Texte intégral
France 2 : Peut-on dire sur la question des retraites généralisées à 55 ans : Balladur, Juppé, Barre et Delors, même combat ?
J. Delors : Non, je pense que la généralisation de la retraite à 55 ans n'est pas possible. J'ai choisi comme thème central de l'émission qui aura lieu tout à l'heure : « la société française ne s'occupe pas assez de sa jeunesse ». Il suffit que je vous dise qu'avec la retraite à 60 ans actuellement, un jeune qui travaillera en 2010 devra payer 26 % de son salaire contre 19 %, c'est-à-dire une amputation de 7 % de son pouvoir d'achat pour payer des retraites. Donc je crois que la généralisation des régimes de retraite se ferait aux dépens de notre avenir et de notre jeunesse. Mais ma seule différence avec les hommes de droite, c'est qu'il doit y avoir des exceptions. Je peux vous les indiquer ?
France 2 : Rapidement, oui.
J. Delors : Je pense que, par exemple, on a bien fait de donner la retraite à 55 ans aux chauffeurs de camion parce que, pratiquer ce métier pendant 50/55 ans, c'est extrêmement pénible ; et même pour la sécurité générale, c'est une mesure d'intérêt général. Je pense que l'accord qu'a fait l'Unedic, l'organisme chargé de payer les assurances-chômages, et qui permet à une personne de partir au bout d'un moment et de laisser sa place à un jeune, est une bonne proposition, quand l'intéressé a payé pendant 40 ans des cotisations d'assurance-chômage. Et il est possible aussi pour les travailleurs qui le souhaiteraient de finir leur carrière à partir de 55 ans à mi-temps, à condition là aussi qu'un jeune occupe l'autre partie de l'emploi à mi-temps. Donc ces exceptions méritent d'être gérées. Elles peuvent l'être dans des conditions financières acceptables.
France 2 : Que pense l'ancien Président de la Commission de Bruxelles du rapport de la commission d'enquête du Parlement sur la crise de la « vache folle » ?
J. Delors : J'ai suivi de près cette affaire, avant tout pour des questions liées à la santé. C’est l'essentiel. Le rapport met bien entendu l'accent sur les fautes principales commises par la Grande-Bretagne ; mais pour le reste, je peux vous dire que la Commission, depuis 1988, a consacré plus de réunions et plus de temps à s'occuper des conséquences de la « vache folle » sur la santé animale et surtout sur la santé humaine qu'elle n'a consacré de réunions à l'Union économique et monétaire. Et dès 1989/1990, nous avons proposé au Conseil des ministres - car la Commission propose et c'est le Conseil des ministres qui décide - nous lui avons proposé des mesures permettant d'interdire l'exportation des animaux qui pourraient être porteurs de cette maladie dans d'autres pays. Enfin, vers 1990, nous avons lancé des recherches en matière de sciences humaines, nous y avons consacré près de 20 milliards de francs. Pourquoi pas plus ? Parce qu'il n'y avait pas d'autres savants qui avaient répondu. Et enfin, nous nous sommes inquiétés de savoir si les pays avaient interdit - puisque que c'était de leur compétence - la fourniture de farines animales. La plupart des pays l'avaient fait. Voilà ce que je peux dire du point de vue de la Commission. Monsieur San ter s'expliquera sur tous ces événements devant la Commission. Je voudrais dire aussi que, d'après ce que disent les grands savants, il serait aussi stupide d'être alarmiste que d'être rassurant Et notamment, je crois que certaines parties de la bête - les parties nerveuses - sont plus affectées que d'autres, mais que pour le reste, je crois que bientôt les Européens pourront manger de la viande tranquillement, d'autant plus qu'on mettra pour chaque bête son origine, sa trace, de façon à rassurer le consommateur.