Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à France-Inter le 13 février 1997, sur les grandes lignes de la loi d'orientation agricole, l'installation des jeunes agriculteurs et la compétitivité dans le secteur agro-alimentaire.

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Média : France Inter

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A. Ardisson : Le Premier ministre et le ministre de l’Agriculture ont indiqué hier leur refus d’autoriser la mise en culture des semences transgéniques. En attendant d’en savoir plus, ce type de culture restera confiné au titre expérimental. C’est une volte-face de la part du Gouvernement, pour vous c’est une bonne ou mauvaise chose ?

L. Guyau : C’est une décision incohérente puisque l’on autorise l’importation de maïs transgénique mais on interdit aux agriculteurs français de le produire sur notre territoire. Alors, on interdit tout ou on autorise tout mais on ne crée pas une distorsion de concurrence supplémentaire entre les produits importés et les produits de notre territoire. Pour le reste, il est vrai qu’il faut être attentif à la santé des consommateurs, identifier les produits et s’assurer que les scientifiques nous donnent bien toutes les assurances vis-à-vis de l’innocuité de ces produits-là.

A. Ardisson : Où va votre préférence ?

L. Guyau : Je dirais qu’il ne faut surtout pas se précipiter. L’attente est sans doute nécessaire pour en savoir un peu plus en matière scientifique, mais pourquoi donc a-t-on autorisé les importations ? Il faudrait peut-être faire marche arrière sur les importations parce qu’on a bien l’impression que la pression des entreprises internationales et en particulier américaine, en matière économique, a été plus forte que l’avis des scientifiques.

A. Ardisson : P. Vasseur a présenté hier les grandes lignes de la loi d’orientation agricole qui sera encore discutée le 21 février lors de la conférence annuelle. Comment percevez-vous cet avant-projet de loi : un virage important après trente ans de productivisme, une façon de vous protéger ou bien, au contraire, de vous préparer à la diminution des subventions ?

L. Guyau : C’est surtout une manière de faire en sorte que l’agriculture puisse vraiment répondre à la demande de la société d’aujourd’hui. La dernière loi d’orientation, il y a trente ans a demandé aux agriculteurs de moderniser leurs exploitations pour répondre à la demande alimentaire, nous l’avons fait.

A. Ardisson : La demande quantitative ?

L. Guyau : Oui, à la demande quantitative. N’oublions pas qu’à l’époque, nous manquions de nourriture au niveau de la France et de l’Europe. Nous sommes devenus ensuite exportateurs en Europe, exportateurs dans le monde, le premier exportateur en matière de produits agricoles de base et le deuxième exportateur en produits transformés. Aujourd’hui, le citoyen demande toujours à être nourri en quantité, mais il est de plus en plus exigeant sur la qualité des produits, et plus que la qualité, il veut savoir comment sont produits ces aliments et d’où ils viennent. Toutes les relations des producteurs avec la qualité des produits mais aussi avec les façons culturales sont devenues importantes.

A. Ardisson : Mais soyons sérieux : on ne peut pas faire les deux.

L. Guyau : Si, on peut faire les deux puisqu’il y a déjà des agriculteurs qui ont bien commencé et quand vous voyez aujourd’hui combien, depuis plusieurs années, les agriculteurs se sont pris en main pour mieux maîtriser les apports d’engrais, les apports de phytosanitaires, de mieux maîtriser l’eau ! Alors, vous me direz qu’il y a encore du chemin à faire. Oui, mais nous le faisons et il y a des avancées considérables. Nous répondrons progressivement, de mieux en mieux à cette idée de quantité mais surtout de qualité.

A. Ardisson : N’avez-vous pas l’impression que vos mandants sont en train de devenir chèvres ? Pendant des années, on leur a dit : faites de la quantité, investissez dans les machines et aujourd’hui, on leur dit presque : faites de l’agriculture extensive. C’est un virage à 180 degrés ?

L. Guyau : On ne leur dit pas forcément de faire de l’agriculture extensive, on leur dit de mieux maîtriser les cycles végétatifs de leurs productions, les cycles avec les animaux, et aujourd’hui, tout cela peut se faire tout à fait dans une modernité. Il ne faut surtout pas refuser et regretter la modernisation de l’agriculture car elle a répondu à la demande des consommateurs. Mais malgré cela, quand vous regardez les efforts faits par la viticulture depuis quinze ans sur la qualité des produits, cette amélioration de la qualité a été faite par la modernisation aussi. C’est une question d’orientation, c’est une question de soutien nécessaire pour pouvoir promouvoir cette qualité. Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est que le consommateur puisse aller dans les fermes pour voir avec les agriculteurs comment sont produits les aliments et élevés les animaux. Ce n’est pas une révolution mais une évolution tout à fait normale. Mais il ne faudrait pas oublier que cette loi d’orientation doit nous donner surtout le souffle pour la puissance économique de l’agriculture en France, en Europe et dans le monde.

A. Ardisson : Peut-on améliorer cet avant-projet ?

L. Guyau : Oui, bien sûr on peut l’améliorer. Il faut donner un souffle supplémentaire parce que je pense qu’en matière économique d’une part, et d’autre part en matière d’aménagement du territoire, on n’a pas lié assez les deux. C’est-à-dire que trop de personnes aujourd’hui voudraient séparer la partie économique de la partie sociale et aménagement du territoire. Nous ferons de l’aménagement du territoire pour répondre à la demande des citoyens, c’est-à-dire une France propre, accueillante qui puisse permettre des espaces de respiration dans la mesure où il y aura de l’activité. C’est à partir de l’activité agricole, artisanale et commerciale que l’on maintiendra des populations, donc que l’on maintiendra une France équilibrée. Mais pour cela, il faut que l’acte de production soit au centre du développement de l’agriculture.

A. Ardisson : Concrètement ça veut dire quoi ?

L. Guyau : Ça veut dire qu’il faut pouvoir donner, dans le cadre de cette loi, les éléments législatifs qui permettent d’améliorer la situation du statut des personnes et des entreprises pour les rendre plus compétitives, dans le cadre de la fiscalité, dans le cadre des successions pour permettre aux jeunes de s’installer, car aujourd’hui, s’installer, ce n’est pas très facile. Ça nécessite aussi de pouvoir permettre aux agriculteurs de contribuer par leur pouvoir économique à la promotion de leurs produits et de leur qualité, c’est-à-dire ne pas en faire que des producteurs qui se désintéressent du produit après qu’il ait quitté leur ferme. Ça nécessite aussi, en termes législatifs, que nous soyons un acteur parmi d’autres, mais un véritable acteur dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. Et je le redis, il faut que l’on mette en œuvre tous les moyens pour pouvoir continuer à exporter car, je le rappelle, si nous devions cesser d’exporter demain matin, il faudrait supprimer dès le lendemain matin plus de 25 % des agriculteurs. Un quart des agriculteurs français travaillent pour l’exportation.

A. Ardisson : Quel est le bon chiffre d’agriculteurs ? Hier soir P. Vasseur, invité du Téléphone sonne, a dit que, d’après lui, le chiffre de 550 000 était atteignable.

L. Guyau : Il est très difficile de donner des chiffres sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, nous sommes 730 000 agriculteurs dans lesquels il y a des doubles actifs divers, quelques retraités, 450 000 à 500 000 agriculteurs à temps plein. Il faudrait au moins maintenir ce chiffre de 500 000 agriculteurs à temps plein auxquels s’ajouteraient 250 000 agriculteurs divers et doubles actifs parce qu’ils font partie vraiment de l’agriculture et contribuent à l’économie et à l’aménagement du territoire. Je crois que nous sommes rendus, surtout dans certaines régions, à un seuil de diminution du nombre des agriculteurs qui est dangereux non seulement pour les agriculteurs mais pour l’ensemble de la société.

A. Ardisson : Imaginez qu’un jeune, votre enfant peut-être, vous demande conseil pour s’installer. Vers quel type d’agriculture l’orienterez-vous ?

L. Guyau : La première chose que je lui dirais, c’est d’abord de profiter de ses plus jeunes années pour mettre le maximum d’atouts de son côté dans le cadre de la formation. Deuxième chose, qu’il aille voir vraiment ailleurs, dans les autres fermes, dans les autres départements, dans les autres pays – qui sont des partenaires ou des concurrents. Car aujourd’hui, il faut avoir une vision claire du marché pour nos produits. On ne peut plus produire simplement comme ça, pour le plaisir de produire, il faut produire pour un marché. Donc bien connaître les autres éléments. Troisième chose : de tout mettre en œuvre avec ses voisins, avec ses collègues pour que la solidarité, qui a toujours fait la force de l’agriculture, puisse jouer à plein dans le cadre de l’agriculture de groupe et de l’installation. Et puis, pour le reste, je crois que c’est la relation avec le marché, la compétitivité dans l’exploitation, c’est-à-dire la compétitivité qui n’est pas que la productivité à l’extrême mais de faire en sorte qu’on allie facilement valorisation des produits et aussi diminution des charges. Et puis, de passer de véritables contrats avec les entreprises agro-alimentaires, qu’elles soient dans le cadre coopératif, qui est la continuité de nos exploitations, ou qu’elles soient privés puisque nous ne pouvons pas demander aux jeunes agriculteurs, demain : « produits et tais-toi ». Les agriculteurs doivent pouvoir participer réellement à l’acte commercial de leurs produits. C’est le meilleur garant pour les consommateurs.