Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à Europe 1 le 20 octobre 1999, sur la nécessité que Paris devienne la "vitrine du renouveau de l'opposition" à l'occasion de la préparation des élections municipales 2001, ses critiques contre le budget 2000 notamment les "mensonges" du gouvernement sur les dépenses publiques, le financement des 35 heures et son "trouble" devant la réception du président chinois dans la résidence personnelle du président Chirac.

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Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

Arlette Chabot : X. Dugoin a reconnu hier, devant le tribunal d’Évry, avoir donné un emploi fictif à X. Tiberi à la demande de son époux, Jean. Que doit faire, selon vous, maintenant le maire de Paris ?

Alain Madelin : Écoutez, je ne vais pas commenter ce feuilleton à répétition et affligeant de la mairie de Paris…

Arlette Chabot : Mais quand même.

Alain Madelin : Je ne peux vous répéter que ma position sur la mairie de Paris qui, j’allais dire, est indépendante des péripéties judiciaires d’hier. Je ne veux pas accabler J. Tiberi dont j’ai déjà dit qu’il était un bouc émissaire un peu facile dans toutes ces affaires. Je ne participerai pas à la curée des ex-amis de M. Tiberi. Cela étant, les choses sont claires. Je le répète, à Paris, peut-être pas seulement à Paris, mais, à Paris, il faut faire du neuf. Paris doit devenir la vitrine du renouveau de l’opposition. Je sais que ce n’est pas facile de dire cela. Alors, je vais proposer une méthode à nouveau : ou il y aura un accord rapidement sur une procédure entre toutes les formations de l’opposition, car Paris n’est pas la propriété d’un parti, fût-ce le RPR, ou il y aura un accord pour désigner, avec la participation des Parisiens, le meilleur candidat et, s’il n’y a pas d’accord, eh bien il y aura compétition et les libéraux ont vocation à participer à cette volonté de changement nécessaire.

Arlette Chabot : Mais, quoi qu’il arrive, aujourd’hui, J. Tiberi ne peut pas conduire les listes municipales à l’élection prochaine, selon vous ?

Alain Madelin : Pas aujourd’hui, je l’ai déjà dit hier.

Arlette Chabot : Mais c’est terminé, c’est-à-dire il ne peut plus faire…

Alain Madelin : Je l’ai déjà dit hier, il y a un besoin de neuf sur Paris mais, encore une fois, je ne participerai pas à la curée des amis de M. Tiberi.

Arlette Chabot : Cela dit, ce qui est intervenu hier est quand même une nouveauté. C’est la première fois que, effectivement, M. Dugoin reconnaît…

Alain Madelin : … Je n’en sais rien…

Arlette Chabot : L’un de vos amis disait : « Si ces faits sont, effectivement, confirmés, il doit démissionner tout de suite. » Vous êtes d’accord ou pas ?

Alain Madelin : Écoutez, c’est une façon de… c’est une autre façon de dire ce que je viens de dire. Mais personne n’est dupe. Il y a de formidables règlements de compte. Il y a un rififi à la mairie de Paris et dans la famille RPR. Eh bien, je l’observe attristé.

Arlette Chabot : Quand M. Dugoin dit que cet emploi venait dans le cas d’une prise en charge croisée des emplois politiques au sein du RPR, ça veut dire, selon vous, qu’il y a un système qui va être mis en…

Alain Madelin : Écoutez, je ne suis pas là pour commenter les déclarations de M. Dugoin dont j’ai le sentiment que, derrière cette affaire, avec le recul du temps, on essayera d’analyser quelle est la part de vérité et quelle est la part de règlements de compte. Sur la mairie de Paris, ma position est claire et je m’en tiendrai là, sur la mairie de Paris, ma position est claire, elle n’est pas nouvelle, il faut faire du neuf.

Arlette Chabot : Oui, cela dit, vous êtes un peu gêné parce qu’on avait beaucoup cité votre nom pour prendre éventuellement…

Alain Madelin : J’avais déjà répondu aussi, j’avais déjà aussi répondu clairement que l’élu de Bretagne était heureux d’être élu de Bretagne et, croyez-moi, à la mairie de Redon, ça ne se passe pas comme ça.

Arlette Chabot : Mais si l’opposition perd la mairie de Paris, à votre avis, quelles seront les conséquences ?

Alain Madelin : Eh bien, elles seraient considérables, bien évidemment.

Arlette Chabot : Donc, elle ne peut pas perdre…

Alain Madelin : Donc, nous avons un devoir commun de réussite et, en tout cas, les libéraux ont vocation à participer à une volonté de changement avec d’autres ou à l’incarner si d’autres ne suivent pas.

Arlette Chabot : Quel pourrait être le candidat de Démocratie libérale à la mairie de Paris ? Vous avez une idée ? Vous y pensez ?

Alain Madelin : On y pense. Je n’en suis pas là.

Arlette Chabot : La principale critique que vous faites au budget présenté hier à D. Strauss-Kahn, c’est de ne pas baisser assez les impôts. Alors, franchement, les impôts, on dit toujours qu’on va les baisser quand on est dans l’opposition et on le fait rarement, voire jamais, quand on est au pouvoir et vous en savez quelque chose, non ?

Alain Madelin : Oui, mais il y a des circonstances qui sont plus favorables que d’autres. Grâce à la politique suivie, notamment en 1995, voici que le Gouvernement retrouve aujourd’hui la croissance et des recettes liées à la croissance. Alors, quand on a de la croissance, il faut réformer. Et, moi, je dis, au-delà du budget, ça commence à bien faire, trop c’est trop, trop d’hypocrisie, trop de mensonges de la part de ce Gouvernement. Il est temps que l’opposition se réveille et, si vous prenez l’exemple du budget…

Arlette Chabot : Quarante milliards,40 milliards de baisse d’impôts, dit M. Strauss-Kahn.

Alain Madelin : Mais non, mais non, mais non. Le Gouvernement dit : “Les impôts baissent”, c’est faux. L’impôt sur le revenu augmentera de 18 milliards, l’impôt sur les sociétés augmentera de 27 milliards, la TVA augmentera de 26 milliards…

Arlette Chabot : Alors, les 40 milliards, ils sont où alors ?

Alain Madelin : C’est faux. Au total, plus 93 milliards d’augmentation d’impôts. Hier, un quotidien du soir titrait à la une : “Pourquoi les impôts continuent d’augmenter ?” Dans le même temps, on dit qu’on va baisser les prélèvements obligatoires. Voici que la France, deux ans de suite, avec M. Strauss-Kahn, a le record des prélèvements obligatoires. Et, comme le dit d’ailleurs justement M. Fabius, eh bien c’est tout ça parce que l’on ne s’attaque pas à la dépense publique. D’autres pays le font autour de nous. Il faut baisser la dépense publique car la dépense publique étouffe la France…

Arlette Chabot : Alors, si j’arrive à dire un mot…

Alain Madelin : La dépense publique étouffe l’emploi aujourd’hui dans ce pays et nous n’avons toujours pas commencé la décrue, au contraire puisque nous ajoutons des mesures après mesures qui sont des bombes à retardement fiscales.

Arlette Chabot : Alors, si j’arrive à placer un mot, vous êtes en train de dire que tout est faux, il n’y a pas de baisse d’impôts, il n’y a pas de stabilisation de la baisse des dépenses. Tout ce que disent M. Strauss-Kahn et M. Sautter, ministre du budget, tout est faux, tout est…

Alain Madelin : Je suis en train de dire que l’on trompe les Français et que ma formation politique, Démocratie libérale, va engager dans les jours qui viennent une campagne sur les mensonges de ce Gouvernement. Il y a beaucoup d’hypocrisie, beaucoup, beaucoup de chloroforme et beaucoup de mensonges.

Arlette Chabot : M. Aubry vient de dire à l’instant qu’elle renonçait à demander à l’Unedic de financer une partie des allégements de charges liés à l’application des 35 heures. Vous dites, le Gouvernement est sage ?

Alain Madelin : Voilà encore l’exemple d’un autre mensonge. Lorsque l’on avait fait les 35 heures, on avait dit : “Ça va créer des emplois.” Tout le monde sait que, aujourd’hui, les 35 heures ne créeront pas d’emplois. Certaines entreprises, qui bénéficient de subventions pour faire les 35 heures, feront passer les emplois qu’elles auraient normalement créé pour des créations d’emplois liées aux 35 heures. Mais surtout, on nous avait dit : “Ça ne coûtera rien.” Or, il faut savoir que la facture des 35 heures, c’est plus de 100 milliards de francs. 100 milliards de francs, vous vous rendez compte de cette somme totalement astronomique et de l’absurdité que cela représente que de payer des gens, des gens pour travailler moins…

Arlette Chabot : Oui mais les sondages disent que les Français sont contents. Ils approuvent la mesure des 35 heures.

Alain Madelin : Justement, c’est le rôle de l’opposition que d’expliquer ce qu’il y a derrière. Les Français sont contents parce qu’ils pensent que cela peut créer des emplois, c’est faux, et puis, surtout, ils vont découvrir, c’est surtout le gel des salaires, la panne de la feuille de paie. Alors, 100 milliards de factures pour les contribuables, c’est absurde. Est-ce que l’on ne pourrait pas consacrer cet argent, non pas à travailler moins, mais à créer de nouvelles entreprises parce que nous avons besoin de créer de nouvelles entreprises et à créer de nouveaux vrais emplois.

Arlette Chabot : Vous ferez campagne sur le retour aux 39 heures ?

Alain Madelin : Non, mais non, mais sur la liberté du travail. Les pays qui ont retrouvé avant nous le plein emploi, est-ce qu’ils font les 35 heures ? Bien sûr que non. En revanche, qu’est-ce qu’elles font ? La liberté du travail, le choix de la confiance aux partenaires sociaux. Tenez, vous disiez que M. Aubry venait de renoncer à une mesure qu’elle avait annoncée pour payer et pour boucler la facture des 35 heures. Elle voulait kidnapper les recettes de l’assurance chômage. Vous vous rendez compte, faire payer la diminution du travail par le chômage et par l’assurance maladie ? Il y a une telle montée de refus de l’ensemble des partenaires sociaux qu’elle a été obligée de renoncer mais elle n’a pas le premier sou du financement de la facture des 35 heures.

Arlette Chabot : Je vous écoute ce matin mais, ces dernières semaines, le débat a eu lieu au sein de la gauche. On a du mal à entendre l’opposition. Pourquoi ? Parce que vous êtes divisés un peu sur tout.

Alain Madelin : On a du mal et bien parce que, parce que peut-être que des arbres peuvent cacher des forêts.

Arlette Chabot : On dit surtout, par exemple vos amis, que vous êtes trop libéral et que c’est extrêmement difficile de faire passer vos idées.

Alain Madelin : Écoutez, si l’opposition n’est pas libérale, eh bien qu’elle adhère au Parti socialiste.

Arlette Chabot : Vous, vous ne renoncez pas, en tout cas, au libéralisme ?

Alain Madelin : Eh bien non. Comment voulez-vous que je renonce à ce qui fait bouger partout le monde. Et, d’ailleurs, écoutez, quand on dit : “le Parti socialiste se modernise”, c’est qu’il se libéralise.

Arlette Chabot : Dans quelques jours, le président chinois va venir en France. Il est, en ce moment, en Grande-Bretagne. Il y a des manifestants, il y a des protestations. Le gouvernement chinois met en garde contre ces protestations. Vous, vous dites comme R. Barre : « Il ne faut pas tout mélanger. Il faut respecter la courtoisie internationale et… »

Alain Madelin : Écoutez, respecter la courtoisie internationale, oui, relation d’État à État, oui, recevoir le président chinois, oui, mais enfin, il faut quand même savoir que le président chinois et son régime, c’est un régime à la Pinochet. Ce sont des Pinochet chinois. Visez le rapport d’Amnesty International. Que sont devenus les étudiants disparus de la place Tian Anmen ? Enfin…

Arlette Chabot : Il ne faut pas recevoir le président chinois ? On ne peut pas à la fois demander des contrats à la Chine, faire du commerce avec la Chine et dire « on ne veut pas recevoir. »

Alain Madelin : Si, si, on peut recevoir le président chinois mais il y a façon et façon de le recevoir. Je ne vous cache pas que recevoir le président chinois pour le Président de la République dans sa résidence personnelle en Corrèze, c’est beaucoup et, comme disait quelqu’un, je suis troublé devant cette affaire. On ne peut pas avoir deux langages. On ne peut pas dire que, dans l’Organisation mondiale du commerce, on voudrait faire respecter un certain nombre de droits… Eh bien oui, bien sûr, les Droits de l’homme. Moi, je suis partisan de la libéralisation du commerce mais il est faux de dire que l’argent n’a pas d’odeur. On ne peut pas condamner Pinochet, d’un côté, et, de l’autre côté, dérouler à ce point le tapis rouge pour le président chinois…

Arlette Chabot : Vous irez manifester contre sa présence à Paris ? Quand même pas ?

Alain Madelin : Écoutez, je participerai à des manifestations contre le président chinois pour lui rappeler son devoir, pour lui rappeler les exigences en matière de Droits de l’homme. Relations d’État à État, oui, mais pas plus, sincèrement pas plus.