Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, dans "L'Express" le 2 janvier 1997, sur la loi d'orientation agricole, ses principes "nourrir, valoriser, travailler", la qualité des produits et la protection de l'environnement.

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Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

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L’Express : Pourquoi une loi d'orientation, un cadre â échéance des vingt prochaines années ?

Philippe Vasseur : Les lois de 1960 et 1962 répondaient à une mutation quantitative, car la France ne parvenait pas, alors, à nourrir sa population. Aujourd'hui, les défis qualitatif dominent, avec d'autres soucis : l’environnement, l'occupation de l'espace. Ma loi ne sera donc pas seulement une loi agricole, mais un texte plus large, un contrat avec. la nation contenant trois mots clefs : nourrir, valoriser, travailler. Nourrir, c'est classique, mais les consommateurs ont changé. Valoriser, c'est occuper le territoire, mais aussi se préoccuper d'environnement. Travailler, c'est tenir compte des 3,5 millions d 'emplois des filières agricole, agroalimentaire et forestière, pour freiner le chômage, et peut-être même gagner des emplois.

L’Express : Ex-ministre de l'Agriculture, Jacques Chirac s'occupe de la loi ?

Philippe Vasseur : Nous en avons parlé pendant la campagne présidentielle, alors que je ne savais pas si je serais ministre. Il l'a annoncée en mars 1996, lors du cinquantenaire de la FNSEA.

L’Express : Pourquoi tenez-vous tant à la faire voter avant l'été ?

Philippe Vasseur : Je ne suis pas naïf. L'agriculture vit au rythme des saisons, la politique au rythme des élections. Après l'été, nous allons entrer en précampagne électorale, et ce n'est pas le genre de loi qu'on fait voter dans ces conditions.

L’Express : Auriez-vous préparé cette loi aussi vite sans la vache folle ?

Philippe Vasseur : Oui. Dès mon arrivée au ministère, certains en ont souri, j'ai insisté sur la qualité. Je veux raisonner en termes de filières, pas seulement de production. C'est l'intérêt même des agriculteurs : je rêve ainsi d'un plan d'épargne agricole pour que les producteurs puissent investir en aval, dans l'industrie agroalimentaire qui transforme leurs produits. Je veux être ministre du producteur au consommateur - je suis d'ailleurs ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. Le consommateur n'est pas organisé, mais son portemonnaie, c'est sa carte syndicale. Produire ce qui ne se vend pas, c'est créer une crise, et mon rôle, c'est d'éviter les crises, pas de les éponger. Quand j'aide les producteurs de Rivesaltes à relancer cette appellation d'origine contrôlée, je suis dans mon rôle.

L’Express : Votre loi, pas encore rédigée, est déjà critiquée...

Philippe Vasseur : Une loi qui recadre, c'est une loi qui dérange, et sans doute devrai-je passer un peu en force...

L’Express : Vous craignez les syndicats ?

Philippe Vasseur : La France a des syndicats agricoles forts. C'est inconfortable pour le ministre, mais c'est bien pour le pays. Et les syndicats agricoles savent que les choses bougent. On ne peut plus faire du syndicalisme comme dans les années 60 : ce ne sont plus les mêmes problèmes ni les mêmes agriculteurs. Ma loi est une chance pour les syndicats. Je souhaite ainsi des conventions d'entreprise entre les producteurs et les industries agroalimentaires, voire la distribution. Aujourd'hui, une industrie peut se délocaliser sans prévenir et plonger des producteurs dans la crise.

L’Express : Vous aussi, vous attaquez la grande distribution ?

Philippe Vasseur : Je ne serai pas son pourfendeur, mais il faut plus de règles et de partenariats. Des accords producteurs-distributeurs existent déjà, et je voudrais qu'ils prennent une valeur réglementaire nationale dès qu'ils sont signés par des organisations représentatives. Je désire aussi que les ententes sur les prix entre producteurs soient possibles, ce qui est actuellement très difficile.

L’Express : Les experts consultés pour votre loi conseillent de mieux aider l'exportation. Comment ?

Philippe Vasseur : Devons-nous, oui ou non, exporter ? Le choix n'est pas fait par tous nos partenaires européens. La France dit oui, puisque nous sommes devenus les premiers exportateurs au monde. Je pense qu'on l'emportera, mais le débat n'est pas tranché. Pour aider l'exportation classique, nous avons beaucoup d'outils, dont je veux améliorer la synergie. Ainsi, on peut mieux utiliser nos attachés agricoles installés dans une cinquantaine de pays. Mais il ne faut pas oublier l'aide alimentaire, pour laquelle nous sommes au deuxième rang mondial, derrière le Japon : pourquoi ne pas développer la coopération franco-japonaise ? Je veux aussi profiter de la réforme du service militaire pour envoyer des volontaires dans ces pays qui doivent bâtir leur agriculture. Tout jeune qui s'installe doit suivre après ses études un stage de six mois - désormais rémunéré - à plus de 50 kilomètres de chez lui : pourquoi pas là-bas ?

L’Express : Exporter plus, c'est aller vers une guerre verte avec les Etats-Unis ?

Philippe Vasseur : On est en plein dedans ! Elle est permanente, car l'économie c'est de l'affrontement Mais on n'a jamais gagné une guerre avec une ligne Maginot. C'est pourquoi je veux positionner la France sur le créneau de la qualité. Nous sommes meilleurs que les Américains sur la sécurité alimentaire : nous recensons entre 3 et 8 morts annuels par intoxication, quand les Etats-Unis en dénombrent entre 4 000 et 6 000 !

L’Express : Comment vendre la qualité ?

Philippe Vasseur : Je milite, dans le cadre de cette loi, pour la création d'un Institut de la qualité, qui aurait pour mission d'attribuer les signes de qualité, les indications de provenance des produits et de s'occuper des marques. Pour les signes de qualité, l'AOC a fait ses preuves : « bourgogne » et « bordeaux » sont les mots français les plus employés dans le monde. Le label rouge, que nous voulons relier mieux encore aux terroirs, fonctionne : la viande bovine labellisée n'a pas souffert de la crise de la vache folle. Il y a aussi le signe AB, « agriculture biologique ». Et puis la certification de conformité, totalement méconnue du grand public. Pour la suppléer, je souhaite instaurer un signe de qualité standard, qui pourrait être apposé sur des produits,. On m'a proposé de l'appeler « label bleu », mais les professionnels craignent la confusion avec le rouge. Ils ont raison, nous trouverons autre chose. Il y a enfin un foisonnement de sous-signes de qualité. Clarifions, puis lançons une vaste campagne de communication autour des quatre signes, qui fonctionneront dès 1997.

L’Express : La loi fera-t-elle des agriculteurs les jardiniers de l'espace rural ?

Philippe Vasseur : S'ils ne devaient être que cela, ce serait organiser leur fin. Leur dignité, c'est de nourrir. Si on veut simplement des prairies présentables, pas besoin d'agriculteurs, des tondeuses suffisent. Mais il faut tenir compte des répercussions de la façon de produire sur l'environnement et intégrer :a volonté de maintenir une population sur tout le territoire. Les aides publiques doivent varier selon ces réalités économique, sociale et environnementale.

L’Express : Votre loi punira-t-elle l'agriculteur pollueur ?

Philippe Vasseur : Nous sommes tous des pollueurs ! Les agriculteurs pas plus que les autres, et ils entrent en masse da ns notre programme de maîtrise des pollutions. Ils sont même en avance sur nos prévisions. Mais ln mise aux normes, c est long.

L’Express : Les lois de 1960 et 1962 n'ont pas stoppé le déclin du monde rural. Et la vôtre ?

Philippe Vasseur : Ma loi sera plus généraliste. Quand on voit plus loin que l'année prochaine, ça requinque les agriculteurs