Extraits de l'interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à Europe 1 le 5 janvier 1997, publiés dans "L'Humanité" du 6, sur le chômage et l'exclusion sociale, et sur la revendication d'un débat et d'un référendum sur la monnaie unique.

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Média : Europe 1 - L'Humanité

Texte intégral

Invité hier soir du « Club de la presse » d’Europe 1, Robert Hue répondait aux questions d’Alain Duhamel, de Bernard Guetta (« le Nouvel Observateur »), de Paul Guilbert (« le Figaro »), d’Elizabeth Schemla (« l’Express ») et d’Ariane Bouyssou, d’Europe 1, qui demande d’emblée au secrétaire national du PCF son opinion sur la polémique au sujet des secours à apporter de gré ou de force aux SDF ?

      Face à la pauvreté

« Cette vague de froid, répond Robert Hue, révèle la cruauté d’une société où les pauvres sont d’abord les premiers frappés. Dans cette situation, il convient de prendre tous les moyens possibles pour exprimer la solidarité de l’Etat, des collectivités. Et il faut aussi beaucoup de moyens. Car si les moyens existaient, notamment en personnels spécialisés, qui manquent cruellement dans ce pays, dans les collectivités locales, la polémique n’existerait pas. » Face à ceux qui profitent de cette situation pour attaquer les services publics, Robert Hue veut « rendre hommage aux salariés des services publics qui sont mobilisés jour et nuit. La solidarité doit s’exprimer aussi à leur égard ». « Soutenez-vous l’action des sans-abri qui occupent des logements libres ? », interroge Elizabeth Schemla. « Il y a dans cette société, fait observer Robert Hue, d’un côté des gens qui dépensent en une nuit des sommes faramineuses et, en même temps, des gens sans logement alors que c’est un droit fondamental. J’approuve ces actions. Exprimer dans cette société la révolte est quelque chose de très important. »

Paul Guilbert demande « s’il y a une critique politique en tant qu’opposant dans votre réaction à ces phénomènes ? ». « Oui, souligne Robert Hue, c’est une prise de position politique nette face à une société qui produit des phénomènes détestables. Il faut changer cette société. On pourrait, par exemple, s’interroger si dans la démarche du Président de la République il y a des signes pour prendre en compte une telle situation… S’il y avait dans la politique de Jacques Chirac le moindre signe susceptible d’améliorer les choses pour que l’on puisse mieux vivre dans ce pays, non seulement je me réjouirais mais j’appuierais une telle démarche. Mais, malheureusement ! Je ne vois pas ces signes dans la politique actuelle. »

      Le courage contre la folie des marchés financiers

Evoquant la politique monétaire, le secrétaire national du PCF souligne l’alternative : « Soit on cède à la folie des marchés financiers, à la dictature de l’argent – c’est ce que fait actuellement Jacques Chirac. Soit on a le courage – et je dis cela pour Jacques Chirac comme pour toute autre politique, y compris de gauche ; surtout, du reste, s’agissant d’une politique de gauche – d’affirmer : « Arrêter l’engrenage maastrichtien de la monnaie unique ; arrêtons cette politique qui fait tant de mal aux Français, à la France. Et faisons jouer les atouts de la France. Le 31 décembre, Jacques Chirac évoquait ces atouts, le dynamisme de la France… »

      Une autre Europe

La France seule a-t-elle les moyens de s’opposer à la construction européenne ? Robert Hue déclare : « On peut faire autrement. Je suis favorable à une Europe des coopérations. Une Europe au sein de laquelle les nations – tout en partageant les responsabilités – gardent leur souveraineté. Je crois qu’il y a la place pour une Europe différente de celle qui se construit aujourd’hui. Ce que je reproche à l’Europe d’aujourd’hui, ce n’est  pas d’être trop européenne, c’est de casser l’Europe Vous parliez de rapport de forces ? Eh bien ! L’opinion bouge beaucoup. Les forces politiques – en France et en Europe – se mobilisent. Si la monnaie unique se met en place, la situation s’aggravera et va devenir catastrophique. Sur quelles ruines, sur quel chômage massif va-t-elle se mettre en place ?... La France peut se faire entendre, si elle décide d’une politique volontaire, forte, européenne, mais non dictée par un noyau dur et par le deutschemark, si elle décide d’une politique différente, on peut s’acheminer vers une autre Europe. Pas celle qui se construit aujourd’hui, et qui, je le répète, nous conduit au désastre. Face au dollar, au yen, il faut une monnaie. On peut l’imaginer sans pour autant s’inscrire dans une conception de guerre économique. Quant au fond, avec la monnaie unique, il s’agit moins d’un problème monétaire que d’un projet politique visant à assurer le libre mouvement des capitaux, avec une banque centrale sur laquelle les Etats n’auront aucun droit de regard… Au contraire, on peut imaginer un instrument monétaire commun, utile aux différents pays de l’Union européenne. Ce pourrait être un ECU de type nouveau, qui ne remette pas en cause les monnaies nationales. Le traité de Maastricht, que, par ailleurs, je condamne, n’exclut pas cette possibilité. »

      Un verrou qui enferme la France

« Je voudrais ajouter, sans détour, que cette politique maastrichtienne de marche forcée vers la monnaie unique constitue un véritable verrou qui enferme la France, et qu’il faut faire sauter. La monnaie unique est un projet politique ultralibéral. C’est pourquoi on n’a pas le droit de le réaliser sans préalablement consulter les Français. Sur un problème d’une telle importance, ils doivent être consultés. Je demande un référendum. »

« Vous proposez uniquement des solutions franco-françaises alors qu’il s’agit de politique européenne », objecte-t-on alors à Robert Hue. Le secrétaire nationale du PCF rappelle le meeting qui s’est tenu l’an dernier à l’Arche de la Défense  avec la participation de diverses forces progressistes d’Europe, « y compris sociale-démocrates », qui estiment qu’il ne peut y avoir de politique sociale dans le cadre de l’actuelle construction européenne.

      Opposé aux choix gouvernementaux

Paul Guilbert demande ensuite en quoi, hormis la politique européenne, réside l’opposition du PCF à la politique gouvernementale. Robert Hue rappelle tout d’abord que « les choix gouvernementaux, notamment budgétaires, s’inscrivent dans ce dispositif ». « Quand le président de la République », ajoute-t-il, croit « voit frémir la croissance, l’INSEE annonce que l’on atteindra le taux de 13 % de chômage en juin ». Le secrétaire national du PCF évoque alors des mesures pour créer des emplois. Il ne croit pas aux effets bénéfiques d’une croissance s’effectuant « dans le cadre de la déflation salariale et de l’accroissement de la finance et de la spéculation ».

S’agissant des impôts, il « demande à voir » quant à l’allègement annoncé de 25 milliards, mais note « l’accroissement de 120 milliards l’an dernier de la fiscalité directe et indirecte. »

« Ça sort toujours de la poche des mêmes », dénonce-t-il en évoquant l’augmentation, en ce début d’année, de la taxe sur les carburants, « 6 à 7 centimes par litre », celle de la CSG, ou celle de 18 à 25 milliards de francs des impôts locaux. Il propose « une plus forte progressivité de l’impôt sur le revenu, et le quadruplement de l’impôt sur la fortune ». Il considère par ailleurs qu’il est possible et nécessaire de maîtriser les mouvements de capitaux contrairement aux choix effectués par les Gouvernements socialistes « qui participent de leur échec global ».

      L’emploi d’abord

Après avoir dénoncé l’indécence de « la folie des mouvements financiers », Robert Hue évoque la souffrance des familles en difficulté. Il lance alors l’idée « de diminuer, voire de supprimer la TVA sur les produits de première nécessité ». A propos de l’emploi, l’invité d’Europe 1 rejette les promesses à coup d’annonce.

« Les Français ne croient pas aux coups de baguette magique. » Certes, le PCF a des propositions, mais insiste d’abord sur les moyens d’y parvenir. « Il faut un électrochoc. Avoir le courage de faire une autre politique », estime le secrétaire national, qui avance quatre dispositions à prendre d’urgence : « Taxer les projets financiers » et dissuader ainsi la spéculation. « Encourager ceux qui créent des emplois », avec une fiscalité adaptée. « Il faut aussi des droits nouveaux pour les salariés », afin qu’ils obtiennent notamment le contrôle des fonds publics. Enfin, Robert Hue plaide en faveur « d’une relance forte et stimulante », qui passe « par une augmentation du pouvoir d’achat des familles. Et donc par une revalorisation massive des salaires au-dessous de 15 000 francs », en hissant « le SMIC à 8 500 francs » comme le proposent les syndicats. « Je ne rêve pas. Je crois à la croissance, à condition qu’on ne bloque pas la machine. Evidemment, tout cela ne fait pas plaisir aux spéculateurs, mais je suis du côté du monde du travail. »

      Véritablement à gauche

A quinze mois des élections législatives, comment et avec qui le PCF compte-t-il faire avancer sa « force communiste » ? « Mes solutions sont véritablement de gauche. Pas mi-chèvre, mi-chou. C’est notre contribution dans le cadre d’une construction politique », certes différente de celle qui a conduit la gauche à l’échec. Sans nier les divergences qui persistent avec le Parti socialiste – notamment sur la logique concernant l’argent ou la monnaie unique -, Robert Hue estime que certaines positions ont bougé du côté du PS. Exemple : « la réduction du temps de travail sans diminution de salaire ».

      L’intervention citoyenne

« L’union nouvelle préconisée par le PCF, c’est quoi ? », demandent les journalistes. « On ne peut imaginer une politique de gauche qui ne prenne en compte l’échec de 1981 », répond-il. S’il estime que les rencontres entre formations politiques peuvent être utiles – « il y en a » -, il souligne que l’on ne peut « rien faire en dehors des citoyens ». Cette intervention, estime-t-il, est particulièrement indispensable sur les questions de la construction européenne et de la monnaie unique. Il pense à ce propos que le mouvement de novembre et de décembre n’est pas étranger à l’évolution du PS qui se prononce aujourd’hui – « ce n’était pas le cas il y a quelques mois – pour « la réduction du temps de travail sans diminution de salaire ».

« Quelles formes peut prendre cette intervention citoyenne ? » Elles sont diverses. « Cela peut être le mouvement social, mais il peut y avoir de grands débats publics. » Et il cite l’engagement ou non de la France dans la monnaie unique. L’organisation d’un référendum, que Jacques Chirac avait promis pendant la campagne électorale, « s’inscrit dans cet objectif ». Rappelant l’intérêt suscité par celui sur le traité de Maastricht, il demande : « Pourquoi ne pas consulter les citoyens, pourquoi avoir peur de la démocratie ? » « Il y a un rapport de forces qui se modifie sur l’Europe. C’est criant. Les élections prochaines, les législatives, vont se faire principalement sur l’Europe. Il ne faut pas hésiter à consulter les Français, c’est la démocratie, c’est une bonne chose pour notre peuple. »