Déclarations de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi chargée des droits des femmes, sur la promotion du rôle et de la place des femmes dans la société, les "femmes mythiques" et les femmes corses dans l'histoire, notamment Danielle Casanova, Paris le 3 mars et Ajaccio le 8 mars 1997.

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Circonstance : Journée "Femmes mythiques" le 3-journée internationale des femmes le 8-inauguration de l'exposition "Les femmes corses dans la résistance et dans l'histoire", à Ajaccio le 8 mars 1997

Texte intégral

Paris : Lundi 3 mars 1997

Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer ma satisfaction à me trouver aujourd’hui parmi vous dans une manifestation destinée à éclairer l’apport des femmes à nos sociétés.

Vous entreprenez une démarche qui, en France, est très innovante.

En effet, la promotion du rôle et de la place des femmes s’est fait chez nous à travers la loi et les structures en place. Nous sommes parvenus à une égalité dans la loi qui s’est établie progressivement grâce à des votes de parlements exclusivement ou presque exclusivement masculins. C’est une réalité qu’il ne faut pas cacher, au moment où l’on débat des moyens d’investir le dernier bastion, je veux dire, obtenir un partage équilibré des responsabilités dans les instances de décision, notamment dans le domaine politique.

Mais, depuis les années soixante-dix et la création de la première structure ministérielle chargée des droits des femmes, au nécessaire toilettage des lois destiné à éliminer les discriminations s’y trouvant encore, au vote de lois modernes pour adapter nos textes à l’évolution des mœurs, il devint nécessaire d’ajouter la sensibilisation du public et la mobilisation des décideurs.

Beaucoup de choses ont été tentées et bien des discours ministériels ont débuté par « maintenant que nous avons l’égalité dans la loi, il faut réussir le plus difficile, la faire passer dans les faits… »

Ministre pour l’emploi, chargé des droits des femmes, je l’ai dit moi-même car, les années s’écoulant et les avancées étant fort significatives, les dernières conquêtes sont naturellement les plus difficiles.

Mais, comme mes prédécesseurs, je tente d’allier un travail en profondeur et une action continue de terrain s’appuyant sur le service des droits des femmes, ses déléguées régionales ou départementales et leurs multiples relais associatifs, à une promotion plus médiatique des femmes que nous qualifions souvent de « femmes phares ». Lumières pour les autres, indiquant les chemins possibles, ces femmes remarquables démontrent, puisque cela demeure nécessaire, que rien n’est impossible aux femmes donc, que nul domaine ne doit leur être fermé, encore moins interdit.

Il peut paraître paradoxal d’avoir encore, en 1997, à mettre en valeur la contribution des femmes à l’humanité. Tant de siècles de pensées, de progrès, de sciences et techniques, et nous devons toujours apporter la preuve que la femme et l’homme, bien que non identiques, sont égaux…

Or, ces femmes phares, ces pionnières ouvrent de voies nouvelles qui, pour certaines deviennent rapidement très fréquentées !!! Voyez la magistrature, l’enseignement, la médecine…

D’autres demeureront plus solitaires, soit parce qu’elles auront choisi un domaine d’exception, soit parce que le milieu qu’elles ont pénétré, en réaction, se fermera encore davantage.

Et la « première femme à… », après avoir été saluée par la presse, félicitée par les pouvoirs en place, admirée par tous, se trouvera parfois ensuite critiquée, accablée de reproches pour n’avoir pas tendu la main à d’autres femmes, pour ne pas avoir aidé certaines d’entre elles à réussir aussi bien qu’elles.

C’est un débat qui s’est souvent tenu en France, où la mise en valeur, la désignation au public de réussites exceptionnelles de femmes ou, devrais-je dire, de réussites de femmes exceptionnelles, se fait certes mais sans l’éclat que l’on pourrait espérer.

Femmes mythiques a bien compris qu’il fallait non seulement honorer ces femmes remarquables mais également les signaler à la face du monde. Leurs succès, leur réussite, doivent être célébrés mais sans naïveté : ils sanctionnent généralement des années de travail et d’effort et seule une détermination égale peut ou pourrait permettre de les reproduire.

Le rôle des femmes phares, des femmes mythiques qui vont être désignées, est donc bien de témoigner par leur vie, par leur exemple. Ce qui est en soi déjà tout à fait admirable. Et certaines vont encore plus loin : profitant de la notoriété, voire du pouvoir qui leur est alors accordé, entreprennent de promouvoir d’autres femmes ou la cause des femmes en général. Qu’elles en soient remerciées très sincèrement et chaleureusement.

Car, comme moi, vous savez que l’égalité complète, je parle de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais également d’égalité des chances, ne pourra s’instaurer durablement que par une prise de conscience généralisée des discriminations qui perdurent ; une prise de conscience chez les hommes mais également chez les femmes et, notamment les jeunes femmes.

Car, force est de constater que ces dernières sont peu mobilisées en ce domaine.

Aussi, votre initiative est-elle la bienvenue.

Par ce qu’elle nous permet de célébrer ensemble des femmes aux parcours divers mais toujours remarquables ; parce qu’elle détruit des idées reçues sur les rôles des hommes et des femmes dans la société ; parce qu’enfin elle éclairera, notamment pour les plus jeunes d’entre nous, des vies qui montrent que pour les femmes, le chemin est souvent, est encore plus difficile que pour les hommes mais ni interdit, ni impossible.

Enfin, permettez-moi, du fond du cœur, de dire à toutes les femmes « mythiques » l’admiration que j’éprouve pour elles et de leur exprimer ma très profonde gratitude.

 

Allocution à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Femmes corses dans l’histoire », à la mairie d’Ajaccio le 8 mars 1997

Monsieur le maire, Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le préfet, Mesdames, Messieurs, chers amis,

Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer ma satisfaction à me trouver aujourd’hui parmi vous dans ce salon napoléonien.

Je sais, Monsieur le maire, qu’en me recevant ici, vous vouliez me témoigner votre amitié, celle des Ajacciens, celles des Corses.

Je me sens, en effet, si vous me le permettez, un peu chez moi. Ici, au fond de ce golfe d’Ajaccio que j’ai eu souvent le bonheur de découvrir en bateau.

De cette terre, où la nature, plus qu’ailleurs s’est parée, de ton les plus divers, d’une verdure plus généreuse, dont je ne retiendrai que les oliviers antiques du Bois des Anglais, qui couronnent votre ville.

C’est de ce paysage, qui se dresse vers les cieux d’une pureté toujours renouvelée comme le bleu de la mer dans la baie, que s’est forgée l’âme Corse et quelle meilleure représentation de celle-ci que l’exposition que nous venons d’inaugurer.

Cette exposition destinée à éclairer l’apport des femmes dans la société Corse, est pour moi l’occasion de conclure ma visite pour la journée internationale des femmes que j’ai voulu sur le thème de la femme citoyenne.

Pour ma part, je crois en la femme citoyenne :
     - porteuse de valeurs d’équilibre, de paix et de citoyenneté ;
     - rempart contre les violences et les racismes.

L’action des femmes citoyennes est pour moi un symbole :
     - de leur engagement dans la société ;
     - de leur sens du concret, de l’échange, qualités féminines acquises pour confrontation séculaire aux difficultés du travail et du loyer ;
     - de leur sens de l’équilibre, de la conciliation de leur vie familiale et sociale.

Pour ma part, je souhaite les célébrer, je souhaite les promouvoir.

En effet, la promotion du rôle et de la place des femmes s’est fait chez nous à travers la loi et les structures en place. Nous sommes parvenus à une égalité dans la loi qui s’est établie progressivement grâce à des votes de parlements exclusivement ou presque exclusivement masculins. C’est une réalité qu’il ne faut pas cacher, au moment où l’on débat des moyens d’investir le dernier bastion, je veux dire, obtenir un partage équilibré des responsabilités dans les instances de décision, notamment dans le domaine politique.

Mais, depuis les années soixante-dix et la création de la première structure ministérielle chargée des droits des femmes, au nécessaire toilettage des lois destiné à éliminer les discriminations s’y trouvant encore, au vote de lois modernes pour adapter nos textes à l’évolution des mœurs, il devint nécessaire d’ajouter la sensibilisation du public et la mobilisation des décideurs.

Beaucoup de choses ont été tentées et bien des discours ministériels ont débuté par « maintenant que nous avons l’égalité dans la loi, il faut réussir le plus difficile, la faire passer dans les faits… »

Ministre pour l’emploi, chargé des droits des femmes, je l’ai dit moi-même car, les années s’écoulant et les avancées étant fort significatives, les dernières conquêtes sont naturellement les plus difficiles.

Mais, comme mes prédécesseurs, je tente d’allier un travail en profondeur et une action continue de terrain s’appuyant sur le service des droits des femmes, ses déléguées régionales ou départementales et leurs multiples relais associatifs, à une promotion plus médiatique des femmes investies dans la société. Lumières pour les autres, indiquant les chemins possibles, ces femmes remarquables démontrent, puisque cela demeure nécessaire, que rien n’est impossible aux femmes, donc que nul domaine ne doit leur être fermé, encore moins interdit en Corse comme sur l’ensemble du territoire national.

Il peut paraître paradoxal d’avoir encore, en 1997, à mettre en valeur la contribution des femmes à l’humanité. Tant de siècles de pensée, de progrès, de sciences et techniques, et nous devons toujours apporter la preuve que la femme et l’homme, bien que non identiques, sont égaux…

Or, ces femmes mobilisées, pionnières, ouvrent des voies nouvelles qui, pour certaines deviennent rapidement très fréquentées !!! Voyez la magistrature, l’enseignement, la médecine…

D’autres demeureront plus solitaires, soit parce qu’elles auront choisi un domaine d’exception, soit parce que le milieu qu’elles ont pénétré, en réaction, se fermera encore davantage.

Vous savez, comme moi, que l’égalité complète, je parle d’égalité entre les hommes et les femmes, mais également d’égalité des chances, ne pourra s’instaurer durablement que par une prise de conscience généralisée des discriminations qui perdurent ; une prise de conscience chez les hommes mais également chez les femmes et, notamment les jeunes femmes.

Car, force est de constater que ces dernières sont peu mobilisées en ce domaine.

Aussi, je voudrais, avant de conclure, parler de deux femmes Corses que j’ai célébrées aujourd’hui, il s’agit de Danielle Casanova et de Marie Susini, deux femmes aux parcours remarquables.

Elles éclaireront, notamment pour les plus jeunes d’entre vous sur le sens de la vie, car leurs vies montrent que pour les femmes, le chemin est souvent plus difficile que pour les hommes, mais il n’est ni interdit, ni impossible.

Enfin, permettez-moi, du fond du cœur, de dire à toutes les femmes « engagées » dans la vie civile, la vie associative, la vie publique, et présentent ici, ce soir, l’admiration que j’éprouve pour elles et de leur exprimer ma profonde gratitude.

 

Allocution à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Les Femmes corses dans la résistance », en hommage à Danielle Casanova - 8 mars 1997

Monsieur le maire, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs,

J’ai choisi de débuter cette journée en Corse par un hommage à Danielle Casanova dont je voudrais vous lire ces quelques mots, simples, qu’elle a écrits à la veille de sa mort et qui symbolisent l’engagement d’une femme pour la citoyenneté :

« N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi. Je suis heureuse de cette joie que me donne la haute conscience de n’avoir jamais failli. Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera. »

Mesdames, Messieurs, au moment où, ici et là, certaines idées xénophobes semblent connaître une adhésion, l’engagement de Danielle Casanova est un exemple auquel nous devons nous référer. Pour les jeunes gens présents dans cette salle, il est bon de rappeler que cette jeune femme avait, dès 1939, exhorté une délégation de jeunes communistes corses à prendre le flambeau de la résistance à Mussolini qui prétendait faire de la Corse une province de l’Italie fasciste.

Sur le chemin de l’avenir que nous voulons éclairer des valeurs qui fondent la République, il est parfois opportun de contempler notre passé. Danielle Casanova est une lumière que la Corse a donnée à la conscience universelle.

Si vous me le permettez, j’oserai dire que Danielle Casanova a vécu la France sur le type de la famille corse : un tout à l’intérieur duquel l’esprit de sacrifice ne doit pas être marchandé, cette France qu’elle a voulu libre et pour laquelle elle a donné sa vie, en aimant passionnément sa patrie, sans renoncer à ses traditions, sa culture et son identité.

En ce 8 mars 1997, journée internationale des femmes, en hommage à Danielle Casanova, également femme de plume, qui fonda le journal clandestin « La Voix des femmes », je voudrais affirmer que les femmes, par leur sens de la réalité et leur sensibilité, sont, au moment de la prise de décision, des facteurs de conscience.

Les femmes identifient les problèmes et sont souvent en mesure de proposer des solutions, leur analyse est complémentaire de celle des hommes, leur place dans la cité ne doit pas être pensée de manière isolée, leur rôle et leurs besoins doivent être intégrés à chaque étape de la vie sociale. Ceci implique que leur participation aux institutions locales se renforcent, que leur représentation dans les instances publiques de politiques soit très supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui.

Parce qu’elles assument, même seules, la charge de famille, les femmes sont au cœur d’un tissu relationnel. Elles sont souvent aussi un facteur de stabilité. Enfin, lorsque la situation n’est plus humaine, les femmes, à cause de l’attention qu’elles portent à la vie, seront les seules, bien souvent, à tirer les derniers signaux d’alarme pour réveiller la conscience humaine des belligérants ou des inconscients, comme on le voit aujourd’hui en Algérie, en Bosnie, en Tchétchénie et, parfois même, dans notre République.

Danielle Casanova était une militante, une citoyenne, une femme de convictions ; par-delà les clivages politiques, elle nous a donné le goût de l’enseignement pour la nation.

Au cours de ce voyage en Corse, je rencontrerai beaucoup de celles qui font la Corse d’aujourd’hui. Quelles que soient leurs fonctions, je leur exprimerai mon encouragement et mon soutien.

À l’aube du 21e siècle, les femmes sont porteuses d’une culture de paix. Sans cette paix qu’elles revendiquent, rien n’est possible. Je les soutiendrai donc dans leur combat pour le respect de la loi, celle de la démocratie et celle de la République. Ne faisons pas le jeu de tous ceux qui exploitent les incertitudes de l’avenir, agitent la peur de l’autre et attisent la haine.

Sans cette Corse qui a su rester elle-même, fougueuse, spontanée et sauvage, je voudrais, pour terminer, m’adresser une nouvelle fois aux jeunes pour leur dire que je comprends leur volonté de vouloir trouver sur leur île, dont la beauté m’émeut chaque fois que je la retrouve, les moyens d’entreprendre et de construire leur avenir.

Je leur souhaite, je nous souhaite, une Corse conquérante, prospère, ouverte sur le monde, un monde dynamique comme les femmes corses.