Interviews de M. Laurent Fabius, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à RTL le 8 janvier 1997 et dans "Le Nouvel Observateur" du 9, sur la personnalité de François Mitterrand, le "projet économique" du PS et ses priorités (emploi des jeunes, durée du travail, construction européenne) et sur la politique gouvernementale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Nouvel Observateur - RTL

Texte intégral

RTL - 8 janvier 1997

O. Mazerolle : Vous avez été le très jeune collaborateur de F. Mitterrand au Parti socialiste avant 1981, puis son Premier ministre. Quand, il y a un an, il est décédé, qui avez-vous perdu ? Un ami, un maître ou tout simplement un aîné en politique ?

L. Fabius : Surtout un ami puisqu'au départ, j'étais, sur le plan professionnel, son collaborateur. Et puis, au fur et à mesure, il s'est passé ce qui se passe souvent, à savoir que l'on est devenu amis. Le sentiment que j'ai éprouvé l'année dernière est la tristesse, comme beaucoup de gens, car c'est quelqu'un que j'aimais bien qui est parti.

O. Mazerolle : En conclusion de votre livre Les blessures de la vérité, vous écrivez que la politique est une conjuration contre la mort. Elle montre la confiance dans la capacité d'organiser et d'améliorer le futur. Au-delà de la mort, que reste-t-il aujourd'hui de la politique de F. Mitterrand ?

L. Fabius : Je parlais dans ce livre de la mort, s'agissant de F. Mitterrand, parce que j'avais toujours été frappé par son rapport avec la mort C'est quelqu'un qui se définissait, avant même ses choix politiques, par une certaine façon de combattre la mort et d'essayer de surmonter le temps. Je crois que c'est fondamentalement une des raisons pour lesquelles il s'est engagé en politique. Que reste-t-il aujourd'hui ? Ce qui est frappant, c'est que beaucoup de gens parlent de l'aspect vie personnelle de F. Mitterrand et c'est vrai que c'est un personnage de roman, d'un certain point de vue. De plus, on n'a pas le recul pour juger l'action. Mais au fur et à mesure que l'histoire passera, vous verrez que tout se décantera et vous verrez que ce qui restera, ce sera son engagement européen, les mesures qu'il a prises pour la liberté, pour la décentralisation, le fait qu'il a été le premier depuis des décennies à faire en sorte qu'il y ait une alternance en France. Tout cela restera, apparaîtra, débarrassé de la gangue de l'immédiat.

O. Mazerolle : Quelle est l'image, l'idée la plus forte qu'il vous a léguée, inculquée et qui vous motive ?

L. Fabius : Quand on veut, on peut J'ai entendu l'autre jour, sur une autre radio, une chronique très intéressante du philosophe A. Comte-Sponville qui disait qu'en début d'année, tout le monde parle d'espérance mais il ne faut pas se dire simplement que cela vient de l'extérieur. Quand on est en politique ou simplement dans la vie, il faut se demander : qu'est-ce que je veux, qu'est-ce que je peux faire ? L'espoir, oui et la volonté en plus. Et F. Mitterrand a montré par sa vie que, quand on veut on peut.

O. Mazerolle : C'est la faculté de faire rêver et beaucoup de Français vous diront qu'avec lui, ils ont découvert aussi qu'il y avait loin du rêve à la réalité.

L. Fabius : Oui, c'est l'ambivalence de beaucoup de personnages et en particulier de Mitterrand. C'est d'ailleurs sans doute ce qui plaisait aux Français. Les Français sont des gens qui aiment des Poulidor en politique, qui, à des moments différents, ont aimé le général De Gaulle et ont suivi le maréchal Pétain, qui ont des côtés très contradictoires et Mitterrand portait ses contradictions. Pas seulement parce qu'il étaie calculateur, il l'étai~ mais parce qu'il avait une vision philosophique très particulière. Il pensait que les choses et les êtres sont contradictoires, c'est-à-dire que l'on pouvait être à la fois blanc et noir, une chose et son contraire. C'est commode de temps en temps mais chez lui c'est beaucoup plus, d'où le sens de sa fameuse formule « il faut donner du temps au temps » car c'est seulement avec le temps qu'une personne devient ce qu'elle est et se transforme.

O. Mazerolle : Vous dites ambivalence, d'autres disent ambiguïté. Récemment, P. Mauroy a annoncé que, dès 1981, il connaissait la maladie de F. Mitterrand. Il a expliqué, hier, qu'il y a un temps pour le secret et un temps pour la vérité. Vous saviez ?

L. Fabius : Pas du tout.

O. Mazerolle : Êtes-vous froissé de ne pas avoir su ?

L. Fabius : Pas du tout. Chacun est dans la situation qu'il est. Je m'aperçois maintenant, sans faire de mot d'esprit, qu'il y a quand même des secrets qui avaient l'air extraordinaires et qui étaient assez partagés, donc... Mais moi, je ne savais pas et d'ailleurs j'ai le souvenir de fréquentes conversations avec F. Mitterrand où celui-ci se moquait du cancer qu'on lui prêtait dans les dîners en ville. C'est très compliqué tout cela !

O. Mazerolle : Était-il légitime de le dissimuler aux Français ?

L. Fabius : C'est très compliqué. Mitterrand s'est piégé lui-même parce qu'il avait annoncé avant les élections de 1981 qu'il dirait la vérité. Après, il a appris sa maladie et là, il était coincé. Ou bien il disait qu'il était malade et il avait le sentiment qu'il affaiblissait son propre pouvoir, sa propre fonction, ou bien il ne le disait pas et à ce moment-là, c'est un mensonge. Il s'est un peu coincé lui-même. Si, au-delà de F. Mitterrand, on pose la question : faut-il dire la réalité ? Je crois que oui. La question centrale étant bien sûr de savoir si l'on peut gouverner. De ce point de vue, même ses adversaires reconnaissent à Mitterrand qu'il était tout à fait en capacité de gouverner.

O. Mazerolle : Est-ce qu'au cours de ces années Mitterrand, la plus grande découverte pour les socialistes n'a pas été la difficulté, quasiment impossible à résoudre, à faire entrer la France dans l'économie moderne, contemporaine et rester fidèle à la vocation sociale du PS ?

L. Fabius : C'est vrai mais Jaurès avait déjà dit cela au début du siècle quand il disait « aller à l'idéal et comprendre le réel », appliqué à la France moderne c'est la même chose.

O. Mazerolle : On a eu hier le rapport du Conseil supérieur de l'emploi qui montre une France moins égalitaire, où les jeunes ont des motifs de désespoir, une France qui donne la priorité au profit de la rente sur le salaire. Mais les années Mitterrand ont leur part dans ce constat ?

L. Fabius : Le rapport est très intéressant et très dur. Surtout, il doit nous motiver pour le futur. Il montre que, sur le plan économique, il y a des progrès qui ont été faits mais il y a aussi énormément d'injustices et d'inégalités. Donc, tout l'effort qu'il faut faire est de corriger ces injustices et de partir sur un autre modèle de développement C'est le genre de conversation que l'on peut avoir quand vous voulez mais je crois que ce que l'on attend de la gauche, ce n'est pas par rapport à la droite, la modification de tel taux de cotisation mais un projet nouveau qui place l'homme et la femme au centre d'une autre perspective, qui fasse la place à la connaissance, à la solidarité, au temps choisi. C'est cela que l'on attend de nous.

O. Mazerolle : Mais les erreurs qui ont été commises pendant la période Mitterrand peuvent-elles vraiment servir de leçon ?

L. Fabius : Il y a eu à la fois de bonnes choses et de mauvaises choses et il faut tirer le suc de tout cela pour que la prochaine fois que la gauche aura des responsabilités, elle tire les leçons des erreurs qu'elle a commises."

O. Mazerolle : L'hiver venu, la France redécouvre la misère des SDF et la mort possible pour eux. Il y a une querelle sur l'attitude du maire de Longjumeau qui veut obliger les SDF à se protéger contre le froid, qu'en pensez-vous ?

L. Fabius : Deux réflexions là-dessus. Je suis, comme chacun, extrêmement choqué que, dans un pays aussi riche que la France, il y ait une telle misère qui continue d'exister. Et puis j'ai été aussi choqué du procès que l'on fait au maire de Longjumeau. Je ne dis pas qu'il a pris toutes les formes qu'il faudrait mais quand il y a quelqu'un qui est en train de mourir, de crever - pour appeler un chien, un chien - et parce qu'il meurt de froid, pouvez-vous le laisser en disant que c'est sa liberté et que ce n'en pas notre problème! Je suis moi-même maire et je me pose cette question. Les gens qui sont engourdis par le froid, qui sont en dehors de tout parce que leur état social fait qu'ils sont en marge de tout, ne sentent même plus le danger et vous dites « Ah, moi je m'en désintéresse ! ». Je crois que le procès qu'on lui fait est assez injuste parce que, quand il y a quelqu'un en train de mourir, la réaction normale de toute personne sensée est de lui porter secours.

 

le Nouvel Observateur - 9 janvier 1997

Le Nouvel Observateur : Alors que le Parti socialiste vient d'adopter son projet économique, vous affirmez que l'important, c'est la plate-forme électorale qui reste à élaborer. N'est-ce pas une manière de mettre entre parenthèses un projet qui, même à gauche, laisse certains sceptiques ?

Laurent Fabius : Je ne mets rien entre parenthèses, le projet et la plate-forme sont tous deux importants. Mais, pour élaborer une bonne plate-forme, ce que l'on attend de la gauche, c'est d'abord un sens, c'est-à-dire une direction et une signification. La différence entre la gauche et la droite ne se mesure pas au taux de la CSG. Le PS doit expliquer clairement sa vision de la société pour les dix ans, pour les vingt ans qui viennent. Ce sera une société de la connaissance, une société multimédia, et non l'univers de grand-papa ; une société où la recherche, la culture, l'éducation, la formation continue, l'audiovisuel seront essentiels et devront être accessibles à tous. Une société solidaire et non une société sauvage, faite de solidarités organisées entre générations, entre femmes et hommes, entre régions, entre revenus. Une société du temps choisi et non du chômage subi, où le travail, le loisir, la répartition du temps de vie seront différents d'aujourd'hui. Le tout formant un modèle européen et authentiquement républicain, plaçant la personne humaine et le respect de la nature à la première place. Voilà en quelques mots la perspective, l'objectif à partir desquels bâtir notre future plate-forme.

Le Nouvel Observateur : La gauche revient au pouvoir en 1998 : quelles seraient ses priorités ?

L. Fabius : L'emploi des jeunes - le PS a visé juste en en faisant sa priorité absolue - et tout ce qui concerne l'urbain : le logement, les quartiers réhabilités...

Le Nouvel Observateur : Le projet socialiste prévoit la création de 700 000 emplois pour les jeunes : 350 000 embauchés par les collectivités locales, 350 000 par les entreprises. Est-ce bien réaliste ?

L. Fabius : Je suis maire et président de district. Je constate que dans nos collectivités locales il y a de grands besoins à satisfaire, donc des possibilités d'emplois. Mais cela ne fonctionnera que si l’on prévoit un financement durable. Sinon, compte tenu des contraintes financières actuelles des communes, rien n'avancera. De même pour les entreprises : les PME ne recruteront davantage de jeunes que si elles bénéficient d'allègements et si la croissance repart.

Le Nouvel Observateur : Autrement dit, c'est encore et toujours l'Etat qui paiera...

L. Fabius : On peut trouver dans les différents fonds existants - fonds du Budget, de la Sécurité sociale, de l'assurance chômage - des sommes aujourd'hui mal affectées, et mieux les utiliser. Après tout, il ne s'agit que de quelques dizaines de milliards à mobiliser sur plusieurs centaines de milliards disponibles. C'est affaire de volonté.

Le Nouvel Observateur : Les 35 heures payées 39, c'est possible ?

L. Fabius : Pour moi, le véritable objectif à terme ce sont les 32 heures, ou plutôt les quatre jours de travail. Autant une petite réduction de la durée du travail ne change pas grand-chose dans la vie concrète des salariés, autant la semaine de quatre jours peut constituer une étape décisive, aussi importante que l'introduction des congés payés. Mais ne chargeons pas trop la barque. Sans être un tenant de la pensée unique, on voit bien qu'il ne serait ni facile ni raisonnable en même temps d'augmenter les salaires, de réduire la durée du travail, d'embaucher et de demander plus à l'impôt !

Le Nouvel Observateur : C'est en gros ce que propose le projet socialiste !

L. Fabius : Non, ce serait une caricature. Nous devons être souples, dégager quelques priorités, concentrer l'effort sur elles, nous fixer un objectif général et nous en rapprocher au rythme que l'économie et le social permettront.

Le Nouvel Observateur : Lionel Jospin n'apprécie guère vos conseils, notamment lorsque vous dites « ne chargeons pas trop la barque ». Il a réagi sèchement à la convention socialiste, même s'il l'a fait sur un ton ironique...

L. Fabius : Quel est mon souci, mon objectif ? La victoire de la gauche est possible, elle est même probable, mais elle n'est pas encore certaine, et il faut qu'elle s'accompagne d'un vrai succès de gouvernement. Nous n'avons pas le droit de décevoir. Il y a encore pas mal de travail à faire sur le fond pour y parvenir. C'est à cela que je m'attache et c'est à cela que j'ai consacré mon récent propos, qui a d'ailleurs été en général bien apprécié des socialistes. Bref, je veux non seulement que la gauche gagne, mais qu'elle réussisse.

Le Nouvel Observateur : L'autre accent fort du projet socialiste, c'est l'Europe. Là encore, est-il réaliste de vouloir poser des conditions à l'Allemagne comme vous le demandez ? Jacques Chirac a essayé, avec le succès que l’on sait...

L. Fabius : Quand on défend une position dans une négociation, on n'est pas sûr de triompher. Mais quand on n'en défend aucune, on est sûr de perdre. Or, pendant des mois, la position de la France a été illisible, elle l'est largement encore. A partir du papier d'alerte que j'avais publié dans « le Monde » sur ce sujet, et de diverses autres contributions, nous avons défini collectivement des conditions. Elles sont désormais précises et justes, il faut les expliquer, les populariser. Mais au fil des mois, le danger devient plus grand car il ne porte plus seulement sur les conditions du passage à l'euro, mais sur tout le processus en cours: on ne se rend pas assez compte que l'élargissement de l'Union européenne chemine rapidement alors que l'approfondissement préalable des mécanismes institutionnels, qui est indispensable, avance à tout petits pas. Si ce décalage se confirmait, tout ce qu'on a construit depuis quarante ans aboutirait à la dilution de l'Europe, à la « non-Europe » de Mme Thatcher. En ce qui me concerne, je ne veux pas de cette perspective.

Le Nouvel Observateur : Pour l'heure, les socialistes bénéficient plus des erreurs de la droite que de leurs propres mérites. Comment passer d'un projet qui n'a pas vraiment convaincu à une plate-forme électorale qui entraîne l'adhésion ?

L. Fabius : Il y a, c'est vrai, une dynamique à renforcer. Mais je suis confiant. On parle beaucoup de François Mitterrand en ce moment. Il possédait en particulier une qualité exceptionnelle : il savait faire rêver. Eh bien, nous devons retrouver cette capacité. La politique ne doit pas semer des illusions, mais elle doit être capable de faire se transcender.

Le Nouvel Observateur : Après le rêve, c'est souvent la désillusion. La gauche peut-elle prendre le risque de décevoir à nouveau ?

L. Fabius : ... Certainement pas. C'est pourquoi, dans l'opposition, nous devons être extrêmement fermes, appeler un chat un chat et un fiasco un fiasco. Il m'arrive souvent de penser : « Ce pouvoir est nul ! » Ils sont tout de même là depuis quatre ans, et avec quel bilan ! Alors disons-le nettement. Ensuite, si la gauche accède aux responsabilités, elle devra inventer une méthode, en quelque sorte Mendès revisité : fixer des objectifs et des calendriers, associer tous les partenaires, passer des contrats, montrer semaine après semaine comment on se rapproche du but fixé.

Le Nouvel Observateur : Celle fermeté d'opposants, vous ne l'avez pas pratiquée dans le débat sur l'immigration. La présence d'un seul socialiste en séance, Julien Dray, a choqué...

L. Fabius : Si Julien Dray s'est retrouvé malheureusement seul en fin de séance, plusieurs députés socialistes sont intervenus dans le débat. Ils se sont opposés avec fermeté à ce texte gouvernemental à la fois inefficace (c'est le vingt-quatrième texte de loi sur le sujet depuis l'ordonnance de 1945 !) et par certains côtés scandaleux - je pense notamment au fichier des hébergeants ou au refus de régulariser les immigrés présents sur notre sol depuis plus de quinze ans. Lorsque le texte reviendra en seconde lecture devant l'Assemblée, nous le combattrons avec plus de force encore. Et si certaines dispositions ne sont pas modifiées, nous saisirons le Conseil constitutionnel.

Le Nouvel Observateur : Que va faire la droite, selon vous, pour tenter d'éviter la défaite ?

L. Fabius : Elle tentera - elle a déjà commencé - de multiplier les pressions sur les médias. Elle distribuera de la fausse monnaie : on a beaucoup parlé de l'héritage socialiste, mais l'héritage Chirac-Juppé, en 1998, sera bien plus lourd en matière de déficits et de problèmes non réglés.

Le Nouvel Observateur : Le président et le Premier ministre expliquent au contraire que c'est parce qu'ils luttent contre les déficits ...

L. Fabius : Étrange façon de lutter que de les aggraver. Sans doute la droite utilisera-t-elle aussi d'autres armes: l'immigration, les affaires ... Et si tout cela ne suffisait pas, peut-être y aura-t-il finalement un changement de Premier ministre. Mais je ne demande rien sur ce point. M. Juppé et son sens du dialogue constituent, reconnaissons-le, un de nos buns atouts.

Le Nouvel Observateur : Certains disent que Jacques Chirac est au fond un radical qui veut sauver les acquis sociaux, le service public à la française, bref qu'il nous préserve, d'une certaine manière, d’une droite plus dure, plus libérale ...

L. Fabius : Sur le plan du discours, on peut certainement tout lui faire dire. Ne serait-ce que parce qu'il a tout dit. Le problème, c'est le fossé entre le discours et l'action. Cette méthode de gouvernement par grand écart est dangereuse : elle ne nuit pas seulement à Jacques Chirac, elle déconsidère l'ensemble de la classe politique. Elle explique en partie le découragement des Français, ce sentiment de déprime générale, que personnellement je n'aime pas.

Le Nouvel Observateur : Le bilan de politique étrangère est moins négatif...

L. Fabius : On entend dire cela, effectivement. Mais à partir de quoi ? Ce qui me frappe, au contraire, c'est le fiasco des initiatives présidentielles dans ce domaine. Prenons continent par continent. En Asie et en Océanie, les foucades nucléaires nous ont coûté beaucoup. S'agissant de l'Amérique du Nord, on a donné des gages aux Etats-Unis en réintégrant l'Otan sans rien obtenir en contrepartie j et lors de l'élection du secrétaire général de l'ONU, nous avons débuté avec une majorité à nos côtés de 14 contre 1 pour finir seuls contre 14 ! Quant à l'Afrique, il se confirme que si les troupes et les crédits demeurent français, l'influence y est de plus en plus américaine. Enfin, en Europe, si l'on veut savoir ce qui va être décidé, mieux vaut, semble-t-il, regarder du côté de Berlin que du côté de Paris. Impressionnant, non !

Le Nouvel Observateur : Redoutez-vous toujours la montée de l'extrême-droite ?

L. Fabius. - Oui, et il ne s'agit pas d'un fantasme. Ce qui me préoccupe, c'est que les thèmes de l'extrême-droite influencent de plus en plus une partie de la droite. Je n'ai pas peur d'une collusion entre le Front national et les responsables authentiquement républicains de l'actuelle majorité. Mais je crains à terme un possible rapprochement entre une partie de cette droite et une extrême-droite « relookée ».

Le Nouvel Observateur : Vous craignez aussi ce que vous appelez le « localisme anti-politique ». Redoutez-vous la formation de partis politiques régionaux du type de la Ligue lombarde en Italie ?

L. Fabius : En tout cas, je suis frappé par le décalage entre les sondages, qui nous promettent la victoire aux législatives, et les résultats des élections partielles, qui sont jusqu'ici plus modestes. Malheureusement, ce qui est rejeté aujourd'hui, ce n'est pas seulement la politique gouvernementale, c'est la politique tout court. Ceux qui s'en sortent dans ce contexte sont ceux qui sont localement bien implantés ou qui gomment leur étiquette, -lui se présentent comme anti-politiques, anti-partisans. On me dira que ce phénomène joue davantage pour les élections partielles, qu'il sera moins fort aux législatives. Je l'espère. Encore faut-il que nous cadrions justement le débat. On en revient à la question clé : celle de la perspective et du sens ! Bref, je souhaite que la Politique avec un grand P retrouve ses droits.