Texte intégral
RTL - jeudi 20 février 1997
RTL : Vous associez-vous aux protestataires pour demander le retrait total du projet de loi Debré ?
D. Voynet : Non seulement je m'associe mais je dis enfin ! Enfin, ce pays se réveille ! Et les citoyens se rendent compte du mauvais coup qu'on a voulu leur faire pendant qu'ils pensaient à autre chose, le Vendée Globe Challenges ou je ne sais quoi ! Ce réveil de la citoyenneté, je l'attends depuis des mois. Nous n’étions pas très nombreux à manifester au cœur de l’été en faveur des sans-papiers ou contre les projets de loi Debré. Nous n'étions pas nombreux à montrer combien les libertés individuelles des Français et des étrangers étaient menacées par cette avalanche de textes xénophobes et paranoïaques et aussi par la publication de rapports qui témoignaient pour l'essentiel du fantasme sécuritaire de leurs auteurs et pas d'une volonté de résoudre les problèmes réels qui se posent aux Français. Je pense en particulier au rapport de Mme Sauvaigo.
RTL : Ce qui veut dire que l'amendement Mazeaud ne change rien pour vous ?
D. Voynet : Disons qu'il gomme certains des aspects les plus scandaleusement outranciers du projet de loi Debré. Mais il ne répond en rien aux inquiétudes des Français qui considèrent qu'il y a trop d'étrangers et il ne corrige aucune des incohérences des lois Pasqua qui minaient déjà très sérieusement les libertés des Français et des résidents étrangers.
RTL : Les Verts appellent-ils à la manifestation pour samedi ?
D. Voynet : Bien sûr ! Ils appellent à la manifestation et nous serons présents sans aucun doute. Je sais qu'il existe un débat sur la participation des politiques à ce genre de manifestation. Moi, je crois qu'il n'y a pas à rougir du travail que nous avons accompli depuis des mois. Et si nous n'étions pas présents à l'Assemblée pour dénoncer le durcissement de la législation, c'est parce que nous n'y sommes pas encore. Mais cela ne saurait tarder !
RTL : Que pensez-vous du sondage public ce matin par Libération qui montre qu'un Français sur deux est favorable aux pétitions mais 59 % sont pour le projet Debré ?
D. Voynet : Je n'avais pas vu la formulation des questions et je pense qu'elle explique beaucoup ces résultats. Simplement, je pense qu'il faut entendre les Français quand ils disent que la présence de très nombreux étrangers constitue, semble-t-il, pour eux un problème. Ils ne sont pas racistes ou xénophobes mais ils témoignent des conditions difficiles de vie dans lesquelles ils se trouvent. Ils ne supportent plus d'être insidieusement aspirés vers le bas de cette société en sablier. Cette société dans laquelle quand on est en bas du sablier, on n'existe plus, on est exclu, on est précaire, on n'a plus de statut, on est voué à une sorte de situation de sous-citoyen. Je crois qu'il faut répondre aux vraies questions qui se posent et faire en sorte que chacun ait du travail, un toit au- dessus de sa tête, une protection sociale et une place dans la société quel que soit son statut ou sa nationalité. Je ne pense pas que ce soit en désignant en permanence des boucs-émissaires qu'on va s'en sortir. J'aimerais que l’on s'attaque aux vrais problèmes qui sont la précarité, la pauvreté, la misère, l'urbanisme délirant des cités et pas les résidents étrangers que l’on a à côté de chez soi.
RTL : Votre conseil national a ratifié un accord électoral avec le Parti socialiste. Estimez-vous que le 22 mars, l’assemblée générale des Verts entérinera cet accord ?
D. Voynet : Il ne faut pas vendre la peau de l'ours de façon précipitée mais je n'ai pas de doute sur le fait que cet accord sera largement ratifié par les Verts. Tout le monde se rend bien compte de la valeur de ce contrat. C'est un chiffon de papier aujourd'hui. Il n'acquerra tout son poids et tout son sens que si nous sommes des militants motivés et mobilisés pour le défendre et pour en obtenir le respect de la part des dirigeants socialistes.
RTL : Ne craignez-vous pas la satellisation de votre mouvement comme certains le disent ?
D. Voynet : Pas du tout ! Nous avons passé un accord mixte, à la fois programmatique avec des concessions faites par le Parti socialiste qui sont plus qu'honorables, franchement progressistes et un volet électoral qui permet aux Verts d'être les candidats de la gauche non-communiste dans une trentaine de circonscriptions alors que les Verts seront présents dans la quasi-totalité des autres circonscriptions.
RTL : Et vous personnellement, où en êtes-vous ?
D. Voynet : Je serai candidat à Dole et j'espère gagner. Je pense gagner car je suis convaincue d'être bien enracinée dans ce département du Jura et d'avoir le soutien de tous ceux qui ne peuvent plus supporter que la droite, loin de s'attaquer aux problèmes réels des gens, leur serve des leurres sur un plateau à longueur de semaines.
RTL : Quelques mots sur la politique du Gouvernement en matière d'environnement ? Y a-t-il des bonnes choses ?
D. Voynet : Bien sûr ! Il y a de bonnes choses. Il y a une brave petite ministre qui tente désespérément de compenser l'effet dévastateur du ministre des transports, du ministre de l'énergie et du Premier ministre. Cela dit, son poids est dérisoire dans le Gouvernement, son budget aussi. Je le déplore mais c'est comme ça.
Vert Contact - 22 février 1997
Enfin, l’étincelle collective est venue. Enfin, la résistance prend corps et dépasse le seul groupe des militants convaincus. Enfin, à l’initiative des cinéastes, ces centaines d’intellectuels, artistes, mais aussi médecins, juristes, agriculteurs, citoyens, etc. lancent un cri d’alarme contre la campagne anti-immigrés, à coup de lois plus liberticides les unes que les autres, impulsée, année après année, par les gouvernements de droite et, il faut bien le dire, trop souvent aussi par la gauche gouvernementale.
Certes, la résistance est encore limitée à un seul article du projet de loi Debré. Certes, il s’agit de l’article qui concerne avant tout les citoyens français dans leur vie quotidienne. Certes, le retrait de ce seul article ne rendrait pas la loi Debré, et encore moins la législation existante, acceptable.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Nous nous sommes suffisamment plaint de nous sentie bien seuls, au plus creux de l’été, lorsque les soutiens se faisaient de plus en plus discrets à l’église Saint-Bernard. Nous avons suffisamment regretté le silence de la majorité des intellectuels et des artistes pour ne pas nous réjouir de les voir enfin sortir du silence. Et surtout de voir se lever par milliers, toutes professions confondues, toutes catégories sociales confondues, toutes celles et ceux qui n’attendaient que cela pour dire enfin : stop !
Nous avons bien sûr pris notre part dans ce mouvement en réussissant en deux jours plus de 250 signatures d’élu(e)s au suffrage universel, dont plus d’une centaine de Vert(e)s.
Le plus dur reste à faire. Contribuer à ce que ce mouvement ne s’éteigne pas aussi vite qu’il s’est allumé. Étendre la prise de conscience au-delà des seuls certificats d’hébergement. Et surtout, Vitrolles est là pour en témoigner, s’attaquer aux causes profondes du racisme et de la montée de l’extrême-droite : le chômage, le mal vivre, l’absence d’espoir dans une transformation réelle de la société et le discrédit des élu(e)s.
Nous, Vertes et Verts, devrons y tenir notre place. Car ce combat est un combat central pour nous qui avons retenu de l’écologie, qu’elle doit être à la fois protection de l’environnement, justice sociale, et démocratie pour tous – ou qu’elle ne sera pas.
Les Inrockuptibles - 25 février 1997
Pour une autre politique de l’immigration par Dominique Voynet
« Rouvrir les frontières est la condition indispensable d’un changement de politique. Il n’y aura pas d’invasion ! »
Les « sans-papiers » de 96 sont les « sans-culottes » de 89, et leur lutte est celle de tous les mouvements d’émancipation, de même que le mouvement actuel d’appels divers à la « résistance civique », initié par les cinéastes et suivi par de multiples autres professions, montre que, contrairement à ce que l’on a pris l’habitude d’entendre, « tout n’es pas joué » en matière d’immigration, et que la « lepénisation rampante des esprits » n’est pas, non plus, une fatalité. C’est l’honneur de la société civile que d’avoir réagi avec cette force et cette ampleur, une force et une ampleur à la hauteur des enjeux. Reste maintenant au politique, défensif depuis trop longtemps sur cette question trop laissée à l’extrême-droite et aux sondages, à passer à l’offensive, en replaçant cette mobilisation au cœur d’une réflexion nouvelle et avec des perspectives différentes, ce à quoi s’emploient les Verts depuis quelques temps.
1) Le mouvement actuel d’appel à la désobéissance civique
Il s’agit bien là d’un mouvement d’une force particulière, dont l’histoire est remplie. C’est un appel à l’insurrection des consciences, tel De Gaulle contre Pétain en 1040, et à l’insoumission, tels les nombreux résistants anonymes qui cachèrent les juifs quand Vichy demandait de la dénoncer (la rédaction de l’article de la loi Debré sur les certificats d’hébergements pour étrangers est étonnamment proche de celle de Vichy pour les juifs !). On pourrait encore rapprocher de cet épisode l’attitude du général de la Bollardière qui refusa d’appliquer la torture en Algérie, ou celle des femmes qui descendirent dans la rue dans les années 70 en disant « Nous avons avorté ». Certains se posent la question de la légitimité de l’appel à la désobéissance à la loi, puisque celle-ci est l’expression de la légitimité, issue de la volonté populaire. Mais « la loi de la majorité n’a rien à dire là où la conscience a à se prononcer », disant Gandhi. La résistance à l’oppression, à la délation, est inscrite depuis toujours au cœur des mouvements d’émancipation. Quand c’est la loi qui est inique, alors il y à devoir de désobéir, et l’illégalité devient légitime. La constitution montagnarde de 1793, d’ailleurs, avait même prévu le cas, en instituant un article reconnaissant au peuple « le droit à l’insurrection » en cas de faillite des élus !
2) Le respect des droits
La paix u monde ne peut reposer sur l’épuration ethnique de la part des pays riches. La Yougoslavie vient de nous montrer ce à quoi aboutit le concept de pureté, largement véhiculé par l’extrême droit. Il faut au contraire plaider pour des sociétés multiculturelles reposant sur le respect des droits inaliénables de la personne humaine, tels qu’ils ont été codifiés dans les traités et conventions internationaux, et qui fondent les relations internationales : charte des Nations unies de 1945. Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Convention de Genève de 1951, Traité de Rome de 1958. C’est par le respect de ces textes supranationaux qui fondent les droits élémentaires de la personne (droit de circulation, droit de travailler, droit de vivre…), c’est un luttant pied à pied contre les politiques nationales répressives qui fleurissent ici et là, et beaucoup en Europe, et qui tendent à vider les accords internationaux de leur substance, que nous mettrons en place d’autres relations entre les peuples. Tout homme, quel qu’il soit et où qu’il soit, est porteur de droits, car « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». L’ultime droit de celui qui perd tous ses droits est le droit d’asile, universellement reconnu, et il s’agit là d’un combat à assurer au quotidien, à remettre cent fois sur le métier.
Une autre politique de l’immigration : le développement intégré
Ce néologisme repose sur deux volets : un autre type de développement « là-bas » et de nouvelles formes d’intégration « ici ». Le développement intégré, c’est pont construit entre les cultures, des peuples, qui ne sont pas au même point de développement économique, qui ont des traditions culturelles différentes, mais qui décident de projets communs. Un constat préalable : on n’a jamais tant parlé d’immigration que depuis qu’elle est arrêtée (officiellement depuis 1974). Mais chacun sait désormais que « l’immigration zéro » est impossible et que « l’immigration clandestine zéro » est illusoire. Et ceci pour trois raisons : la « fracture mondiale » économique ne fait que s’accentuer entre le Sud et le Nord ; le nombre de zones déstabilisées augmente, jetant de plus en plus de réfugiés sur les routes et poussant à l’asile : la loi française fabrique des clandestins au travers des obstacles multipliés à l’obtention de papiers ou de la nationalité. En fait, on peut affirmer, après vingt-trois ans de fermeture des frontières, que le socle idéologique sur lequel reposait celle-ci est faux. Non seulement la fermeture des frontières n’a pas arrêté l’immigration, mais elle a en plus précarisé la situation des immigrés installés, permis l’émergence d’une pensée dangereuse et unique, celle de l’extrême-droite, autour de laquelle tant bien que mal tout le monde se situe, et installé des lois qui mettent en danger la démocratie. Mais alors que faire ? Agir là-bas et agir ici !
Là-bas, en mettant en place une autre forme de développement, basée sur leurs besoins propres, et respectant leurs cultures aux deux sens du terme : agricole et sociale. Cela passe avant tout par les immigrés eux-mêmes, qui le font d’ailleurs depuis longtemps, individuellement ou par le biais d’associations de « développement des villages » (il en existe 300 en région parisienne). Il faut, non pas aider les pays à se développer – ce qui se fait toujours sous la coupe et l’épée de Damoclès des pays du Nord, notamment par le biais de la technologie et de la dette (qui nous a prouvé que ce n’était pas la bonne solution) –, mais aider les immigrés à aider leur pays. D’ailleurs, l’argent qu’ils envoient déjà dépasse toute l’aide publique réservée au développement. Plutôt que d’accord à fonds perdus des prêts aux États, qui se retrouvent souvent sur des comptes suisses de dictateurs inamovibles et soutenus pas nos élus. L’État pourrait doubler les fonds envoyés aux pays d’origine par l’intermédiaire des immigrés eux-mêmes. Ainsi, quand un Sahélien envoie 150 F par mois pour construire une école ou irriguer un champ de riz, ce serait 300 F qui arriveraient par son intermédiaire. Ce surplus pourrait être géré collectivement par une association de village, genre « tontine », comme les Africains savent très bien le faire.
Il faut aussi connaître la place de l’animal dans la communauté, quelle langue on parle, comment est enterré l’ancêtre avec qui on continue d’entretenir des relations… Qui, mieux que les immigrés eux-mêmes, peut le savoir ? Cette valorisation des cultures d’origine n’est d’ailleurs pas un obstacle à leur intégration ici. Quand les individus sont reconnus, ils s’intègrent. À l’aide internationale d’États à États, anonyme et conditionnelle (c’est souvent par des clauses annexes – type achat d’armes – qu’elle est accordée !), il faut préférer la multiplication des micro-projets, par l’intermédiaire des villes jumelées, des associations, des ONG et des immigrés.
Agir ici, second point. Pour que ce développement intégré soit viable, la place de l’immigré, de l’autre, doit changer dans notre culture. Il faut d’abord parler clairement : rouvrir les frontières est la condition indispensable d’un changement de politique. Il n’y aura pas d’invasion ! La possibilité d’allées et venues n’incite pas à l’installation définitive avec sa famille, contrairement à la fermeture des frontières. Faire des immigrés des citoyens à part entière, notamment par le droit de vote. Agir encore ici en luttant contre notre propre propension colonialiste exportatrice, qui fait, par exemple, que le blé subventionné que nous leur vendons est moins cher que celui qu’ils cultivent ! La France et l’Europe ont des dettes historiques : l’esclavage, qui a « exporté » 150 millions d’Africains vers l’Amérique via l’Europe, le pillage qui s’ensuivit par le colonisation (or, diamant, pétrole…), et le massacre, en cinq siècles, de tout ce qui portait le nom d’Indien. Les démocraties dont nous sommes si fiers portent un poids d’une lourdeur incommensurable. Elles ne s’en sortiront pas en remettant au goût du jour un darwinisme social fondé sur l’inégalité des races, la xénophobie ou l’exclusion. Sans porter aucunement la culpabilité des générations précédentes, sachons ensemble mettre en place des projets culturels pour nos générations, afin que les générations futures vivent dans une plus grande harmonie à l’échelle planétaire.