Interviews de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, à France 2 le 24 mars 1997, sur l'image du PS dans l'opinion, la personnalité de M. Jospin, le programme du PS (débat avec M. Jacques Barrot, ministre Force démocrate du travail et des affaires sociales) et la perspective des prochaines élections législatives.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Franchement - France 2 - Télévision

Texte intégral

Mme CHABOT : Bonsoir.

M. DUHAMEL : Bonsoir, Monsieur Jospin.

M. JOSPIN : Bonsoir.

Mme CHABOT : Merci d'être avec nous après une semaine chargée puisque, au cours de la semaine qui vient de s'achever, vous avez présenté le programme économique du Parti Socialiste, réfléchi à une stratégie face au Front National, et puis rassemblé vos candidats aux élections législatives.

Nous reparlerons du Parti Socialiste, de votre manière de le diriger, d'être leader de l'Opposition, mais surtout...

M. DUHAMEL : ... Vous avez choisi comme thème pour ce soir ?

M. JOSPIN : Je pense qu'aujourd'hui rien n'est plus important que de redonner un sens à la France.

M. DUHAMEL : Sur ce sujet important, vous aurez un contradicteur. Vous ne savez pas qui c'est, vous ne le voyez pas. En revanche, les téléspectateurs le découvrent en ce moment.

Mme CHABOT : Puis, nous terminerons l'émission avec d'autres invités de taille et de poids qui viendront nous rejoindre à la fin de l'émission pour parler de ce que vous aimez lorsque vous ne faites pas de politique. Mais tout de suite votre portrait. Des impressions recueillies par Nathalie Saint-Cricq.

PORTRAIT :

M. DELORS : Il a gardé la fraîcheur, la ferveur et la fidélité du militant. Et comme il a une tête bien faite, il la met au service d'une soif de comprendre.

M. PONS : Un excellent débatteur qui a les idées bien arrêtées.

M. VASSEUR : C'est quelqu'un qui joue son rôle d'opposant, mais qui essaie en même temps de ne pas avoir de propos irresponsables.

M. GAUDIN :  Je crois qu'il a la dimension effectivement d'un homme d'État.

M. VAILLANT : Un homme de parole, un homme d'honneur, un homme de moralité.

M. SARKOZY : un homme sincère qui croit en un certain nombre de valeurs et qui, à mon avis, gagnerait à jouer moins petits bras.

Mme GUIGOU : Je préfère quelqu'un dont on sait qu'il fera ce qu'il a dit qu'il ferait plutôt que quelqu'un comme Chirac qui a promis tout et n'importe quoi et qui ne fait rien, mais absolument rien de ce qu'il a promis.

M. KRIVINE : Sur le plan moral, il a un casier judiciaire vierge. Mais, sur le plan politique, je n'ai pas le même jugement, c'est évident ! Je crois que Jospin, aujourd'hui, c'est un peu le représentant mou d'une Gauche molle.

Mme LIENEMANN : Lionel Jospin n'a pas fait le choix d'un Parti Socialiste très à gauche. Ii a fait le choix d'un Patti social-démocrate. Or, je pense que la social-démocratie n'est plus adaptée aux temps d'aujourd'hui et qu'il faut une Gauche plus républicaine et plus radicale.

M. de VILLIERS : On sent qu'il voudrait se débarrasser de son socialisme, mais il ne sait pas comment faire puisqu'il est le chef des socialistes. On se demande, quand on l'écoute, s'il y croit vraiment ?

M. MANCEL : Lionel Jospin, malgré ses efforts, n'arrive pas à permettre au PS de se trouver et je suis convaincu qu'il n'y arrivera pas.

Mme BREDIN : D'abord, il a remis le Parti au travail. Et j'avoue que c'est un acte quasiment désespéré tellement les gens se battaient entre eux.

M. LANG : Il a restauré un climat d'unité, d'amitié ...

M. HUE : Et derrière un ton professoral, il y a un homme chaleureux et, je crois, loyal.

Mme VOYNET : Et aussi de profondément sécurisant et reposant pour une femme car il ne se permet aucun de ces gestes de familiarité déplacés que se permettent beaucoup d'hommes politiques à l'égard des femmes.

M. HOLLANDE : Je crois que c'est important qu'on ait quelqu'un qui sache où il va.

M. DRUT : C'est un travailleur, peut-être y arrivera-t-il ?

M. DUHAMEL : Vous vous retrouvez dans ce portrait ?

M. JOSPIN : Mes amis sont les amis et les adversaires sont plus nuancés. Je suis plutôt heureux, finalement, de ce que j'ai entendu parce qu'il me semble qu'il y a une certaine estime qui perce ou un certain respect, malgré les divergences, du côté des opposants, des adversaires. Et que comme, moi-même, j'ai essayé de donner une certaine dignité à mon engagement public, j'ai toujours respecté ceux que j'ai eus en face de moi, y compris ceux qui ne partageaient pas mes idées, je suis heureux que ce soit reconnu.

Mme CHABOT : Nous allons voir aussi ce que pensent les Français. Interrogés par IPSOS, voilà ce que disent les Français. Les mots qui leur viennent spontanément à l'esprit et à la bouche pour vous définir :
    Mots positifs : 26 %
        - honnête, intègre ;
        - capable, intelligent, sympathique ;
        - énergique, déterminé,
cela fait toujours plaisir.

    Mots négatifs : 43 % - c'est important
        - inefficace, pas crédible ;
        - mou, pas actif, sectaire.

    Mots neutres :
        - socialiste
        - de Gauche
        - candidat à l'élection présidentielle.

30 % de gens n'ont pas d'opinion particulière à votre sujet.

M. JOSPIN : C'est classique ! Je crois que c'est un peu le même type de qualités qui reviennent. Ce qui apparaît, c'est peut-être, pas assez présent, pas assez déterminé dans le moment venu, peut-être ! Cela est le plus facile à corriger. Il vaut mieux avoir, si c'est dit, certaines qualités de fond et, après, ce n'est qu'un problème de rythme ou surtout un problème de circonstances. Parce que je crois que les gens pensent que la vie politique est un long fleuve tranquille, que c'est un courant plat. Moi, je pense qu'il y a des moments où le courant court tranquillement, puis il y a des moments d'accélération. Il y a des nœuds, il y a des rencontres. Et c'est à ces moment-là qu'il faut être prêt.

Honnêtement, à la sortie du premier tour de l'élection présidentielle, voire même le deuxième, dans les circonstances, j'ai montré qu'il y avait des périodes où je savais accélérer.

M. DUHAMEL : Nous allons écouter une autre question posée par IPSOS aux Français. Cette fois-ci, il s'agit de savoir qui incarne le mieux la Gauche aux yeux des Français.
    Lionel Jospin : 42 %
    Martine Aubry : 39 %
    Robert Hue : 28 %
    Jean-Pierre Chevènement : 21 %
    Laurent Fabius : 18 %

Au fond, votre challenger est Martine Aubry.

M. JOSPIN : C'est bien, c'est une femme. Cela prouve qu'au PS on est dans la parité.

M. DUHAMEL : Vous êtes content ?

M. JOSPIN : Oui.

Mme CHABOT : Nous revenons tout de suite aux questions d'actualité.

ACTUALITÉ :

Mme CHABOT : Il y a, en ce moment, le mouvement et la grève des internes et des chefs de clinique. La Gauche a été confrontée à deux reprises à des mouvements comparables, notamment en 1990 lorsque vous étiez au gouvernement. Face à ce mouvement aujourd'hui, comprenez-vous la grève des internes ou comprenez-vous l'attitude du Gouvernement ?

M. JOSPIN : Je comprends pourquoi il se passe ce qu'il se passe, c'est-à-dire ce mouvement des internes.

La première raison est que le Gouvernement fait exactement le contraire de ce qu'il a toujours raconté aux médecins libéraux ou à ceux qui s'apprêtent à le devenir pendant les années qui ont précédé. Alain Juppé, n'oublions pas, l'actuel Premier ministre, a défilé aux côtés des médecins libéraux contre des projets de maîtrise de dépenses de santé.

La deuxième raison est que ces jeunes, internes ou chefs de clinique, sont à la jonction de l'hôpital public dans lequel ils se forment actuellement, et qui est étouffé par des budgets et des taux directeurs extrêmement restrictifs aujourd'hui, et d'une médecine libérale dans laquelle ils seront les futurs spécialistes pour beaucoup d'entre eux dont l'avenir est flou.

La troisième raison, à mon avis, est que, comme d'habitude, le Gouvernement invite les internes et les chefs de clinique au dialogue, après que les décisions aient été prises, au lieu de les avoir invités avant.

Cela est pour l'explication.

M. DUHAMEL : Sur le fond, pensez-vous qu'il est possible, aujourd'hui, dans la situation actuelle de la Sécurité sociale, de faire autre chose que d'essayer de plafonner les dépenses ?

M. JOSPIN : Je ne vais pas dire le contraire, dans l'opposition de ce que nous disions au gouvernement. Je reste en continuité avec ce que je dis aussi dans la campagne présidentielle : il faut une maîtrise des dépenses de santé en France.

Je pense qu'on aurait dû mieux répondre, je l'ai dit, par le dialogue, par l'écoute, à l'angoisse, aux préoccupations de ces jeunes, qui sont tout de même une partie de l'élite de notre future médecine.

M. DUHAMEL : Mais cela ne vous choque pas qu'on fixe un chiffre en disant : "cette année, on ne doit pas dépenser tant". Admettons 1,3 ?

M. JOSPIN : Ce que je pense, c'est qu'il vaudrait mieux agir sur le qualitatif que sur le quantitatif. Donc, il ne faut pas remettre en cause les conventions. Qu'on n'attende pas cette parole de moi ! Mais je pense qu'il vaut mieux agir sur le qualitatif que le quantitatif. Je veux dire par là qu'il vaudrait mieux -au lieu de fixer des normes globales, qui ne tiennent pas compte des médecins qui vont, eux, assumer leurs responsabilités et de ceux qui ne les assumeront pas, et qui vont faire une espèce de responsabilité collective - agir en disant : "il y a un certain nombre de grandes maladies, voilà comment les grands spécialistes de l'hôpital, les spécialistes dans le privé, les chercheurs en médecine, définissent ce que sont les bons traitements actuellement, et qu'autour de cela on définisse, ce qu'on appelle des références médicales opposables auxquelles l'ensemble des médecins ait à se tenir. Une démarche, donc, qualitative plutôt que quantitative". Je pense qu'il faut aussi organiser des filières de soins autour des généralistes.

Donc, chercher à tarir les dépenses inutiles sans faire peser des obligations quantitatives, de façon uniforme, sur les médecins, surtout les jeunes qui s'installent.

Mme CHABOT : Comme je le disais, ce week-end, vous avez réfléchi à la stratégie à adopter face au Front National. Vous regrettez tous, les uns et les autres, que le débat s'organise autour du Front National, mais vous n'arrêtez pas, vous-même, de parler du Front National, et c'est vous qui organisez le débat autour de ses idées ?

M. JOSPIN : Ce n'est pas mon cas, mais il faut en parler aussi. Ma position est qu'il ne faut pas mettre le Front National au cœur et au centre de la vie politique française, il faut le laisser comme une marge et, je dirais même, aux portes de la République. Il est d'ailleurs contre les valeurs de la République.

Je pense qu'il y a pourtant des moments où il faut mener une lutte contre le Front National par le travail des idées, par la manifestation républicaine, comme j'irai le faire à Strasbourg samedi prochain.

Mme CHABOT : Où se réunit le Congrès du Front National.

M. JOSPIN : C'est exact ! À l'invitation de Catherine Trautmann ...

M. DUHAMEL : qui est le maire de Strasbourg.

M. JOSPIN : ... des Strasbourgeoises et Strasbourgeois, qui fait une grande manifestation civique et république contre les idées du Front National. Mais je pense surtout qu'on luttera contre le Front National par une démarche pour... pour quelque chose, en offrant un projet à la France, et c'est pourquoi d'ailleurs j'ai choisi comme thème principal de cette émission ce soir : redonner son sens à la France, et le faire naturellement avec, les Français. C'est cette démarche positive qui permettra de marginaliser le Front National. La réponse, bien sûr, au problème de fond.

M. DUHAMEL : L'année prochaine, on va avoir des circonstances très particulières parce qu'on va voter pour les élections législatives et puis, le mois suivant, il faudra que la France décide : euro ou pas euro ? Qu'est-ce qui décide de cela à ce moment-là si la Gauche l'a emporté, c'est Jacques Chirac ou c'est le Premier ministre de la Gauche ?

M. JOSPIN : Je pense qu'a priori la décision n'est pas prise. Si on place la décision concernant l'euro après les élections législatives, cela me paraît meilleur. Il faut tout de même qu'on ait, en France, un gouvernement qui puisse engager le gouvernement.

M. DUHAMEL : C'est le plus probable aujourd'hui, que ce soit en avril.

M. JOSPIN : Je pense que cela se fera par une concertation entre le Président de la République et le Premier ministre, mais je rappelle que la politique de la France est déterminée par le Gouvernement. Nous aurons passé un contrat avec le peuple à partir de nos propositions. Vous savez que nous avons mis quatre conditions au passage à la monnaie unique, et donc c'est ce contrat qui devra être respecté naturellement. D'ailleurs, c'est à mon sens ce que prévoit la Constitution.

La Constitution ne prévoit pas que c'est le Président de la République qui décide ou non pour la France du passage à la monnaie unique, c'est naturellement le Gouvernement, appuyé sur une assemblée. Surtout si l'on veut faire voter l'assemblée sur cette question, je le précise, ce qui est notre position.

Mme CHABOT : Une incertitude demeure, évidemment, sur la situation au Zaïre. Vous êtes intervenu, à plusieurs reprises, sur l'ensemble de la position de la France en Afrique, mais sur le point précis du Zaïre et de la situation aujourd'hui du Président MOBUTU, que dites-vous ? Il doit partir ? Il doit laisser le Pouvoir ?

M. JOSPIN : Je dis d'abord que le drame est pour les populations du Zaïre et de la région des Grands Lacs en Afrique. Je dis ensuite que ce qui est en train de se passer, cette rébellion qui progresse, c'est l'échec de la politique africaine de la France. On a eu tort de s'accrocher jusqu'au bout à Mobutu. Et vous savez que j'ai préconisé cette prise de distance il y a déjà plusieurs années.

Que faut-il dire aujourd'hui ? Il faut dire : "il faut respecter l'intégrité des frontières du Zaïre. Il ne faut pas qu'on laisse opérer une sorte de dépeçage".

D'autre part, puisqu'il y a des problèmes de populations, y compris venant du Burundi ou du Rwanda, il faut que ces populations puissent retourner chez elles, en ayant chez elles les garanties du respect de leurs droits. C'est à la communauté internationale d'y veiller, notamment aux États africains.

Et il faut, troisièmement, préparer l'organisation d'élections libres, contrôlées par la Communauté internationale au Zaïre, dans l'année qui vient ou l'année prochaine, de façon, à ce que ce soit les Zaïrois, sur une base démocratique, et non pas le vieux dictateur ou le nouveau rebelle qui décide à leur place.

Mme CHABOT : Ces deux questions, sur l'Europe et sur le Zaïre, nous amènent à parler de la cohabitation, d'envisager la cohabitation. Si vous gagnez les législatives en 1998, première question posée par l'intermédiaire d'IPSOS :
    - Est-ce que Lionel Jospin ferait un bon Premier ministre :
        - Oui : 47 %
        - Non : 41 %

Comment imaginez-vous la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin :
    - pour 52 %, cette cohabitation fonctionnerait plutôt mal.

M. DUHAMEL : Ce serait plus difficile une cohabitation avec Jacques Chirac qu'une cohabitation, jadis, avec François Mitterrand ?

M. JOSPIN : Entre lui et François Mitterrand ? Vous ne parlez pas de ma cohabitation, à moi ?

M. DUHAMEL : Non, non, pas la vôtre. Mais celle du Premier ministre d'avis opposé ?

M. JOSPIN : J'ai une explication sur ce sondage. Je crois qu'il y a peut-être deux phénomènes récents qui ont joué : les sondages bougent et bougeront encore sur cette question, et ils bougeront encore plus quand on s'approchera de l'élection législative et que les Français se diront c'est plus réaliste parce que, maintenant, c'est encore un peu loin, cela peut se produire ! et ils porteront un jugement, à ce moment-là, plus froid et peut-être plus pondéré, le Président de la République s'est engagé au-delà de ce qui est habituellement l'usage dans la campagne que la Droite a commencé à lancer. On le voit avec l'occupation des médias.

Et la deuxième explication, à mon avis, de l'attitude des Français, dans ce sondage en tout cas, c'est que la Droite vient de durcir extrêmement le ton, y compris contre nous. Cela a préoccupé les Français et c'est pourquoi cela provoque ça.

Mais, moi, je vous dis, si vous me mettez dans une hypothèse de cohabitation, cela veut dire que nous avons gagné les élections législatives ...

M. DUHAMEL : ... Hypothèse !

M. JOSPIN : C'est sur la base d'un contrat avec le peuple et ce contrat, démocratiquement, doit être appliqué dans le respect, naturellement, des compétences du Président de la République. La réponse est toute simple.

Mme CHABOT : Mais vous ne ferez pas tout pour que cela se passe bien ? Vous appliquerez votre programme quelles qu'en soient les conséquences ?

M. JOSPIN : Non, je ferai beaucoup pour que cela passe bien. De toute façon, on dit que Jacques Chirac est un interlocuteur qui est souvent de l'avis de son interlocuteur. Comment ne pas espérer, dans ces conditions, le convaincre ?

Mme CHABOT : Questions maintenant posées par nos confrères de la presse écrite et la première question est posée par Françoise Berger de L'Événement du Jeudi.

POLITIQUEMENT INCORRECT :

Mme BERGER : Bonsoir, Monsieur Jospin.

Je sais que la situation et votre fonction ne sont pas franchement comiques, mais je trouve que le PS est devenu particulièrement sinistre. Je ne vais pas vous demander de me raconter une histoire drôle, mais je voudrais savoir si on se marre quand même encore, de temps en temps, rue de Solferino.

Mme CHABOT : Rue de Solferino, siège du Parti socialiste, même s'il est en travaux en ce moment.

M. JOSPIN : D'abord, je voudrais faire remarquer que, sinistre, elle se trompe, Françoise Berger, elle n'a pas compris, c'est sinistra, du latin, Gauche. C'est simplement cela.

Ensuite, naturellement, on rit rue de Solferino et on y rirait plus si Françoise Berger était là, avec son acidité agréable.

M. DUHAMEL : On va maintenant écouter une autre question, celle d'Éric Zemmour du Figaro.

M. ZEMMOUR : Bonsoir, Monsieur Jospin.

On a l'impression, aujourd'hui, au sein du Parti socialiste, qu'il y a deux manières de s'opposer au Gouvernement Juppé : celle, raisonnable, prudente, la vôtre et celle plus déterminée, plus brillante aussi parfois de l'orateur parlementaire pugnace qu'est Laurent Fabius. Ne craignez-vous pas que de nombreux socialistes se laissent séduire par le style Fabius ?

M. DUHAMEL : Alors ?

M. JOSPIN : Je pense que ce qui est souhaitable et formidable au Parti socialiste, c'est qu'il y ait des personnalités diverses, ce n'est pas qu'il y ait une seule personne. Donc, je me réjouis de cette situation, qu'elle concerne des femmes ou qu'elle concerne des hommes. Et puis, pour le reste, après, on sait bien qu'au moment des échéances, de toute façon, ce sont nos militants qui choisissent. Donc, il n'y a pas de problème.

Mme CHABOT : Mais les querelles au Parti socialiste, c'est fini ? On a beaucoup de questions de téléspectateurs transmises par minitel ou par internet qui s'interrogent encore sur les drames au sein du PS.

M. JOSPIN : En entendant cette dernière question, j'avais l'impression que certains en avaient la nostalgie. Mais cela est une nostalgie d'observateurs. Je vous assure que les acteurs, eux, n'en ont pas la nostalgie. Et je crois qu'au contraire ce climat un peu pacifique et même fraternel, et éventuellement drôle, auquel je suis attaché, c'est celui qui est le bon.

M. DUHAMEL : C'est-à-dire qu'entre Lionel Jospin et Laurent Fabius, quelquefois cela peut être franchement drôle ?

M. JOSPIN : Cela peut, y compris, être drôle, oui.

Mme CHABOT : Nous allons revenir sur trois moments importants de votre vie ou de votre vie politique. Et d'abord, regard dans le rétroviseur. Grâce à Nathalie Saint-Cricq, on va découvrir qu'avant le Jospin palissé, il y avait le petit Lionel polisson.

REPÈRES :

Mme JOSPIN : Il a été très dissipé étant enfant, très, très dissipé. Voyons, je remonte loin ! nous étions dans une villa où il y avait un jardin et il se lançait d'un arbre à l'autre, à 8 mètres de hauteur. Je me rappelle, nous avons vécu deux ans à Paris, il prenait des leçons de violon, sans plaisir d'ailleurs, cela s'est terminé : une fois, il est rentré tard et mon mari lui a cassé l'archet de violon sur les mollets parce qu'il était au moins une demi-heure en retard pour aller à sa leçon. Il traversait la Place des Vosges pour revenir chez nous, il revenait dans un état lamentable chaque fois. C'est vous dire qu'il était très polisson. Moi, cela me plaît beaucoup d'ailleurs, j'aime mieux cela.

M. JOSPIN : Il aime bien la bagarre, il est dur en bagarre. Je pense que c'était quelque chose de très fort dans le basket, qu'on a fait ensemble, y compris entre nous deux. On s'est beaucoup battus.

Mme JOSPIN : Il travaillait, mais enfin sans se faire trop de bile ! Il était très fort très mathématiques. Là, il doit réfléchir maintenant pour les questions de finances.

Faire la politique ? C'était sûr, c'était dans le courant des choses puisque son père en faisait. C'est une façon de vivre de faire de la politique.

M. JOSPIN : Très engagé à Gauche, notamment pendant la guerre d'Algérie.

Mme JOSPIN : Ce que j'aime beaucoup, c'est qu'il ne fait pas les choses en vue d'une situation. Par exemple, quand il a quitté Mitterrand, j'ai été très fière de lui, qu'il ait eu le courage de le quitter. Ce n'est pas Mitterrand qui l'a fichu dehors, c'est lui qui l'a quitté.

M. JOSPIN : Il est très libre, très joyeux et dégagé quand il est dans un milieu de confiance, certainement ! Et dès qu'il y a un problème d'image, peut-être, tout de suite très contracté.

Mme JOSPIN : Il n'aime pas perdre Je lui fais un reproche de cela. Il faut savoir perdre. Mais je crois qu'il a appris à perdre.

M. DUHAMEL : Alors, vous avez appris à perdre ?

M. JOSPIN : Bien sûr, vous le savez, vous l'avez vu !

M. DUHAMEL : Enfin, je veux dire : vous y avez pris goût ?

M. JOSPIN : Non, j'ai appris à perdre et j'ai toujours le goût de gagner.

Mme CHABOT : Votre maman dit quelque chose d'extraordinaire. Elle dit : "la politique, c'est une façon de vivre" ?

M. JOSPIN : Qu'il n'y ait pas de malentendu sur le sens de sa phrase parce qu'elle a dit aussi et tout de suite : "je ne suis pas à la recherche d'une situation". Elle voulait dire que je suis né dans une famille où le débat politique et public ... mon père était un militant, il n'a jamais eu de mandat véritablement, il n'a jamais vécu de la politique, cela a toujours été quelque chose de totalement altruiste, mais c'était très présent chez moi, et donc elle pense que ça va avec une espèce d'engagement citoyen naturel. Je crois que c'était cela qu'elle voulait dire.

Mme CHABOT : Tout à fait !

Deuxième moment : l'histoire d'une rencontre, d'un parcours commun, d'une rupture, d'un droit d'inventaire. Tout simplement, les relations François Mitterrand-Lionel Jospin.

M. ESTIER : Les deux hommes sont très différents, bien entendu, ils ne sont pas de la même génération, ils ne sont pas de la même origine. Lionel Jospin est né dans une famille socialiste, ce n'était pas le cas de François Mitterrand. Donc, beaucoup de choses les séparaient. Mais ils ont beaucoup travaillé ensemble, et je suis tout à fait convaincu que Lionel Jospin a beaucoup appris de la méthode de travail de François Mitterrand.

M. ALLÈGRE : Il a eu ce sentiment vis-à-vis de Mitterrand très ambigu, à mon avis, qui était fait à la fois d'affection, de respect et, en même temps, des tas de choses qu'il ne supportait pas. Tout l'affairisme qui traînait autour et, en même temps, le manque de fermeté en matière d'une politique de gauche, économique, qu'il n'aimait pas.

M. ATTALI : Il y avait cette opposition entre un homme qui ne se paie pas de moule, Lionel Jospin, et un homme qui adore se faire emporter par les mots et porter le peuple par les mots, François Mitterrand. Cette opposition s'est creusée et je crois qu'au fond le cœur des problèmes, c'est qu'à mon avis François Mitterrand n'a jamais pensé une seconde que Lionel Jospin pouvait être son successeur.

Mme CHABOT : Au fond, qu'est-ce qui vous a séparé de François Mitterrand ? Différence certaine de la conception de la morale en politique.

M. JOSPIN : Corrigeons d'abord ma mère, parce que c'est ma mère, mais ce n'est pas mon historiographe, bien sûr ! Je n'ai pas quitté Mitterrand, c'est Mitterrand qui n'a pas souhaité me maintenir au Gouvernement en 1992. Je crois que c'est un point d'Histoire.

En même temps, je pense que, d'une certaine façon, il a été dans le sens de ce qu'il devinait que j'étais et que je ferais peut-être, parce que je n'aurais pas voulu être dans un gouvernement avec Tapie, ni avec Baumet. Donc, d'une certaine façon, il a évité que la question se pose. Mais, moi, j'aurais souhaité poursuivre ma tâche sur les problèmes d'Éducation nationale, un an encore, jusqu'à la fin de la législature pour achever ce parcours. Mais je ne voulais pas faire de rupture avec lui, je voulais pouvoir dire ce que je ne souhaitais pas, je voulais pouvoir le conduire à corriger certaines choses, qu'il m'écoute, mais je ne voulais pas de rupture. Elle ne s'est d'ailleurs jamais totalement faite.

Mme CHABOT : Troisième moment : interrogations, questions sur le caractère et le tempérament de Lionel Jospin : est-il flou ? un peu mou ? Donne-t-il une image fadasse du Parti socialiste ? Manque-t-il de souffle ? Interrogations, questions, justifications, explications.

M. MOSCOVICI : Je crois que Lionel Jospin, pour moi comme pour tout le monde, est avant tout une certaine rigueur intellectuelle qui confine parfois à l'austérité, et aussi une très grande honnêteté. C'est sur ces deux points-là, sa rigueur et son honnêteté, qu'il a fondé une image qui lui est propre.

Mme GUIGOU : Il change difficilement d'avis et il se tient à ce qu'il a décidé de faire. Donc, pour cela, c'est bien de travailler avec lui parce qu'on sait où l'on va.

M. QUILÈS : Lionel Jospin est comme tous les hommes politiques qui ont envie de peser dans la vie du pays, on a besoin d'être à la fois responsable, c'est-à-dire de montrer qu'on est capable de réaliser ce qu'on propose et, aussi, de tracer une perspective qui fasse que les gens ont envie d'aller derrière vous. Mitterrand faisait assez bien cela, faisait assez bien cet équilibre.

JOURNALISTE : Et Lionel Jospin ?

M. QUILÈS : Je pense qu'il a la capacité de le faire.

Mme VOYNET : Je me sens très militante, très radicale. Je me sens capable de ces moments de folie, de générosité et de sincérité. J'ai souvent l'impression que Lionel Jospin a du mal sur ce terrain-là, mais je ne crois pas que les convictions de Lionel Jospin soient en cause. Donc, c'est plus un problème de forme que de fond.

M. CAMBADELIS : Je crois qu'il a son propre souffle, c'est-à-dire qu'il donne du souffle sous la terminologie du réalisme de Gauche. Ce n'est pas François Mitterrand, ce n'est pas Mendès-France, c'est Lionel Jospin, et il faut qu'on comprenne que c'est un nouveau cycle qui s'ouvre.

M. DUHAMEL : Comment expliquez-vous ce décalage entre ce que pensent les Français de vous-même et puis ce que disent vos amis de vous ? Les Français vous voient plutôt velléitaire, vos amis vous voient très énergiques, comment expliquez-vous cela ?

M. JOSPIN : Parce que la politique est lourde et qu'elle a contribué à empeser, à glacer l'homme que j'étais, qui était plutôt très jeune, un peu un chien fou. Ensuite, dans la jeunesse, assez ardent, vivant la vie à pleines dents, et que l'engagement politique est venu pour moi plus tardivement, même si j'ai toujours été quelque part un militant, mais je veux dire dans le Parti socialiste, alors que j'avais exercé une activité professionnelle et, ensuite, pendant que je l'exerçais puisque j'ai été professeur d'université. Et, à cet égard, je voudrais dire que je suis un homme qui a opéré des ruptures dans sa vie, des ruptures professionnelles, donc qui a pris des risques.

Je pense que la vie politique, avec tout ce qu'elle a de poids, de contraintes, cette nécessité d'être constamment sous le regard des autres, m'a quelque part bridé en quelque sorte. Elle m'a solidifié.

M. DUHAMEL : Elle vous a fait enfiler une armure ?

M. JOSPIN : Oui, on ne va pas revenir sur cette armure que je suis censé avoir brisée et qui, toujours, se répare, et non pas une tunique de Nessus, mais, enfin, quelque chose qui tend constamment à vous ressaisir.

Sur le problème de la détermination, je crois que c'est un problème qui ne se pose pas, honnêtement, y compris parce que j'ai été capable de m'émanciper dans mon propre camp au moment où ce n'était pas facile à faire. Donc, qui a fait cela ? Qui a dit des choses ? Qui a pris, à ce moment-là aussi, d'autres risques ? Donc, ce n'est pas un problème de détermination. C'est, je crois, un problème de maîtrise du temps. Je pense qu'il n'y a ni un temps médiatique auquel nous devrions être assujettis, ni un temps politique qui voudrait que les politiques mènent les choses à leur guise, il y a un temps réel, et ces trois temps doivent être mêlés.

Je m'efforce de conduire les choses pour être un acteur qui essaie de peser un minimum sur le temps. C'est, je crois, cela la réalité !

Mme CHABOT : Nous avons aussi demandé aux Français, via IPSOS, comment ils voient le Parti Socialiste.

L'image du P.S. s'est-elle améliorée depuis 1995, c'est-à-dire depuis l'élection présidentielle ?

À leurs yeux, cette image n'a pas changé (62 %), cela veut dire que vous piétinez un peu depuis 2 ans, non ?

M. JOSPIN : Attendez ! Il s'agit de l'image du PS, il ne s'agit pas de moi. S'il s'agit du PS, je pense que le Parti Socialiste avait déjà, me semble-t-il, en 1995, la meilleure image des différents Partis politiques, et nous gardons la meilleure image. Et, pour le reste, je pense qu'il y a un effet "Vitrolles" récent qui a certainement pesé sur nous. Et il est évident que cela ne se reproduira pas.

Mme CHABOT : Vous avez dit devant vos amis socialistes je dirai désormais clairement ce qui me paraît juste et ce qui ne l'est pas ; ce que j'accepte et ce que je n'accepte pas.

M. JOSPIN : Oui, j'ai constaté qu'à propos de Vitrolles ou de problèmes, par exemple, dans une Fédération du Midi, qu'à partir du moment où il y avait un dysfonctionnement dans le PS, même si ce n'était pas moi qui désignais à tel endroit ou si ce n'était pas l'endroit où je milite, ou si cela ne dépendait pas de la direction nationale, on disait : c'est Jospin.
 
Alors, j'ai dit à mes amis : "Écoutez ! Si c'est Jospin, je dirai clairement comment les choses doivent se passer selon moi, et puis vous jugerez collectivement".

M. DUHAMEL : Donc, maintenant, ce sera Jospin ?

M. JOSPIN : Non, ce sera Jospin qui dira : "Je pense que les choses doivent être traitées comme cela de notre point de vue, du point de vue de nos valeurs, du point de vue de l'intérêt général". Et s'il devait y avoir, dans cette région ou ailleurs, tel ou tel dysfonctionnement qui mette véritablement en cause l'idée que nous nous faisons de ce que doit être un socialiste, la prochaine fois je peux vous dire que les choses seront dites nettement, et les responsables du Parti Socialiste auront, justement, à prendre leurs responsabilités mais je leur dirai clairement le chemin.

Mme CHABOT : Alors, pour tous ceux qui aimeraient en savoir plus sur Lionel Jospin, petite parenthèse : "Lionel Jospin, l'héritier rebelle" est un livre qui est sorti il y a plus d'un an et demi. Par Gérard Leclerc et Florence Muracciole, vous saurez tout sur Lionel Jospin si vous avez encore des questions que nous avons oubliées de poser.

Et maintenant vous allez donc pouvoir, Lionel Jospin, développer l'idée à laquelle vous tenez le plus aujourd'hui.

IDÉE :

M. DUHAMEL : Maintenant ce que l'on vous demande, brièvement pour commencer, c'est expliquer votre thèse ce soir ?

M. JOSPIN : Ma thèse est qu'aujourd'hui les Français doutent, que la France n'est pas un pays comme les autres, n'est pas un pays banal, que les Français ont toujours eu besoin pour agir, je dirais même pour croire en eux-mêmes, de penser qu'ils se rattachent à un modèle, que la France a un modèle, et l'on a pu appeler cela le modèle républicain, même s'il a évolué à travers le temps, et si la Gauche et les Socialistes l'ont fait évoluer, notamment à partir de 1945.

Et, en même temps, ils ont besoin de croire à autre chose, c'est que la France a une mission, a un rôle à jouer sur le plan international. Et comme ils voient aujourd'hui ce modèle intérieur se défaire et qu'ils ont l'impression, notamment du côté des leaders de la Majorité, que ceux-ci ne proposent pas véritablement un rôle à la France, ne croient pas à une mission de la France - c'était très frappant dans l'attitude d'Édouard Balladur dans le débat avec Laurent Fabius, hier, si l'on a l'occasion d'y revenir -, ils ne savent plus très bien où ils en sont.

Et donc je pense que l'une des questions les plus importantes pour la politique française aujourd'hui, au-delà des débats techniques sur tel ou tel sujet, c'est de redonner le sens de la France et de le faire avec les Français. Ils ont besoin de croire à nouveau à ce modèle intérieur, à ce rôle de la France, et cela passe, je crois, par toute une série d'actions dans un certain nombre de grands domaines. Et c'est comme cela que l'on répondra notamment au Front National que je vois comme un symptôme de ce "trouble" qui a saisi les Français.

Mme CHABOT : Vous dites : "Les Français ont besoin de croire". Les Français sont, j'ai l'impression, extrêmement sceptiques face aux hommes politiques et face aux programmes qu'ils peuvent leur poser.

Alors, avant d'aller plus avant dans votre transformation, regardez ce qu'ils disent quand l'institut IPSOS leur demande si le programme du Parti Socialiste est bien sur une politique totalement différente de ce qui est fait par la Droite, et aujourd'hui par le Gouvernement : vous vous apercevez qu'à 55 % les Français pensent au fond que cela ne changerait pas grand'chose ; contre 35 %.

C'est vrai à Gauche et c'est vrai à Droite, finalement tout le monde s'est dit, aujourd'hui, que lorsque l'on est au pouvoir on fait vraiment la même chose. C'est cela la leçon des cohabitations, des alternances successives ?

M. JOSPIN : Mais oui, il y a un scepticisme. Encore qu'il me semble, dans ce sondage qui a été publié dans Le Figaro ce matin, que lorsqu'on interroge les Français sur des propositions plus précises ...

Mme CHABOT : On en reparlera tout à l'heure ...

M. JOSPIN : ... c'est important pour répondre sur la question générale, je pense que, sur les programmes en général, il y a scepticisme, mais lorsqu'on dit : "Que pensez-vous des propositions du Parti Socialiste sur les 35 heures ?", au contraire, là, il y a une opinion positive. Et lorsqu'on les interroge sur le programme "Jeunes" du Parti Socialiste, ils restent sceptiques pour une majorité, mais qui est une majorité beaucoup plus faible.

Donc, je crois qu'ils sont davantage intéressés, peut-être entraînés ou convaincus, par de grandes propositions précises et il reste ce scepticisme sur l'ensemble des programmes.

Mais, là, c'est quand même un peu de notre responsabilité, à nous, hommes politiques. Sinon, ce n'est pas la peine d'avoir une volonté, ce n'est pas la peine d'avoir un dessein, et ce n'est pas la peine de proposer quelque chose aux Français. C'est à nous de faire des propositions. S'ils les arrêtent, c'est-à-dire s'ils désignent une majorité, alors c'est à nous, ensuite, d'être capables de démontrer que nous le faisons dans la réalité. Et c'est là où l'on retrouve à la fois cette volonté, pour moi, de concilier le volontarisme, qui est nécessaire pour sortir des difficultés actuelles, et le réalisme, pour que cela tienne le coup dans la durée.

M. DUHAMEL : Pour prolonger cette question justement : est-ce qu'aujourd'hui avec la mondialisation, avec les objectifs européens, avec l'endettement français, les déficits, etc., avez-vous - quelle que soit votre sincérité - vraiment une marge qui vous permet d'être différent ?

M. JOSPIN : Sur le plan économique ?

M. DUHAMEL : Oui.

M. JOSPIN : Restons d'abord sur le plan économique : la situation n'est plus la même que celle qui existait en 1981, elle n'est plus la même que celle qui existait il y a encore 5 ou 6 ans, puisque l'inflation est vaincue, il n'y a plus de hausse de prix, puisque nous avons un excèdent commercial majeur. Par contre, nous avons un chômage très fort. Nous avons un taux de croissance qui est inférieur, non seulement à celui des autres pays européens, qui eux-mêmes ont un taux de croissance plus faible que les États-Unis, le Japon ou les pays du Sud-Est, à cause de choix de politique économique, mais, en plus, nous avons un taux de croissance plus faible que celui que nous pourrions atteindre. Et donc je dis, contrairement au gouvernement, : "Notre problème n'est pas de stimuler l'offre qui est trop forte pour la demande mais, au contraire, de stimuler la demande. Et nous avons des marges pour cela, à condition ; ne pas creuser les déficits publics, d'une part, et à condition de ne pas augmenter la dette publique et les prélèvements obligatoires, d'autre part". On a une marge, et c'est pourquoi, nous, nous proposons, par un effort sur les salaires maîtrisé, par un effort sur l'emploi, de créer plus de demande, parce qu'il faut sortir de l'état de morosité, de stagnation actuelle et que le Gouvernement ne le fait pas avec son choix de politique économique.

Mme CHABOT : Vous allez débattre, dans un instant, avec un contradicteur qui va venir nous rejoindre. Vous disiez tout à l'heure : "Il faut concilier volontarisme, réalisme". Alors, c'est vrai que chaque fois que vous présentez des propositions, on dit d'un côté : "C'est trop", cela, c'est du côté de la Droite, c'est du côté des chefs d'entreprise par exemple, et du côté de la Gauche, on dit : "C'est trop peu". Vous êtes à chaque fois coincé dans une seringue, comme cela, comme vous en sortez ?

M. JOSPIN : Et, alors, ce n'est pas parce que vous êtes dans un défilé, que vous ne devez pas avancer ! Donc, en tout état de cause, j'essaie de choisir un chemin, qui est un chemin qui se passe au milieu des critiques qui sont légitimes. Mais je pense qu'en même temps ces critiques croisées et contradictoires déterminent assez bien, à mon avis, le choix juste qui doit être fait.

Mais quand je dis : "redonner un sens à la France", ce n'est pas simplement sur le terrain économique, c'est aussi sur le terrain social partager les efforts, les sacrifices - il y a des sacrifices - mais partager aussi les gains, les progrès et les succès, ou de la croissance.

C'est aussi, sur le plan de la démocratie, en donnant plus de pouvoir à nos concitoyens, en menant une politique de dialogue sur les conflits sociaux, en particulier.

C'est aussi, sur le plan international, j'en parlais, le rôle de la France dans le monde, il faut dire que l'on gardera l'État-Nation. La France restera comme une Nation, et il faut donner plus de vigueur à l'Europe, impulser l'Europe.

Et puis, il faut redéfinir entre nous des valeurs, je dirais des règles, des normes, auxquelles nous nous attachons tous, c'est-à-dire que nous respectons, qui que nous soyons, le P.D.G., le politique, le jeune des banlieues, l'instituteur ou l'infirmière. Il doit y avoir des normes, des règles, celles qui s'apprennent à l'instruction civique, celles qui, aussi, doivent animer les citoyens et les citoyennes, dans un pays, qui doivent s'imposer à tout le monde.

C'est par cette politique sociale, économique, sur le plan international européen, sur le plan, je dirais, moral et civil et sur le plan de la démocratie, que l'on peut redéfinir une idée de la France, pour elle et pour les autres, dans laquelle les Français se reconnaîtront. Et, là, ils sont capables de faire des grandes choses.

M. DUHAMEL : Dernière question avant l'arrivée de votre contradicteur : il y a maintenant une objection que l'on fait aux Socialistes à peu près systématiquement, c'est : "Vous avez telle et telle ambition économique et sociale, mais regardez les Travaillistes britanniques, les socio-démocrates allemands, même les ex-communistes italiens, ils sont beaucoup plus "raisonnables" que vous ?". C'est classique comme objection ?

M. JOSPIN : Elle est plus vrai, à mon avis, pour les Travaillistes britanniques. Tony Blair a tellement peur de voir la situation très positive qui est la sienne pour le moment, qui, je crois, le restera jusqu'au mois de mai, le moment des élections britanniques, qu'il est extrêmement prudent. Il ne nous dit pas encore très nettement ce qu'il veut faire.

Mais, j'ai reçu avant hier, de la part de mon secrétaire international, Pierre Guidoni, un message des socio-démocrates allemands disant, à la suite du groupe de travail, que nous avons fait fonctionner ensemble sous la responsabilité de Pierre Moscovici, chez nous, sur les questions économiques entre les Français et les Allemands, socio-démocrates et socialistes : nous sommes d'accord pour sortir un texte commun qui inclura beaucoup des orientations du Parti Socialiste.

C'est exactement le message inverse que j'ai reçu de nos amis socio-démocrates allemands, dont la situation s'améliore un peu dans le pays actuellement.

Mme CHABOT : Monsieur Jospin, va venir nous rejoindre votre contradicteur qui vous a entendu expliquer déjà un peu vos propositions et votre schéma général. Voilà, c'est monsieur Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires Sociales.

Bonsoir, monsieur Barrot.

M. BARROT : Bonsoir.

M. DUHAMEL : Bonsoir, monsieur Barrot.

M. BARROT : Bonsoir Lionel Jospin.

M. JOSPIN : Bonsoir.

M. DUHAMEL : La première question : vous avez entendu Lionel Jospin. Vous rangez-vous parmi ceux qui trouvent qu'il en veut trop ou qu'il est trop prudent, puisque l'on entend les deux critiques ?

M. BARROT : Sur l'objectif : rendre un sens, donner du sens. Cela, c'est vrai. Il faut le donner sur le plan de la démocratie, je pense que ce ne sera peut-être pas là le centre de notre échange ce soir, il faut le donner sur le plan économique et social.

Mais, franchement, j'ai l'impression que le sens, que le Parti Socialiste prétend lui donner, est un peu un sens interdit, il termine dans une impasse.

Alors, je fais la part du réalisme que vous essayez de mettre en œuvre. Mais je dis d'abord que le Parti Socialiste a dû faire un patchwork et cela ne donne pas une cohérence tout à fait satisfaisante. Et puis il y a des réminiscences idéologiques qui me semblent, là aussi, faire que ce programme est décalé, en quelque sorte, décalé par rapport au temps d'aujourd'hui.

Alors, on attaque tout de suite ...

M. DUHAMEL : Allez-y ! Vous êtes là pour cela.

M. BARROT : Je ne comprends pas pourquoi vous voulez que la croissance dépende, mais vraiment principalement, presque exclusivement de la demande, c'est-à-dire de la consommation, du pouvoir d'achat.

Lionel Jospin, en 1996, nous avons eu 2,5 de plus de consommation, pendant ce temps les investissements baissaient de 0,4 %. Première chose.

Deuxièmement, je ne suis pas un homme de théorie. J'ai, selon le Plan Juppé, cette année, restitué 8 milliards aux salariés puisque nous avons remplacé une partie des cotisations salariales - ce que vous voulez faire d'ailleurs - par un point de C.S.G. étendu. Donc, je ne suis pas a priori contre la consommation, bien sûr ! Mais je dis : "Si nous ne faisons que cela, que peut-il se passer ?". Nous sommes dans une France, aujourd'hui, où la ménagère, chacun d'entre nous, achète déjà, pour un quart de ses achats, des produits fabriqués à l'étranger. Et pourquoi ? Parce qu'il y a des problèmes de coûts et des problèmes de produits innovants. Si nous ne nous efforçons pas à produire français, à un meilleur coût, si nous ne cherchons pas à produire un "français" innovant ... - je voyais samedi à Lyon, où j'allais voir les internes, un industriel qui a réussi à fabriquer - il faisait du voilage - de la toile qui a des caractéristiques telles qu'il est en train de se tailler un marché magnifique dans un secteur difficile ... Pourquoi, Lionel Jospin, faut-il que le Parti Socialiste nous embarque uniquement sur le problème du pouvoir d'achat et de la consommation pour donner la dynamique à ce pays ?

Et j'y reviendrai pourquoi vous maltraitez autant nos ensuite entreprises ?

M. JOSPIN : J'ai parlé de progression de la demande. La demande n'est pas que la consommation. La demande, c'est la consommation et l'investissement, donc cela englobe l'investissement. C'est le premier élément.

Deuxième élément : je constate que la part des salariés, dans le revenu national, a baissé considérablement au cours des dernières années, alors que la part des profits a augmenté très fort, donc il faut rééquilibrer en faveur des salaires, parce que le problème n'est pas simplement de fabriquer des produits, encore faut-il les vendre, que l'on ait pour cela des clients pour les acheter.

Je ne pense pas que la situation de nos entreprises à l'exportation soit mauvaise, sinon on n'arriverait pas à comprendre pourquoi on a un record d'excèdent commercial, donc nous avons des marges de ce côté­là.

Par contre, le taux de croissance français est trop faible par rapport à la moyenne européenne ...

M. BARROT : ... Nous sommes bien d'accord.

M. JOSPIN : Nous sommes d'accord ? Donc, c'est un élément du diagnostic. Il est fondamental.

Si nous avions une croissance forte, une inflation élevée ou repartant, un excèdent commercial en train de se réduire, je ne préconiserais pas cette politique. Je préconise une politique adaptée à la situation actuelle.

Vous discutez avec les médecins, il vaut mieux, quand on a la fièvre, effectivement faire tomber la fièvre. Mais quand le malade est anémié, ce n'est pas le moment de le "saigner", ce n'est pas le moment de lui donner des potions qui l'affaiblissent davantage.

Donc, on a une croissance insuffisante et l'on a des salaires insuffisants, donc je propose d'agir dans ce domaine de façon maîtrisée et également sur le terrain de l'investissement.

Ce qui m'intéresse en tout cas, et je termine là-dessus, parce que cela m'a frappé en écoutant, hier, le débat entre Laurent Fabius et Édouard Balladur, c'est que, en particulier sur la question de l'emploi des jeunes, mais, au fond, sur toutes les questions économiques, l'essentiel du débat s'est noué sur les propositions du parti socialiste.

Jacques Chirac s'était exprimé pourtant deux heures à la télévision, 8 jours avant, à aucun moment, même pas Monsieur Balladur, n'a eu l'idée d'évoquer ce qu'avait pu dire Jacques Chirac.

Alors, au moins pouvez-vous critiquer notre programme parce qu'il existe ! Au moins y-a-t-il un débat économique dans ce pays parce que nous le posons ! Et c'est étonnant de voir un gouvernement au bout de 4 ans ne pas être en mesure de conduire un débat autour de sa propre pratique ou de ses éventuelles propositions, mais de ne le mener négativement et de façon critique, comme si c'était lui qui était dans l'opposition, que sur les positions du Parti Socialiste. Au moins je suis fier de cela !

M. BARROT : Je ne vais prendre qu'un seul point : le coût du travail est très important. Et en cela nous sommes, je crois, d'accord, il ne s'agit pas de faire baisser les salaires. Il s'agit, au contraire, de faire un partage équitable sur ce point entre les salaires et, bien sûr, ce que l'entreprise doit garder pour innover, pour investir, pour l'investissement.

Mais, là où l'on peut faire baisser le coût du travail et rendre le produit français plus compétitif, ce sont les charges que paie l'entreprise. Pourquoi, Lionel Jospin, faut-il que, dans ce programme socialiste, il y ait la remise en cause de cette baisse des charges qui pèsent sur l'entreprise, qui vont, en effet, dans certains cas, obliger l'entreprise à augmenter ses coûts, donc à perdre des marchés, ou encore à renoncer à l'investissement et à l'innovation ? Pourquoi donc traiter l'entreprise française aujourd'hui avec des idées d'avant hier ? C'est très dommage parce que vous allez casser la dynamique des énergies et vous allez engager, je le crains, je ne veux pas faire de procès d'intention, la dérive des facilités.

M. JOSPIN : Il y a un seul sur lequel nous pouvons remettre en cause des allégements de charges qui ont été consentis aux entreprises. Ce n'est pas général. Nous ne proposons pas d'alourdir les charges des entreprises. Mais sur un point, entendant ce qu'a dit Monsieur Juppé lui-même quand il admonestait les patrons, entendant le patron des patrons, Monsieur Gandois, dire lui-même que ces dispositifs n'étaient pas efficaces : c'est sur les allégements de charges qui ont été consentis aux entreprises pour les inciter à l'embauche.

Nous avons préféré un mécanisme différent puisque ce système indirect ne fonctionne pas et ne crée pas d'emplois des jeunes ...

M. BARROT : Cela, ce n'est pas vrai !

M. JOSPIN : Le C.I.P. ..., le C.I.E., pardon, le C.I.P., oublions-le, puisqu'il a été entraîné avec le mouvement des étudiants. Le C.I.E., la grande mesure de Jacques Chirac pendant sa campagne, en solde net, vous le savez très bien, Monsieur Barrot, elle a créé 30 000 emplois, c'est-à-dire ce n'est rien !

Nous proposons d'utiliser une partie de ces sommes pour des créations directes d'emploi pour ce qui concerne des activités de caractère public, qui ne sont pas des emplois de fonctionnaires, nous l'avons précisé, mais, par ailleurs, nous sommes prêts dans le programme "Emploi des jeunes", les 350 000 qui pourraient être faits dans le privé, à travers le contrat d'accès à l'emploi, à apporter à l'entreprise, avec le jeune, une certaine aide. Nous voulons cibler directement sur la création d'emplois et non pas le faire de façon indirecte.

M. BARROT : J'entends bien, mais je vais être très précis : nous avons abaissé les cotisations pour la main d'œuvre la moins qualifiée de 40 milliards. Je suis en train de plaider la cause de la France devant la commission européenne pour le textile et je vais voir M. Van Mirt, qui est d'ailleurs d'origine social-démocrate, qui me dit : "Mais vous avez raison, ce que l'on vous reproche, c'est d'avoir abaissé les cotisations uniquement sur le textile et pas sur les autres branches professionnelles, mais c'est ce qu'il faut taire. C'est d'ailleurs sorti du programme d'Essen." Donc, là, vous me dites : "la majorité est obligée de regarder le programme du Parti Socialiste pour avoir ces idées" ...

M. JOSPIN : Je ne l'ai pas tout à fait formulé comme cela !

M. BARROT : ... c'est un élément essentiel ...

M. JOSPIN : J'ai dit que le débat hier avait tourné autour des idées socialistes.

M. BARROT : Et je vous le dis, Lionel Jospin : je suis convaincu que c'est en abaissant le coût du travail, en transférant une partie du financement de la Sécurité Sociale sur d'autres ressources, que l'on pourra en effet avoir un coc-t du travail français compétitif.

Vous savez bien, pour 1996, dans une Branche, il y avait un coût du travail en Allemagne de 113 F par heure, 86 F en France, mais il y avait 60 F en Grande-Bretagne, 25 F au Portugal - je ne prends que la Communauté -, je dis : c'est un paramètre essentiel et c'est l'une des faiblesses. Et je ne veux pas en rester là.

Qu'allez-vous demander à l'entreprise française ? Incontestablement, vous allez lui demander des charges en plus puisque vous semblez tirer un trait sur cet abattement de charges pour les salaires moins qualifiés, vous allez lui demander une hausse d'impôts, vous allez lui demander d'assumer peu à peu le paiement de 35 heures de travail payées 39. Franchement, pauvre entreprise française ! Et, en plus, vous la traiter de manière uniforme, c'est ce qui me choque le plus ! Vous allez lui demander, quelle que soit sa situation dans le marché international, d'assumer les mêmes charges.

Mme CHABOT : Sur les deux points, c'est-à-dire la réduction du temps de travail et les propositions en faveur de l'emploi des jeunes, on va reprendre point par point ...

M. BARROT : L'emploi des jeunes, distinguer un petit peu par sujet, oui, c'est bien !

Mme CHABOT : Nous allons commencer par l'emploi des jeunes, c'est-à-dire la proposition du Parti Socialiste de créer 700 000 emplois en 2 ans dans le public et dans le privé.

Les Français pensent à 38 % qu'elle est plutôt applicable 56 % plutôt inapplicable.

Monsieur Jospin, scepticisme devant cette mesure. Parce que les mesures sur l'emploi, les Français disent toujours : "On promet, on promet et l'on n'y arrive pas !".

M. JOSPIN : Comme je le disais tout à l'heure, on est bien en peine de trouver une véritable proposition gouvernementale, une approche claire de ces problèmes ...

M. BARROT : Oh !

M. JOSPIN : ... que ce soit après l'intervention de Monsieur Chirac à la télévision, où la seule mesure que l'on a retenue était une baisse du taux de T.V.A. sur des produits Multimédia dont on a découvert après qu'il avait oublié de demander s'il ne fallait pas l'autorisation de la commission avant, ce qui était le cas. Cela dorme quand même le degré d'improvisation sur ces choses.

Nous avons une proposition qui est une proposition volontariste parce que nous pensons qu'une partie de la jeunesse est dans une situation extrêmement difficile. Je reçois, dans ma permanence, non pas simplement des jeunes sans qualification, il peut y en avoir, mais y compris des jeunes qualifiés qui ne trouvent pas d'emploi aujourd'hui. Il n'est pas juste de dire que c'est l'absence de formation qui est responsable de l'absence d'emploi. C'est l'absence d'emploi offert aux jeunes qui est responsable du chômage et pas l'inverse.

Alors, je dis : "Nous devons faire un effort pour ces catégories de jeunes et nous y consacrerons les ressources nécessaires". Voilà ce qui me paraît essentiel : avoir une volonté, des propositions.

Mme CHABOT : Jacques Barrot, crédible ou pas crédible les deux fois 350 000 dans le public et dans le privé ?

M. BARROT : C'est une politique qui, momentanément, peut apparaître porteur d'effets, mais je vais dire pourquoi je crains que vous n'emmeniez les jeunes, notamment dans le volet "contrat de longue durée", ces 5 ans que les jeunes passeront dans des emplois non marchands, attention ! D'abord, nous savons faire, nous l'avons fait, les emplois-ville, nous le ferons dans la Loi de cohésion sociale avec le contrat d'initiative locale. Donc, il faut le faire, Monsieur Jospin.

Mais il faut se garder de vouloir faire du quantitatif absolument Cela arrange les chiffres pour les ministres du Travail, c'est vrai ! S'il faut faire du qualitatif, c'est-à-dire qu'il faut en faire un peu moins ...

M. JOSPIN : Il y a d'autres façons d'arranger les chiffres pour le ministre du Travail ?

M. BARROT : Écoutez, ayez beaucoup d'indulgence, je fais partie d'un syndicat de tous ceux qui m'ont précédé et qui ont eu à gérer ...

M. DUHAMEL : Alors, il vous accorde une indulgence plénière sur ce point.

M. BARROT : Le qualitatif avant le quantitatif.

M. DUHAMEL : Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que j'offre à un jeune, le cas échéant un emploi non marchand, comme le Parti Socialiste l'a proposé, comme nous le faisons, avec les contrats-Ville, avec les contrats d'initiative locale, et nous veillons à ce qu'ils soient bien encadrés ...

M. JOSPIN : Et vous créerez combien d'emplois cette année, Monsieur Barrot ?

M. BARROT : ... et que ce passage soit vraiment un passage vers autre chose. Car, là, votre contrat se termine au bout de 5 ans, et puis on ne sait pas ! Si nous n'avons pas fait plus je vous signale : on est à 200 000, vous êtes à 300 000, il n'y a pas une grosse différence !

M. JOSPIN : D'emplois actuellement créés ?

M. BARROT : non marchands, bien sûr, pour les jeunes, oui, bien entendu. On ne va pas faire de la comptabilité ...

M. JOSPIN : En solde net ?

BARROT : Oui, en solde net, en postes que nous allons offrir ...

M. JOSPIN : Que vous allez offrir.

M. BARROT : Que nous commençons à offrir. Les emplois Ville, cette année, 30 0000, et chaque année. Oui, mais vous, vous le faites en 2 ans. Ce que vous faites en 2 ans, nous pourrons le faire en 3 ans.

Ce que je veux, c'est que, quand on ouvre un chantier d'initiative locale ...  Attention ! il ne s'agit pas de faire faire aux jeunes n'importe quoi, il faut vraiment désigner ce qu'ils peuvent faire - c'est la qualité qui doit compter.

Pour l'autre volet, pour les entreprises : vous ne pouvez pas me dire qu'il faut envoyer promener tous les contrats d'alternance, apprentissage, qualification. Pour réinventer, car c'est un peu cela, pour inciter les entreprises à prendre les jeunes, que faites-vous ? Vous reconstituez l'aide pour le premier emploi des jeunes, que nous avons supprimé parce qu'il y avait trop d'effets d'aubaine. Il y avait des patrons qui pouvaient prendre un jeune sans avoir une aide.

M. JOSPIN : Puis-je vous répondre, Monsieur Barrot ?

M. DUHAMEL : Oui, répondez. Et puis ensuite on enchaîne avec la réduction de la durée du travail, qui est l'autre mesure symbolique.

M. JOSPIN : D'abord, il n'a jamais été dans notre esprit, ni dans nos propositions - j'avais abordé ce point au moment de la campagne présidentielle - de ne pas créer des emplois marchands. Nous pensons qu'il y a toute une série de secteurs dans lesquels il faut, au contraire, créer des emplois solvables, c'est-à-dire qui peuvent être payés ...

M. BARROT : Qui paie ?

M. JOSPIN : ... en partie par des personnes, par des collectivités locales, éventuellement avec une certaine aide de l'État, donc solvabiliser les besoins, notamment dans le secteur social, dans le secteur associatif ou culturel.

M. BARROT : C'est ce que l'on fait avec l'allocation dépendance.

M. JOSPIN : Cela, c'est une première chose.

La deuxième chose est que ces contrats de 5 ans qui sont des emplois de durée suffisamment longue pour qu'ils ne soient pas précaires, mais en même temps qui ne sont pas des contrats à durée indéterminée, constituent pour le jeune une période suffisamment longue d'expérience professionnelle selon le secteur dans lequel il sera, le type d'activité qu'il remplira et la collectivité qui le prendra en charge - État ou, en partie, collectivités locales, puisque l'État de toute façon financera 80 % -, il peut recevoir pendant 5 ans une formation, une expérience qui lui permettra soit de passer les concours publics, dans un certain nombre de cas, pour entrer dans les fonctions publiques territoriales ou d'État, soit, même, d'avoir, enfin, acquis cette expérience qui lui permettra dans tel ou tel secteur d'aller par exemple dans l'entreprise.

Donc, je pense que c'est une bonne démarche.

Quant aux entreprises, nous pensons qu'il faut mettre un peu d'ordre, nous le ferons progressivement. Nous n'allons pas supprimer des programmes qui existent, que, d'ailleurs, souvent, nous avions mis en place nous-mêmes et que vous avez maintenu en état, mais nous pensons qu'il faut réunifier cela dans un parcours "formation, entreprise puis travail" qui soit plus cohérent pour les jeunes.

M. DUHAMEL : Monsieur Barrot, vous répondez, et vous enchaînez avec la réduction de la durée du temps de travail.

Au fond, la question est : peut-on faire les deux en même temps ?
 
M. BARROT : Je vais être très bref, d'abord sur les jeunes. Le Parti socialiste copie un certain nombre de dispositifs que nous avons imaginés. A tant faire de copier, il vaut mieux copier complétement, à mon sens, car, franchement, l'apprentissage, tel qu'il a été rénové actuellement, et quand vous dites qu'on n'a pas de programme ... allons, le Président de la République mouille sa chemise, dit qu'il faut passer de 330 000 contrats d'alternance à 400 000 ...

M. JOSPIN : ... Vous êtes en permanence, de sommet en sommet, en train de faire des effets d'annonce.

M. BARROT : Mais non ...

M. JOSPIN : ... Il y a tout de même quelque chose qui est en train de se produire devant le pays aujourd'hui et que je voudrais mettre en ligne.

M. BARROT : Mais, moi, je vais donner des chiffres.

M. JOSPIN : Vous faites des sommets. Dans ces sommets, vous annoncez des mesures avec des chiffres qui sont donnés aux jeunes et aux Français. Puis ensuite on apprend, quelques jours après, qu'en réalité ces chiffres englobent des mesures qui sont déjà dans le budget.

M. BARROT : Non, non ...

M. JOSPIN : ... Puis, 8 jours après, on apprend que le ministre de l'Économie et des Finances et du Budget font ce qu'on appelle de "la régulation budgétaire", c'est-à-dire gèlent 10 milliards de crédits. Si bien qu'on ne sait plus avec ce gouvernement, y compris avec le Président de la République, si vous annoncez quelque chose qui va être suivi d'effet, si c'est un moyen constant ou un moyen nouveau ? Et quand c'est un moyen constant ou nouveau, on ne sait pas si ces sommes sont disponibles puisque, dans le même temps, on gèle des crédits budgétaires. Alors, il faudrait introduire un peu de vérité dans le débat.

M. BARROT : C'est la première fois, à ma connaissance, que dans une réunion nationale où il y a les syndicats, le patronat, nous nous donnons ensemble parce que, les emplois, ce n'est pas uniquement l'État qui les crée, c'est la société, avec tous les acteurs économiques et sociaux des objectifs chiffrés. Je ne vois pas bien quel gouvernement a fait cela ? Alors, nous allons voir, Monsieur Jospin ! Veuillez tout de même prendre note des engagements. Dieu sait que je mesure à ma place qu'ils sont difficiles.

M. JOSPIN : Cela fait quatre ans que nous prenons note !

M. BARROT : Pardon, pardon, nous sommes descendus au-dessous de 600 000 jeunes chômeurs et nous étions bien au-delà. Donc, si vous voulez, on a déjà marqué des points. Espérons que la croissance va permettre d'en marquer d'autres.

M. DUHAMEL : Sur la réduction du temps de travail ?

Mme CHABOT : Sur la réduction du temps de travail, regardez ce que disent les Français sur la proposition du Parti socialiste : 35 heures, sans diminution de salaire : plutôt applicable ? une courte majorité, 50 % pensent que c'est applicable. Qu'en pensez-vous ?

M. BARROT : Personnellement, je me demande qui paie ? C'est tout le problème. Si vous faites 35 heures que vous payez 39, je crois que ce sont à peu près les chiffres du programme socialiste, cela coûte à peu près 11 % de plus.

M. JOSPIN : Pour une raison très simple qu'on va expliquer aux téléspectateurs : vous diminuez la durée du travail, grâce à cela, vous embauchez de nouveaux salariés, et ces nouveaux salariés sont des jeunes. Ces jeunes sont payés moins cher que le salaire moyen, c'est pourquoi le coût horaire d'un jeune qui est engagé et qui remplace, par exemple, une personne... non de 50/50. Le contrat des gens avec 40 annuités de Sécurité sociale qui partent est un contrat qui a été signé par les syndicats, que nous approuvons et que nous voulons élargir. Quand une personne de 55 ans part, elle part avec un salaire important pour sa catégorie, elle est remplacée par un jeune qui est payé moins cher. Donc, le coût supplémentaire n'est pas de 11 %, mais il est de 5 à 6 %. Je le précise déjà pour qu'on comprenne bien l'enjeu.

M. BARROT : Quelle démonstration ! Vous dites : "on remplace un ancien par un jeune" et qui paie l'ancien ? Parce que, si j'ai bien compris, une partie de ces remplacements éventuels sont faits par les gens qui ont 40 ans de cotisations. Je respecte ceux qui le souhaitent, mais à la limite vous ouvrez les vannes et vous mettez en pré-retraite un certain nombre de gens.

M. JOSPIN : C'est un accord que vous avez approuvé ?

M. BARROT : Oui, dans des conditions très particulières, et avec les limites que les partenaires sociaux ont mis à ce dispositif. Enfin, on ne va pas passer trop longtemps sur cette question qui est annexe. Attention, vous allez, de toute façon - c'est votre souhait - créer des emplois supplémentaires. Vous réduisez le coût de 11 %, je veux bien ! En plus, je lis dans les annexes du programme socialiste, le fait que l'entreprise va gagner ...

M. JOSPIN : ... Ils sont même allés dans nos annexes ! Nous avons des annexes.

M. BARROT : Je suis comme vous, j'essaie d'aller au fond des choses.

M. JOSPIN : Nous, nous voudrions le programme. Vous en êtes déjà à nos annexes, nous, nous voudrions la maison principale.

M. BARROT : Vous ne serez pas déçu ! On dit : "l'entreprise peut, une fois qu'on a réduit le temps de travail, tout le monde travaille mieux, c'est parfait ! et donc, automatiquement, on a 5 % au moins de productivité", il reste tout de même 4 à 5 % de coût supplémentaire. Et je reviens toujours à ma démonstration : les produits français sont 4 %, 5 % plus chers. Dans certaines branches, Lionel Jospin, c'est acceptable ! dans d'autres branches, c'est la mort programmée d'entreprises.

M. JOSPIN : Puis-je répondre ?

M. DUHAMEL : Vous répondez, et on le dit tout de suite pour être sûrs qu'on en parlera, vous aviez annoncé dans vos objectifs la répartition des sacrifices. Qui fait les efforts sur quoi ?

M. JOSPIN : Très brièvement, la méthode et le rythme. La méthode, c'est une loi-cadre. Cette loi-cadre fixe des principes et permet d'ouvrir ...

M. BARROT : Pour tout le monde ?

M. JOSPIN : La méthode et le rythme. La méthode ouvre une loi-cadre et cette loi-cadre permet que s'ouvrent des discussions dans les branches et dans les entreprises. Donc, les solutions qui sont recherchées ne sont pas forcément uniformes. Je le précise, elles sont négociées, et cela donne d'ailleurs, enfin, à ce syndicalisme français, qui le souhaite, des occasions de discuter, par exemple, sur la diminution de la durée du travail, mais aussi, par exemple, sur les salaires. C'est pourquoi je propose une conférence salariale annuelle.

Le rythme est, on annonce cette disposition. Elle se fera en deux ou trois ans. Les entreprises qui veulent le taire plus vite peuvent recevoir, elles, des incitations et donc peuvent être aidées, et nous pouvons très bien prendre en compte les préoccupations particulières de tel ou tel secteur ou de tel ou tel niveau d'entreprise, par exemple, PMI­PME. C'est ce qu'offre cette méthode souple, loi-cadre, négociations, puis ensuite une loi pour clore l'exercice.

M. BARROT : Vous définissez l'exercice d'en haut, fixer un objectif ...

M. JOSPIN : ... C'est le rôle d'un gouvernement. Si un gouvernement ne fixe pas des objectifs ...

M. BARROT : ... On n'est pas dans une économie étatisée. Chaque entreprise, chaque branche professionnelle à ses contraintes. Nous sommes dans une économie mondiale. Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. JOSPIN : Ne caricaturez pas, Monsieur ...

M. BARROT : ... Ah ! je ne vous ai pas interrompu pas, ne m'interrompez pas, ce sera très rapide. Surtout qu'on va vers la fin.

Quand on fixe d'en haut ...
 
M. JOSPIN : ... quand on fixe des principes ...

M. BARROT : ... Oh ! ce ne sont pas que des principes, c'est 39 heures payées 35 heures. Alors, après, chacun suit son rythme, etc. et tant pis pour ceux qui, exposés à la concurrence internationale, n'ont aucune marge, Lionel Jospin. C'est à ceux-là que je pense et c'est à ces salariés que je pense.

M. DUHAMEL : Maintenant, chacun expose brièvement, parce que le débat s'achève, sa thèse sur le partage des sacrifices et Jacques Barrot vous répondra ensuite avant de nous quitter.

M. JOSPIN : J'ai entendu là encore monsieur Balladur hier et je pense qu'il est assez représentatif de ce que pense la Majorité, en tout cas je vais le savoir.

Le thème constant qu'il a développé a été le thème de la liberté et moi, au nom de ce principe que j'affirmais : répartir les efforts, répartir les sacrifices s'il y a des sacrifices, et répartir les gains, je voudrais démystifier ce thème de la liberté et je le ferai à partir de deux exemples concrets, pour que cela soit clair.

Le premier est le suivant : liberté, mais liberté pour qui ? Je vais prendre l'exemple d'une caissière face à une direction de grand magasin. Femme, deux enfants, ou femme d'une famille monoparentale, à qui l'on dit : "Madame, vous travaillerez, parce qu'il y a une nocturne, de 18 h à 22 h vendredi soir". On lui dira éventuellement : "Madame, vous travaillerez 1-2 heures samedi, puis vous rentrez chez vous et il faut revenir 2 heures lundi matin".

Cette dame souvent habite la Seine-et-Marne, ou en tout cas la banlieue parce qu'elle n'a pas les moyens de payer un loyer à Paris. Mais il faut qu'elle vive, il faut qu'elle nourrisse sa famille, qu'elle gagne un salaire et donc elle est obligée d'accepter les horaires que parfois, monsieur Barrot, vous le savez et vous êtes un homme scrupuleux, je le crois, on lui fixe la veille. Il y a normalement un délai de prévenance, comme on dit, qui doit être de 7 jours dans le Droit du Travail. Souvent cela n'est pas respecté.

Je dis à monsieur Balladur et je dis à la Majorité : "Qui est libre là ?". La Direction du magasin est libre de fixer librement ses horaires au nom de la compétition ou de la baisse des coûts, mais la caissière, elle, n'est pas libre.

M. DUHAMEL : Réponse de Jacques Barrot.

Mme CHABOT : Jacques Barrot, parce que c'est Jacques Barrot qui est là et pas Édouard Balladur.

M. JOSPIN : Et donc cela veut dire que la liberté, cela ne doit pas être la flexibilité, la dérégulation. C'est aussi en faisant appliquer des règles de droit, en respectant le droit du travail que souvent on crée des emplois. La liberté, elle doit être pour tous et la liberté pour tous, cela s'appelle comment ? Cela s'appelle l'égalité.

Mme CHABOT : Monsieur Barrot ?

M. BARROT : Monsieur Jospin, j'ai obtenu déjà d'une branche professionnelle dans le commerce alimentaire, une régulation de ces horaires, et je prépare un texte, parce que je trouve que cela ne va pas assez vite. Je vous le dis tout de suite, je saisirai, avec l'accord du Premier Ministre, le Parlement d'un texte qui va notamment interdire tous ces abus en temps partiel, car le problème de la caissière, je suis d'accord avec vous, il faut le résoudre.

M. JOSPIN : Juste quand même, parce que c'est très important, pour cela, monsieur Barrot, il faut donner plus de moyens à l'Inspection du travail. Si vous n'avez pas assez d'inspecteurs du travail, la réalité n'est pas le contrôlée, et c'est ça le problème.

Mme CHABOT : Petit mot de conclusion ?

M. JOSPIN : Sur ... ?

Mme CHABOT : Sur l'ensemble de la démonstration et du débat.

M. JOSPIN : Je l'ai dit, je suis heureux que le débat se mène quand même beaucoup autour des projets et des idées socialistes. Cela prouve qu'il y en a, cela prouve qu'il y a une volonté et une détermination.

Deuxièmement, j'ai entendu le discours qui a toujours été un discours de flexibilité et de dérégulation. Je pense que cela ne fait pas le compte de chacun et qu'il faut rééquilibrer notre modèle économique et social.

Troisièmement, ce que j'ai entendu aussi, c'est constamment un discours d'adaptation de la France au monde international. Je suis d'accord pour que cette adaptation se fasse, mais pas si c'est une adaptation en fonction des normes sociales ou des normes économiques ou des normes politiques qui existent dans un certain nombre de pays d'Asie du Sud-Est. Il faut adapter la France, oui, mais faire que la France pèse, fasse respecter son modèle et le fasse à travers notamment l'action de l'Europe, la détermination de l'Europe, et on ne voit pas d'élan donné à l'Europe par la politique française actuellement. Cela me paraît tout à fait essentiel. On ne s'adapte pas en subissant les règles des autres, quand elles nous ramèneraient en arrière sur le plan social.

M. DUHAMEL : Réponse et conclusion de Jacques Barrot.

M. BARROT : Avec un peu d'humour, d'abord, franchement votre programme aurait été meilleur si, à l'Assemblée Nationale notamment, les parlementaires socialistes voulaient bien écouter un peu ce que l'on veut faire, notamment lorsque l'on transfère les cotisations salariales sur la CSG ; franchement, revoyez votre affaire parce que les retraités et les revenus de remplacement tels que vous avez conçu de les solliciter, oh là ! oh là ! Prévoyez au moins ...

Deuxièmement, vous dites que le débat se noue autour du programme socialiste ...

M. JOSPIN : 5 % des retraités supérieurs seront concernés, et encore faiblement ...

M. BARROT : On y reviendra.

M. JOSPIN : Oui, oui, tout à fait.

M. BARROT : Comme le berger à la bergère, je vous dis : "Regardez ce qu'on fait t Au moins, quand vous copiez, vous ferez des choses peut-être encore plus malignes que nous, plus imaginatives que nous, mais au moins vous ne ferez pas de sottises".

Deuxièmement, je vous dis franchement que je suis très attaché ...

M. JOSPIN : On mettra un peu moins de gens dans la rue. En matière de sottises ...

M. BARROT : ... au modèle social français.

M. JOSPIN : Vous avez prononcé le mot de sottises.

M. BARROT : Vous êtes là pour faire un programme de gouvernement et pas nécessairement un programme électoraliste, et moi je suis là pour faire une politique pour le devenir de la France.

Ceci étant dit, vous, vous tenez au modèle social français. J'y tiens beaucoup, je voudrais qu'il devienne modèle social européen, mais nous ne le construirons pas dans l'ignorance de la rude compétition qui attend ce pays et qui attend la jeune génération. Il faut lui dire la vérité, ce n'est pas la peine de lui dire : "Beaucoup moins de travail et aussi bien payé". Il faut lui expliquer qu'on fera mieux pour les travailleurs, pour les salariés, mais qu'on le fera en évitant de mettre la France et son économie en situation de faiblesse.

M. JOSPIN : Cette compétition se fera autour du savoir, autour de la formation, et la priorité à l'éducation et à la recherche n'est plus la priorité de ce gouvernement.

Mme CHABOT : Jacques Barrot, en vous remerciant d'être venu participer à ce débat. Il y en aura d'autres, parce que c'est une période électorale, si j'ai bien compris, qui commence.

M. BARROT : Cela peut être mieux qu'une période électorale, cela peut être une période de débat démocratique.

Mme CHABOT : C'est ce que je voulais dire : c'est qu'une période électorale, cela peut aussi servir effectivement au débat et au dialogue.

M. DUHAMEL : C'est ce qu'on fera dans cette émission.

Mme CHABOT : ... et c'est ce que nous ferons, comme le dit Alain. Je le répète, pour montrer que notre accord est total.

Merci, Jacques Barrot.

M. BARROT : Merci.

Mme CHABOT : Nous allons maintenant revenir juste un instant sur le passé.

 BILAN :

Mme CHABOT : C'est un moment d'émotion, Lionel Jospin : regardez, vous vous souvenez sûrement, c'était le soir du premier tour de l'élection présidentielle.

M. DUHAMEL : C'était évidemment des images de Serge Moatti. C'est votre meilleur souvenir politique ou pas ?

M. JOSPIN : Oui, c'est un grand souvenir : se confronter à son propre peuple, au peuple dont on est issu, qu'on aime, dans une élection aussi importante, c'est un moment formidable, surtout que c'était très difficile, que les circonstances n'étaient pas favorables et qu'émerger en tête de cette course, c'était un très beau moment.

Sur le plan politique, mon sujet de satisfaction, ce n'est pas un moment bref, ce n'est pas un combat, ce n'est pas un rassemblement d'énergies et de convictions, c'est un travail au contraire dans la durée, auquel quand même, je crois, en tout cas dans la communauté éducative, qu'on rend hommage : c'est le travail que j'ai fait à l'Éducation nationale pendant 4 ans.

Mme CHABOT : Pour terminer, un sourire, un moment de détente : nous allons parler de ce que vous aimez lorsque vous ne faites pas de politique, ce que vous avez pratiqué, c'est le sport et notamment le basket. Regardez bien : ce sont des images de stars américaines et de stars françaises, avec notre ami Patrick Montel.

AILLEURS :

JOURNALISTE : Michael Jordan en rouge, l'âme des Chicago Bulls, et Magic Johnson, le génial meneur des Los Angeles Lakers : voici les références du basket pro américain. Magic, 5 fois champion NBA, qui stoppe brutalement sa carrière lorsqu'il apprend qu'il est contaminé par le virus du SIDA ; et Michael, toujours numéro 1 mondial, qui continue à 34 ans à planer sur la NBA.

Voici leurs enfants : Shaq, le démolisseur, un gros bébé de 25 ans, 2, 15 m, 130 kg. Sa spécialité, figurez-vous : tracasser les panneaux. Et puis Dennis Rodman, le mauvais garçon de la NBA, adepte du piercing, des cheveux multicolores, intraitable en défense.

En France aussi, le basket est spectacle : Jim Bimba, Yann Bonateau, Antoine Rigodaux, pour ne parler que de ceux-là, pourraient bien à leur tour frapper aux portes de la NBA. Et puis il y a les autres, tous les autres, comme Abdulaï Samba, ceux qui rêvent basket. Abdulaï, un jeune Ivoirien qui habite du côté du Mans et qui est le seul au monde à réaliser cette figure ; il paraît même que les Américains l'envient ...
 
Mme CHABOT : Ils vont nous rejoindre. Ce sont des invités de taille, notamment en ce qui concerne les basketteurs : le premier, Frédéric Weiss, 2, 18 m ; je crois que c'est le plus grand. Voilà ensuite Frédéric Fortet et Stéphane Ostrovski. Ils vont s'asseoir dans ce petit espace.

Votre autre passion, c'est le rugby, et nous avons demandé à deux joueurs de Toulouse, Thomas Castanède et Émile Tarmac, de venir également vous rejoindre pour parler du rugby.

M. DUHAMEL : Vous allez leur parler. Vous, quand vous jouiez au basket, quel niveau aviez-vous et quel poste occupiez-vous ? Quelle était votre spécialité ?

M. JOSPIN : On disait niveau Honneur, National, à ce moment-là, à peu près. Ce n'était pas du tout le niveau auquel ils se situent, et c'était un autre basket purement ...

Mme CHABOT : On vous appelait Magic Lionel ou pas ? J'ai la question que j'ai envie de vous poser ...

M. JOSPIN : J'étais assez bon. Avec mon frère, qui lui était dans l'équipe de France Espoir et qui a joué en première division, on dirait en Pro A maintenant, au Stade Français, on était quand même un bon duo, bien connu, quand on ne se disputait pas sur le terrain comme il y a fait allusion tout à l'heure.

M. DUHAMEL : Quel poste ?

M. JOSPIN : Je jouais ailier ou poste on disait à l'époque ailier droit ou poste.

M. DUHAMEL : Et votre frère ?

M. JOSPIN : Lui était pivot. Il faisait 1,92 m ; à l'époque, c'était très grand. Maintenant, Frédéric Fortet est meneur de jeu, avec la même taille.

Mme CHABOT : Que pensez-vous de l'évolution du basket ? Aujourd'hui, c'est un sport un peu spectacle. Et puis nous allons demander à nos amis basketteurs ce qu'ils en pensent. Il n'y a pas un côté un peu showbiz, un peu ... Je ne vais pas dire cela à vous, vous allez dire que c'est dur, etc. ..., mais quand même, cela a un peu changé ?

M. FORTET : C'est vrai que cela a un peu changé. Comme monsieur Jospin vient de le dire, il y a une dizaine ou une quinzaine d'années, avec ma taille, on jouait près du cercle ; aujourd'hui, avec ma taille, on joue loin du cercle. Donc le jeu a complétement évolué, les joueurs qui sont près du cercle font 2,20 m comme Frédéric Weiss. Il y a 5 ou 6 ans, ils faisaient 2,05 m comme Stéphane Ostrovski. On peut se dire peut-être que dans 5 ou 6 ans, ils feront 2,25 m ou 2,30 m ; cela arrive déjà en NBA d'avoir des gens de cette taille-là, et on demande toujours plus aux joueurs, qu'ils aillent plus vite, qu'ils sautent plus haut, pour attirer le plus de monde dans les salles et qu'il y ait un spectacle important, avec beaucoup de smashes, des courses rapides, et voilà ...

M. JOSPIN : À condition tout de même qu'ils restent des athlètes, et c'est ce qui est important. J'admire beaucoup Stéphane Ostrovski qui a été le grand pivot et capitaine de l'équipe de France pendant des années ; je garde pour lui beaucoup d'admiration, même s'il n'est pas pour le moment dans l'équipe de France, je le sais. C'est bien de voir une génération comme celle de Frédéric Weiss ou de Fabien Dubosse qui joue dans un autre club, qui sont des jeunes pivots. Vous êtes très jeune, vous avez 18 ans je crois ?

M. WEISS : J'ai 19 ans.

M. JOSPIN : 19 ans, c'est formidable, et qui se préparent à être peut-être des futures stars françaises, internationales. Je trouve cela formidable, mais il ne pourra être une star que s'il est, et il l'est à certains égards, et peut devenir un athlète aussi. C'est-à-dire qu'il ne faut pas simplement être grand ; en plus, lui est adroit.

M. DUHAMEL : Vous regardez souvent des matches à la télévision ?

M. JOSPIN : Oui, bien sûr, parce qu'il y a un mélange de nostalgie et un mélange de ·projection aussi, bien sûr.

Mme CHABOT : Stéphane ou Frédéric, comment expliquez-vous que ce sport soit aussi populaire auprès des jeunes aujourd'hui ?

M. OSTROSVKI : Je crois que c'est un peu une mode que le basket américain a lancée. C'est vrai qu'il y a une grosse évolution, comme le disait Fred Fortet, mais on est un peu obligé d'évoluer dans la mesure où le basket américain montre aux jeunes joueurs justement que c'est un sport spectacle. Il y a beaucoup d'athlètes dans ce sport aux États-Unis et on est obligé de suivre.

Ce que je tenais à dire aussi, c'est que nous, sportifs, nous sommes très fiers, très contents que les grands hommes politiques s'intéressent au sport, et en particulier au basket. Nous savons que monsieur Jospin s'intéresse au basket, monsieur Chirac s'y intéresse également et aime les sportifs. C'est vrai qu'on a envie de voir aboutir des projets qui nous tiennent à cœur, comme la reconversion des sportifs, comme une nouvelle fiscalité.

M. DUHAMEL : Et quand vous parlez de basket avec des hommes politique vous avez l'impression qu'ils y connaissent vraiment quelque chose ou pas ?

M. OSTROVSKI : Monsieur Jospin, en basket, oui, il nous l'a montré à l'instant.

M. DUHAMEL : Et d'autres ?

M. OSTROVSKI : Oui, tout à fait, j'ai discuté avec monsieur Chirac à plusieurs reprises et il connaissait mon parcours notamment. C'est vrai que c'est une satisfaction lorsqu'un grand homme politique sait ce qu'on fait.

Mme CHABOT : Les joueurs du XV de France seront reçus demain justement par le Président de la République. On pourrait parler un peu de rugby qui est une autre passion. Vous avez découvert ce sport en étant élu du Sud-ouest ?

M. JOSPIN : Non, je l'ai découvert trop tard, et c'est un regret, parce que je l'ai découvert quand j'étais déjà un universitaire, où j'ai fait des remplacements. Quand je ne jouais pas au basket, s'il n'y avait pas de match, on m'a dit d'aller jouer au rugby, on m'a mis 3ème ligne. La première fois que j'ai joué 3ème ligne, à l'époque là aussi il y avait des problèmes de gabarit, j'ai marqué deux essais et j'ai eu l'impression que c'était le sport dans lequel j'aurais éclaté.

Naturellement, je suis un élu dans la région toulousaine, dans le département de la Haute-Garonne, depuis maintenant 11 ans. Je suis le Stade Toulousain et j'admire ces joueurs que j'ai la chance de connaître un peu. Émile Tarnac et Thomas Castanède, vous avez pris deux blessés ...

M. TAMAC : C'est tout ce qui restait ...

M. JOSPIN : ... qui relèvent de blessures : Thomas Castanède s'est en plus fait frapper, ce qui est un autre problème parce que cela veut dire la violence dans les stades. C'est un jeune joueur, pas un gros gabarit, vous avez vu ; donc au rugby, on peut être petit, équilibré, fin, rapide. Il faut avoir des qualités physiques, mais on n'est pas obligé d'avoir un gabarit énorme, cela dépend aussi des postes. C'est dommage quand même quand la violence vient ternir ce sport. Ce sont des joueurs de talent, ils peuvent vous parler de leur sport mieux que moi, même si je ne veux pas que vous croyez que je m'intéresse qu'au sport. Vous auriez fait venir un chanteuse d'opéra, j'aurais été ravi, un grand écrivain ...

Mme CHABOT : Oui, oui, je sais bien.

M. JOSPIN : ... ou un homme de théâtre ... Mais c'est bien comme ça.

M. CHABOT : Thomas, sur la culture rugby, parce que ce n'est pas la même culture que la culture basket, non ?

M. CASTANEDE : Monsieur Jospin a l'air bien renseigné puisqu'il a l'air de suivre vraiment ce qui se passe dans notre sport ...

M. DUHAMEL : Il a l'air ou il l'est vraiment ?

M. CASTANEDE : Il l'est vraiment puisqu'il vous a donné tous les détails qui se sont déroulés. C'est vrai que c'est très important pour nous de se sentir soutenus par des personnes importantes, que ce soit monsieur Jospin ou monsieur Chirac ou d'autres élus politiques. On a l'impression d'être un peu plus important et d'avoir plus de possibilité.

M. DUHAMEL : Vous blaguez quelquefois avec eux après un match ? Vous allez quelquefois dîner ensemble avec un homme politique ou vous préférez rester entre vous ?

M. CASTANEDE : Non, mais il y en a qui viennent avec nous parfois monsieur Baudis a fait quelques soirées ...

Mme CHABOT : C'est la troisième mi-temps ...

M. CASTANEDE : C'est ça.

M. JOSPIN : On a toujours un peu peur de s'approcher de la piscine, quand même, quand ils ont gagné ... Je suis allé plusieurs fois au dîner d'après la victoire du Stade Toulousain en finale de Championnat de France, mais généralement les joueurs aiment quand même beaucoup rester entre eux à ce moment-là, il faut les comprendre.

M. TAMAC : C'est vrai qu'on forme un groupe tout au long de l'année ; je crois que ce sont des moments dans lesquels on aime bien se retrouver, mais c'est vrai que le rugby s'ouvre sur tous ces nouveaux aspects, et il est bon qu'il y ait d'autres personnes qui viennent, qui s'intéressent justement à la vie des sportifs.

BASKETTEUR : Je crois que les hommes politiques se doivent à une certaine neutralité. Lorsqu'il s'agit d'un match opposant deux équipes françaises, forcément l'élu, l'homme politique, ne peut pas se permettre de prendre parti.

M. DUHAMEL : Mais vous sentez quelquefois que vous avez des supporters de choc aussi parmi les politiques ?

M. TAMAC : Je me rappelle avoir rencontré monsieur Jospin pour une rencontre à Orthez, lorsqu'Orthez n'avait pas encore déménagé à Pau. C'était une rencontre Orthez-Limoges, pour une finale de Championnat de France je crois ... et vous étiez dans les tribunes.

M. JOSPIN : C'est exact. Les deux maires étaient socialistes, je n'avais pas de problème de choix de toutes façons ... De ce point de vue-là, mes choix sont sportifs, ils ne sont pas politiques.

Mme CHABOT : C'est important pour un homme politique de continuer à faire du sport ? Cela vous permet de passer un peu votre agressivité, non ?

M. JOSPIN : Oui, je continue à en faire un minimum effectivement et pour moi c'est nécessaire ; en plus, j'ai quand même un physique, donc il faut que je l'emploie.

M. DUHAMEL : Au tennis, quel est votre meilleur coup ?

M. JOSPIN : Le coup droit.

M. DUHAMEL : Pas le revers ...

Mme CHABOT : Merci à nos amis qui sont venus, pour certains de Limoges ou de Nantes, et pour d'autres qui viendront aussi de Toulouse pour rencontrer le Président de la République demain.

Lionel Jospin, merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous donnerai toutes les questions qui ont été posées par Minitel et surtout via Internet, et vous serez obligé d'y répondre par ce moyen. Vous surfez sur le Net ?

M. JOSPIN : Oui, oui, je sais ...

M. DUHAMEL : Vous vous débrouillez ...

M. JOSPIN : ... ce que c'est qu'un certain nombre d'animaux qu'on appelle les souris ...

Mme CHABOT : Donc vous répondrez et tous les téléspectateurs qui sont sur le Net pourront avoir l'intégralité de cette émission à partir de demain, grâce à nos amis de France 2.

Merci donc encore une fois. Bonsoir.

M. DUHAMEL : Bonsoir, Lionel Jospin.

M. JOSPIN : Bonsoir.

Mme CHABOT : La semaine prochaine, Claude Sérillon et nous nous retrouvons dans un mois. Bonsoir.

 

 

France 2 - lundi 24 mars 1997


B. Masure : Franchement, le PS appuie-t-il cette grève des internes ? Certains les accusent de vouloir le beurre et l'argent du beurre ?

L. Jospin : Le PS pense que le Gouvernement récolte un peu ce qu'il a semé. Si J. Chirac et A. Juppé, qui a défilé jadis avec les médecins, avaient dit : il faut une maîtrise des dépenses de santé pendant la campagne présidentielle, personne ne serait surpris. Ils ont dit le contraire ! et donc un certain nombre de médecins, y compris des jeunes, se sentent d'une certaine façon trahis. Par ailleurs, je pense que le dialogue aurait dû être noué avec les internes et les chefs de clinique avant que soit signée la convention et non pas après. Ce Gouvernement dialogue toujours trop tard parce qu'il n'aime pas dialoguer. Troisièmement, il y a un peu la conjonction - pour ces jeunes gens qui sont à la fois dans l'hôpital public qui est corseté par les crédits gouvernementaux et les futurs spécialistes de la médecine libérale - des deux interrogations sur l'hôpital public et la médecine libérale. Pour autant, moi je continue à dire qu'il faut une maîtrise des dépenses de santé, qu'il vaut mieux qu'elle soit qualitative plus que quantitative, qu'il ne faut pas non plus qu'elle soit uniforme et que donc, la maîtrise des dépenses de santé doit rester un objectif, les méthodes qu'emploie le Gouvernement ne sont pas les meilleures.

B. Masure : La préparation des législatives : le PS est dit-on favorable à l'introduction d'une dose de proportionnelle. N'y a-t-il pas un paradoxe et risquer de favoriser l'élection de députés du FN alors que certains socialistes, comme H. Emmanuelli, plaident pour l'interdiction pure et simple du FN ?

L. Jospin : Je ne comprends pas très bien de quoi vous parlez ! Les élections législatives ont lieu dans un peu moins d'un an, en 1998, avec le mode de scrutin actuel. Donc ce n'est pas une question pratique qui se pose. La proportionnelle dans une élection a été instaurée pour la première fois par V. Giscard d'Estaing pour les élections européennes ou d'ailleurs le FN est largement représenté. Et je constate que la droite, avec le scrutin majoritaire qui va fonctionner en 1998 comme en 1995, comme en 1988, s'inquiète de la poussée du FN. Donc le problème n'est pas le mode de scrutin, le problème c'est d'être clair par rapport au FN, c'est de dire qu'on ne veut pas pactiser avec ses idées, qu'on ne veut pas faire des passages d'hommes entre la droite et l'extrême droite. Et puis c'est surtout - c'est ce que j'essaierai de dire tout à l'heure - c'est de proposer aux Français, un projet, des valeurs pour se rassembler qui font qu'on n'est pas simplement dans une lutte contre le FN mais dans une lutte pour quelque chose et notamment pour la France.