Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-Inter le 7 septembre 1999, sur la journée sans voiture prévue le 22 septembre, les relations des Verts avec le Parti radical de gauche et la préparation de l'élection présidentielle de 2002.

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Média : France Inter

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France Inter : Alors que les ventes d'automobiles ont battu tous les records en France, en juillet dernier, la prochaine « Journée sans voiture », dans plusieurs grandes villes françaises, aura lieu le 22 septembre prochain. Est-elle un alibi écologiste ou la manifestation d'un projet pour, un jour, une ville réellement sans voiture ?
Invitée de « Questions directes », la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Alors, on vend beaucoup de voitures, et puis on nous dit : « Allez ! une petite journée sans voiture ? »

Dominique Voynet : Une petite journée sans voiture, cela peut servir à réfléchir à la façon dont on se déplace en ville, à la façon dont on conçoit ses déplacements, dont on les organise, dont on peut éventuellement d'ailleurs choisir, de temps en temps, si ce n'est pas tous les jours, d'utiliser les transports en commun. Cette journée est une journée qui intéresse non seulement les Français, puisque soixante-six villes sont associées à l'opération, mais aussi les Italiens, les Espagnols, en attendant une journée réellement européenne en l'an 2000. En effet, tous les pays développés, tous les pays d'Europe occidentale se posent, au même moment, la même question : comment faire pour rendre la ville à ses habitants ?

France Inter : Quel est votre projet ? Imaginez-vous qu'un jour on puisse, par exemple, dans les villes, ne plus utiliser que les transports en commun et laisser les automobiles pour autre chose ?

Dominique Voynet : J'imagine très bien qu'on puisse avoir des zones où la voiture n'est pas la bienvenue et où les usagers non motorisés de la ville – les cyclistes, les piétons, les voitures d'enfants, les rollers, les jeux des gamins – puissent reprendre toute leur place. C'est tout l'enjeu de cette journée : faire en sorte que chaque ville s'interroge sur l'utilisation de la ville. Des thèmes particuliers ont été proposés aux élus et, ce qui les intéresse d'ailleurs, c'est l'opportunité qui leur est donnée de réfléchir à ces thèmes, mais aussi d'expérimenter des solutions nouvelles, démontrer la mobilisation des populations, l'accord des populations. Le caractère fonctionnel des suggestions qu'ils formulent est un des atouts essentiels de cette journée.

France Inter : Mais qu'est-ce que ça provoque, pour l'instant ? Est-ce que ça ne provoque pas finalement plus de mauvaise humeur de la part des automobilistes que de plaisir chez ceux qui sont dans les couloirs de la mort, puisque c'est comme cela qu'on appelle les couloirs de vélo ?

Dominique Voynet : Ce jour-là, il n'y a pas de couloir de la mort, puisque la rue est rendue à ses usagers normaux, c'est-à-dire les piétons et les cyclistes. Ce sont les voitures qui doivent faire l'effort de contourner d'éviter les zones qui sont réservées aux piétons. Les usagers comprennent très bien ce que nous faisons. Ils soutiennent ce genre d'initiative, ils sont d'accord. Le courrier que nous recevons, que nous avons reçu après la première journée « En ville sans ma voiture », était un courrier tout à fait enthousiaste, qui plaidait pour le renouvellement de cette expérience plus souvent. Ce que nous avons noté, c'est moins de pollution, bien sûr, mais aussi moins de bruits dans la ville et plus de convivialité et d'activités qui permettaient d'avoir des contacts avec d'autres.

France Inter : Mais enfin, vous qui êtes assez directe quand vous avez une idée, pourquoi pas toute la ville ? Pourquoi juste quelques quartiers ? C'est vrai qu'il y a un peu plus de quartiers que l'an passé, mais il y a encore beaucoup d'endroits, et notamment la périphérie de Paris ?

Dominique Voynet : Vous parlez de Paris ?

France Inter : Oui, je parle de Paris.

Dominique Voynet : Il n'y a pas que Paris : soixante-six villes sont associées à l'opération. L'an dernier, nous n'avions pas souhaité associer Paris parce que les propositions qui nous étaient formulées par la municipalité étaient plus symboliques qu'efficaces. Cette année, la zone sans voiture est une zone réellement significative. Et nous avons obtenu de la municipalité de Paris qu'elle organise réellement les déplacements dans la ville, indépendamment des voitures, avec notamment la mise en place d'une navette entre les gares pour permettre à un maximum d'usagers de se passer de leur voiture. Nous ne souhaitons pas embêter les gens, mais leur démontrer qu'il existe d'autres possibilités, et puis peut-être à travers leur soutien, leur mobilisation, donner l'envie aux élus de s'engager davantage dans la voie des transports collectifs.

France Inter : Est-ce un argument politique ? Il n'y a pas que Paris, avez-vous dit et vous avez raison, mais j'ai vu que le maire de Paris, M. Tiberi, en fait un argument presque personnel. Qu'est-ce que vous en dites ?

Dominique Voynet : Je crois qu'un certain nombre d'élus se rendent compte que la population demande des solutions courageuses pour permettre de redonner la ville à ses habitants. Ces élus-là ont compris que la façon de se déplacer en ville, la façon d'habiter la ville constituera évidemment un enjeu des prochaines élections. Soyons clair : moi, je ne suis pas contente de moi quand je décide une journée « En ville sans ma voiture ». Je suis convaincue qu'il faut aller beaucoup plus loin, prendre des décisions beaucoup plus ambitieuses, mais cela ne peut pas se faire sans soutien des habitants et sans la mobilisation des élus.

France Inter : La rentrée politique se fait sur les chapeaux de roue, pour les Verts. Il y a encore eu un élément nouveau, hier. Le président des Radicaux de gauche, Jean-Michel Baylet, parle maintenant d'une alliance avec le centre pour le compte de Lionel Jospin, faire une alliance avec les Radicaux de droite, les Valoisiens ; et puis, il vous tape dessus en disant que les Verts ne veulent assouvir que leurs ambitions personnels.

Dominique Voynet : Les Verts ne sont pas tentés par une alliance avec le centre. D'ailleurs, je ne sais pas bien ce que c'est le centre, en France. Il n'existe guère. Il est beaucoup d'hommes politiques qui l'ont cherché sans le trouver vraiment. Par contre, j'entends bien Jean-Michel Baylet, et des petites vacheries prononcées avec l'accent du Sud-Ouest, ça reste de petites vacheries. Jean-Michel Baylet devrait écouter davantage Enrico Macias qui plaide, depuis longtemps, pour l'amitié, l'amour et le respect entre les hommes.

France Inter : Mais il vient de le rejoindre au Mouvement des radicaux de gauche. Il y a quand même une chose : le centre, c'est sérieux. Vous savez bien que Lionel Jospin est entré en campagne pour la présidentielle et qu'il y a un mouvement de la gauche vers le centre. Est-ce que, après tout, M. Baylet n'est pas en train d'exprimer cela ?

Dominique Voynet : Soyons clair : le centre mou, la zone où il n'y aurait pas de turbulences, pas de problèmes, pas de conflits, c'est aussi la zone où on ne fait rien pour lutter contre l'exclusion, redistribuer les richesses, répondre aux attentes des millions de chômeurs et de précaires. Donc, ce n'est pas cette voie que soutiennent les Verts et ce n'est pas cette voie qu'a choisie le gouvernement, si j'ai bien entendu ce qu'a dit Lionel Jospin. Les Verts, les communistes, les autres composantes de la majorité plurielle veilleront à ce qu'on ne perde pas trop de temps à chercher un hypothétique centre qui ne ferait pas gagner les élections, puisqu'il décevrait les électeurs qui nous ont fait confiance.

France Inter : On en est à se demander ce qu'il en est aujourd'hui de la gauche plurielle, parce qu'il y a de plus en plus de « plurielle » et on a l'impression qu'il y a un petit peu moins de « gauche ».

Dominique Voynet : Les universités d'été sont propices aux débats. C'est le moment où on teste les nouvelles idées, les nouvelles hypothèses, les nouveaux choix stratégiques. Pour ce qui concerne les Verts, ce débat a toujours eu lieu de façon publique, très directe. Je n'y vois pas matière à conflit, à déchirements, et, franchement, moi, je suis assez consciente quant à l'avenir de la majorité plurielle et quant à la solidité des idées qui seront défendues. Je pense, par exemple, que le débat qui a lieu à l'occasion de la discussion sur la deuxième loi sur les 35 heures, est un débat tout à fait sain. Que Martine Aubry expose son projet aux députés, que les députés fassent des suggestions pour faire en sorte que la deuxième loi sur les 35 heures soit plus à même de répondre aux deux ambitions que nous nous étions fixées : gagner du temps libre d'une part, et créer des emplois de l'autre, cela me paraît tout à fait normal.

France Inter : Votre message a été entendu. Vous souhaitiez que l'on muscle le projet sur les 35 heures. Semble-t-il, Martine Aubry s'apprêterait à le faire.

Dominique Voynet : Le débat commence à peine et j'attends évidemment de Martine Aubry qu'elle donne des signes tout à fait tangibles aux députés de la majorité qui la pressent de taxer davantage les heures supplémentaires et de limiter les heures supplémentaires autorisées. S'il y a trop d'heures supplémentaires, si elles ne sont suffisamment taxées, alors on n'aura ni le temps libre, ni la création d'emplois.

France Inter : Est-ce à dire qu'à gauche on négocie, qu'on vous accorde certaines choses dans l'espace des 35 heures alors qu'on vous les refuse sur le terrain de la proportionnelle ou qu'on vous dit simplement, s'agissant du nucléaire : « On va parler, puis on verra ensuite » ?

Dominique Voynet : On discute et Lionel Jospin arbitre. Mais ce à quoi nous tenons par-dessus tout, c'est un espace de discussion qui permet aux arguments d'être entendus, d'être échangés et, à chacun, de défendre sa position. Ensuite, la règle du jeu, elle est connue : elle n'est pas toujours confortable pour une force qui reste minoritaire au sein de la majorité plurielle. Le Premier ministre est issu de la plus grosse composante de la majorité, cela me paraît démocratique et normal, et si les électeurs veulent qu'on tienne compte davantage des Verts. Alors, je les invite à choisir encore plus nombreux un bulletin de vote en faveur des Verts, aux prochaines échéances.

France Inter : Nous entrons dans une période où beaucoup de choses vont bouger, car les enjeux sont importants. Il s'agit de la présidentielle. Vous tenez beaucoup à l'identité des Verts et ce qu'ils représentent, notamment après les résultats des européennes. Allez-vous être très vigilante et marquer votre différence ou pas, maintenant ?

Dominique Voynet : Si la question est de savoir s'il y aura un candidat des Verts à l'élection présidentielle, la réponse est d'ores et déjà connue : il y aura un candidat des Verts à l'élection présidentielle, et je suis sûre d'ailleurs que ce n'est pas quelque chose qui choque Lionel Jospin. Il sait bien qu'on a besoin…

France Inter : Ce sera une femme, non ?

Dominique Voynet : … C'est souvent des femmes qui sont tête de liste chez les Verts, mais je ne peux pas préjuger de ce que feront les Verts. En tout cas, je continue à penser nécessaire la présence des Verts aux élections pour défendre un projet de société qui est un projet encore très différent de ce que portent d'autres partis politiques. J'en veux pour preuve, par exemple, leur choix en ce qui concerne la maîtrise des consommations énergétiques en Europe, mais aussi en ce qui concerne les choix en matière de développement. Qui, sinon les Verts, a plaidé pour une réorientation de l'agriculture depuis fort longtemps ? Qui, sinon les Verts, a insisté sur l'urgence de choisir autre chose que les camions pour le transport longue distance des marchandises ? On voit aujourd'hui le maire de Chamonix, par exemple, dire : « Décidément, on aurait dû anticiper davantage et agir avant : le dramatique accident du tunnel du Mont-Blanc. » Je crois que gouverner, c'est prévoir, c'est anticiper, c'est regarder ce qui se passera au-delà des échéances électorales.