Déclaration de M. Marc Blondel, secrétaire général de Force ouvrière, et communiqués de Force ouvrière, sur l'indépendance syndicale, fondement de l'histoire et de l'action de la CGT-FO, Paris le 19 décembre 1997, publiés dans "Force ouvrière hebdo" du 24 décembre.

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Circonstance : Célébration du cinquantième anniversaire de la CGT-FO à Paris le 19 décembre 1997.

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Force Ouvrière Hebdo - 24 décembre 1997

« Nous avons toujours conservé le cap originel de l’indépendance syndicale »

19 décembre 1997, 17 heures, le secrétaire général de la CGT-FO intervient devant les militants rassemblés dans la salle Léon Jouhaux, à l'occasion de la célébration du cinquantenaire de la Confédération. Il rappelle la vocation de liberté de comportement du syndicalisme authentique.

(...) Nous sommes tous ici, anciens et plus jeunes, le témoignage vivant qu'il fallait faire la scission, que c'était une nécessité, non un hasard ou une péripétie.

Et pourtant, dès le départ, en 1948 comme en 1895, certains ne donnaient pas cher de l'avenir de la CGT puis de la Confédération générale du travail Force ouvrière. Déjà, Ils s'interrogeaient : quel avenir pour le syndicalisme ? (...)

(...) Lorsqu'en 1947 la scission fut décidée, ce n'était pas de gaieté de cœur.

Par définition, c'est toujours un échec de ne pas pouvoir rester dans la maison que l'on a construite. (...)

Quand Robert Bothereau, en réponse à Benoît Frachon qui déclarait : « la CGT continue », affirma : « nous continuons la CGT », il soulignait simplement mais profondément les données essentielles du problème. C'est pour rester fidèles aux conceptions originelles de 1895 qu'il fallait quitter une CGT dorénavant inféodée aux ordres du PC et de Moscou. (...)

C'est sur consigne de l'Union soviétique qui refusa le plan Marshall que les communistes tentèrent de s'y opposer. De fait, accepter l'aide américaine, c'était éloigner la France du bloc communiste. On connait bien ce travers de la CGT communiste. Il fallait que les travailleurs non seulement travaillent pour redresser la France, mais souffrent pour que leur révolte s'exprime, une révolte que, bien entendu, seul le PC devait pouvoir instrumentaliser et contrôler.

C'est avec cette même logique que, dans les années 30, la CGTU s'était opposée aux assurances sociales. (...)

Hors du PC, point de salut ! C'est à ce titre d'ailleurs qu'en France - comme ailleurs - je pense à l'Espagne, à la Hongrie, à l'Allemagne ou à la Tchécoslovaquie notamment, les communistes n'ont pas hésité à pactiser avec l'ennemi officiel pour tuer dans l'œuf ou étouffer une révolte qui ne leur convenait pas.

En quelque sorte, ils n'hésitaient pas à jouer les chiens de garde du capital quand ils considéraient que cela servait leurs intérêts.

Les militantes et militants qui, les 18 et 19 décembre 1947, décidèrent de quitter la CGT après d'autres, précurseurs, ne pouvaient pas accepter une telle domestication. (...)

Ils ne voulaient pas remettre le sort des travailleurs dans les mains d'éléments extérieurs au syndicat.

Contrairement à ce que certains véhiculent, les termes du débat n'étaient pas entre révolution et réformisme. Le terme même de réformisme n'était d'ailleurs guère usité à l'époque et il suffit de reprendre les déclarations des camarades qui créèrent la Confédération générale du travail Force ouvrière pour qu'on leur trouvât aujourd'hui un côté très révolutionnaire !

Les vrais termes du débat portaient, au fond, sur les oppositions entre indépendance et politisation, entre voie contractuelle et voie politique.

Et ce n'est pas un hasard si la loi du 11 février 1950 qui structura la pratique contractuelle fut obtenue grâce à la Confédération générale du travail Force ouvrière. (...)

Quand ils décidèrent de quitter la CGT, les militants étaient de tous secteurs, activités et régions. Une partie du bureau confédéral, dont Léon Jouhaux, en faisait partie, bien entendu. (...)

Certains sont restés à la CGT, parfois sous la menace.

D'autres, comme les enseignants, décidèrent finalement de passer dans l'autonomie, affirmant qu'ils voulaient pouvoir montrer que l'unité était encore possible. On voit ce qu'il est advenu, depuis, de la FEN. En fait d'unité, c'est la FEN qui a fini par imploser et qui cherche à réexister en créant une échappatoire avec l'UNSA. (...)

L'histoire de la Confédération générale du travail Force ouvrière se confond notamment avec celle de la protection sociale collective : généralisation et mise en place de la sécurité sociale, pour laquelle le camarade Georges Buisson avait tenu un rôle considérable avec les assurances sociales, mise en place des régimes complémentaires de retraites, du régime d'assurance chômage par la suite.

Parce que nous avons, tous, fait le choix de l'indépendance syndicale, nous n'avons pas à nous interroger sur notre conception du syndicalisme. (...)

C'est parce que nous sommes restés fidèles, de tous temps, aux fondements du syndicalisme, que nous n'avons pas, aujourd'hui, à vouloir apparaître comme indépendants : nous le sommes.

Que l'effondrement des pays de l'Est pose problème à la CGT actuelle relève de la logique. (...)

Permettez-moi ici d'ouvrir une parenthèse dans l'histoire du mouvement syndical en parlant d'une autre organisation née en 1919 sur consigne de l'Église en réaction au syndicalisme lutte de classes de la CGT. Je veux bien entendu parler de la CFDT. Après avoir joué l'unité d'action avec la CGT dans les années 70, à l'époque où en Amérique latine l'Église prônait la théologie de la libération (on parlait même d'évêques rouges), cette organisation, de recentrage en recentrage, a fini par déplacer complètement son centre de gravité pour tenter de trouver un équilibre du côté patronal et gouvernemental, quels que soient le patronat et te gouvernement.

Cela s'appelle une institution sociale, non une organisation syndicale.

Dans les négociations, elle est toujours prête à tout signer, montrant par là même que la pratique contractuelle n'est pas, pour elle, signe et condition de l'indépendance syndicale mais objet commercial.
Elle prend référence dans l'une des institutions phares de la pensée unique, la fondation Saint-Simon, qui constitue aujourd'hui un des nouveaux chiens de garde des privilèges acquis et qui ne tolère aucune pensée divergente.

Quand FO signait et quand FO signe, c'est que nous apportons quelque chose aux travailleurs, nous respectons trop le contrat collectif et la pratique contractuelle pour en dénaturer l'esprit et le contenu.

Nous ne les sacrifions pas au nom de la fatalité économique et du seul intérêt d'appareil.

Tout cela pour dire qu'entre la perte de tuteur pour la CGT et le retour aux sources pour la CFDT, Force ouvrière, elle, n'a pas d'états d'âme sur la conception syndicale puisque nous avons toujours, nous, conservé le cap originel de l'indépendance syndicale. Cette position de pivot gêne, avant elle agaçait, maintenant elle gêne. (...)

Nous avons entamé depuis plusieurs années un travail de fond quant à l'augmentation de nos implantations syndicales.

Nous en avons recueilli les fruits, notamment dans l'industrie, où nous avons accru notre score aux prud'hommes. (...)

(...) Notre sigle Confédération générale du travail Force ouvrière a deux significations, la première c'est de marquer la continuité avec les principes et idéaux de la CGT de 1895. La deuxième, c'est que Force ouvrière vient du titre du journal

Résistance Ouvrière publié pendant la guerre par les militants qui fonderont la Confédération générale du travail Force ouvrière. (...)

Résister, savoir résister est par définition un acte de courage qui implique que l'on soit contre certaines modes, contre les dogmatismes, les autorités révélées ou non. C'est le refus de subir et la volonté de préserver ce qui est essentiel.

C'est notamment le choix fait par des militants pendant la dernière guerre mondiale avec Résistance Ouvrière. N'oublions pas en effet qu'entre les staliniens qui en 1939 ont accepté le pacte germano-soviétique et ceux qui, dans la CGT, ont rejoint la charte du travail. Il fallait des convictions, du courage, une détermination et une conscience pour résister. S'en souvenir de manière permanente est un devoir de mémoire. (...)

Ce qui compte, en 1895 comme en 1947 ou actuellement, c'est notre détermination à défendre et promouvoir l'indépendance syndicale, à être en phase avec ce que ressentent les travailleurs, actifs, chômeurs et retraités.

Ce sont eux qui donnent toute sa valeur au syndicat, qui déterminent dans l'usine, l'atelier, le commerce ou le bureau les revendications. Une organisation syndicale ne vit pas comme une entreprise avec une hiérarchie qui donne ses ordres et ses consignes.

C'est sur ces bases que le syndicalisme indépendant a traversé et traversera les époques. (...)

La Confédération générale du travail Force ouvrière a, par définition, vocation à accueillir tous les salariés quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses. Les discussions nous les avons entre nous dans les instances. Nous ne les menons pas par l'extérieur à coups de déclarations qui, finalement, prouveraient tout simplement une faiblesse interne. FO ne pratique pas, contrairement à d'autres, l'exclusion. N'est victime que celui qui veut bien l'être, par son comportement et le refus de la démocratie.

On adhère librement à FO, on milite librement à FO pourvu que l'on respecte les statuts, on sort librement de FO si on en a envie. Et je peux vous dire que les entrées sont sans commune mesure avec l'épiphénomène qui a retenu l'attention événementielle ces derniers jours.

La Confédération générale du travail Force ouvrière a pour but de grouper toutes les organisations composées de salariés conscients de la lutte à mener contre toutes les formes d'exploitation.

Cette conception syndicale, nous la défendons en France mais aussi en Europe et au niveau international.

L'un des défis pour le mouvement syndical est de répondre plus efficacement à l'internationalisation économique et financière par une démarche et une action syndicale performante, donc indépendante, ce qui suppose, là aussi, des évolutions notamment au sein de la CES dans laquelle la Confédération générale du travail Force ouvrière, membre fondateur, entend bien renforcer son action sous le signe de l'indépendance.

Il appartient au mouvement syndical européen de jouer un rôle de contrepoids, de ne pas se situer dans la projection des positions gouvernementales ou patronales. (...)

Dans un monde économiquement marqué par une pensée dogmatique conforme, les travailleurs ont plus que jamais besoin d'une organisation syndicale authentiquement indépendante.

Cette organisation c'est, depuis toujours, la Confédération générale du travail Force ouvrière. (...)

Comme le disait Bothereau, il n'y a pas de minorité à FO, il y a des minoritaires.

Il y a dans cette salle de jeunes militants. C'est encore une réponse à la question que certains posaient en 47/48 : quel avenir pour Force ouvrière ? (...)

Le problème auquel ma génération est confrontée est que pour la première fois depuis longtemps nous ne sommes pas sûrs de pouvoir léguer à la génération suivante des conditions de vie meilleures du fait du chômage et de la remise en cause des droits et acquis sociaux. (...)

Pour y répondre, il n'y a qu'une voie : relevons la tête, militons et poursuivons l'accroissement de nos implantations syndicales.

Cela concerne tous les dossiers, de la protection sociale aux salaires en passant, bien entendu, par le chômage, les conditions de travail, les modalités de la pratique contractuelle.

C'est le plus bel hommage que nous puissions continuer à rendre à ceux qui se sont battus pour permettre à l'indépendance syndicale, non seulement d’exister, mais de se développer.

 

Force ouvrière Hebdo - 24 décembre 1997

L’indépendance, avenir du syndicalisme

La Commission exécutive confédérale s'est réunie à Paris le 19 décembre 1997 pour commémorer la scission de 1947 qui donna naissance, en 1948, à la Confédération générale du travail Force ouvrière. Elle a adopté la proclamation : « L’indépendance, avenir du syndicalisme. »

La continuité de l’indépendance syndicale

En décidant on décembre 1947 de quitter une CGT inféodée au parti communiste, les militants, dont ceux qui pendant la guerre se sont retrouvés dans Résistance Ouvrière, ont eu la détermination, le courage et la volonté de préserver l'indépendance syndicale en continuant la CGT sur les principes originels de 1895 et de la charte d'Amiens de 1906. Conscients de la nécessité de la solidarité syndicale internationale, les militants de la Confédération générale du travail Force ouvrière participèrent à la création de la Confédération internationale des syndicats libres.

La victoire de l’indépendance syndicale

Par nature ouverte à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, par principe indépendante des partis politiques, des gouvernements, du patronat et des religions, la Confédération générale du travail Force ouvrière a depuis 50 ans préservé la liberté de comportement du syndicat.

En rejetant la voie politicienne et en privilégiant la voie contractuelle et conventionnelle, la Confédération générale du travail Force ouvrière a pleinement exercé le rôle de contrepoids du syndicat et assuré une pratique de la démocratie dans laquelle les interlocuteurs sociaux s’engagent librement.

À l'origine des deux piliers de la pratique contractuelle, le contrat collectif et le paritarisme, la Confédération générale du travail Force ouvrière a joué un rôle déterminant dans l'acquisition par les travailleurs de droits sociaux essentiels, en particulier dans le domaine de la protection sociale collective et des conventions collectives.

L'attachement fondamental de la Confédération générale du travail Force ouvrière à la pratique contractuelle, à la liberté d'association et de négociation, implique des exigences en matière de contenu et de contenant des accords ainsi que d'articulation des niveaux de négociation.

Conçue comme un outil essentiel du réformisme, c'est-à-dire d'émancipation progressive des travailleurs, la pratique contractuelle doit être préservée de toute soumission et compromission.

Pour la Confédération générale du travail Force ouvrière, la pratique contractuelle est une expression de l'indépendance syndicale, une condition et un moyen de sa libre détermination.

Elle va de pair avec la conscience de classe de l'organisation syndicale et s'inscrit dans l'expression du rapport de forces.

L’avenir de l’indépendance syndicale

Cinquante ans après, la détermination de la Confédération générale du travail Force ouvrière à préserver l'indépendance syndicale est d'autant plus forte que la situation économique et sociale, le chômage, la dégradation dos conditions de vie et de travail, l'emprise du libéralisme économique conduisent de plus en plus les travailleurs à revendiquer cette indépendance en France comme dans le monde.

Au plan syndical, le XXIe siècle sera celui de l’indépendance :
    - confiante dans la volonté de plus en plus marquée des travailleurs de laisser aux jeunes générations de meilleures conditions d'existence ;
    - consciente de la nécessité de préserver les valeurs de liberté, de démocratie, de fraternité, d'égalité et de laïcité ;
    - déterminée à agir au plan international au sein de la CISL et de la CES pour renforcer la solidarité ouvrière et défendre le syndicalisme libre et indépendant.

La Confédération générale du travail Force ouvrière appelle tous les travailleurs, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, à adhérer et militer dans la seule organisation syndicale respectueuse du principe et de la pratique de l'indépendance syndicale, garante de leur dignité et de la force de leur union.

Paris, le 19 décembre 1997.

 

Force ouvrière Hebdo - 24 décembre 1997

FO annonce une association internationale pour le développement du syndicalisme

À l'occasion du 50e anniversaire de la Confédération générale du travail Force ouvrière, son secrétaire général, Marc Blondel, a annoncé, en concluant son discours, une « initiative qui s'inscrit dans l'action internationale à laquelle nous avons toujours participé ». Ainsi, déclarait-il, « la Confédération sera prochainement à l'initiative de la création d'une Association internationale pour le développement du syndicalisme, la défense des droits syndicaux et la liberté syndicale dont l'objet, dans le cadre de la CISL*, sera de promouvoir la liberté syndicale, la liberté de négociation et la non-discrimination ».

* Confédération internationale des syndicats libres.