Texte intégral
France Info : Lundi 19 janvier 1998
France Info : Le mouvement des chômeurs est une chance, a dit R. Hue, pour le pays, et un stimulant pour la gauche : vous êtes d’accord ?
D. Vaillant : Pas vraiment. Ce n’est pas une chance ; c’est un constat qu’il y a de la détresse. Et c’est pour cela que le Gouvernement a bien fait, avec M. Aubry, avec L. Jospin, d’être en capacité d’écouter, de comprendre et d’essayer d’agir pour solutionner les cas de détresse. Mais, en même temps, chacun comprendra bien – et je pense que les Françaises et les Français peuvent être sensibles à cet argument – qu’il serait paradoxal que, dans un souci de solidarité, de compassion, on fasse exploser le budget du pays, et du coup de casser la politique du gouvernement qui est d’abord la priorité à l’emploi. Ce serait paradoxal que, pour solutionner la question d’un certain nombre de chômeurs, on fasse le contraire de ce qui est souhaitable : c’est-à-dire, de l’emploi. Parce que c’est ça la vraie réponse. Tant qu’il n’y a pas d’emplois, certes, il faut trouver des solutions. C’est pour cela que le Gouvernement a débloqué ce milliard et que nous préparons la loi, avec M. Aubry, contre les exclusions.
France Info : Ces minima sociaux, si vous les relevez, on va vous reprocher d’installer les chômeurs dans l’assistanat plutôt que de favoriser l’emploi.
D. Vaillant : Toute solution qui permettra de sortir de cette difficulté de détresse humaine sera la bienvenue. En même temps, on rencontre des salariés, des gens qui gagnent le Smic. Ils vous disent : mais nous, on travaille huit heures par jour et on gagne le Smic ; donc, il faut que le fruit de notre travail soit récompensé. C’est donc par l’emploi qu’il faut réussir. Et toute politique de dérive budgétaire – non pas lié à l’euro – qui ferait échouer l’application de la réduction du temps de travail, pour l’emploi, ferait échouer le plan emplois-jeunes, qui ferait capoter la difficile négociation de la fonction publique, serait un risque à ne pas prendre.
France Info : Quand vous entendez les militants communistes crier ce week-end : Jospin, t’es foutu, les chômeurs sont dans la rue. Vous ne bronchez pas ?
D. Vaillant : Les élus communistes sont dans la majorité. R. Hue l’a confirmé hier soir. Je pense qu’être dans la majorité, ça crée des droits – le droit à la parole, le droit à peser sur l’action parlementaire ou gouvernementale. Ça crée aussi des devoirs –celui de la responsabilité face aux Françaises et aux Français, qui ont choisi de rejeter la droite qui était en échec au mois de juin, de faire confiance à la gauche dans sa diversité, mais aussi dans la cohésion, dans la cohérence et dans la durée.
France Info : Majorité plurielle ? À moins que l’adjectif ne vous déplaise, et que vous préféreriez maintenant : majorité, tout court ?
D. Vaillant : Une majorité qui respecte ses différences, mais une majorité cohérente. Le pays attend que la majorité gouverne dans la cohésion. Surtout qu’avec ce gouvernement, on ne peut pas dire que le débat n’ait pas lieu. Ce n’est pas un gouvernement dirigé autoritairement, comme le précédent par exemple. C’est un gouvernement où l’on débat. À partir du moment où l’on a débattu, que l’on a tranché, que les groupes parlementaires sont associés, il me paraît logique que la majorité soit dans un comportement de majorité.
France Info : Vous ne dites plus « plurielle » : ce mot vous écorche ?
D. Vaillant : Pas du tout. Le Parti communiste est pluriel, la majorité l’est aussi, mais n’insistons pas ! Il faut que les Français comprennent qu’il y a une majorité, et que pour gouverner, il faut être cohérent et solidaire.
France Info : Qu’est-ce que vous attendez de L. Jospin cette semaine à la télé : qu’il reprenne la main ?
D. Vaillant : Il ne l’a pas perdue. Je suis contre ceux qui disent : c’est une nouvelle phase, ou encore…
France Info : Le Gouvernement a mangé son pain blanc.
D. Vaillant : Il n’y a pas de pain blanc, il n’y a que du pain noir quand on gouverne. Chacun le sait bien.
France Info : Tous les jours, ça n’est pas gai ?
D. Vaillant : Non, mais on est là pour servir son pays, et servir l’intérêt général. Le Premier ministre s’exprimera en direction des Françaises et des Français pour leur dire la vé-ri-té – c’est ça la méthode Jospin finalement : dire la vérité aux Français – et tracer les perspectives de la politique gouvernementale que l’on connaît : ce sont les engagements pris en juin. Ils seront respectés dans le cadre de ce semestre qui s’annonce.
France Info : Quand L. Jospin dit aux patrons : je renoncerai aux 35 heures, quand vous renoncerez à licencier. C’est une boutade ?
D. Vaillant : C’est une formule, mais qui montre bien où sont les responsabilités. J’entends souvent nous dire : il faut d’abord l’emploi privé. Je constate que les 3,5 millions, on les a trouvés en arrivant ; que toutes les politiques précédentes avaient échoué. Je constate qu’il est nécessaire d’avoir de l’emploi privé, mais pour l’instant, il y a beaucoup de gens privés d’emplois.
France Info : G. Jollès, vice-président du CNPF, répète aujourd’hui dans Le Monde, l’hostilité du patronat aux 35 heures qui détruiront plus d’emplois qu’elles n’en créeront.
D. Vaillant : C’est une expression conservatrice. Il faudrait que le patronat se tourne aussi vers le pays réel. Le pays réel a besoin d’emplois, par la croissance ; il ne faut pas casser cette croissance, parce que c’est le moteur essentiel. Il faut trouver de nouvelles voies : la réduction du temps de travail en est une. À partir du moment où s'est négocié, que le dialogue dans les entreprises existera, c’est une chance pour les entreprises, parce qu’elles pourront réorganiser leur travail, créer de l’emploi, donc de la croissance. C’est bien ce qui manque aux entreprises aujourd’hui. Le Gouvernement essaie de répondre avec sa politique budgétaire de croissance. Ça a l’air de plutôt bien marcher, il ne faudrait pas casser la croissance. Le patronat peut le comprendre.
France Info : Le PCF fait l’articulation avec le Traité d’Amsterdam, et il dit : pour répondre aux chômeurs, il faudra bien desserrer la marche vers l’euro.
D. Vaillant : Là-dessus j’entendais R. hue, j’entends aussi P. Mazeaud du RPR ou quelques autres qui sont souvent sur un refus de l’euro, tout au moins une demande de report de l’euro avec des motivations contradictoires. Monsieur de Villiers n’est pas R. Hue ni P. Mazeaud. En même temps, je trouve que c’est un peu facile. Je le dis à R. Hue et à mes amis communistes. C’est un peu facile de dire : c’est la faute de l’euro. L’euro n’existe pas, ce n’est pas lui qui a créé les 3,5 millions de chômeurs. Je crois qu’il y a un principe simple, on le dit pour une famille : le surendettement n’est pas une bonne chose. On ne peut pas dire à une famille : vous gagnez 5 000, on vous prête 3 000, vous dépensez 8 000, on va dans le mur ! Eh bien la France, c’est un peu la même chose. Je crois que ce n’est pas un problème de dépenses publiques, c’est un problème de déficits publics. Les déficits cumulés par tous les gouvernements, notamment Balladur et Juppé, font qu’il y a un surendettement de la France. Eh bien, on ne peut pas prendre le risque de casser la croissance, donc le développement de l’emploi, par une politique de déficits. Alors, c’est le problème du 3 %. Mais si les critères pour Maastricht n’avaient pas été de 3 %, il n’en demeure pas moins vrai qu’à mon avis, une bonne gestion de l’économie française c’est que les déficits ne doivent pas être plus forts que le taux de croissance.
France Info : Tout ça ajouté au centenaire de l’affaire Dreyfus, c’est quoi dans l’ensemble ? Une bonne leçon d’humilité pour le Gouvernement et le Premier ministre ?
D. Vaillant : Je pense que, d’une certaine manière, oui. D’ailleurs, il le dira lui-même à l’assemblée demain, vraisemblablement. Son expression n’a pas été comprise, c’est le moins qu’on puisse dire, il l’a reconnu. Quand on n’est pas compris, il faut s’expliquer, et faire effectivement humilité. En même temps, je le dis à P. Mazeaud – que j’aime beaucoup par ailleurs, c’est quelqu’un de très honnête, de très franc et qui est très utile dans le débat parlementaire – moi, je me souviens des campagnes électorales précédentes, voilà dix ou quinze ans, les gaullistes ne voulaient jamais d’appeler candidats de la droite, c’est bien qu’ils avaient un problème avec le mot : droite. Je ne veux pas ici revenir sur le sujet. Mais je trouve qu’on en a fait beaucoup pour peu de choses.