Texte intégral
Q - Le Parti socialiste rêve-t-il d'une France de salariés actionnaires ? Serait-ce un nouvel “effet Michelin ?
- Les annonces de Michelin nous ont confirmé qu'il faut renforcer les droits d'information et de consultation des salariés par rapport aux décisions qui les concernent et leur donner une capacité supplémentaire d'intervention dans les choix de leur entreprise. L'idée est d'actualiser les lois Auroux et d'introduire un mécanisme permettant aux salariés de détenir collectivement, une part du capital de leur société, favorisant ainsi leur représentation dans les conseils d'administration ou de surveillance.
» Longtemps, la gauche n'a considéré la propriété du capital que sous deux formes : purement publique, à travers les nationalisations, ou totalement privée, à travers la reconnaissance du marché. Aujourd'hui, il faut prévoir, pour le secteur privé, des formes d'épargne salariale qui, sans altérer la négociation sur les salaires, organisent un prélèvement sur les bénéfices en faveur de ceux qui concourent en fait à les dégager.
» Ce système aurait deux avantages : d'abord, une participation plus directe aux résultats des entreprises, ce qui réduirait les inégalités entre revenus du travail et revenus du capital ; ensuite, par la gestion collective de ces fonds, un pouvoir d'intervention des salariés dans la vie de l'entreprise, ce qui réduirait le pouvoir des seuls détenteurs de capitaux.
Q - Le PS se convertit-il à la cogestion ?
- Les socialistes ont été longtemps condescendants à l'égard des sociaux-démocrates allemands ou scandinaves, qui avaient introduit des éléments de cogestion. Reconnaissons-le, notre objectif était alors la démocratisation de l'économie à travers la présence et l'extension du secteur public. Dès lors que notre but n'est plus la socialisation des moyens de production, il est indispensable de ne pas laisser le secteur privé sans règles – c'est le sens de l'économie régulée développée par Lionel Jospin – ni les actionnaires décider seuls, sans l'intervention des salariés, en fonction d'intérêts purement financiers. Il ne s'agit pas de cogérer, mais d'attribuer aux salariés des instruments pour faire prévaloir des solutions de long terme.
Q - Souhaitez-vous une extension des formules d'intéressement et de participation ?
- Je plaide pour une loi sur l'épargne salariale mettant à plat toutes les formules existantes (intéressement, plan d'épargne entreprise, participation, stock-options) pour les intégrer dans un système plus égalitaire, plus transparent, et qui ne se limite pas à des seuls critères de rendement ou de rémunération. Je propose que, comme pour les accords de participation, ces fonds soient gérés par les partenaires sociaux pour éviter l'individualisation observée aujourd'hui, pour constituer les structures justifiant la représentation dans les conseils d'administration et pour peser sur les choix d'investissement et d'emploi. C'est autant, sinon plus, un moyen de renforcer le pouvoir des salariés que de dégager de l'épargne supplémentaire. Il s'agit, parallèlement, de modifier le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés.
Q - Tout en refusant les “fonds de pension à la française”, attendez-vous d'une épargne salariale de longue durée qu'elle complète le système de retraite par répartition ?
- Les fonds de pension à la française ne seraient pas d'une nature différente de leurs homologues américains. La nationalité de la compagnie d'assurances change, mais les critères s'égalisent. C'est pourquoi nous y sommes hostiles. Je ne suis pas convaincu qu'il faille nécessairement établir un lien entre le développement de l'épargne salariale et la préparation de la retraite. Ce sont deux problèmes différents. Ils peuvent avoir des interférences, l'un pouvant servir à l'autre, mais ils justifient un traitement séparé. Pour nous, l'épargne salariale de longue durée ne peut en aucun cas affaiblir les systèmes de répartition.
Q - Etes-vous opposé au principe des stock-options ou admettriez-vous une extension à l'ensemble des cadres dès lors que serait assurée une réelle transparence ?
- J'ai pour ma part souhaité que, dans la loi de finances 2000, aucune disposition nouvelle ne soit votée sur les stock-options ou ce qui s'y apparente. Tout doit être renvoyé à la loi sur l'épargne salariale prévue pour le premier semestre 2000. Quant aux stock-options, dont on voit les effets aussi choquants qu'injustifiables dans l'actualité, je suis pour une remise en question de leurs avantages fiscaux, une extension à l'ensemble du personnel et une totale transparence.
» Ces produits existent, c'est vrai, partout dans le monde, ils n'ont pas toujours une fiscalité favorable et ne doivent pas constituer une évasion fiscale pour les dirigeants d'entreprises. En outre, je ne voudrais pas qu'au nom de la transparence on allège de quelque façon que ce soit les prélèvements sur ces mécanismes car à l'injustice dans la distribution des rémunérations s'ajouterait l'inégalité dans les modes d'imposition, la lutte contre les inégalités, notamment patrimoniales, est le sens même de la démarche socialiste. »