Interview de M. Michel Péricard, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 24 janvier 1997, sur la décision de juger M. Papon aux Assises et l'indépendance de la justice dans le cadre de la réforme proposée par J. Chirac.

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J. Dorville : M. Papon sera donc jugé aux Assises pour complicité de crime contre l'humanité. C'est une bonne nouvelle pour l'histoire et pour la mémoire ?

M. Péricard : Je ne crois pas qu'il faille commenter une décision de justice, mais si la Cour de cassation estime qu'il doit être jugé, il doit l'être. Bon, évidemment, le jugement n'a pas eu lieu. Mais enfin, le renvoi prononcé par la Cour de cassation est assez clair.

J. Dorville : Il est même assez accablant pour l'ancien ministre.

M. Péricard : Tout à fait. J'entendais tout à l'heure ce que vous disiez, je partage ce sentiment. C'est vrai que ça parait toujours un peu dérisoire et même un peu cruel de juger un homme de cet âge. Mais c'est pour l'avenir. On parle beaucoup du jugement du passé. Et moi je dis que c'est un jugement pour l'avenir, pour que cela ne se reproduise pas. C'est cela qui est important.

J. Dorville : Un jugement qui aurait valeur pédagogique pour ceux qui ne lisent pas les livres d'histoire ?

M. Péricard : Je n'ai jamais été partisan, dans les crimes de guerre concernant les Allemands, – car à une époque, on pensait surtout à eux –, qu'il y ait le moindre oubli. Le pardon, c'est autre chose. Mais l'oubli : sûrement pas. J'étais très jeune à la Libération, et j'avais falsifié mes cartes d'identité pour pouvoir aller voir des films interdits aux moins de 16 ans sur les camps de concentration. Dès que j'ai pu voyager je suis allé, voir tous les camps de concentration. Je vous assure qu'on ne peut pas oublier ce que c'est !

J. Dorville : Ce sera, bien sûr, le procès d'un homme pour des faits précis. Ce sera aussi le procès de Vichy et surtout de la haute administration et de ses complicités avec l'occupant.

M. Péricard : Je pense que dans la haute administration, il y a des guis qui ont collaboré et d'autres qui n'ont pas collaboré. Il y avait des gens de bonne foi, il y avait des gens qui croyaient sincèrement mère à un accord entre Pétain et de Gaulle. Il faut donc nuancer fortement le jugement. Mais ceux qui ont collaboré, sciemment, il n'y a pas de nuance à avoir.

J. Dorville : Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu'on se penche sur ce passé ? Est-ce qu'il n'y a pas eu pendant des années et des années, une conspiration du silence ? Il faut quand nu rappeler que M. Papon a fait une très belle carrière après la guerre. Il a été préfet, ministre.

M. Péricard : Vous vous rappelez ce que disaient les chansonniers israélites à la Libération : qu'il y avait « 40 millions de collaborateurs et 40 millions de gaullistes». La France était gênée. L'attitude des Français était équivoque pendant la guerre. Et sans doute que le silence a été le refuge de ceux qui n'avaient pas trop envie de soulever la mémoire.

J. Dorville : La confiance dans la justice, on en parle beaucoup et elle est depuis longtemps ébranlée en France. J. Chirac vient de lancer une réforme qui se veut ambitieuse. Il a chargé pour cela une commission d'experts dans laquelle il n'y a pas d’hommes politiques. Regrettez-vous, comme P. Seguin, que les parlementaires ne soient pas davantage associés à la réflexion ?

M. Péricard : Non, je ne le regrette pas. Et P. Seguin non plus. Je crois que l'on a mal compris sa position. Il ne faudrait surtout pas s'imaginer qu'une réforme judiciaire se fera sans les parlementaires. Mais justement, elle doit se faire avec tous les parlementaires. Ce que nous ne souhaitions pas – et moi je l'ai entendu, et il m'entend peut-être en ce moment, il peut appeler si je le trahissais c'est que la présence de un, deux, trois, peu importe, parlementaires dans la commission faussait le jeu. Car, en quelque sorte, ils s'exprimaient aux noms de tous les autres. À quel titre ? Comment les choisir ? Donc, nous pensons que la commission doit faire son travail d'expert, que le Gouvernement doit ensuite regarder ses conclusions, et les transmettre aux parlementaires qui, tous ensemble, en débattront. Il ne peut pas y avoir de réforme de la justice sans une loi. Et la loi ne peut être votée que par les parlementaires. Donc, cela ne signifie pas écarter les parlementaires, mais au contraire, préserver l'intégralité des responsabilités de tous les parlementaires : opposition et majorité. Et en plus, sur ces sujets, arriver à des majorités d'idées. Regardez, la réforme de la Cour d'assises vient d'être adoptée à l'unanimité.

J. Dorville : Justement, à propos de cette réforme, il y a une mesure qui fait beaucoup parler : l'abaissement de l'âge légal pour être juré qui est passé de 23 à 18 ans. Êtes-vous bien sûr qu'à 18 ans, on a la maturité nécessaire pour juger d'affaires criminelles, parfois très difficiles ?

M. Péricard : Je crois qu'il fallait abaisser l'âge, que nous sommes dans une époque où les jeunes, de plus en plus tôt, ont la maturité et le sens des responsabilités. Peut-être aurait-on pu faire au moins une étape intermédiaire à 21 ans. C'est mon point de vue mais il est purement personnel. 18 ans cela parait un peu jeune. Mais le débat n'est pas fini. Il y a le Sénat, il y a la deuxième lecture ; je verrai, je n'en sais rien. Mais c'est vrai qu'à travers ce que j'entends - et ce n'est pas un problème politique, un problème d'appréciation –, je crois que c'est un peu jeune. Pour être maire, il faut avoir 21 ans.

J. Dorville : Dossier plus prosaïque : la crise au CFF. Le plan Arthuis a été suspendu. Est-ce encore l'occasion d'inscrire le procès de Bercy et des technocrates de Bercy ?

M. Péricard : C'est l'occasion d'abord d'instruire le procès d'une époque qui est devenue folle. C'est l'époque, désolé de le dire, où, avec l'appui, le soutien, et même la complicité du gouvernement socialiste, toutes les grandes banques se sont lancées dans une spéculation immobilière, et dont toutes ont du mal aujourd'hui à se remettre. Et le Crédit Foncier, dont cela n'était pas la vocation, n'a pas échappé à cela. C'est une banque étrange le Crédit Foncier ; c'est une banque privée dont les dirigeants sont nommés par l'État. Un cas unique, obsolète d'ailleurs, qui ne peut pas continuer. Et c'est vrai qu'aujourd'hui on est dans un système qu'il est impossible de perpétuer puisque ce qui fait le fonds de commerce du Crédit Foncier – les fameux prêts d'accession à la propriété – disparaît. Alors, il faut trouver une solution. Il y a celle que Arthuis a proposé, qui me semblait raisonnable.

J. Dorville : Le démantèlement ?

M. Péricard : Pas le démantèlement, c'était la reprise par le Crédit Immobilier et le maintien du plus grand nombre des emplois. Si on a nommé un conciliateur ce n'est pas pour lui imposer une solution, sinon la conciliation n'a plus de sens. Le conciliateur ne dit pas que le plan est abandonné. Il dit qu'il y a peut-être d'autres solutions. Laissons-le travailler.

J. Dorville : Est-ce que, comme pour le Crédit Lyonnais, vous souhaitez une commission d'enquête pour déterminer les responsabilités ?

M. Péricard : Nous avons eu à nous prononcer sur ce sujet et nous avons dit non. Pour plusieurs raisons, car ce n'est pas tout à fait le même problème : il y a des problèmes judiciaires – vous savez que l'on ne peut pas faire des commissions d'enquête quand il y a des instances – donc, pour l'instant, non, cela n'est pas envisagé.