Texte intégral
RTL : jeudi 20 mars 1997
RTL : Des discussions ce soir ?
Hervé Gaymard : Oui, à 19 h 30, les internes – leurs représentants – seront au ministère des affaires sociales où nous les rencontrerons avec nos collaborateurs et Jacques Barrot.
RTL : De quoi va-t-on parler ? Parce qu’il semble que la marge de manœuvre soit assez étroite. Le ministre Jacques Barrot disait hier qu’il ne voulait pas foutre en l’air la réforme.
Hervé Gaymard : Vous savez, moi j’ai une grande proximité de génération avec les internes. Je les ai beaucoup rencontrés pour élaborer les ordonnances qui ont été publiées l’année dernière sur la réforme de la protection sociale. Je crois qu’on doit surtout se rencontrer, s’écouter, se parler et se comprendre entre hommes de bonne volonté. Il y avait un problème qui a été réglé dans le cadre de la négociation de la convention médicale entre les syndicats de médecins libéraux et la Caisse nationale d’assurance maladie. Ce problème est réglé depuis dimanche dernier, puisque le délai est passé de cinq ans à sept ans pour d’éventuels reversements dans le cadre de l’objectif de dépense d’assurance maladie, et ce que je voudrais dire, moi, aux internes, c’est que cette réforme de la protection sociale ne prévoit pas de quotas d’actes, pas de rationnement des soins, pas de reversements confiscatoires et aveugles, pas de passage obligatoire devant le généraliste pour aller chez le spécialiste, parce que j’ai entendu un peu tout cela à la télé, à la radio, depuis quelques jours, et tout ceci n’est pas dans la réforme que nous faisons. En réalité, ce que nous voulons, c’est maintenir notre médecine à la française. Qu’est-ce que c’est la médecine à la française ? C’est à la fois la liberté et la solidarité. La liberté pour le malade d’aller voir le médecin qu’il souhaite aller voir ; la liberté pour le médecin de s’installer où il veut, de prescrire, de rester en secteur 2, le tout étant possible grâce à la Sécurité sociale qui rembourse les soins. Et on est le seul pays au monde à avoir la liberté et la solidarité. Sois-vous avez le libéralisme sauvage, comme les États-Unis, et moi je refuse cela pour notre pays, à la fois pour les malades et pour les professions de santé, parce que c’est une mauvaise solution, soit on a un système étatique, comme en Angleterre ou en Europe du Nord, et je crois qu’il ne faut pas vouloir cela non plus pour notre pays. Donc, je crois que l’enjeu, c’est celui-là.
RTL : À vous entendre, la marge de manœuvre sur les dernières revendications des internes et de certains chefs de cliniques, donc, il n’y a pas une grande marge de manœuvre ?
Hervé Gaymard : Avec Jacques Barrot, nous allons discuter avec les internes et leurs représentants. Je vous rappelle qu’il y a eu des changements ces derniers jours dans les représentants officiels des internes. Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu les voir parce que le bureau national n’était pas encore désigné. Donc, c’est ce que nous allons faire maintenant, et on va discuter. Mais s’agissant de la convention qui a été librement négociée entre la Caisse nationale d’assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux, elle va naturellement être approuvée.
RTL : Mais est-ce que vous ne comprenez pas quand même l’inquiétude de certains chefs de clinique : des études longues, des difficultés de s’installer, le rationnement des soins, quand même. À sommes égales, dans un hôpital, qui est-ce qu’il faudra soigner ?
Hervé Gaymard : Je dis que cette inquiétude n’est pas justifiée. Comment parler de rationnement des soins quand, cette année 97, les dépenses d’Assurance maladie augmenteront de 10 milliards ! Ce n’est pas vrai qu’il n’y ait rationnement des soins. Il y a seulement la nécessité, et beaucoup de médecins en conviennent, de mettre de la responsabilité dans notre système, de tout le monde : de la part des assurés sociaux, de la part de l’État, de la part des caisses qui gèrent les régimes, de la part des professions de santé, de la part de l’industrie pharmaceutique, pour précisément que l’on puisse continuer à avoir cette médecine à la française, parce que les Français ne veulent pas non plus qu’on continue à augmenter sans cesse les impôts, et je crois qu’il ne faut pas opposer les considérations économiques et financières et les considérations médicales. Je crois que précisément, ce qui est au cœur de cette réforme, c’est la qualité des soins, le juste soin, ce que l’on appelle un peu dans le jargon la maîtrise médicalisée de la médecine, et ça, je crois que c’est ce qui est le cœur de cette réforme et donc, il faut expliquer, écouter et convaincre.
Le Progrès : jeudi 27 mars 1997
Le Progrès : Avez-vous été surpris par la réaction des internes à l’annonce de la convention médicale ?
Hervé Gaymard : Oui, je l’avoue, car il y a un an, j’avais passé une dizaine d’heures avec les représentants des internes qui n’avaient manifesté aucune opposition à notre projet de réforme de la Sécurité sociale. Cela dit, chaque fois qu’il y a un mouvement de grève ou le reflet d’un trouble, il ne faut pas le traiter d’un haussement d’épaule. Je me sens proche des jeunes générations d’internes ou de chefs de clinique. La plupart d’entre eux sont convaincus comme moi qu’il faut piloter notre système de protection sociale.
Le Progrès : Allez-vous mettre en place un système de reversements individuels, comme ils le demandent ?
Hervé Gaymard : Le socle de la réforme, c’est la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Les reversements n’en représentent qu’une partie théorique et subsidiaire. Nous sommes partis du principe que les actes médicaux sont insuffisamment rémunérés. Or la masse des cotisations n’est pas extensible. Nous avons donc pris le parti d’entrer dans une logique vertueuse, celle de mieux rémunérer les actes, à condition qu’ils soient moins nombreux. Personne n’en parle, mais il existe une provision d’1,7 milliard de francs destinée à la revalorisation des honoraires si les objectifs sont respectés fin 1997. Chaque médecin recevra alors un chèque de la CNAM. Si en revanche, au bout de deux ans, ces objectifs sont dépassés, on en analysera les causes. Les sommes dépensées pour des évènements exceptionnels comme la vaccination contre l’hépatite B, une épidémie de grippe ou les trithérapies contre le sida, seront défalquées. Les reversements seront alors modulés individuellement en fonction de l’activité de chaque médecin et les décisions prises par un comité médical dans lequel siègeront les parties signataires.
Le Progrès : N’avez-vous pas l’impression d’être abandonné par ceux qui souhaitaient cette réforme et aussi que cette dernière traîne en longueur ?
Hervé Gaymard : Non, Jean-Marie Spaeth (président CFDT de la CNAM, NDLR) est monté au créneau. Le comité de vigilance a publié un communiqué. Mais il est vrai que de nombreux aspects positifs de la réforme ont été retardés car ils sont liés à la convention médicale. La convention sera agréée dans les jours qui viennent, ce qui permettra de débloquer la situation. Nous sommes toujours prêts à discuter avec les internes, et à les associer aux négociations futures. Mais Jacques Barrot a été clair. Il n’est pas question de reculer.
RMC : lundi 14 avril 1997
P. Lapousterle : C’est le cinquième défilé des internes, hier dans les rues de Paris. M. Maffioli qui est le responsable du plus important syndicat de médecins parle de la plus grande manifestation de médecins depuis 1991 en France. Quelle est votre impression ?
Hervé Gaymard : Les querelles de chiffres, il y a toujours des estimations diverses. Des médecins ont manifesté hier comme certains ont manifesté depuis quelques semaines. Moi, je ne voudrais pas m’attarder sur les chiffres, je voudrais simplement dire une chose puisque j’ai entendu parler de « Grenelle de la santé ». J’ai l’impression que l’on découvre la lune puisque le « Grenelle de la santé », il existe et de manière permanente, et c’est ce Gouvernement qui l’a institué puisque dans la réforme de la protection sociale, nous avons créé des conférences régionales de la santé, une conférence nationale de santé dont l’objectif est précisément – de manière permanente dans le débat – de porter le débat en matière de santé. Donc, à partir de la fin du mois d’avril vont se tenir dans toutes les régions de France, des conférences régionales de santé qui seront ponctuées fin juin à Lille par la conférence nationale de santé. Et d’ailleurs à ces conférences régionales et à cette conférence nationale seront associés les représentants des internes, des chefs de clinique et des résidents comme nous nous y sommes engagés avec Jacques Barrot.
P. Lapousterle : Alors M. Gaymard, il y a un Grenelle permanent et les internes ne le savent pas. Est-ce que vous pensez que c’est une situation possible cela ?
Hervé Gaymard : Non ce n’est pas une situation possible. S’agissant des internes, l’année dernière quand, avec Jacques Barrot, nous avons procédé aux consultations avant l’élaboration des ordonnances qui sont de la fin du mois d’avril, j’ai passé sans doute plus d’une dizaine d’heures avec les représentants de l’époque des internes, des résidents et des chefs de clinique. Et d’ailleurs, suite-à leur demande, un certain nombre de choses ont été introduites ou retirées des ordonnances. Donc il y a bien eu concertation au niveau de l’élaboration de la réforme de la protection sociale. Ce qui est vrai et ce que nous avons proposé aux représentants des médecins en formation, c’est d’être représentés dans l’ensemble des commissions et des groupes de travail qui suivent l’application de cette réforme. Nous avons fait des propositions concrètes et je ne doute pas que les internes les acceptent.
P. Lapousterle : Donc quand les internes demandent un « Grenelle de la santé », M. Gaymard, Grenelle existe.
Hervé Gaymard : Grenelle existe et d’ailleurs c’est nous qui l’avons institué, et je crois que c’est une très bonne chose parce que, dans notre pays, il faut que nous ayons sur les questions de santé un débat adulte et permanent parce que ce qui me frappe, c’est que depuis une trentaine d’année, ces questions-là n’étaient abordées que soit à l’occasion de plans de la Sécu, où en général on augmentait des impôts et des cotisations, ou soit à la faveur de scandales ou de graves problèmes de santé publique. Et précisément, l’objectif d’Alain Juppé, dans sa réforme de mettre le malade et la qualité des soins au cœur de la réforme, c’est précisément que nous ayons un débat permanent, serein et adulte sur les questions de santé.
P. Lapousterle : Est-ce que ce n’était pas une petite bêtise d’avoir légiféré par ordonnances dans cette affaire au lieu de laisser le débat se faire au Parlement et puis légiférer ensuite ? Cela n’aurait-il pas été mieux pour tout le monde ?
Hervé Gaymard : Deux réflexions : la première c’est que cela fait longtemps, dans notre pays que l’on parle de réforme de la protection sociale. On ne l’avait jamais faite. Et il y a eu avant le discours du Premier ministre beaucoup de travaux, et d’ailleurs avant qu’Alain Juppé ne soit Premier ministre. Quand il l’est devenu, il a lancé une concertation qui est maintenant un peu oubliée mais qui a duré tout l’automne 1995 et ensuite, après le discours d’Alain Juppé, avec Jacques Barrot, pour l’élaboration des ordonnances, nous avons concerté pendant six mois. Et pour les décrets d’application qui se sont étalés tout au long de l’année 1996, là encore nous avons concerté. Je crois qu’en réalité, il s’agit de sauver notre système de protection sociale qui est à la fois libre et solidaire. C’est cela et seulement cela l’enjeu. Et je voudrais dire aux professions de santé qu’il ne s’agit pas de les brimer, comme je l’entends dire parfois, mais qu’au contraire, il s’agit de proposer dans le cadre de cette réforme, un contrat de progrès avec les professions de santé pour sauver notre médecine libérale et solidaire.
P. Lapousterle : Du côté du pouvoir on a toujours parlé de malentendus pour définir le conflit qui oppose les professions médicales dans leur ensemble au Gouvernement sur cette affaire de plan de Sécurité sociale. Est-ce que vous croyez que c’est le bon terme depuis le temps que vous vous expliquez et que vous parlez avec ces heures et ces dizaines d’heures de réunion que vous avez eues ? Est-ce qu’il n’y a pas tout simplement un conflit, c’est-à-dire une manière différente de voir les intérêts du malade et de la médecine dans l’affaire ?
Hervé Gaymard : Non, s’il y a conflit ou divergence d’appréciation, ce n’est pas l’intérêt du malade et de la médecine.
P. Lapousterle : C’est pourtant ce que disent les médecins ?
Hervé Gaymard : Je suis peiné de voir des argumentations qui sont démagogiques. Qu’on ne me dise pas qu’on rationne les soins dans un pays qui, fort heureusement, dépense 600 milliards de francs par an pour la santé. Je vous signale que toute proportion gardée, c’est 200 milliards de plus que ne dépense la Suède par tête d’habitant, et c’est 80 milliards de plus que ne dépense l’Allemagne. En réalité, ce que nous voulons faire et ce que nous ferons avec tous les médecins, toutes les professions de santé et tous les Français, c’est maintenir notre système de protection sociale libre et solidaire en luttant contre les abus et les gaspillages pour éviter encore et toujours d’augmenter les cotisations maladies, la CSG ou les impôts. Si on veut continuer, chaque année, ou chaque deux ans, augmenter les cotisations maladies et la CSG, continuons comme cela et ne mettons pas de pilote dans l’avion. Nous, ce que nous disons seulement, c’est que nous avons la chance d’avoir un système unique au monde avec de la liberté pour le malade, de la liberté pour le médecin, le tout remboursé par la Sécurité sociale ; et que pour sauver ce système unique au mode, il faut mettre de la responsabilité à tous les niveaux.
P. Lapousterle : La responsabilité doit être collective ? C’est-à-dire que les bons médecins s’ils sont dans un mauvais département, devront payer ?
Hervé Gaymard : Non, il ne s’agit pas de cela. Là-aussi, il y a des idées fausses qui circulent. Le cœur de la réforme de la protection sociale c’est de mettre en place ce que l’on appelle un peu dans le jargon, la maîtrise médicalisée de la dépense. C’est-à-dire le codage des actes et des pathologies, ce qu’on appelle des références médicales opposables pour les bonnes pratiques, l’informatisation des cabinets de médecins, la formation médicale continue.
P. Lapousterle : Et si on dépasse le budget dans un département, et que le médecin a respecté ce qui lui est demandé ?
Hervé Gaymard : Ce n’est pas aussi simple que cela. Nous avons une médecine qui est rémunérée à l’acte – ça, chaque Français le comprend –, si les dépenses sont respectées, on revalorise l’acte. C’est ce qui va se passer cette année : il y a un milliard 700 millions de provisions dans la convention médicale pour augmenter les honoraires des médecins rétroactivement à la fin de l’année. La question qui se pose, c’est : que se passe-il si l’objectif n’est pas respecté ? Je ne vais pas rentrer dans le détail mais tout d’abord on identifie les causes du dépassement de l’objectif et, bien évidemment, tout ce qui est dû à des épidémies, à des traitements lourds et coûteux, ou à des décisions du Gouvernement en matière de santé publique comme des vaccinations par exemple. Il est bien évident qu’on le met à part et dans l’hypothèse où il y aurait deux ans de suite un grave dépassement, il y aurait une modulation individuelle de reversement. Il est donc faux de dire qu’il y a des sanctions collectives.
P. Lapousterle : Comment sortir de ce conflit ?
Hervé Gaymard : Je crois que les femmes et les hommes de bonne de volonté arrivent toujours à sortir des conflits. Moi, je suis assez frappé…
P. Lapousterle : Parce que cinq semaines, c’est long.
Hervé Gaymard : Oui, c’est long mais je voudrais dire que je me rends compte que je suis beaucoup sur le terrain – dans ma circonscription ou ailleurs – et quelque part, les Français sont bien conscients de la nécessité de mettre de la responsabilité dans notre système. Je crois que nous sommes dans une fin de siècle où il faut éviter les conservatismes. J’ai une petite anecdote historique : la première convention médicale a eu lieu en 1960. À l’époque, c’étaient des conventions départementales. À l’époque, une délégation de médecins compagnons de la Libération est allée voir le général de Gaulle à l’Élysée et lui ont dit : « Mon général, c’est la fin de la médecine française. » 37 ans après, est-ce que le fait de faire des conventions avec la Sécurité sociale a mis fin à la médecine libérale française ? C’est exactement le contraire. Alors moi, je dirais aux médecins et à tous ceux qui peuvent parfois être inquiets parce qu’on essaye de les inquiéter, je leur dis : n’ayez pas peur, soyons positifs. Nous avons la chance d’avoir un système fantastique et c’est tous ensemble que nous le sauverons.
P. Lapousterle : Vous allez les rencontrer aujourd’hui ?
Hervé Gaymard : Avec Jacques Barrot, on les a reçus évidemment, à cinq reprises, je crois, depuis quelques semaines. Il y a un centre de discussion avec nos collaborateurs et nos directeurs de cabinet à deux reprises à la fin de la semaine dernière, une rencontre devrait avoir lieu je pense aujourd’hui, en tout cas dans les jours qui viennent.