Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Figaro" du 21 février 1997, sur la qualité des produits agricoles et la possibilité de passer un "contrat de confiance" avec les consommateurs pour certains produits agricoles.

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Le Figaro : Comment les agriculteurs vivent-ils la psychose qui s'est emparée des consommateurs depuis l'affaire de la vache folle et, de manière plus globale, la prise de conscience du « risque alimentaire » ?

Luc Guyau : Une fois « digéré » un choc psychologique sans pareil, les agriculteurs ont dû supporter les conséquences économiques de la crise de la vache folle. Sans la solidarité financière nationale et européenne, nombre d'entre eux auraient dû cesser leur activité. Le temps est alors venu de la remise en cause.

Dans leur majorité, les producteurs ont compris qu'il leur fallait être plus proches des consommateurs, répondre aux nouvelles demandes. Tous sont désormais convaincus que leur avenir passe uniquement par la maîtrise de la qualité sous toutes ses formes.

À leur décharge, toutefois, il faut bien admettre que pendant des décennies la nation a surtout demandé à ses paysans de la nourrir correctement et le moins cher possible. Cette mission a été remplie au-delà de ses objectifs puisque, parallèlement, les agriculteurs ont amélioré la qualité de leurs produits.

Il était difficile d'y parvenir tout en dotant la France de denrées les plus saines possibles. Cela, pourtant, a été fait. Évoque-t-on encore la « bibine » du Languedoc ? Se souvient-on du poulet aux hormones des années soixante-dix ? Les labels, la reconnaissance de l'excellence, ont révolutionné la finalité de la production. On ne peut que s'en féliciter.

Mais il est vrai qu'il faut aller encore plus loin : mieux identifier les produits, remonter les filières, en somme instaurer la transparence même si chacun sait que le risque zéro n'existe pas. Mais, je le souligne à nouveau, le souci premier des agriculteurs consiste bien à assurer la sécurité des consommateurs.

Le Figaro : Les agriculteurs se seraient-ils ralliés à l'économie de marché ?

Luc Guyau : Longtemps, les agriculteurs n'ont fait que répondre aux demandes spécifiques du pays. Aujourd'hui, ils s'adaptent logiquement aux nouvelles règles du marché. Faut-il rappeler qu'entre 1955 et 1960 il y avait encore des tickets de rationnement ? Il fallait alors produire pour le plus grand nombre. Les nouveaux producteurs sont maintenant conscients de la limite des politiques d'intervention. Ainsi ont-ils établi des relations de plus en plus contractuelles avec la grande distribution, interface naturelle avec les consommateurs. Il serait donc injuste de taxer les agriculteurs de conservatisme.

En revanche, des enjeux concernent également les consommateurs qui ne saisissent pas toujours les nuances du changement actuel. Exemple : lorsqu'ils parlent de qualité, font-ils davantage confiance aux marques qui proposent des ingrédients pas toujours bien identifiés, ou aux produits émanant directement des producteurs ? Pour ce qui est des marques, il s'agit d'une relation de confiance entre un consommateur et une entreprise. Mais il est clair que pour les agriculteurs, la politique de marques ne peut être le seul axe de la politique d'identification des produits.

Le Figaro : Comment expliquez-vous l'attitude officielle française vis-à-vis de l'utilisation des produits génétiquement modifiés ?

Luc Guyau : Je ne m'explique pas cette contradiction. On aurait très bien pu interdire en même temps la culture et l'importation des produits génétiquement modifiés. Il y aurait au moins une cohérence. Concernés au premier chef par cette évolution technologique, nous exigeons de toute façon des garanties d'ordre sanitaire. Mais il est difficile de comprendre pourquoi ce qui provient des États-Unis est recevable et pas ce qui peut être produit chez nous. C'est dangereux ou pas.

Mais s'il n'y a aucun risque – ce qui semble être prouvé – notre frilosité risquera de coûter très cher autant aux agriculteurs qu'à la collectivité. En effet, pendant que les Américains progressent dans cette nouvelle technologie de manière vertigineuse, en s'imposant sur les marchés mondiaux, nous restons dans l'impossibilité de faire des tests grandeur nature.

Le problème est d'autant plus grave que certains seraient prêts à aller jusqu'à remettre en cause le principe même de la recherche fondamentale. Si tel devait être le cas, ce serait une catastrophe. Au nom de quoi peut-on empêcher d'accompagner le progrès.

L'acier a servi à fabriquer des bombes, mais aussi des voitures. Il en est de même pour le nucléaire. Pourquoi le problème serait-il différent à propos des biotechnologies ? D'autant que l'on se trouve, avec cette affaire, autour d'une bataille politico-économique qui a pour nom la « guerre des semences ». Au-delà du risque de mettre en cause notre propre indépendance alimentaire, peut-on envisager de confier, à terme, aux seuls Américains le monopole de nourrir la planète ?

Si une firme comme Monsanto est devenue, en moins de trois ans, le premier producteur mondial de semences, il y a bien quelques raisons…

Le Figaro : Le responsable agricole que vous êtes est-il prêt à passer un contrat de confiance avec les consommateurs ?

Luc Guyau : Dans certains cas, forcément ponctuels, oui. Il s'agirait alors de contrats tripartites entre les producteurs, l'opinion publique (celle-ci intégrant aussi la classe politique) et le consommateur. Je suis prêt à prendre des engagements en ce qui concerne la traçabilité, la transparence, une plus grande ouverture vers le monde des villes. Encore faut-il que les agriculteurs à qui on demande beaucoup puissent vivre correctement. On nous accable souvent injustement parce que nous devons parfois assumer un passé où on nous demandait essentiellement de produire toujours plus.

Nous sommes pourtant tout autant que les citadins attachés à améliorer notre environnement. Un exemple ? Dans « mon » bocage vendéen, nous avons entrepris de replanter 1 000 kilomètres de haies par an pour réparer certaines erreurs d'un remembrement pas toujours bien maîtrisé. Tant qu'il y aura des agriculteurs, le territoire sera sauvegardé… La qualité, la sécurité sont des notions qui s'inscrivent dans le temps.

Le Figaro : La loi d'orientation agricole cerne-t-elle bien, selon vous, l'ensemble des problèmes qui vont se poser à l'agriculture dans les prochaines années ?

Luc Guyau : En tout premier lieu, il convient de définir l'esprit de la loi dans le premier paragraphe ce que la France attend de son agriculture en termes de qualité, du nombre d'agriculteurs, sur quels territoires. Faire cohabiter les différents types de production. Établir des relations de confiance entre les producteurs, les transformateurs et les consommateurs. Repenser l'organisation économique du secteur coopératif lequel, pour l'heure, aurait plutôt tendance à gérer ses contradictions.

Mais au-delà, il s'agit surtout de jeter les bases d'une agriculture devant servir de modèle à l'Europe avant les prochaines grandes négociations commerciales. En somme, il s'agit de faire en sorte que l'Europe puisse être totalement partie prenante en ce qui concerne l'approvisionnement alimentaire de la planète.

La France, second producteur mondial, peut, à juste titre, prétendre remplir cette mission.