Interviews de M. François Hollande, secrétaire national porte-parole du PS, à RMC le 4 mars 1997 et France-Culture le 9 publiées en extraits dans "Le Monde" le 11, sur la politique de l'immigration et l'opposition au projet de loi Debré, la lutte contre le Front national et la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission la politique de la France dans le monde - France Culture - Le Monde - RMC

Texte intégral

RMC - mardi 4 mars 1997

P. Lapousterle : Quand les sympathisants socialistes disent qu'ils auraient aimé que leurs dirigeants soient plus présents, imaginatifs et pugnaces pendant le débat sur l'immigration, leur donnez-vous un peu raison ?

F. Hollande : Il faut toujours être pugnace. Est-ce qu'on l'a été suffisamment ? Je crois qu'on a marqué notre opposition clairement au texte de Jean-Louis Debré, notamment sur son article 1er. Nous l'avons fait en solidarité avec un mouvement qui nous a heureusement dépassés car, s'il n'y avait pas eu le mouvement des intellectuels, des artistes, des réalisateurs, il n'y aurait pas eu le retrait de l'article 1er. Il y a donc un moment où les politiques doivent être bien sûr combatifs mais s'ils ne sont pas relayés par des mouvements puissants dans la rue ou dans les pétitions, ils ne peuvent pas parvenir à leurs fins. Je suis assez heureux que la pugnacité de socialistes ait été relayée par d'autres.

P. Lapousterle : Diriez-vous ce matin que M. Jospin est un peu contesté au Parti socialiste ?

F. Hollande : Non, je ne le crois pas. Je crois que Lionel Jospin veut être non seulement le chef des socialistes, le leader des socialistes – il l'est – mais il veut être celui qui les prépare au mieux pour les élections de 1998. Cela veut dire que les socialistes seraient prêts à gouverner demain. C'est cela, la responsabilité qu'il a : ce n'est pas simplement de gérer au jour le jour une organisation politique – ce qui est d'ailleurs difficile à administrer, on le voit bien – mais c'est de préparer la gauche à être en état de marche, pas simplement au moment des élections, mais surtout après.

P. Lapousterle : Si vous gagnez en 1998, supprimerez-vous la loi Debré ? Dans quel sens ?

F. Hollande : Oui, on la supprimerait parce que cette loi – qui n’est pas encore définitive : il y aura des recours devant le Conseil constitutionnel et il y aura le débat au Sénat – ne répond pas aux problèmes que se posent les Français. La lutte contre l’immigration clandestine irrégulière doit être d’abord faite par rapport aux donneurs d’ordre, à ceux qui emploient de la main-d’œuvre clandestine, ce que le texte Debré ne prévoit pas. Deuxièmement, il y a des mises en cause d’étrangers en situation régulière sur notre territoire : on ne peut pas l’admettre au nom des principes qui sont les nôtres et de notre République. Donc, on ferait un texte qui lutterait plus énergiquement contre le travail clandestin et, en même temps, on stabiliserait la situation de ceux qui sont régulièrement sur notre territoire.

P. Lapousterle : Quand vous entendez le président de la République dénoncer l’angélisme de certains, pensez-vous faire partie des « certains » ?

F. Hollande : Oui, mais j'ai pu penser que c'était une autocritique, on ne sait jamais ! En définitive, ceux qui ont imaginé, par un texte de loi, flatter l’électorat du Front national pour le récupérer, en seront peut-être pour leurs frais. Car je crois que le texte de Jean-Louis Debré, approuvé par le président de la République, avait cet objectif-là : essayer de flatter un électorat, faire l'ange auprès de cet électorat, parce qu'on pouvait penser qu'il pourrait être sensible à ce type de législation. On peut ne pas suivre le président de la République lorsqu'il s'engage dans ce type de flatterie mais en revanche, lorsqu'il prétend qu'il veut lutter contre le racisme, il faut s'en féliciter. Je crois qu'il faut dire au président de la République : « Vous voulez lutter contre le racisme ? Très bien ! Mais alors, ne faites pas des législations qui peuvent au contraire encourager ce phénomène.

P. Lapousterle : Qui a dit que votre programme était fadasse et dénoncé votre attitude pour la loi Debré en stigmatisant vos silences, hésitations et atermoiements ? C'est un allié qui s'appelle Robert Hue.

F. Hollande : Il est vrai que ce pourrait être un homme de droite ! Vous avez raison de poser cette question.

P. Lapousterle : Est-ce que ça pose un problème au PS d’avoir un allié comme lui ?

F. Hollande : Ça ne pose pas de problème au PS en particulier : ça pose peut-être un problème au Parti communiste. Pourquoi Robert Hue trouve-t-il que le PS a autant de défauts – être tiédasse, mou, ça ne donne pas envie ! – et en même temps, ne cesse de nous faire des appels du pied pour monter je ne sais quelle plate-forme commune, de nous appeler à je ne sais quelle tenue d’assises ensemble ou de démarche qui pourrait conduire à gouverner ensemble ? Il faut savoir si le PC veut vraiment s’allier avec nous, préparer les élections législatives pour les gagner et ensuite gouverner le pays. Il faut donc que Robert Hue clarifie sa position : soit il ne nous trouve aucun atout, aucune qualité, ne nous voit que des défauts et, à ce moment-là, qu’il passe son chemin ; soit, au contraire, il veut gagner les élections de 1998 et alors son seul adversaire, ce doit être la droite, pas le Parti socialiste.

P. Lapousterle : C'est une petite crise entre le PS et le PC, après une phrase de ce genre ?

F. Hollande : Non, mais cela doit nous appeler, les uns et les autres, à surveiller notre langage. Robert Hue, qui est très sympathique, doit aussi maîtriser sa propre expression.

P. Lapousterle : Le Front national : Henri Emmanuelli a demandé son interdiction. Est-ce une bonne idée ?

F. Hollande : Ce n’est pas la première fois qu’Henri Emmanuelli à cette idée-là ?

P. Lapousterle : Elle vient à un moment particulier ?

F. Hollande : On sait bien qu'on ne va pas supprimer le Front national parce qu'on aura fait l'interdiction de cette organisation ! Il y a, hélas, un mouvement politique d’extrême droite, sans doute fascisant à bien des égards – on l'a vu avec les dernières déclarations de Mme Mégret où les propos rapportés de Jean-Marie Le Pen –, une organisation d'extrême droite qui a des électeurs. Le seul combat politique qui doit être mené, c'est par rapport aux électeurs, pour leur dire : « vous faites fausse route, vous vous faites abuser » et en même temps, le Front national est vraiment un parti d'extrême droite dangereux pour la liberté. Interdire le Front national donnerait-il de meilleurs résultats ? Je ne crois pas que ce soit en cassant le thermomètre qu'on change le phénomène.

P. Lapousterle : En ce qui concerne les poursuites éventuelles qui ont été demandées par des gens comme M. Mazeaud ou d’autres : à votre avis, doit-on poursuivre M. Le Pen et Mme Mégret pour leurs récentes déclarations et pourquoi le PS ne le fait-il pas ?

F. Hollande : Oui, on doit les poursuivre. Quand le président de la République dit qu’il veut lutter contre le racisme, il a l’occasion de montrer sa détermination en demandant au garde des Sceaux d’engager ces poursuites-là. Il est le mieux placé pour le faire. S'il ne le peut pas au nom d'une législation qui ne lui permettrait pas de le faire, alors il faut que le projet de loi, qui est en souffrance en moment sur les bureaux des deux Assemblées, soit examiné au plus vite. En tout cas, pour nous, nous n'écartons aucune hypothèse : si, juridiquement nous en avons la possibilité, nous le ferons.

P. Lapousterle : Renault devient une affaire d'État entre la Belgique et la France, alors qu'au départ c'était une affaire d'ordre privé. Quelle est la position du PS ?

F. Hollande : D'abord, Renault, qui a longtemps été une vitrine sociale du capitalisme français, se comporte aujourd'hui comme n'importe quelle multinationale.

P. Lapousterle : Pas du capitalisme : c'était une société publique.

F. Hollande : Du capitalisme public, puisqu'en définitive c'est une société qui avait des clients, un chiffre d'affaires, qui était soumise à la concurrence. Mais c'était une vitrine sociale. Aujourd'hui, ce n'est qu'une multinationale qui n'a aucune référence sociale et européenne. Ce qui est grave dans cette affaire, ce n'est pas simplement le comportement d'une entreprise française en Belgique : c'est l'échec d'abord d'une stratégie automobile ; c'est aussi la conséquence d'une politique gouvernementale qui, à travers les « balladurettes » et les « juppettes », a épuisé le marché automobile. Aujourd'hui, l'ensemble de l'industrie automobile française est dans une très grande difficulté. Enfin, ne croyons pas que c'est un problème qui va se limiter à la Belgique, que les Belges payeront pour les Français ! On sait aujourd'hui qu'il y a sans doute 3 000 suppressions d'emplois qui vont s'abattre sur le territoire français à travers des licenciements ou des suppressions d'emplois. Donc, nous, ce que nous disons, c'est que le gouvernement., qui est à l'origine de la difficulté de la situation du marché automobile à travers des mesures à contre-emploi et à contre-conjoncture, a maintenant la responsabilité de ce dossier.

P. Lapousterle : Ce matin, les élus socialistes des Bouches-du-Rhône sont convoqués par la direction du PS. C'est pour remettre de l'ordre ?

F. Hollande : Oui, parce que, quand on perd une élection comme celle de Vitrolles, qu'on la perd en plus contre le Front national et qu'on sait qu'il y a eu des divisions entre socialistes, qu'il n'y a pas forcément eu une sélection du candidat dans les meilleures conditions, il faut remettre de l'ordre. C'est ce que Lionel Jospin a décidé : on ne peut pas laisser les socialistes dans les Bouches-du-Rhône être livrés comme cela à des petits jeux. Il faut absolument préparer les échéances prochaines.

P. Lapousterle : Y aura-t-il des décisions aujourd’hui ?

F. Hollande : Il y aura des décisions demain. En tout cas, il n’est plus question de laisser les socialistes dans les Bouches-du-Rhône seuls devant leurs propres divisions et être incapables de lutter dans de bonnes conditions contre le Front national et contre la droite.

 

Le Monde - 11 mars 1997

Le Monde : Le mouvement de protestation qui vient d’avoir lieu contre la loi Debré, celui qui se dessine, à l’échelle européenne, contre les suppressions d’emplois chez Renault, font émerger de nouvelles formes d’expression politique, ou au moins des formes renouvelées, qui entrent en concurrence avec le discours des partis. Comment ceux-ci peuvent-ils faire entendre leur voix dans ce concert ?

François Hollande : La pétition est une vieille pratique, la manifestation aussi et la grève a toujours été une forme de protestation. Que la société elle-même recoure à ces formes assez classiques de mobilisation ne doit pas nous inquiéter. Ne parlons pas de concurrence. Ce serait une faute grave de la part des partis de gauche de considérer cette contestation sociale ou morale en termes de compétition. Au contraire, ces mouvements peuvent renouveler puissamment l’engagement politique. Face à eux, un parti peut être aiguillonné, voire contesté, ou récupérateur. Je préfère la première attitude.

Blandine Kriegel : Ce qui me paraît nouveau, c'est l'irruption d'une forme d'action plutôt d'origine anglo-saxonne qui se présente comme une insurrection de la liberté de conscience contre une loi oppressive, et non comme un mouvement lancé par un parti politique. Sur le fond, pensez-vous que le problème de l'immigration n'est qu'un leurre ou qu'il se pose vraiment, notamment en termes d'intégration dans le cadre de la République française ?

François Hollande : Les partis, depuis au moins 25 ans, n'ont jamais pu contrôler quelque mouvement social que ce soit. Il y aurait eu de la part du Parti socialiste une ambition démesurée à vouloir embrigader ce mouvement de protestation. Ce qu'on demande aux partis, et notamment aux partis de gauche, c'est de traduire, à un moment donné, un malaise, un mécontentement, une contestation, et de leur donner une perspective politique. Sur le fond, je crois que l’immigration n’est pas le problème central du pays. Et à ce problème, le texte de Jean-Louis Debré n’apporte pas de réponses adéquates, car ceux qui sont les plus affectés par la crise économique et qui peuvent être tentés de faire des immigrés des boucs émissaires ne mettent pas en cause les clandestins, mais les immigrés réguliers, ou même les étrangers devenus français.

Blandine Kriegel : Le problème est celui de la politique d'immigration. Un État est-il tenu, au nom de l'hospitalité, d'accueillir tous ceux qui le demandent ou peut-il agir pour contrôler les flux migratoires ?

François Hollande : Nous avons donné la réponse lorsque nous étions au gouvernement, en régularisant ceux qui étaient là et en limitant les flux migratoires au regroupement familial et à l'exercice du droit d'asile. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont appliqué une politique d'immigration. Mais celle-ci doit respecter les principes et les valeurs de la République. Toute politique d'immigration doit être aussi une politique d'intégration, et c'est ce qui fait défaut au texte de Jean-Louis Debré.

Le Monde : Comment le certificat d'hébergement, qui était une bonne chose en 1982, est-il devenu scandaleux en 1997 ?

François Hollande : En 1982, le certificat d'hébergement visait à favoriser l'accueil. Progressivement, on l'a transformé en instrument de contrôle de l'immigration. Le texte Debré a consacré ce processus en en faisant un élément de contrôle social par le canal du fichier des hébergeants et de la délation.

Danièle Sallenave : Ne croyez-vous pas que le slogan du multiculturalisme attaque profondément la notion même d'intégration et que celle-ci suppose un cadre juridique qui ne peut pas devenir pluriculturel ?

François Hollande : Notre conception, c'est l'intégration républicaine, même si les formes classiques de la socialisation ne sont plus aussi efficaces que par le passé. Mais on ne peut pas demander à l'école seule d'assumer le cheminement de l'intégration républicaine, il faut que toutes les institutions de la république se mobilisent. Lorsqu'on a, avec beaucoup de légèreté, abandonné le service national, on s'est privé d'un canal possible d'intégration républicaine. L'insertion par le travail est également une forme d'intégration : lorsque le PS propose de créer 700 000 emplois pour les jeunes, sous les ricanements de certains, ce n'est pas seulement une question économique ou sociale, c'est aussi une question républicaine.

Alain Finkielkraut : Trois idées se sont dégagées du mouvement de protestation, celle de la corruption des politiques, celle de la lepénisation des esprits et celle de l'immigration comme une chance pour la France. Adhérez-vous à ces trois discours ?

François Hollande : Vous me demandez de réagir à des slogans. J'ai tendance à penser que les hommes politiques sont honnêtes, intellectuellement honnêtes, qu'ils soient de droite et de gauche. Ceux qui les disent corrompus tiennent le même langage que ceux qui sont la cible de leurs attaques. On peut parler de lepénisation des esprits quand on voit que certaines formules utilisées il y a quelques années par Jean-Marie Le Pen sont reprises par ses adversaires, comme si un virus se diffusait d'esprit en esprit. Mais nous n'avons jamais laissé penser qu'il y avait, de la part des auteurs du texte de loi, une volonté d'amalgame avec Jean-Marie Le Pen.
Quant au troisième slogan, ceux qui sont venus chez nous pendant de nombreuses années ont représenté une chance pour notre pays, en soutenant notre démographie, notre économie. Aujourd'hui, dans l'état économique qui est le nôtre, devant les chiffres du chômage et les rigueurs de l'actualité sociale, l'immigration ne peut plus être accueillie à portes ouvertes sur notre territoire.