Interviews de M. Daniel Vaillant, secrétaire national du PS, à RTL le 22 avril 1997 et "La Croix" le 23, sur la dissolution de l'Assemblée, le projet socialiste de "justice économique et sociale" et le bilan d'"échec" de la droite.

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Circonstance : Annonce le 21 avril 1997 par le Président de la République de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : Emission L'Invité de RTL - La Croix - RTL

Texte intégral

Date : Mardi 22 avril 1997
Source : RTL / Édition du matin

RTL : La campagne qui commence va être un sprint d’à peine plus de quatre semaines et demi. Sur quoi va-t-elle se jouer ?

D. Vaillant : Je pense que, dans la mesure où le président de la République a pris sa décision, à la fois on la respecte et en même temps, nous pensons que cette précipitation est suspecte. En réalité, je pense que le président de la République a cédé aux caprices de M. Juppé qui avait peur de 1998 – il avait sans doute raison –, la droite aurait, sans doute, perdu à coup sûr les élections et, un peu comme un joueur de belote qui voyant qu’il va perdre la partie jette les cartes sur la table, M. Juppé a demandé au président de dissoudre. Nous allons mener campagne mais sans doute, évidemment, de manière moins proche vis-à-vis de nos concitoyens que nous l’aurions fait sur une période plus longue.

RTL : Vous ne croyez pas que le président de la République a, vraiment le désir de faire entrer la France dans la modernité, comme il l’a dit, hier soir, et pour cela, il a besoin d’une majorité renouvelée ?

D. Vaillant : Comme vous le savez, je vais inaugurer la place Dalida, jeudi, dans le XVIIIe : elle chantait une chanson « Paroles, paroles, paroles ». Je dis que l’on est un peu dans le domaine de la parole et du verbe avec le président de la République. Ce qu’il faut, c’est des actes. Ils ont la majorité depuis quatre ans, ils sont au gouvernement avec tous les pouvoirs depuis deux ans. S’ils avaient la volonté de faire des choses positives, cela se saurait, cela se ferait et d’ailleurs, je pense que les Français, de ce point de vue, vont leur donner la leçon qu’ils méritent.

RTL : Vous allez faire campagne, exclusivement, sur ce que vous appelez l’échec du gouvernement ou bien vous allez faire, vous aussi, des propositions ?

D. Vaillant : Ce ne serait pas sérieux de notre part de faire campagne uniquement sur le thème de l’échec du gouvernement. De surcroît, c’est tellement visible qu’à mon avis, ce n’est pas le sujet sur lequel il faut beaucoup insister. Nous le ferons, évidemment, parce qu’il y a tellement à dire. Nous ne manquerons pas de le dire. Mais je pense qu’il faut mettre en lumière les deux visions qui sont celle de la droite qui, semble-t-il, se rassemble, – quand je vois M. Madelin et un certain nombre d’autres, au nom de l’ultralibéralisme, se réjouir de la décision du président de la République et de la politique qui sera conduite derrière si, par malheur, ils gardaient la majorité – et puis, la vision de gauche telle que L. Jospin essaye de la décrire, de la proposer : une vision moderne de la France, mais d’une France maintenue, pas d’une France, je dirais, qui se couche par rapport au capitalisme dur, notamment au capitalisme international. Deux visions de l’Europe, deux visions du « comment gouverner ». Là, croyez-moi, nous ferons des propositions dans le cadre d’un contrat d’orientation, dans la clarté et la transparence vis-à-vis des Français. On a peu de temps et il faut que cela soit clair pour les Français. Le choix sera politique et il faut que les Français sachent éviter le piège qui leur est aujourd’hui tendu.

RTL : Cette synthèse programmatique du Parti socialiste sera prête quand ?

D. Vaillant : Vous savez, on a déjà travaillé depuis un an et demi. Dans les quelques jours qui viennent, on aura la synthèse des grands axes d’orientation de la politique que nous conduirions si nous venions au pouvoir, comme nous le souhaitons. Nous voulons gagner la partie pour la France, pour redresser la France. Il n’y a pas d’ambiguïté sur le sujet.

RTL : Le président de la République vous a brocardé, hier soir, il a dit : « les réponses aux problèmes de la France ne se trouvent pas dans les solutions archaïques, dans le toujours plus d’État, toujours plus d’impôts, toujours plus de dépenses ».

D. Vaillant : Ce n’est pas parce que le président de la République dit que nous serions des archaïques qu’il faut le croire. Ce que je constate, c’est que nous avons des propositions nouvelles à faire, une nouvelle vision de la société dans le domaine économique et social. On sent qu’il faut, bien évidemment, que la croissance soit au cœur des propositions que nous faisons pour relancer la consommation, pour redistribuer du pouvoir d’achat, pour garnir les carnets de commandes et il faut, pour cela, de la justice. Toute la politique injuste s’avère inefficace. C’est ce qu’on constate depuis deux ans avec les gouvernements Balladur et Juppé.

RTL : Est-ce que vous considérez que le président de la République s’est fortement engagé, personnellement, hier soir, dans la campagne ?

D. Vaillant : Le président de la République est là pour cinq ans encore. Donc, nous ne mettons pas en cause sa légitimité. Je constate, d’ailleurs, qu’il n’a pas forcé le trait sur le sujet.

RTL : Donc, ce n’est pas un référendum pour ou contre Chirac ?

D. Vaillant : Non, il a l’air de s’engager dans la campagne électorale. Il est un peu le directeur de campagne de M. Juppé en campagne électorale, mais il est président de la République, il garde ses prérogatives et nous souhaitons, pour la démocratie française, cette cohabitation qui fait que la gauche gouverne, imprime un nouveau rythme au pays et puis, que le président préside.

RTL : Sur l’Europe, quand L. Jospin dit non aux critères de Maastricht tels qu’ils semblent devoir être appliqués si le gouvernement Juppé reste au pouvoir, est-ce que ce n’est pas en même dire non à l’Europe ?

D. Vaillant : Non, ce n’est pas dire non à l’Europe. D’une certaine manière, dire non à l’Europe aujourd’hui et à sa réussite, ce serait accepter le tout et le n’importe quoi, le laisser-faire tel qu’il se pratique aujourd’hui. Quand L. Jospin et les socialistes disent depuis un certain nombre de mois, mais clarifient nettement la position ; si les conditions que nous mettons au passage à la monnaie unique ne sont pas réunies, alors, et au moins de ce point de vue, cela nous donne une chance avec ces élections au moins de juin, si nous sommes aux responsabilités, nous avons un an pour mettre sur la table ces conditions, pour discuter avec nos partenaires pour donner un sens à la construction européenne, l’Europe sociale et citoyenne.

RTL : Précisément, comment une France qui serait gouvernée par les socialistes, qui redonnerait du large à la consommation, qui relancerait la croissance en réinjectant de la monnaie et du pouvoir d’achat, comment pourrait-elle donner confiance au partenaire indispensable qu’est l’Allemagne ?

D. Vaillant : Au contraire, si le chômage régressait en France, si, de ce point de vue, l’économie française se portait mieux, je pense que cela créerait des chances nouvelles pour réussir la construction européenne et pour réussir la monnaie unique avec, y compris les pays du Sud. Nous ne voulons pas, vous le savez, une espèce de monnaie unique qui soit franc-mark seulement. Nous voulons que la politique l’emporte sur ce qu’on peut appeler l’ultralibéralisme ou la technocratie et notamment, face à la banque centrale, qu’il y ait des lignes politiques claires. Vous savez que, peut-être, en Angleterre, il va se passer quelque chose le 1er mai.

RTL : On ne peut pas dire que le programme de T. Blair ressemble beaucoup au vôtre ?

D. Vaillant : Les amis de M. Juppé et de M. Madelin vont être renvoyés à leurs chères études. Ce qui prouve que cela ne marche pas, l’ultralibéralisme à la Thatcher…

RTL : Ce n’est pas le socialisme à la française non plus, le programme de T. Blair.

D. Vaillant : Sûrement, il y a des situations différentes et d’abord, il sort de 18 ans d’ultralibéralisme thatchérien. Nous, nous sommes en France, nous ferons des propositions audacieuses et réalistes.

RTL : Dimanche soir à 7 sur 7, L. Jospin a parlé du rétablissement d’une autorisation préalable à tout licenciement dans les entreprises. Est-ce que cette mesure ne montre pas que les socialistes d’aujourd’hui sont, finalement, les mêmes que les socialistes d’hier ?

D. Vaillant : Nous, nous avons évolué et nous avons changé. Nous tenons compte du passé. Nous ne sommes pas archaïques, on essaye d’être modernes et d’avancer. Donc, ce que l’on pense, c’est qu’actuellement, quand il y a licenciement et les plans qu’on appelle plans sociaux derrière, ce sont des plans antisociaux, ce sont, carrément, des licenciements. Nous pensons qu’il faut mettre un terme à ce laisser-faire. Et puis, il y a une autre manière de gouverner. Personne n’a évoqué – on n’a pas eu le temps, ce matin – les affaires. Moi, je suis stupéfait d’entendre à la radio que des cartons concernant l’affaire Elf-Aquitaine ont été subtilisés à la police judiciaire. Alors, si c’est cela la nouvelle démocratie française avec le gouvernement actuel, si c’est en reprendre pour cinq ans avec M. Juppé et les mêmes, alors je m’inquiète. Nous avons une autre vision de l’éthique, de la transparence et de l’autorité de l’État.

RTL : Certains disent, dans la majorité, que sur l’Europe, vous avez évolué pour plaire aux communistes ?

D. Vaillant : Nos positions, on les a élaborées seuls, elles sont en discussion avec nos partenaires, nous allons bientôt nous rencontrer et nous ne varierons pas, nous, de notre proposition qui est de dire : oui à la monnaie unique et pour qu’elle réussisse, il faut que les conditions soient réunies.

RTL : Quand R. Hue dit : il faut des ministres communistes si la gauche arrive au pouvoir, vous êtes d’accord ?

D. Vaillant : Nous avons toujours dit que c’était aux communistes de répondre à la question. Il semble qu’ils y répondent.

RTL : Vous y êtes favorable ?

D. Vaillant : Si on a un gouvernement rassemblé avec une gauche rassemblée pluraliste mais avec un pôle qui est le Parti socialiste autour duquel il faut que les Français et les Françaises se rassemblent, alors, je pense que la France sera mieux gouvernée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

 

Date : 23 avril 1997
Source : La Croix

Les Échos : En dénonçant les « solutions archaïques fondées sur le « toujours plus » d’État, le « toujours plus » de dépenses, le « toujours plus » d’impôts, Jacques Chirac a lancé une pierre dans le camp des socialistes…

Daniel Vaillant : L’archaïsme n’est pas du côté où Jacques Chirac le dit. L’archaïsme, c’est promouvoir une société où le citoyen est dilué et où le capitalisme dur impose sa loi. Nous avons une autre vision de la société, un autre projet pour la France. Un projet dans lequel l’économie de marché reste la clé mais où la régulation peut s’effectuer. La politique économique que nous souhaitons vise à répartir justement les fruits de la croissance. Nous voulons relancer l’économie en redistribuant davantage. Et non fondre l’économie française au profit de l’ultralibéralisme.

Les Échos : Le président a insisté sur le combat pour les valeurs républicaines et la condamnation des extrémistes. Sur ce point, vous êtes d’accord ?

Daniel Vaillant : Le fait d’affirmer les valeurs républicaines ne peut que susciter notre accord. Reste à savoir quelles conséquences on en tire. On ne défend pas les valeurs de la République en affaiblissant l’État. S’il s’agit de supprimer des postes de fonctionnaires, de policiers, d’infirmières ou d’instituteurs, il y a une vraie contradiction. Quant à dénoncer les extrémismes, là aussi, il faut être clair. La mobilisation de Strasbourg contre le FN, elle n’était pas à droite. À Dreux, nous avons eu une position claire, ce que la droite n’a pas su faire à Vitrolles. Et, actuellement, nous nous concertons entre partis de gauche pour décider de candidatures uniques dans les circonscriptions menacées par le FN. Enfin, nous pourrions dire aussi : aujourd’hui, il n’y a pas de député FN à l’assemblée. Après la dissolution, ce n’est plus évident.

Les Échos : Sur quels thèmes le PS va-t-il organiser sa campagne ?

Daniel Vaillant : Nous allons attaquer le bilan de la droite et défendre notre projet. La dissolution est un aveu d’échec pour le gouvernement Juppé. Et, Jacques Chirac propose des réformes aggravantes. Nous ne voulons pas continuer sur la voix des privatisations ou de la réforme fiscale qui a favorisé les plus aisés. Forts du soutien d’une gauche rénovée et rassemblée, les socialistes ont passé un contrat avec les Français. Face à Alain Juppé qui s’accroche au pouvoir, Lionel Jospin incarne la capacité d’impulser les vraies réformes de progrès. Voilà comment nous allons entrer dans la bataille. Dans les délais qui nous sont impartis, ce sera forcément une campagne nationale, sans doute au détriment de la proximité. Lionel Jospin s’y investira beaucoup, au rythme d’un meeting par semaine. Le premier est prévu ce jeudi, à Sarcelles.

Les Échos : Qu’attendez-vous personnellement de Lionel Jospin ?

Daniel Vaillant : J’attends de lui qu’il soit ce qu’il est. J’attends qu’il bouge et qu’il convainque avec l’éthique, la rigueur intellectuelle et l’enthousiasme qu’on lui connaît. Nous voulons gagner, c’est le moment de changer. Cette dissolution est une manœuvre politicienne du pouvoir, et nous voulons répondre à ce défi. Notre objectif, c’est d’avoir la majorité le 1er juin pour impulser une nouvelle politique.