Interview de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, à Europe 1 le 20 février 1997, sur la grève du personnel du Crédit foncier, les mesures en faveur des PME, les aides à l'emploi, et les relations entre le gouvernement et les PME.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Pour le quatrième jour, les salariés du Crédit foncier occupent le siège et séquestrent calmement leur gouverneur. Cela traduit l'inquiétude qu'ils ont pour leur avenir et pour leur emploi. Qu'est-ce que vous en pensez ?

L. Rebuffel : Sur le principe, je déclare être contre, et de la dernière sévérité pour juger de la séquestration d'un homme, même si on le fait dans un ensemble folklorique comme aujourd'hui, car on ne sait jamais comment ces choses-là peuvent tourner : il peut y avoir un coup de colère et naturellement le phénomène de l'exemple, du mauvais exemple que cela peut donner à d'autres situations. Il y a donc des risques de contagion. Je condamne donc le procédé mais je souhaite une solution.

J.-P. Elkabbach : Mais vous ne comprenez pas l'état dans lequel ils sont ?

L. Rebuffel : Si, je comprends parfaitement l'état des salariés, leur inquiétude qui est parfaitement légitime. Comment un homme comme moi, qui a une famille et qui est à la tête d'une entreprise, ne peut-il ne pas le comprendre. Mais ceci dit, ce n'est pas un procédé. Il y en a un autre, en dehors des CRS – qui peut en être aussi –, c'est celui de la médiation. J'estime que la médiation aujourd'hui s'impose. Je m'étonne d'ailleurs qu'un médiateur n'ait pas déjà été nommé avec beaucoup plus de diligence pour régler le problème entre les salariés et…

J.-P. Elkabbach : Mais qui pourrait être ce médiateur ?

L. Rebuffel : Je crois qu'il y a beaucoup d'hommes d'expérience, sages. Le Gouvernement en a trouvé en diverses circonstances. Il pourrait y en avoir, j'en suis sûr, qui pourraient essayer de trouver une solution. Le Conseil économique et social, dont je suis le vice-président, a été saisi par le Gouvernement sur ce problème de la désignation d'un médiateur pour régler les conflits sociaux. Voilà un bon exemple pour commencer.

J.-P. Elkabbach : Les PME emploient près de 9 millions de Français et le budget de l'Etat vous consacre, tous ministères confondus, près de quatre milliards de francs, et vous comptez encore demander de nouvelles aides ?

L. Rebuffel : Nous comptons encore demander etc., etc., voilà des expressions qui naturellement ne sont pas faites pour me plaire…

J.-P. Elkabbach : Pourquoi faudrait-il vous plaire, 50 milliards, c'est pas mal ?

L. Rebuffel : Parce que, par ailleurs, nous payons 140 milliards de francs. Peu d'auditeurs peuvent le comprendre puisqu'ils ne payent pas. 140 milliards de francs de taxes professionnelles. Donc, nous ne pouvons pas demander l'exonération parce que sinon, ce serait naturellement tous les contribuables qui nous écoutent qui paieraient. Alors les entreprises, sur l'emploi, sur leurs investissements – d'où l'expression de taxe imbécile qui avait été employée naguère par un Chef d'Etat – payent une taxe qui arrive à ces sommets. C'est le double ou le triple de ce que l'Etat a pu consentir pour favoriser l'emploi, notamment sur les bas salaires, l'exonération des charges sociales. Alors, nous ne demanderons rien de plus, nous n'avons jamais demandé ces aides. Seulement, c'était pour nous aider à un moment donné. Nous ne demandons rien de plus. Il y a un certain nombre de problèmes techniques sur lesquels, par contre, nous reviendrons.

J.-P. Elkabbach : A. Juppé va faire le point de son plan PME qu'il avait lancé il y a 15 mois à Bordeaux. Il va dire ce qu'il promet, ce qu'il tient, ce qu'il envisage. Est-ce que, globalement, il tient ce qu'il promet ?

L. Rebuffel : Écoutez, c'est assez rare dans l'histoire économique d'un pays pour que je le souligne sans complaisance. Voilà un Gouvernement, qui, devant la Confédération générale des PME – il y avait 3 000 hommes donc 3 000 témoins – a promis un certain nombre de choses qui sont d'ordre technique, mais il les a tenues à 99 %). Il reste un petit pour cent. Mais ça, ce n'est pas bien grave. Ce sera réglé.

J.-P. Elkabbach : Ce qui me frappe, c'est qu'un Premier ministre de droite a, à votre égard, PME, la même générosité que la gauche, sinon la même attention.

L. Rebuffel : Mais c'est parce qu'il s'agit d'un problème d'intérêt général. Il ne s'agit pas de plaire à M. Rebuffel en raison du fait qu'il est sympathique ou qu'il a je ne sais quelle potion magique à sa disposition pour séduire les Premier ministres de gauche ou les Premier ministres de droite. Le phénomène PME est un phénomène qui, aujourd'hui, notamment pour l'emploi par exemple, est le seul endroit où l'on puisse encore espérer de l'emploi, et par conséquent, ce que nous réclamons est d'intérêt général. Je m'interdis de réclamer quelque chose au plan catégoriel pour les chefs d'entreprise eux-mêmes, sur un plan égoïste.

J.-P. Elkabbach : Que savez-vous du mois de janvier ? Etes-vous un peu moins pessimiste, sentez-vous un frémissement de la demande ?

L. Rebuffel : Incontestablement. Globalement, si je disais ça devant une salle de 3 000 hommes, il y aurait des murmures de désapprobation bien entendu. Mais quand on prend individuellement les entreprises –  ça dépend des secteurs bien sûr –, on sent un frémissement Alors, je ne vous parle pas des secteurs qui sont orientés vers l'exportation, secteur qui est le plus heureux actuellement.

J.-P. Elkabbach : Les experts s'attendent, pour 1997, à une croissance qui dépasserait les 2 % dans le meilleur des cas. A partir de quel niveau de croissance les PME créent-elles de l'emploi ?

L. Rebuffel : A partir de 2 %. A 2 %, nous restons étales. Même en restant étale, il faut bien le savoir, les PME continuent de créer des emplois. Ça a été le cas en 1995 où il y a eu une augmentation du nombre de salariés de 0,2 %. Autant dire zéro. Eh bien il a fallu quand même, pour rester à zéro, compenser le départ à la retraite et les plans de dégagement des grandes entreprises.

J.-P. Elkabbach : Il y a quand même 1,2 million de chefs de petites entreprises qui n'ont pas de salarié.

L. Rebuffel : Il y a 1,2 million de micro-entreprises qui n'ont pas de salarié et 900 000 qui ont d’un à quatre salariés.

J.-P. Elkabbach : Au Club de la presse hier soir, J. Gandois s'est déclaré disposé à réécrire le code du travail avec les dirigeants syndicaux, à réécrire les rapports sociaux. Qu'est-ce que les PME modifieraient si c'était le cas ? Et d'abord, êtes-vous d'accord avec cette idée ?

L. Rebuffel : Il faudrait savoir qui est d'accord avec l'autre. Qui l'a dit le premier. J'étais là avant M. Gandois, j'ai donc dû le dire avant lui. Mais tout le monde l'a dit chacun à son heure et peut prétendre l'avoir déjà dit avant l'autre. En tout cas, je suis d'accord pour l'écrire avec lui et nos partenaires sociaux. Mais il n'empêche que je demanderai, plus singulièrement, bien que représentant les PME de moins de 500 salariés, un traitement particulier pour les entreprises de moins de 100 salariés, ou au moins de 50 salariés. Je vais donner un exemple concret : au-dessus de 49 salariés, pour passer à 50, vous payez 4,16 % de plus.

J.-P. Elkabbach : Qu'est-ce que vous demanderiez ?

L. Rebuffel : Un moratoire de deux ans ; qu'on lève les contraintes sur les seuils de 10 et 50 salariés. Voilà, par exemple ce que je demanderai, et qu'on lève absolument toutes les contraintes à l'embauche et au débauchage pour les entreprises. Ça pourrait prendre l'allure d'un contrat de projet, pour un an, pour six mois et pourquoi pas un contrat de projet d’une semaine. Au moins, on verrait des chômeurs aller rejoindre une entreprise.

J.-P. Elkabbach : Mais ça met complètement à votre disposition, à votre merci, les salariés.

L. Rebuffel : Mais voyons, on se connaît tous dans les petites entreprises.

J.-P. Elkabbach : M. Raffarin dit ce matin au Figaro : "Nous regarderons de près la proposition de réserver une partie des fonds de pension au financement des PME". C'est bien ?

L. Rebuffel : Oui. Là, encore une fois, qui a eu l'idée le premier, je n'en sais rien. Moi, je veux fonder un fonds de pension interprofessionnel pour les PME, alors par conséquent, je dis qu'il a raison.