Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à TF1 le 21 décembre 1997 et précision dans "Le Monde" du 12 janvier en réponse à un article du journal en date du 6 janvier 1998, sur les bavures policières et la formation des policiers confrontés à la violence urbaine.

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Texte intégral

TF1 - Dimanche 21 décembre 1997

C. Chazal : Après ces deux drames, avez-vous le sentiment qu’il y a une recrudescence de violence ? Êtes-vous particulièrement inquiet ce soir ? Vous avez le sentiment que ça va brûler, s’enflammer pendant les fêtes de Noël ?

J.-P. Chevènement : Je pense que ces deux drames sont très différents, même s’ils sont unis par une coïncidence dans le temps. À Lyon, il s’agit clairement d’un manquement caractérisé à la déontologie policière…

C. Chazal : Ce qu’on appelle une bavure.

J.-P. Chevènement : Si vous voulez, en langage courant. Mais, ça s’appelle en l’occurrence un homicide. Et par conséquent, je ne peux que condamner très sévèrement ce manquement…

C. Chazal : C’est un policier qui avait déjà été deux fois suspendu. Comment peut-on laisser un policier garder une arme quand il a déjà commis deux fois des fautes professionnelles ?

J.-P. Chevènement : Cela pose le problème des instances disciplinaires. Il est clair que ce policier avait déjà commis un certain nombre de fautes, et qu’il a été – à mon avis – insuffisamment sanctionné.

C. Chazal : Est-ce que ça pose plus généralement le problème de la formation de ces policiers, notamment de leur apprentissage du maniement des armes, et peut-être d’un certain nombre de règles ?

J.-P. Chevènement : En l’occurrence, il ne s’agit en aucune manière de cela. Puisque l’arme du meurtre était un fusil à pompe qui appartenait au demi-frère de la victime. Permettez-moi quand même d’assurer de ma compassion la famille de la victime, sa compagne, ses parents. Je pense aussi aux enfants qui sont très petits. Je ne veux pas non plus oublier la famille du jeune Abdelkader Bouziane.

C. Chazal : Ça, c’est à Dammarie-les-Lys et c’est autre chose.

J.-P. Chevènement : Pour revenir à votre question sur la formation, je pense que c’est un accident. Cette arme n’avait pas été déchargée. Mais on peut penser que, d’une manière générale, la formation des policiers mérite beaucoup de soins encore, que cela n’est le cas. J’envisage de multiplier ce qu’on appelle les simulateurs d’interventions de police permettant aux policiers de se placer en situation réelle, de façon à ce qu’ils puissent réagir : savoir quand ils doivent tirer, ne pas tirer ; se protéger ; agir autrement. C’est très difficile. C’est un métier très difficile. Et il faut voir aussi que les policiers sont souvent affrontés à des situations vraiment insoutenables : cette violence urbaine, je vois des pompiers à Dammarie-les-Lys pratiquement attirés dans un guet-apens. Il y a comme une sorte de jeu entre l’institution policière et certains jeunes malheureusement désœuvrés, et qui ont leurs problèmes. Mais je crois qu’il faut cesser d’opposer les jeunes à la police ; comme on dit quelquefois : les beurs et les keufs. Tout c'est une vision totalement infantilisante. Et nous devons essayer de regarder vers une société de citoyens, et pas vers une société où des communautés repliées sur elles-mêmes s’opposent entre elles.

C. Chazal : Est-ce ce drame qui vous pousse à renforcer votre projet sur les polices municipales ? Vous souhaitez notamment désarmer ces polices. Est-ce que ça vous fait réfléchir différemment sur cette question ?

J.-P. Chevènement : J’ai toujours considéré qu’il fallait aborder ces questions d’armement avec prudence. Et naturellement, s’agissant des polices municipales, qui ne bénéficient pas de la formation de la Police nationale – je rappelle qu’un gardien de la paix est formé pendant un an –, je crois qu’il faut proportionner leur armement à leurs tâches. Si elles sont amenées à intervenir la nuit dans le cadre d’un règlement de coordination – comme c’est prévu dans l’avant avant-projet qui est actuellement en discussion – on peut regarder de quel type d’arme elles ont besoin. Mais, je crois que, d’une manière générale, ce qui s’impose c’est la prudence et c’est le respect d’une déontologie élémentaire. Je veux rappeler que, pour des policiers, le tir n’est possible qu’en situation de légitime défense.

C. Chazal : Justement à Dammarie-les-Lys : est-ce qu’on a une réponse ? Est-ce que ce policier était en légitime défense ?

J.-P. Chevènement : Je vous rappelle que la voiture conduite par ce jeune homme avait déjà forcé un barrage de police ; qu’elle roulait tous feux éteints ; que ce jeune homme n’avait pas de permis de conduire ; qu’il était donc un danger public, un danger pour les autres. C’était la nuit, il roulait tous feux éteints, et par conséquent, montant sur le bas-côté où se trouvaient les policiers, ceux-ci peuvent avoir considéré qu’ils étaient dans cette situation. Ce n’est pas à moi de le dire. L’inspection générale de la Police nationale a été saisie. La justice enquête. Ce qui est nécessaire c’est que les responsabilités soient clairement établies et qu’on en tire toutes les conséquences. Mais je ne voudrais pas non plus qu’on fasse des amalgames, que l’on amalgame le cas de ce policier de Lyon avec les policiers en général. Quand telle ou telle personne appartenant à telle ou telle communauté ethnique commet un meurtre, on n’accuse pas la communauté à laquelle elle appartient. De la même manière, je ne saurais pas tolérer que l’on mette en accusation tous les policiers. Je pense qu’il faut élever le débat, et de se poser la question de savoir quel type de société nous sommes en train de faire : est-ce que c’est une mosaïque de ghettos, est-ce que c’est une société de ségrégation ? Ou est-ce que c’est une société de citoyens ? Le gouvernement entend travailler dans la deuxième direction : faire une société de citoyens. Ce qui implique l’instruction civique, du travail – car le chômage est derrière tout cela. Et je voudrais le dire aussi : il y a une responsabilité des parents. Il y a une responsabilité des enseignants. Il y a une responsabilité des élus locaux, qui ne doivent pas attiser les tensions, mais les calmer. Il y a une responsabilité collective de tous les citoyens, car on ne peut pas se contenter de commenter, de critiquer, de condamner. Il faut se poser aussi la question de savoir ce qu’on fait pour que la société soit plus harmonieuse.

C. Chazal : Les proches d’Abdelkader ont appelé eux aussi à un rassemblement pacifique en début de semaine à Melun, pour réclamer la justice et le dialogue. Et puis, on a également appris qu’il y avait une vingtaine de voitures incendiées – encore des incidents – dans trois quartiers sensibles de Nantes.

J.-P. Chevènement : C’est toujours les mêmes qui trinquent. Parce que ces voitures appartiennent aux habitants des cités.

 

France Inter - Dimanche 21 décembre 1997

(À propos de la mort d’un jeune de 16 ans à Dammarie-les-Lys)

J.-P. Chevènement : S’agissant de l’affaire de Fontainebleau, c’est malheureusement la répétition d’une violence urbaine qui dure depuis déjà plusieurs années. Et c’est un épisode malheureux où un jeune qui n’avait même pas son permis de conduire, au volant d’une voiture circulant tous feux éteints, avait déjà forcé un barrage de police, et a voulu en forcer un second. Il appartient à l’inspection générale de la Police nationale, et puis à la justice, qui est également saisie et qui a ouvert une enquête préliminaire, de déterminer les circonstances des faits. Je ne veux pas me prononcer avant d’avoir reçu les rapports. Je veux simplement rappeler la déontologie policière : les policiers ne peuvent tirer qu’en cas de légitime défense.

(À la suite de la mort d’un jeune homme de 24 ans dans un commissariat à Lyon)

J.-P. Chevènement : À Lyon, il y a un manquement caractérisé. Et ce comportement, je ne peux pas l’approuver. Il est clair que l’utilisation d’une arme à feu – dont on n’a pas vérifié qu’elle n’était pas chargée –, contre un homme menotté, est un acte absolument inacceptable. Que l’on ne compte pas sur le ministre de l’Intérieur pour couvrir une telle bavure. C’est inadmissible. Mais je voudrais aussi que l’on ne fasse pas d’amalgame : ce n’est pas parce qu’un policier a commis un meurtre – dans des conditions dans lesquelles la justice devra naturellement se prononcer – que tous les policiers sont des meurtriers. Je crois que c’est tout à fait évident.

 

Le Monde - 12 janvier 1998

Dans votre édition du 6 janvier, vous publiez un courrier de lecteurs m’imputant [NDLR : à propos de la mort d’un jeune homme dans un commissariat de Lyon] un propos que je n’ai jamais tenu. Lors de mon invitation au journal de TF1, le dimanche 21 décembre 1997, le dialogue que j’ai eu avec Claire Chazal a été le suivant :

Jean-Pierre Chevènement : Je pense que ces deux drames [NDLR : ceux de Lyon et de Dammarie-les-Lys] sont très différents même s’ils sont unis par une coïncidence dans le temps. À Lyon, il s’agit clairement d’un manquement caractérisé à la déontologie policière.

Claire Chazal : Ce qu’on appelle une « bavure » !

Jean-Pierre Chevènement : Si vous voulez, en langage courant… mais enfin cela s’appelle en l’occurrence un « homicide » !

Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur