Interview de M. François d'Aubert, secrétaire d'État chargé de la recherche, dans "Le Dauphiné libéré" du 7 février 1997, sur le rôle de l'INRIA - Rhône Alpes, la place de Grenoble dans les nouvelles technologies de l'information, les orientations de la politique de recherche, et les mesures pour favoriser les échanges entre l'industrie et la recherche.

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Média : Le Dauphiné libéré - Presse régionale

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D.L. : L’INRIA Rhône-Alpes, que vous inaugurez cet après-midi (après l’institut de biologie structurale le matin), est spécialisé dans la recherche en informatique et en automatique. Cet institut s’inscrit donc dans les priorités scientifiques définies lors du comité interministériel de la recherche scientifique et technique du 3 octobre dernier. Que signifie pratiquement cette priorité pour l’INRIA Rhône-Alpes ?

François d’Aubert : L’INRIA Rhône-Alpes s’inscrit parfaitement dans les priorités que nous avons définies lors du comité que vous citez. Celui-ci a confirmé l’importance de la recherche fondamentale, génératrice des concepts et des outils de la connaissance.  Il a aussi souligné, pour la première fois depuis 1982, quelques grands thèmes qui seront prioritaires pour la valorisation, pour la création d’entreprises et pour l’emploi. Sur le thème des technologies de l’information et de l’électronique, l’INRIA jouera un rôle de premier plan en valorisant mieux encore ses résultats. De nouvelles entreprises devront éclore, dans les prochaines années, à partir des travaux de l’INRIA Rhône-Alpes. Le secrétariat d’État à la recherche soutiendra ces entreprises innovantes en encourageant le capital-risque ou en favorisant le tout nouveau Consortium pour la recherche et l’innovation en entreprises, auquel participe l’INRIA, et qui offre à toutes les entreprises innovantes, un « guichet unique » pour leurs besoins de recherche et de développement.

D.L. : Grenoble vous semble-t-elle appelée à prendre une place importante dans les technologies de l’information ?

François d’Aubert : Mais Grenoble a déjà une place importante dans les technologies de l’information, avec des écoles comme l’ENSIMAG, des fédérations d’unités de recherche comme l’IMAG ou des centres comme le CENT ou le LETI. Et puis, c’est une grande ville universitaire où beaucoup d’étudiants préparent des maîtrises ou des thèses sur ces sujets. J’ai constaté hier que le nom « Grenoble » apparaissait plus de 47 000 fois sur le Web ! Bien entendu, le développement de l’INRIA renforcera la place de Grenoble dans le domaine des technologies de l’information. La recherche doit d’ailleurs être plus décentralisée qu’elle ne l’est : elle doit être partout en France où se trouvent des équipes de chercheurs et suffisamment d’équipements pour qu’ils puissent chercher… et trouver. Je crois que le pôle de Grenoble est exemplaire de ce point de vue et je suis convaincu qu’il saura saisir les opportunités de la société de l’information.

D.L. : La nouvelle politique de la recherche s’oriente vers une science qui se donne des objectifs socio-économiques. Dans un contexte de restriction budgétaire, la part consacrée à la recherche fondamentale ne risque-t-elle pas d’en pâtir, notamment dans certains départements scientifiques du CNRS non directement ciblés vers des résultats ?

François d’Aubert : Le comité interministériel du 3 octobre est très clair sur ce point : « un effort soutenu de recherche fondamentale est indispensable ». Une grande Nation, c’est aussi une Nation qui excelle dans la recherche fondamentale. Je l’ai dit à maintes reprises, sacrifier la recherche de base au profit de la valorisation serait suicidaire à moyen terme, et c’est tout sauf ma politique. Nous veillons à préparer l’avenir en garantissant les crédits de recherche de nos laboratoires, ainsi que la nécessaire liberté de nos chercheurs. À l’heure où certains de nos partenaires – et non des moindres, je pense en particulier à l’Allemagne – diminuent fortement leurs budgets de recherche publique, nous faisons, nous, de la recherche, un atout pour entrer avec force dans le 21e siècle.

Quant au CNRS, les départements scientifiques qui ne sont pas « ciblés vers des résultats » mais qui ont un niveau d’excellence reconnu et de bons résultats, n’ont guère de souci à se faire, puisqu’ils contribuent à cet effort de recherche fondamentale. Cela ne signifie pas que tous les labos actuels seront maintenus à l’identique dans cinq ans : la recherche, c’est un sujet vivant : les thèmes surgissent, fleurissent puis se fanent. J’ai toute confiance dans la direction générale du CNRS pour maintenir à tout instant son organisme à la pointe de l’efficacité intellectuelle, notamment grâce à l’appui et au conseil permanents du Comité national de la recherche scientifique.

D.L. : Vous avez déclaré récemment que « l’emploi est un nouveau front pour la science ». Comment comptez-vous concrètement engager cette bataille ?

François d’Aubert : Plus souvent qu’on ne le croit, les résultats de la recherche peuvent déboucher sur de nouveaux savoir-faire, sur le développement d’entreprises innovantes qui, plus que toute autre, sont créatrices d’emplois. Voilà pourquoi, ces derniers mois, nous avons pris toute une série de mesures pour favoriser les échanges avec l’industrie et pousser les chercheurs à s’impliquer personnellement, en les intéressant financièrement, par exemple, à l’exploitation de leur découverte.

Dans le même esprit, nous incitons les PME à prendre en stage des post-doctorants afin de renforcer leur inventivité et les rapprocher du monde de la recherche. Enfin, il est clair que, pour se développer, les entreprises innovantes demandent d’importants fonds propres. Il faut donc encourager l’investissement des particuliers dans ces sociétés du futur. Ils le pourront dès 1997 en plaçant leur argent dans des fonds communs de placement pour l’innovation (FCPI) que nous venons tout juste de créer. Non seulement, ils auront ainsi la satisfaction de faire gagner leur pays mais ils bénéficieront, et c’est normal, d’un avantage fiscal égal à 25 % de leur engagement. Avec cette mesure, c’est plus de 500 millions de francs qui pourront être réunis chaque année, et 3 000 emplois de grande qualité qui seront créés.

D.L. : Avec le synchrotron et l’institut Laue Langevin, Grenoble concentre deux mastodontes de la science européenne, de réputation mondiale. Certains des états membres qui financent ces deux centre – en particulier l’Allemagne – commencent à freiner leur contribution financière et du même coup l’élan de ces équipements de pointe. Au moment où les Japonais et les Américains intensifient leur effort dans le domaine de la recherche publique, ne voyez-vous pas là une menace pour l’Europe de la recherche ?

François d’Aubert : Contrairement à ce que vous laissez entendre, les Américains n’intensifient pas leur effort de recherche publique qui, sur les cinq dernières années, a baissé de 2 %. En ce qui concerne les grands équipements de physique des particules, ils vont de l’exploration la plus fondamentale de la matière jusqu’aux applications industrielles dans le domaine des matériaux ou de la santé. La France est donc très attachée à offrir à ces équipements européens des moyens satisfaisants pour fonctionner, et nous y veillons dans les discussions internationales. Nous avons d’ailleurs obtenu récemment des compromis raisonnables pour le Synchrotron de Grenoble, l’institut Laue Langevin et le CERN, mais aussi une contribution exceptionnelle des Japonais et des Américains qui ont bien compris toute la détermination de la recherche européenne.