Interview de M. Jean-Marie Spaeth, secrétaire national de la CFDT et président de la CNAM, à RMC le 20 février 1997, sur le projet de convention entre la Sécurité sociale et les médecins pour la maîtrise des dépenses de santé.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Il reste douze heures pour que la Sécurité sociale, que vous présidez, et les 110 000 médecins français arrivent à un accord aujourd'hui. Dans quel étal d'esprit êtes-vous ce matin et est-ce que vous pensez qu'il y aura, ce soir, un accord entre les médecins et la Sécurité sociale ?

J.-M. Spaeth : Je ferai tout pour qu'il y ait un accord qui aille dans le sens de l'intérêt des assurés sociaux que je représente et des financeurs que vous êtes, vous et moi et les entreprises, et qui aille aussi dans le sens de donner un avenir à la médecine française car je pense qu'il faut rénover et redynamiser les rapports conventionnels. Dit autrement, il faut faire un véritable contrat entre les médecins et la Caisse, qui porte sur plusieurs sujets. Un premier sujet – mais il n'y a pas d'ordre -c'est la connaissance, c'est-à-dire arriver à avoir une information moderne, c'est tout ce qui tourne autour de l'informatisation des médecins, des cabinets, qui est un véritable outil d'aide à la décision aussi. Tout ce qui tourne aussi autour de la formation des médecins. Les ordonnances prévoient une politique de formation. Tout ce qui tourne – et c'est là un chapitre important – autour de la rémunération. L'objectif est, à partir d'un objectif de dépenses de santé, tant pour les généralistes que pour les spécialistes, de regarder – régionalement aussi – la part que l'on va mettre en provision et qui sera redistribuée en fin d'année 1997 si l'objectif est atteint et, deuxième version, si l'objectif n'est pas atteint, voir comment ce contrat s'applique aux médecins si l'objectif n'est pas respecté. »

P. Lapousterle : Vous n'avez pas dit votre pronostic, vous pensez qu'il y aura un accord ce soir ?

J.-M. Spaeth : On ne fait jamais de pronostic là-dessus. En tous les cas, le président a mandat du conseil d'administration – et le mandat est très solidaire là-dessus – d'arriver à une convention ; mais nous le ferons dans le cadre du respect des objectifs car il faut qu'une convention soit gagnant-gagnant. Les assurés sociaux ont droit à avoir une médecine de qualité et un prix de qualité.

P. Lapousterle : Pour les millions d'assurés sociaux que nous sommes, s'il n'y avait pas d'accord ce soir, qu'est-ce qui se passe pour nous ?

J.-M. Spaeth : S'il n'y a pas d'accord ...

P. Lapousterle : Ce qui peut arriver quand même ?

J.-M. Spaeth : Il faut toujours tout prévoir. Les assurés sociaux ne sont pas pénalisés mais il y aura, à partir du moment où il n'y a pas de contrat entre la Sécurité sociale et les médecins, ce que l'on appelle "un règlement minimum" qui va être appliqué. Il faut savoir qu'aujourd'hui, la Sécurité sociale paie pour une partie importante – 65 % – les cotisations des médecins. Dit autrement, pour éclairer les choses : lorsque l'on paie 110 francs chez un médecin et si l'on est remboursé à 100 francs, cela coûte à la Sécurité sociale non pas 110 francs mais entre 15 et 20 francs de plus ; eh bien, s'il n'y a pas de contrainte, nous avons proposé qu'à ce moment-là, la prise en charge des cotisations sociales ne se fasse pas dans les mêmes proportions ou dans des proportions inverses.

P. Lapousterle : Donc, cela ne coûtera rien à l'assuré social que nous sommes, cela coûtera aux médecins ?

J.-M. Spaeth : Mais il est bien évident que, quand on n'a pas de contrat, on n'a plus tout à fait les mêmes règles du jeu.

P. Lapousterle : Est-ce que l'on peut revenir à l'équilibre de la Sécurité sociale, c'est quand même l'objectif que vous affichez – et celui du Gouvernement –, est-ce que l'on peut donc faire des économies pour arriver à cet équilibre sans rationnement des soins ?

J.-M. Spaeth : Tout à fait, le rationnement des soins est une invention, à mon avis. Pourquoi est-ce une invention ? Je vais donner plusieurs exemples. Premièrement, la France est un des pays au monde où les dépenses de santé sont les plus élevées. Je n'ai pas connaissance que dans d'autres pays – l'Allemagne, l'Angleterre ou de multiples autres pays – il y ait rationnement des soins parce qu'ils dépensent beaucoup moins par tête d'habitant. Deuxièmement, lorsque je regarde les dépenses selon les régions françaises – je prends la base 100 – cela va de 80 dans une région à 120 dans l'autre.

P. Lapousterle : 50 % de différence ?

J.-M. Spaeth : 50 % d'écart. Je n'ai pas connaissance, dans la région à 80, qu'il y ait un rationnement, vous non plus. Nous étions partis en début 1996 sur une pente de dépenses de l'ordre de 5 % de plus, nous en sommes arrivés, à fin décembre, à des dépenses négatives, ce qui ne veut pas dire, en clair, qu'on n'a plus dialysé, qu'on n'a pas fait de transplantation cardiaque, qu'on n'a plus soigné les gens en décembre malgré tous les discours de rationnement qui sont faits par une minorité de médecins.

P. Lapousterle : Mais c'est terrible ce que vous dites, cela veut dire que l'on gaspille 50 % des sommes dépensées ?

J.-M. Spaeth : Là, vous allez un peu vite en besogne !

P. Lapousterle : Si vous dites qu'un écart de 50 % existe d'une région à une autre et qu'il n'y a pas de différence à l'arrivée, cela veut dire que l'on gaspille 50 % des sommes dans la première région.

J.-M. Spaeth : Vous allez vite en besogne. Je dis simplement qu'il y a des écarts entre les uns et les autres qui ne s'expliquent pas du point de vue médical. Donc, l'objectif de la CNAM n'est pas du tout d'aller vers un rationnement. Je prends un autre exemple : quand on consomme 30 % de plus de médicaments en France que dans d'autres pays, il y a quand même un véritable problème, y compris de santé publique. Alors l'objectif, pour nous, est d'arriver à ce que le code de déontologie de chaque médecin, qui est de dire "il faut faire les meilleurs soins aux meilleurs coûts", devienne une règle collective de la part de l'ensemble des médecins et c'est sur ces codes-là que doivent se fonder les rapports avec la Sécurité sociale. Je propose donc que l'on réfléchisse à une charte de qualité de la médecine, une qualité des soins.

P. Lapousterle : Le 16 mars prochain, la majorité des médecins – puisque le plus grand syndicat fait partie des trois syndicats qui appellent à la manifestation du 16 mars – vont manifester pour dénoncer devant les Français le risque de rationnement des soins. Alors pourquoi ce que vous venez de nous dire ne convainc pas la majorité des médecins ? C'est quand même un problème, vous en conviendrez ?

J.-M. Spaeth : Je ne suis pas du tout sûr que la majorité des médecins pensent ce que vous venez de dire.

P. Lapousterle : La majorité des syndicats, excusez-moi.

J.-M. Spaeth : Ce n'est pas tout à fait pareil. Mais je ne peux pas empêcher un syndicat d'aller manifester, c'est son droit le plus strict. Je suis un peu surpris, alors que l'on n'a pas encore terminé les négociations, que tout le monde affiche… Je note d'ailleurs, de la part de la CSMF, une avancée positive lors de la dernière réunion, qui a d'ailleurs indiqué qu'elle s'inscrivait dans les ordonnances, y compris sur la question controversée, mal controversée d'ailleurs, des reversements. Donc, lorsque je discute avec les médecins, et j'en rencontre beaucoup, je crois que tous ont pris conscience que demain ne peut plus être tout à fait comme hier et qu'il y a nécessité d'avoir des règles pour une meilleure coordination des soins, pour une meilleure pratique médicale qui articule mieux généralistes, spécialistes, hôpital, qui permette de privilégier le temps qu'ils passent avec un patient plutôt que la multiplication d'actes. Cela ne fait pas plaisir aux médecins de multiplier parfois les actes inutiles. Donc il faut que, tous ensemble, on arrive à faire prendre conscience et aux médecins et aux patients que l'on peut faire une médecine de qualité – voire de meilleure qualité – sans forcément toujours dépenser plus. Ma conviction est que si l'on ne se fixe pas des objectifs financiers, on ne se posera jamais la question de savoir si un acte est utile ou inutile.

P. Lapousterle : Vous qui êtes aux cordons de la bourse, M. Spaeth…

J.-M. Spaeth : Oh non. Je suis aux cordons de la bourse dans l'intérêt des assurés sociaux, de manière à ce qu'ils aient des soins de qualité car si le déficit de la Sécurité sociale continue à être permanent, c'est la remise en cause d'une Sécurité sociale fondée sur la solidarité nationale.

P. Lapousterle : Et cela pourra continuer sans hausse de cotisation, tout cela ?

J.-M. Spaeth : C'est une question qui se posera au moment où l'on aura tous la certitude et la conviction, sur des faits objectifs, que le cadre financier actuel est insuffisant. Bien entendu, il faudra un jour regarder – je ne sais pas si ce sera dans trois ans, dans quatre ans – mais aujourd'hui la question n'est pas d'actualité, à l'évidence.