Texte intégral
RTL : Les députés français sont formels : si le Gouvernement a bien réagi au coup par coup, depuis mars dernier dans l’affaire de la « vache folle », la France ne dispose pas d’organisme efficace, capable de lutter contre les fraudes. Prenons le premier cas : l’importation et l’utilisation des farines contaminées. Tellement de services sont concernés que l’on ne sait pas où l’on en est, disent les députés.
P. Vasseur : Vous avez une lecture un peu particulière du rapport que moi, j’ai examiné avec soin. J’ai lu le rapport, qui est un rapport parlementaire, et j’y trouve beaucoup d’informations et beaucoup de motifs de satisfaction. Je cite une phrase extraite de ce rapport : « les principales mesures prises par le Gouvernement français et, souvent à son initiative, par l’Union européenne, paraissent adaptées et susceptibles de répondre correctement aux données scientifiques actuelles, tant sur le plan de la santé publique que de la santé animale. »
RTL : « Il y a des choses à améliorer », disent les députés.
P. Vasseur : Il y a des dysfonctionnements administratifs.
RTL : Parlons des farines : est-ce qu’aujourd’hui, en France, il y a encore des farines contaminées sur le sol français et est-ce qu’il y a encore une possibilité de fraude ?
P. Vasseur : Aujourd’hui, non. On a constaté, d’ailleurs après coup, qu’il y avait eu des farines entrées frauduleusement en France après l’interdiction. Il y a eu une polémique d’ailleurs sur les chiffres, polémique à laquelle il ne m’appartient pas de participer parce que les chiffres sont les chiffres des douanes. Moi, je n’ai strictement rien à voir dans cette affaire. Je crois qu’aujourd’hui, on peut faire confiance aux services des douanes et de la Direction générale de la répression des fraudes pour que les contrôles soient exercés comme ils doivent l’être. Il y a eu, c’est vrai, à un certain moment, des dysfonctionnements administratifs. Je ne veux pas chercher les responsabilités, ce n’est pas important C’est vrai qu’il y a eu, lorsque nous avions décrété – et ce n’est pas moi qui l’avait décrété, c’est H. Nallet, l’un de mes prédécesseurs socialistes – à juste titre, que les farines d’origine britannique ne devaient entrer en France, il y a eu des farines qui sont entrées frauduleusement. Il appartient à l’administration concernée de faire respecter la réglementation. Ce n’est pas une affaire de coordination, ni de dysfonctionnement administratif : les bavures, cela arrive.
RTL : D’une manière plus générale, les députés proposent la création d’une agence de sécurité sanitaire indépendante du ministère de l’agriculture ou du ministère de la santé, pour faire en quelque sorte prévaloir l’avis scientifique et prévaloir la santé publique sur les considérations économiques. Cela vous paraît être une bonne idée ?
P. Vasseur : Quand je relis les conclusions de ce rapport, il y a deux choses : il y a la demande d’une création d’une agence de santé publique et de surveillance épidémiologique indépendante au niveau européen. Et là, c’est indispensable. Ce que dit M. Mattei, enfin ce que dit le rapport parlementaire – ce n’est pas le rapport d’un homme, c’est le rapport d’une équipe, même si elle a été remarquablement animée par M. Mattei –, ce que dit ce rapport, c’est que pour suivre et évaluer – je pèse les mots, ce sont ceux-là – il y a besoin d’une agence de sécurité sanitaire. Mais ce que dit le rapporteur à la page suivante, c’est que, de toute façon, la mise en œuvre du principe de précaution doit rester subordonné à des critères d’appréciation politique. Donc, là-dessus, on est bien d’accord.
RTL : Qu’est-ce que cela veut dire, exactement ?
P. Vasseur : Cela veut dire la chose suivante : il doit y avoir des organismes ou un organisme d’experts – je rappelle d’ailleurs que nous avons mis en place un comité présidé par le Professeur Laurent, dont nous examinons et suivons les recommandations –, il doit y avoir un organisme scientifique de surveillance, mais la décision doit toujours revenir au politique. Je vais vous prendre un exemple très bref. On nous parle actuellement des organismes génétiquement modifiés, et vous voyez la polémique que cela soulève. Il y a eu trois comités scientifiques qui se sont prononcés sur cette affaire et si on avait donné aux scientifiques le pouvoir de gérer cette affaire, on aurait répandu les organismes génétiquement modifiés. C’est le politique, que je suis, qui a pris une décision qui était une décision appréhendant l’ensemble du problème, qui a dit : « moi, je ne donnerai l’autorisation qu’au coup par coup et de toute façon – ce que ne demandent pas les scientifiques – j’imposerai, avant la mise en marché, l’étiquetage ». Vous voyez bien que M. Mattei a raison lorsqu’il dit que c’est le politique qui doit prendre ces responsabilités.
RTL : D’accord mais tout de même, M. Mattei nous le disait ce matin, on relève également que dans un certain nombre d’affaires de santé publique – sang contaminé, amiante, hormones de croissance, etc. –, la France a manqué d’un organisme de surveillance purement scientifique qui puisse alerter le politique. Le politique ne peut réagir que lorsque le scandale a finalement éclaté, parce qu’il n’en est pas averti auparavant. Est-ce que ce ne serait pas utile d’avoir un avis scientifique en amont ?
P. Vasseur : Un avis scientifique en amont, bien entendu.
RTL : Pourquoi êtes-vous contre cette agence ?
P. Vasseur : Je n’ai pas dit que j’étais contre cette agence.
RTL : Vous êtes sceptique ?
P. Vasseur : J’ai dit – je persiste et je signe – qu’en France, en général, quand il y a un problème, on crée un comité ou un nouvel organisme. Servons-nous des outils qui existent, créons des outils supplémentaires lorsqu’il y a déficience des outils qui existent ou lorsqu’il y a un manque. Et de grâce, apportons des corrections lorsque nous nous apercevons qu’il y a dysfonctionnement. Nous avons un comité composé de scientifiques, qui nous propose des mesures extrêmement strictes que nous avons suivies. Deuxièmement, nous allons voter, au Parlement au mois de février, une loi sur la sécurité alimentaire qui va considérablement renforcer les contrôles et faire en sorte que les contrôles se produisent le plus tôt possible. C’est-à-dire pas au moment où le steak arrive dans l’assiette, mais au moment où l’on nourrit l’animal. Troisièmement, nous avons déjà réformé la Direction générale de l’alimentation pour bien séparer, au ministère de l’agriculture, ce qui était surveillance de la production de ce qui était contrôle. Je crois que nous avons déjà, presque préventivement – cela ne m’étonne pas, j’en avais discuté avec J.-F. Mattei – appliqué des recommandations qui figurent dans ce rapport.
RTL : Au niveau européen : est-ce que vous pensez qu’il faut que des sanctions apparaissent ? On a l’impression qu’au niveau européen, il y a une dilution complète. La Commission dit : ce n’est pas nous », le Gouvernement britannique dit : « on n’a pas à répondre aux Européens », les Allemands disent : « nous, on n’a pas une seule vache folle ». On a l’impression que tout le monde se renvoie le mistigri ?
P. Vasseur : Les sanctions ne sont pas mon affaire, ce n’est pas mon problème. Simplement, il y a, c’est vrai, il faut le reconnaître, des failles dans la pratique européenne. Des failles qui sont des failles passées et des failles qui sont encore, malheureusement, des failles présentes. C’est pour cela que je crois que J.-F. Mattei a raison de vouloir, au niveau européen, une agence indépendante qui puisse aller faire des contrôles en Allemagne, en Belgique.
RTL : Est-ce que vous diriez, comme les parlementaires européens, qu’au niveau européen, c’est la gestion économique qui prévaut sur la santé ?
P. Vasseur : J’ai le sentiment profond que, dans toute cette affaire, on n’a pas pris suffisamment en cause la défense des intérêts publics en quelque sorte, de la santé. Malheureusement, les raisonnements restent aujourd’hui encore entachés de certaines préoccupations. Premièrement, on nous dit : « il y a des pays dans lesquels il n’y a pas d’ESB ». Que l’on applique le même système de surveillance partout et on en reparlera.
RTL : Ça, c’est pour les Allemands.
P. Vasseur : Non, ce n’est pas pour les Allemands spécialement, il y en a d’autres. Vous allez m’expliquer comment il se fait que de la farine britannique et des bovins britanniques aient circulé sur tout le territoire européen et que la seule chose qui s’arrête aux frontières aujourd’hui, alors que nous avons la libre circulation des marchés et des personnes, c’est le prion. Il ne faut quand même pas exagérer. Deuxièmement, j’ai pu constater, au niveau européen, puisque j’étais l’un des porteurs de la défense de la santé publique, qu’il y avait encore aujourd’hui, lorsqu’il s’agit d’éliminer un certain nombre de matières de la fabrication des farines animales, ou lorsqu’il s’agit d’imposer un étiquetage obligatoire, j’ai pu constater que l’Europe n’avait peut-être pas encore tiré toute la leçon de la crise.