutions.
RFI : Est-ce qu’il ne faudra pas plusieurs vitesses, c’est quand même la question sous-jacente ?
Pierre Moscovici : Sans aucun doute. Je crois qu’il faudra y réfléchir. Mais quand on parle de réforme institutionnelle, c’est de cela qu’on veut parler. Comment retrouver à la fois quelque chose qui soit communautaire, donc collégial, et ne même arriver à fonctionner alors qu’on est beaucoup plus nombreux. Il y aura les pays de la zone euro, et pour cela, il y a un Conseil de l’euro. C’est déjà quelque chose qui fonctionne à plusieurs vitesses. Et il y a au-delà des pays qui vont adhérer, petit à petit, et qui n’auront pas exactement, forcément les mêmes périodes de transition, donc pas les mêmes statuts.
L’Europe à plusieurs vitesses va naître. Comment imaginer qu’à vingt-sept, on ait exactement les mêmes conditions qu’à six au départ. Il faut d’autres institutions, il d’autres modes de fonctionnement. Mais le Traité d’Amsterdam prévoit cela, avec les coopérations renforcées.
Et au fond, on peut se demander si le Conseil de l’euro n’est pas la première coopération renforcée entre des pays d’Europe.
RFI : J’ai envie de vous demander vers quelle Europe on s’achemine. Est-ce que les chefs d’Etat et de gouvernement que vous avez pu rencontrer des pays de l’Est ces derniers jours à Luxembourg ont le même projet politique que la France ou que l’Allemagne ? Ou est-ce qu’ils pensent à une toute autre Europe ?
Pierre Moscovici : Ils sont d’abord attirés par les mécanismes de marché. Ils sont ensuite tirés par les mécanismes démocratiques. Et ils veulent s’ancrer durablement dans tout cela. Ce qui m’a admis, mais il a dit : il faut que les deux autres, la Lituanie et la Lettonie, entrent très vite. Les Bulgares et les Roumains ont joué ensemble. Bref, il y a aussi des sous-ensembles régionaux qui se précisent dans tout cela ; un sous-ensemble balte-nordique, un sous-ensemble Balkans, un sous-ensemble Europe centrale, et tout cela est assez rassurant.
Alors, évidemment, le projet politique reste à préciser. Mais les négociations d’élargissement servent à cela. Honnêtement, et le président de la République l’a implicitement confirmé hier, ce n’est pas pour l’an 2000, c’est plutôt vers 2003, vers 2004…
RFI : C'est rassurant, ces ensembles, ou cela menace, au contraire, l’Europe d’éclatement ?
Pierre Moscovici : Non, je crois que c’est rassurant qu’entre eux, ils soient solidaires, qu’on ne joue pas en étant nationalement en Tchèque ou un Bulgare ou un Roumain ou un Hongrois, mais qu’on ait la sensation d’appartenir à la fois à une même collectivité et sans doute à des ensembles plus proches, d’être solidaire avec son voisin. C’est l’Europe.
RFI : Mais les sous-ensembles pourraient prendre une sorte de priorité dans la politique de chacun des pays qui en font partie sur la politique à l’égard de l’ensemble des vingt-six ?
Pierre Moscovici : Ne soyons pas contradictoire. On ne peut pas à la fois souhaiter qu’il y ait une Europe à plusieurs vitesses et ne pas demander qu’elle s’organise aussi en fonction de ces réalités. Si on prend l’ensemble de Etats baltes, il y a des coopérations qui vont se développer, mais aussi des coopérations qui vont se développer au Sud de l’Europe, des coopérations au centre de l’Europe, et tout cela est parfaitement articulable avec une grande Europe. Voilà un chantier qui est très intéressant. Comment faire en sorte de combiner d’une part des nations, d’autre part des régions qui combinent plusieurs nations, et enfin un ensemble plus vaste qui est l’Europe. C’est sans doute comme cela qu’elle fonctionnera dans les quinze ans.
RFI : Alors, vous avez pris une autre décision très importante, hier à Luxembourg, c’est de coordonner les politiques économiques de façon assez considérable. On se rend compte qu’il va y avoir une sorte de surveillance multilatérale des Quinze entre eux, avec des procédures d’alerte, dès que l’un d’entre eux sortira des clous. Est-ce qu’on ne va pas là vers un certain fédéralisme sans le dire ?
Pierre Moscovici : On peut utiliser ce mot-là. Hubert Védrine et moi, parlons volontiers à propos de l’euro de choc fédérateur, c’est donc dire qu’il y a en quelque sorte quelque chose de fédérant. Est-ce que ce sera fédérateur ? Ne jouons pas sur les mots. Ce qui est clair, c’est qu’effectivement, on voit qu’on ne joue plus seul, qu’il faut coopérer, qu’il faut se coordonner, et que c’est seulement comme cela que l’Europe trouve son rôle. Donc, elle prend un sens. Et l’euro aura un impact là. Le fait qu’on créé le Conseil de l’euro prouve bien, alors qu’il y a un pouvoir fédéral qui se créé, celui de la Banque centrale européenne, il faut aussi qu’il y ait un pouvoir politique à cela, qu’il puisse dialoguer avec lui. C’est le sens du Conseil de l’euro, même s’il est encore informel. Je suis persuadé que dans quinze ou vingt ans, on regardera de quelque chose de beaucoup plus fédéral. Mais n’allons pas plus vite que la musique, ne faisons pas peur avec ces mots-là. Ayons une méthode pragmatique. Je dirais : allons vers une certaine dose de fédération avec pragmatisme.
RFI : Justement là, on est dans le concert avec le Conseil de l’euro, parce que comment va se répartir exactement le pouvoir de ce conseil avec ceux des banques centrales et de la future Banque centrale européenne. Qu’est-ce qui va décider ?
Pierre Moscovici : C’est décidé par le Traité. La Banque centrale européenne a le rôle d’une banque centrale. Autrement dit…
RFI : Indépendante ?
Pierre Moscovici : Indépendante, complétement indépendante. C’est elle qui détermine la politique monétaire, la politique des taux d’intérêt au jour le jour, etc… … Cela ne se discute pas. Il faut qu’il y ait d’autres instances qui parlent des problèmes spécifiques de l’euro, par exemple la politique de de change, la politique des revenus, dans la zone euro, ce qui détermine la politique des taux d’intérêt, donc en partie la politique budgétaire. C’est à cela que sert le Conseil de l’euro. Il faut que les deux dialoguent entre eux, notamment sur tous ces éléments, notamment sur la politique de change. Voilà comment cela fonctionnera demain.
Et puis, il y a une autre instance encore qui existe, c’est ce qu’on appelle le Conseil Ecofin, c’est-à-dire les problèmes communs à Quinze.
Donc, je récapitule, la politique monétaire, au jour le jour, à la Banque centrale européenne, la coordination de la politique économique dans la zone euro, par rapport à l’euro, au sein du Conseil de l’euro et tous les problèmes ‘intérêts commun, ceux dont on continue à parler, à Quinze.
RFI : Mais l’un engage l’autre, vous le savez bien ?
Pierre Moscovici : C’est bien pour cela qu’il y a eu une discussion assez longue.
RFI : Alors justement assez longue et un acteur imprévu s’est révélé, c’était Tony Blair. Il a eu l’air d’exaspérer ses collègues. On attribue même à Helmut Kohl le mot suivant, il aurait dit au Premier ministre britannique : « arrête de nous donner des leçons, tu n’es pas à Oxford ». Est-ce que vous avez été déçu par ce Premier ministre britannique qui jusqu’à présent, c’était montré très pro-européen ?
Pierre Moscovici : Je crois qu’il était très pro-européen, c’est-à-dire qu’il était tellement attaché à ce que ça marche, l’euro, qu’il voulait que la Grande-Bretagne y soit. Seulement il y avait une petite contradiction dans son attitude, qui avait été soulignée notamment par Lionel Jospin, qui était qu’on ne peut pas, à la fois, rester en dehors pour le moment, et pour de bonnes raisons, et vouloir être à l’intérieur du club qui prend des décisions sur l’euro.
Il a fini par le comprendre.
RFI : Au bout de cinq heures !
Pierre Moscovici : Peut-être, mais en même temps, ça sert aussi à ça, les discussions ; on a tous appris quelque chose. On apprend à se connaître. Après tout, c’est un jeune Premier ministre. Il a été désigné en mai, c’est son deuxième conseil européen. Celui-là a été un peu délicat. Je suis sûr que pour la présidence britannique, il en tirera des leçons, à savoir qu’on est obligé de parler avec toute le monde et que c’est la coopération, là encore qui fait la bonne amitié, et non la confrontation.
Question à l’Assemblée nationale - 17 décembre 1997
Négociations d’élargissement politique agricole commune – fonds structurels
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
En effet, il s’agissait d’une des questions les plus délicates qui étaient posées dans ce Sommet de Luxembourg. La France voulait une cohérence entre l’élargissement et la recherche d’un cadre financier. D’autres refusaient cette cohérence. C’était notamment le cadre de pays comme l’Espagne et le Portugal, qui craignaient pour l’existence des fonds de cohésion. Nous nous sommes battus. Le président de la République et le Premier ministre ensemble, se sont battus pour cette cohérence. Le résultat, je crois, est à peu près satisfaisant. Nous en avons en effet obtenu, de haute lutte, qu’il y ait un cadre financier certes minimal, mais qui soit une référence solide et notamment l’affirmation de l’impératif de discipline budgétaire est rappelée par la présidence du Conseil européen.
Alors, il n’y a pas de référence explicite à la décision « ressources propres », mais en même temps, on sait que si elle n’est pas modifiée à l’unanimité, elle est confirmée, et donc avec elle, l’existence du plafond de 1,27 % qui est très important.
Sur la Politique agricole commune, ce ne fut pas non plus facile. Mais la France a obtenu, je crois là encore, des garanties minimales. Première de ces garanties, le Conseil européen affirme l’existence, la nécessité de l’existence d’un modèle agricole européen fondé sur l’exploitation agricole. Et c’est fondamental. Ensuite, il confirme la ligne directrice agricole et c’est absolument essentiel. Enfin, il dit qu’on devra approfondir la réforme de la Politique agricole comme dans le sens de la réforme de 1992, en y intégrant le problème des cultures méditerranéennes. J’ai donc l’impression, la sensation, la conviction, que les garanties minimales qu’attendaient nos agriculteurs et les populations rurales ont été obtenues. Et c’est sur ces bases là que dès janvier, le ministre de l’Agriculture continuera les négociations telles qu’elles se sont déroulées dans le cadre du Conseil Agriculture conclusions auxquelles le président de la République n’a cessé de se référer pendant les deux jours du Conseil de Luxembourg.
Troisième point, nous souhaitions que soit affirmé, comme vous le demandiez l’élargissement était maîtrisé. C’est pourquoi nous demandions une double programmation et une double évaluation des dépenses à Quinze d’une part, de dépenses consenties pour l’élargissement, d’autre part. Nous l’avons obtenue.
Enfin, il y a un point que l’on peut évaluer de différentes façons, il s’agit des dépenses structurelles. Le Conseil européen a préféré ne pas statuer. Cela signifie en pratique que nous avons toute liberté pour négocier par rapport aux propositions de la Commission et pour faire valoir les intérêts français.
Soyez sûrs que c’est ce que nous ferons dans tous ces domaines, car comme vous, nous pensions qu’il faut faire l’élargissement, mais un élargissement maîtrisé, cohérent, et qui ne conduise pas à une dilution des politiques européennes et des intérêts français.
L’Hebdo des socialistes - 19 décembre 1997
L’Hebdo des socialistes : En amorçant le processus d’élargissement, le sommet de Luxembourg marque-t-il vraiment la fin de l’Europe de Yalta ?
Pierre Moscovici : J’ai la conviction que le sommet de Luxembourg a une dimension historique. L’Europe de Yalta a disparu. Mais ce sommet fait plus. Il indique que l’Europe à venir, réconciliée avec sa géographie e capable d’affirmer son identité et sa politique.
Nous insisté sur ces deux points. Le processus d’élargissement doit être global et ouvert. C’est une démarche qui s’adresse à l’ensemble des pays européens qui ont vocation à adhérer. D’où l’idée de la conférence européenne qui est l’expression multilatérale de l’élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouvions tous – les Quinze et l’ensemble de ces pays – tout de suite pour prendre ensemble nos affaires en mains. Aujourd’hui, nous l’avons proposée à Chypre, aux pays d’Europe centrale et orientale, à la Turquie. Demain, il faudra penser à l’Europe des Balkans. En même temps, il faut que chacun d’entre eux puisse se préparer à l’adhésion. Il y aura donc pour tous un partenariat adapté. Enfin, avec les pays qui sont prêts, des négociations d’adhésion peuvent s’ouvrir.
Deuxième élément, l’élargissement ne doit pas signifier la dilution des politiques communes. L’élargissement a un coût. C’est pourquoi nous avons voulu absolument lier l’élargissement et les perspectives financières de l’Europe. Croire le contraire serait totalement illogique. Comment avancer si nous ne fixons pas des orientations générales pour le cadre financier, des garde-fous ? C’est ce que nous avons obtenu à Luxembourg, en particulier pour la politique agricole.
L’Hebdo des socialistes : Mais comment se fera la répartition du financement entre l’Europe actuelle et l’Europe élargie ?
Pierre Moscovici : Ce qu’il faut savoir, c’est que l’Union a des ressources propres, que nous ne consommons pas intégralement. Nous sommes convaincus que le plafond actuel permet à la fois la poursuite des politiques à quinze et le financement sous ce plafond de l’élargissement. La logique de notre position est la maîtrise de la dépense communautaire. C’est ce que nous faisons en France.
Pour maîtrise pleinement cette dépense, nous défendions une « double programmation » pour les dépenses à quinze d’une part, pour le financement de l’élargissement d’autre part. Sur ce point aussi, le Conseil européen nous a suivis en décidant « d’opérer une distinction claire, dans la présentation comme dans la mise en œuvre, entre les dépenses de l’Union à quinze et celles de l’élargissement ». C’était important. Cela n’est pas seulement un impératif comptable, mais une exigence politique forte de transparence. Comment décider si nous restons dans le brouillard ?
Je voudrais dire qu’enfin qu’une Europe élargie n’est pas une Europe affaiblie. Il faut une Europe qui marche, qui décide.
L’Hebdo des socialistes : C’est la réforme institutionnelle ?
Pierre Moscovici : Exactement. Il y a le « préalable institutionnel ». C’est une question décisive. Nous voulons une réforme des institutions avant le prochain traité d’élargissement. Aujourd’hui le processus de décision est enlisé. Elargir sans réformer, c’est risquer la paralysie. Personne n’y a intérêt. Je milite pour une Europe capable d’affirmer son identité, de faire vivre son modèle social, de mettre en œuvre ses politiques communes, de peser sur les grandes questions internationales. Bref pour une Europe qui marche : c’est la condition d’une Europe populaire, qui réponde aux aspirations de ses citoyens et de ses peuples. Le Conseil européen de Luxembourg n’était pas destiné à engager cette réforme. Mais nous avons porté le débat et nos partenaires en ont pris acte, puisque le Conseil a convenu que « l’élargissement nécessite au préalable un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions.
La réforme institutionnelle demeure, pour nous, un élément crucial. Je suis convaincu qu’il est indispensable et possible de régler cette question. Nous avons posé un préalable qui constitue un engagement ferme et clair. Je crois que tous les pays européens l’ont compris.
L’Hebdo des socialistes : Quel sera le rôle du futur Conseil de l’euro ?
Pierre Moscovici : Le Conseil de l’euro, préparé par le gouvernement de Lionel Jospin, c’est l’instance informelle au sein de laquelle se rassemblent tous les pays de l’euro, au niveau des ministres de l’économie et des finances, pour une coordination étroite de leurs politiques économiques. On y discute et se concerte sur les problèmes budgétaires, sur l’harmonisation de la fiscalité, on y fixe les grandes orientations sur le taux de change, on aborde les réformes structurelles, la politique de l’emploi. L’idée est finalement très simple : passer à l’euro permet et impose de mettre en commun les responsabilités et les énergies. Il faut les tourner vers la croissance et l’emploi. Voilà ce qui a fondé notre plaidoyer pour un Conseil de l’euro.
Le Sommet de Luxembourg a finalement créé ce Conseil de l’euro. C’est un succès majeur pour la France et pour l’Europe. Nous avons eu sur ce point un long et difficile débat avec la Grande-Bretagne, qui aurait souhaité participer à cette instance avant même d’être dans l’euro. En fin de compte ce débat a eu un effet bénéfique. Non seulement le Conseil de l’euro existe, mais la coordination des politiques économiques au niveau des Quinze sera, elle aussi, renforcée. C’était notre exigence dès Amsterdam.