Texte intégral
Mes chers compagnons,
Il revient donc au président du mouvement, conformément à la tradition, de s’exprimer en clôture de nos journées parlementaires.
Qu’il soit bien clair que je ne conçois pas l’exercice comme l’occasion d’un discours politique qui eût pu être prononcé, à l’identique, en d’autres circonstances et d’autres lieux.
Je crois trop en effet au rôle éminent qui revient à chacun de nos trois groupes de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen pour ne pas souhaiter me concentrer, en cette occasion, sur la contribution qui doit être la leur à la vie et aux progrès de notre mouvement.
Je me réjouis d’autant plus que les débats que vous venez de conduire, aient été si riches et si prometteurs. Ils ont été facilités, il est vrai, par la qualité exceptionnelle de l’accueil qui nous a été réservé dans cette belle cité de Saint-Jean-de-Luz par son député-maire, notre amie Michèle Alliot-Marie.
À mon tour, j’entends l’en remercier et l’en féliciter. Et j’associe, dans le salut que je lui adresse, nos autres parlementaires des Pyrénées-Atlantiques : Michel Inchauspé, Louis Althapé et Auguste Cazalet, ainsi que tous nos militants et sympathisants dont nous avons apprécié la réception chaleureuse, ainsi que François Bayrou qui nous fait l’amitié de sa présence, et bien sûr Alain Juppé.
Mes chers compagnons,
En ces premières journées parlementaires de la nouvelle législature, nous ne pouvions oublier que nos rangs s’étaient quelque peu clairsemés et il était légitime, comme nous y ont invité tour à tour Édouard Balladur, Jean-Louis Debré, que nous ayons une pensée pour nos collègues, pour nos amis que les élections ont si durement sanctionnés et qui n’avaient certes pas démérité…
Je l’ai dit, Jean-Louis Debré l’a fort bien dit avant moi : nos compatriotes ont moins désavoué une majorité qu’une dérive, longtemps imperceptible, de notre vie publique, désormais réduite, à leurs yeux, à la simple gestion d’un déclin annoncé.
Les Français veulent être gouvernés. Et ils veulent être gouvernés dans la vérité. C’est Jules Ferry, je crois, j’en suis même sûr, qui disait que les hommes politiques n’étaient pas là pour encenser la démocratie comme une idole, mais pour la conduire vers un grand objectif commun, et que ce qu’ils lui devaient avant tout, c’est la vérité…
Vérité sur la nation, son ouverture et sa cohésion, vérité sur l’Europe, vérité sur l’emploi… Cette exigence profonde de vérité, nos concitoyens se contentent, élections après élections, de nous la rappeler…
L’enjeu est donc clair. Nous ne pouvons-nous contenter d’attendre que le pouvoir retombe à nouveau entre nos mains comme un fruit mûr, pour une période éphémère, en comptant sur les seules erreurs des autres… Ce pouvoir, nous devons nous préparer réellement, sérieusement, à l’exercer durablement.
C’est bien pourquoi, conformément à la décision de nos assises, notre Rassemblement est entré depuis quelques jours dans un débat interne. Un débat au cours duquel il doit préparer son avenir, en même temps que ses propositions pour l’avenir. Un débat qui est dans la vocation même d’une formation comme la nôtre, qui ne saurait se contenter de renvoyer la réflexion politique à la sous-traitance.
Nos parlementaires ont évidemment une part essentielle à prendre à ce débat. C’est pourquoi ces journées de Saint-Jean-de-Luz ont été si utiles. C’est pourquoi aussi je vous invite si instamment à vous rendre dans les assemblées générales pour participer aux discussions.
Il ne s’agit pas de vous cantonner à vos circonscriptions ou à vos départements. Vous êtes également souhaités ailleurs. Très souhaités. Les chargés de mission aux débats, le centre national, sont à votre disposition pour aider à l’organisation de vos visites.
Il ne vous est pas demandé de peser sur les orientations qui seront définies, ou sur les propositions qui seront formulées. Vos interventions doivent contribuer à éclairer les choix des militants, et non à les déterminer.
Vous avez été élus par les Français pour les représenter. Vous êtes continuellement sur le terrain, à leur contact direct. Vous êtes donc mieux placés que quiconque pour faire prendre en compte par notre mouvement la réalité de leurs aspirations profondes.
Je ne doute pas que députés, sénateurs et députés européens sauront répondre à mon appel.
Et que, surtout, nos députés européens ne croient pas que je m’adresse à eux par simple déférence. À la veille d’échéances capitales pour la France dans l’Europe, ils peuvent et doivent apporter dans ce débat un concours précieux…
S’agissant du problème général des rapports du mouvement et des groupes parlementaires, j’observe avec beaucoup de satisfaction que, par le passé, les sujets de contentieux ou de friction ont été inexistants. Je suis sûr qu’il continuera à en aller de même…
Nous sommes parvenus depuis longtemps à un mode de fonctionnement que bien d’autres formations politiques pourraient nous envier.
Les synergies de nos services respectifs ont été encore accrues au cours de ces derniers temps. Tout au plus pourrions-nous songer désormais à une coordination renforcée de trois groupes, coordination particulièrement opportune dans les circonstances particulières que nous traversons.
Nos trois groupes servent la même cause. Pour autant, chacun a un rôle spécifique à jouer, et une contribution originale à apporter.
C’est au groupe de l’Assemblée nationale qu’il revient le plus souvent de monter, le premier en ligne.
Il essuie le premier feu. Il lui revient, à ce titre, d’analyser, de démonter les projets du gouvernement et d’en démonter, chaque fois qu’il y a lieu, l’inspiration erronée.
J’ai observé avec une certaine surprise que s’était développé récemment un débat sur la nature de l’opposition à conduire…
Faux débat s’il en est. D’abord, parce que les textes en forme de pots de confiture ou constituant le simple décalque des projets de l’ancien gouvernement vont avoir tendance à se raréfier et, par la force des choses, à espacer le rythme de nos éventuelles interrogations.
Parce que, d’autre part, l’inspiration du gouvernement et la nôtre étant, par nature, différente, l’acte d’opposition sera le plus souvent le chemin de l’évidence. Pour autant, nous n’avons jamais rejeté un texte qui nous apparaissait répondre incontestablement aux intérêts du pays. C’est une règle que nous gagnerons beaucoup à continuer à respecter, comme celle qui consiste à toujours admettre – dans les conditions statuaires – la liberté de vote de l’un des nôtres.
Être un rassemblement a un prix. J’ajoute que le vote forcé est contraire à l’esprit même des institutions que nous sommes censés défendre.
Pour autant la critique portée par notre groupe de l’Assemblée doit être éclairée par l’existence de contre-propositions crédibles.
Ces contre-propositions, il est nécessaire qu’il les établisse, en liaison étroite, avec notre groupe du Sénat.
Les règles du bicamérisme étant ce qu’elles sont, il va revenir souvent au Sénat, compte tenu de ce qu’est sa majorité, non point seulement de procéder à la critique ou au rejet d’un texte, mais d’élaborer et de voter un véritable contre-projet, qui constituera, aux yeux de l’opinion, l’alternative que nous incarnons.
C’est-à-dire que notre groupe, premier groupe du Sénat, aura une responsabilité particulièrement importante à assumer. Et que le groupe de l’Assemblée gagnera toujours à s’inspirer aussi des réflexions préalables de nos collègues et compagnons de la Haute Assemblée. L’idéal étant, évidemment, que les travaux préparatoires soient conduits par des groupes constitués en commun.
Dans tout ce qui touche enfin au processus de construction européenne, aux perspectives de la codécision et, aux normes européennes qui déferlent, l’apport de notre groupe de Strasbourg est irremplaçable.
C’est bien pourquoi l’un des premiers défis à relever au cours des tout prochains mois sera de mettre un terme au relatif isolement de nos compagnons députés européens.
En matière de politique européenne nous avons deux difficultés à régler : la complexité croissante, doublée de l’ésotérisme grandissant des dossiers européens dans lesquels l’opinion ne se retrouve plus et où la plupart des élus nationaux perdent pied ; la nécessité de trouver un chemin prenant en compte la diversité de nos approches, le soutien nécessaire aux initiatives du président de la République, et notre volonté de réhabilitation de certaines valeurs nationales singulièrement mises à mal ces dernières années… Pour surmonter ces deux difficultés nous avons besoin de nos députés européens. Et il nous faudra trouver le moyen de les associer plus systématiquement et plus efficacement à nos travaux.
Restera enfin à organiser notre coopération, voir notre coordination avec les autres formations de l’opposition.
Nos compagnons du Sénat, dans leur sagesse, ont depuis longtemps montré la voie.
Il nous faut probablement nous inspirer de leur exemple à l’Assemblée nationale.
Lors de la récente rencontre, à la Maison de l’Amérique latine, des délégations de l’UDF et de notre Rassemblement, le principe a été posé de la création d’un intergroupe.
Il va falloir lui donner désormais consistance. Sans doute conviendra-t-il de commencer modestement mais utilement : ainsi, à titre d’exemple, de simple exemple, une concertation systématique évitant les redondances dans les questions d’actualité, avec un système de priorité alternée, aurait-elle déjà les plus heureux effets aux yeux de ceux qui suivent avec assiduité nos séances télévisées.
Sur ce chapitre encore, nos amis de Strasbourg ne devront pas être en reste. À eux de nous aider à trouver au niveau européen des alliés pour les idées que nous avons à promouvoir, tant il est vrai que nombre d’entre elles ne pourront atteindre leur véritable portée que dans la mesure où elles seront propagées, discutées et éventuellement partagées dans tout l’espace européen.
Mes chers compagnons,
Pour mener à bien toutes ces tâches, je fais pleine confiance à nos groupes parlementaires. Plus précisément encore, je fais toute confiance aux présidents qu’ils se sont donnés.
Cette confiance va à Jean-Claude Pasty, à qui je confirme mon intention de m’exprimer devant le groupe U.P.E. du Parlement européen. Il sait que je compte essentiellement sur lui pour nous aider à relever avec efficacité les défis qui s’annoncent dans le calendrier européen.
Cette confiance va à Josselin de Rohan, qui se retrouve, je crois l’avoir assez dit, dans une position névralgique. Et dont je sais qu’il est apte à faire remplir à notre groupe du Sénat toute la mission qui lui revient.
Et cette confiance va, bien sûr, à Jean-Louis Debré. Je ne saurai prétendre que Jean-Louis Debré m’a succédé. Mon intérim a été trop bref, même si j’en conserverai un souvenir ému, parce qu’il m’a appris surtout à connaître la gentillesse et la disponibilité de l’équipe qui nous y entoure.
C’est à Michel Péricard, en fait, que Jean-Louis Debré a succédé, Michel Péricard, dont je veux saluer à nouveau l’action, lui qui a soutenu, sans faillir, l’action du gouvernement d’Alain Juppé, qui a défendu sans relâche ses collègues et apporté un soutien sans réserve à la rénovation de l’institution parlementaire.
Jean-Louis Debré est un homme de conviction. Il a des ennemis. Ils sont tous hors de nos rangs. Et comme l’a dit un homme politique américain, « ses ennemis, il les a mérités ». Il les a mérités, notamment grâce à son action intransigeante au ministère de l’Intérieur, où, soucieux des seuls intérêts du pays, il a bravé l’hostilité des belles âmes, de toutes ces « consciences » expertes en manipulation médiatique et promptes à faire la morale que son successeur retrouve sur son propre chemin… Je suis certain qu’à la tête du groupe, il tiendra solidement la barre.
Nous aurons bien besoin de son énergie.
Le premier défi que nous avons à relever concerne en effet notre capacité d’expression même, je veux dire, plus largement, le statut reconnu à l’opposition. Et ce défi concerne au tout premier chef, l’Assemblée nationale.
Si je voulais simplifier, je dirais volontiers que nous ne demandons pas davantage que de nous voir reconnaître les droits que nous avions nous-mêmes garantis à la minorité d’hier.
Ce qui est déjà beaucoup, j’en conviens, bien volontiers. Je crois ne pas être si mal placé pour le dire : il n’est pas d’Assemblée reconnue et respectée sans une opposition, elle-même, reconnue et respectée.
Au cours de la dernière législature, nous avons tiré, loyalement, toutes les conséquences de ce principe. Il y avait pourtant là un réel effort à produire pour une majorité aussi nombreuse, pour une assemblée aussi introuvable que la nôtre… Cet effort nous l’avons fait. À nos successeurs de le reprendre à leur compte.
Et voilà qui passe, d’abord, par la préservation des prérogatives nouvelles que nous avons conquises pour le Parlement.
Or, à cet égard, autant l’avouer, je ne suis pas certain que les choses se présentent sous les meilleurs auspices.
On ne saurait dire que les principaux responsables de l’équipe gouvernementale actuelle se caractérisent par une forte culture parlementaire et par une dilection spontanée pour les travaux des assemblées.
Il ne m’a pas semblé, de surcroît, que les rapports de forces au sein du Parti socialiste, sans parler de ses courants affectifs, nous promettaient un appui spontané et inconditionnel du Premier ministre aux intentions affichées par le nouveau président de l’Assemblée de poursuivre dans la voie que nous avions ouverte…
Nous n’avons pas non plus oublié que le premier soin du gouvernement, une fois son discours de politique générale terminé, fut de prolonger les vacances du Parlement.
Et comment ne pas se dire, lorsque des milliers de jeunes sont convoqués pour l’application d’un projet de loi, projet dont la discussion n’est même pas achevée, et sur lequel de surcroît, les deux chambres sont en profond désaccord, oui, comment ne pas se dire – devant une situation aussi irréelle – que le Parlement n’a même pas droit à la considération qu’on prêterait à une simple chambre d’enregistrement.
En tout cas, bien des indices donnent à penser que le Premier ministre pourrait souhaiter ne pas accumuler les occasions de confrontation avec l’opposition… et les occasions de vérifier la pluralité de sa majorité.
Déjà, on dit que le gouvernement envisagerait de s’en tenir à une séance de questions par semaine, remettant ainsi en cause une pratique en vigueur dans tous les grands parlements.
Or, nous ne devons pas nous y tromper : l’affaiblissement du rôle et des moyens de l’Assemblée n’aurait pas seulement pour effet l’affaiblissement du rôle des moyens de l’opposition. Une telle démarche irait de surcroît totalement à contre-courant des nécessités de l’heure. Aussi paradoxal que cela pourra paraître aux plus légers des observateurs, le rétablissement de la confiance des Français en la chose publique passe par un Parlement actif et entreprenant.
Nous serons d’autant plus vigilants que nous n’avons pas la mémoire courte. Nous saurons rappeler les progrès qui avaient été accomplis quatre années durant.
Il avait fallu rien moins que l’investissement personnel du président de la République pour donner toute sa force et toute son ampleur à cette entreprise. Son message au Parlement avait été sans ambiguïté : il voulait un législatif fort aux côtés d’un exécutif fort. Pour une démocratie forte prête à affronter les défis de l’Europe et de la mondialisation.
Nous avons su tirer tout le parti possible des nouvelles dispositions constitutionnelles : pour renforcer la capacité réelle d’initiative de l’Assemblée, en organisant des missions d’information sur les matières à traiter ; pour nous donner les moyens d’intervenir efficacement sur l’ensemble des processus de décision sur l’Europe ; pour accroître notre pouvoir de contrôle de l’action du gouvernement.
Il doit être clair que nous ne nous laisserons pas déposséder, sans protester, de ces prérogatives.
Sans doute nous rappellera-t-on ces dispositions d’esprit quand il sera question de discuter du cumul des mandats…
Et c’est là effectivement un sujet que je m’en voudrais d’éluder…
Le Premier ministre a donc fait connaître son intention de déposer un projet de loi sur le cumul des mandats. Il doit me recevoir le 20 octobre prochain, comme il recevra les autres responsables des autres formations politiques représentées au Parlement, pour recueillir leur avis.
À sa question, je répondrai par une autre question. Quel est l’objectif assigné à la réforme ? En d’autres termes : quel but poursuit-on ? Quel résultat veut-on atteindre ?
Pour l’instant, tout ce qu’on en sait, c’est qu’il veut réformer la législation relative aux cumuls pour – je cite – « moderniser la vie publique ». Ce qui paraît un peu court. Ce n’est pas parce qu’une mesure fait « moderne » que c’est forcément une bonne mesure.
En fait, il y a deux réponses possibles à la question posée. Ou bien, on veut donner aux parlementaires les moyens de se consacrer à leur mandat national, ou bien on entend conjurer les inconvénients qui seraient liés au cumul de deux fonctions exécutives.
Ce n’est évidemment pas la même chose.
Si le gouvernement cherchait vraiment à disposer de parlementaires à temps plein, il faudrait se demander s’il en a bien mesuré toutes les implications…
Je ne le crois pas vraiment…
Sans doute, d’ailleurs, une telle solution paraîtra-t-elle au plus grand nombre d’entre nous comme largement prématurée…
J’ai moi-même eu l’occasion de souligner qu’une formule aussi radicale ne pourrait vraisemblablement concerner que les députés sauf à remettre en cause les fondements mêmes de la spécificité du Sénat, et tout particulièrement sa fonction de représentation des collectivités.
Si cette piste ne paraît donc pas celle qui sera le plus vraisemblablement suivie, il n’en demeure pas moins que l’occasion est bonne pour faire le point sur certaines évolutions, que nous ne saurions négliger, et dont nous ne devons bien discerner les implications.
Si le cumul des mandats est en effet une spécialité française, c’est une spécialité dont tout indique qu’elle a changé de logique. Autrefois, le mandat local était surtout une étape vers des responsabilités nationales. Il permettait, certes, d’être en contact avec le terrain, mais en un temps où les charges de la gestion locale n’étaient pas excessives.
La décentralisation a tout changé. Les mandats locaux sont devenus souvent de véritables métiers à temps plein. Ils sont devenus aussi une sorte d’assurance en cas d’échec à un scrutin national. Le mandat local est devenu ainsi, dans bien des cas, le mandat principal, celui qui est censé garantir la pérennité politique de l’élu ; celui qui, de plus en plus souvent, détermine le vote : on a ainsi entendu certains de nos collègues nous expliquer – à tort, au demeurant – qu’ils ne pouvaient décemment voter contre les emplois Aubry, dès lors qu’ils s’apprêtaient à en solliciter pour la collectivité dont ils avaient la charge.
La politique s’est ainsi atomisé et l’administration a fini par se convaincre qu’elle était la seule incarnation de l’intérêt national, les parlementaires étant réduits, dans son esprit, à être les porte-parole des intérêts particuliers – qu’ils soient catégoriels ou géographiques – et lesdits parlementaires vouant d’ailleurs en retour aux susdits fonctionnaires des sentiments d’une égale aménité.
L’État national risque ainsi, si nous n’y prenons garde, de devenir le seul niveau d’administration de ne pas disposer d’élus qui lui soient totalement, exclusivement, voire même seulement prioritairement dévoués.
Cette évolution est d’autant plus préoccupante qu’il est plus clair que jamais qu’elle s’est produite, confirmée et amplifiée, à contre-courant de l’évolution de l’opinion.
Comment ne pas voir ainsi que le résultat des dernières législatives constitue le plus cinglant démenti à cette idée pourtant si répandue selon laquelle nos concitoyens ne feraient plus aujourd’hui une véritable distinction entre le rôle d’un député, détenteur d’une part de souveraineté nationale, et celui d’un élu local ?
Comment ne pas voir que les Français, au mois de juin dernier, n’ont pas voté sur le travail accompli au plan local par leurs députés, ce fameux travail de terrain, mais bien en fonction de leur appartenance à telle ou telle formation politique, donc selon un clivage national, au détriment de toute autre considération.
Tout se passe ainsi comme si les électeurs avaient d’eux-mêmes et tout naturellement replacé le rôle d’un député au cœur de sa définition première : celui de représenter non pas leurs intérêts locaux, non pas leur appartenance à telle ou telle communauté géographique, tel ou tel terroir, telle ou telle catégorie, mais bien leurs idées au plan national, leurs idées sur notre société et son devenir, leurs idées sur la France et ce qu’elle devrait être.
C’est assez dire que ce débat sur le cumul doit, pour le moins, nous inviter à une réflexion salutaire… Et nous conduire à nous interroger sur nos comportements mêmes…
Et, par exemple, sur la nécessité, l’absolue nécessité, de notre présence dans les hémicycles…
Mais j’en viens au deuxième objectif possible de la réforme annoncée.
Il peut s’agir encore d’empêcher, à titre principal, les cumuls de fonctions exécutives. Bref, de faire en sorte qu’un ministre, par exemple, ne soit pas tenté de favoriser la ville dont il est le maire. Ou d’éviter, à l’inverse, qu’un même élu se retrouve à la tête de deux collectivités dont les intérêts en arriveraient à être contradictoires.
Je crois que nous pouvons faire savoir que nous sommes prêts à discuter sur ces bases. Sous la réserve de bien nous entendre sur la notion de titulaires de fonctions exécutives. Si on devait s’en tenir aux seuls chefs de l’exécutif, la réforme serait probablement privée de toute portée. Il n’est, pour s’en convaincre, que de se reporter à la pantalonnade qui a été organisée par le gouvernement qui, tout en jouant les vertueux, et en invoquant morale politique et modernité, a déguisé ses ministres-maires en ministres premiers adjoints à compétence générale. Si on devait se borner à généraliser cette expérience, l’effet psychologique serait désastreux, puisqu’on ajouterait la sournoiserie aux vices existants, la perversité à l’incohérence. Il y a fort à parier que les Français, loin d’être ainsi réconciliés avec la politique en resteraient pantois… d’indignation. Et ils auraient raison.
Cela dit, mes chers compagnons, quels que soient par ailleurs, nos mandats ou nos fonctions, nous avons, nous le savons, en tant que parlementaires de l’opposition, bien du pain sur la planche.
Les socialistes ont fait des promesses. Ces promesses, ils savent, pour la plupart d’entre elles, qu’ils ne peuvent pas les tenir. Mais même pour le peu qui reste, il leur faut de l’argent, beaucoup d’argent…
Le premier tour de passe-passe qui nous est proposé est donc déterminant, c’est même la condition sine qua non, puisqu’il s’agit du budget…
À nous donc d’éclairer les Français, au cours des longs débats à venir, sur la véritable nature de ce budget.
En commençant moi-même à étudier ce budget, me revenait cette appréciation de François Furet qu’après Édouard Balladur, je vais citer à mon tour : « la force (de Jospin) dans l’opinion a tenu au mélange d’un style neuf et d’un fond archaïque ».
Effectivement, le style a amusé la galerie et occupé, si l’on peut dire, le devant de la scène pendant les tout premiers mois : maintenant, et notamment avec ce budget, apparaît l’arrière-plan, le fort contenu archaïque et idéologique de l’action gouvernementale.
L’archaïsme d’abord : les socialistes n’ont toujours pas compris que c’est l’entreprise qui crée les richesses donc l’emploi, que décourager ceux qui créent, ceux qui avancent, c’est inévitablement et inéluctablement affaiblir notre pays.
Avec un formidable aplomb et à contre-courant de ce qui se fait dans le reste du monde, ils continuent à vouloir répartir la pénurie, à vouloir créer toujours plus d’emplois publics, au lieu de favoriser l’émergence des activités de demain.
Le dogmatisme ensuite : les bons et les méchants, les riches – ceux qui doivent payer – et les pauvres – ceux que l’on doit aider mais sans dire comment ! Le travail d’un côté, l’épargne de l’autre. L’épargne de ces 12 millions de richards qui se paient un plan d’épargne-logement, l’épargne de ces 10 millions de nantis qui ont un contrat d’assurance-vie, sans parler de toutes ces personnes avides et âpres au gain qui ont un plan d’épargne populaire !
Non, décidément, ce n’est pas avec des dogmes hérités du 19e siècle que l’on entrera dans le 21e siècle.
Il va falloir le dire et le redire !
Mes chers compagnons,
Notre démocratie dispose, avec son Parlement rénové, rénové grâce à Jacques Chirac, d’un outil de qualité.
Quand nous étions la majorité, nous nous sommes efforcés de l’utiliser au mieux, dans le plus grand intérêt du pays.
Désormais, nous sommes l’opposition. Nous devons nous efforcer de remplir notre fonction d’opposition républicaine avec la même gentillesse, la même vigilance, la même loyauté.
De même que le pays réclame un gouvernement énergique et entreprenant, il a besoin d’une opposition énergique et entreprenante.
Monsieur Jospin renouvelle les erreurs de ses prédécesseurs socialistes, mais avec un nouvel habillage. Il voudrait bien être le Tony Blair français, mais sans en payer le prix : le renoncement à ses vieilles lunes idéologiques…
Notre devoir d’opposant est de jeter la lumière sur le clair-obscur de sa politique.
Mais nous devons aller au-delà.
Nous sommes des représentants élus du peuple français. Nous ne sommes pas des apparatchiks. Il ne suffit pas de dire que le gouvernement gouverne mal. Il faut encore indiquer comment il devrait gouverner. Peut-être capables nous-mêmes de gouverner un jour.
Je le répète : nous ne nous battons pas seulement contre des hommes, contre de vieilles idées et des réflexes d’un autre âge. Nous nous battons aussi contre un système qui s’installe sournoisement, contre un moule, dans lequel nos adversaires se sont coulés à merveille : celui où l’on ne gouverne plus, c’est-à-dire où l’on n’anticipe plus, où l’on a renoncé à maîtriser les choses, où l’on se contente de gérer au jour le jour, de piloter à vue.
Nous sommes donc tenus, dans la fidélité aux options du président de la République, de proposer un autre système… un véritable avenir, un avenir maîtrisé.
On ne le répètera jamais assez : la critique, aussi argumentée soit-elle, n’a d’autorité que si elle s’adosse à un projet.
C’est bien cela d’ailleurs, entre autres choses, que nous devons dénoncer dans le Front national. Cette absence flagrante, frappante, criante, de véritable projet. Ce vide total de propositions, occulté – mais jusqu’à quand ? – par l’agressivité de ses attaques. La haine ne tient pas lieu, rappelons-le sans relâche aux Français, de programme électoral.
C’est assez dire que ce grand projet, que tant de Français attendent, il doit être porté d’abord par l’ensemble des Gaullistes, leurs parlementaires en tête…
Car le terme de cette cohabitation qui débute sera un terme législatif.
C’est donc nous, parlementaires, qui serons à l’origine de la prochaine alternance.
Cette alternance qui sera le fruit de notre travail, de notre énergie.
C’est dire combien tout repose sur la force de notre engagement, sur notre cohésion, sur notre pugnacité.
Je ne sais pas si nous devons regarder la France dans les yeux… Je sais simplement qu’il faut cesser de considérer que les Français sont incapables d’entendre la vérité, cette vérité toute simple qui est à la base de toute démocratie saine et équilibrée.
Les Français, dans leur très grande majorité, veulent être compris, mais s’ils veulent être compris, c’est pour être gouvernés.
À nous de montrer que nous y sommes prêts.
À nous de montrer que nous en sommes capables.
Je me réjouis que ces journées parlementaires, ces remarquables journées parlementaires, les plus réussies sans doute depuis bien longtemps, aient été un bon, un solide début pour cette démonstration.