Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, à RTL le 28 février 1997, sur la polémique autour du projet de loi Debré sur l'immigration et sur la préparation des prochaines élections législatives.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : La loi Debré a finalement été adoptée, hier soir à l'Assemblée nationale, en deuxième lecture. Elle va revenir devant le Sénat : de quelle manière le PC entend-il poursuivre la lutte contre cette loi ?

A. Bocquet : Il est évident que nous n'allons pas arrêter en si bon chemin. Il y a eu évidemment le débat à l'Assemblée nationale, le vote. Comme vous le dites, le Sénat va réexaminer ce projet de loi, il reste du temps pour que les uns et les autres nous nous mobilisions pour faire reculer le gouvernement.

O. Mazerolle : Vous voulez d'autres manifestations ?

A. Bocquet : Sous toutes les formes, nous voulons dire que cette loi est inacceptable, c'est une loi qui met en cause des libertés fondamentales, qui ne règle rien quant au fond du problème de l'immigration et en particulier de l'immigration clandestine et c'est pourquoi il faut continuer le combat pour faire en sorte que cette loi ne soit pas mise en œuvre.

O. Mazerolle : Est-ce que par exemple les maires communistes pourraient être invités à ne pas coopérer avec les services de préfecture ?

A. Bocquet : Nous ne sommes pas des agents de police et, en ce qui nous concerne, nous avons toujours agi et nous continuerons d'agir pour que les libertés fondamentales, les droits de l'homme soient respectés tout en prenant en compte les problèmes qui peuvent être posés par l'immigration clandestine, qui ne sont pas réglés dans ce pays, parce qu’au fond on ne s'attaque pas aux problèmes des filières clandestines, ce n'est pas par des certificats d'hébergement que l'on réglera ce problème.

O. Mazerolle : En faisant la comparaison avec Vichy, est-ce que le Parti communiste ne va pas trop loin et ne transgresse pas la réalité historique ?

A. Bocquet : Vous savez, il est toujours bon de rappeler des moments dans l'histoire qui ont été particulièrement douloureux, qui ont fracturé la France et je pense qu'il est important, sur les valeurs fondamentales qui sont celles de la République, qui sont celle des droits de l’homme, que nous rappelions que « le ventre est toujours fécond d'où est sorti la bête immonde » si je pouvais citer Bertolt Brecht.

O. Mazerolle : Laurent Fabius, qui était assis à votre place hier matin, disait : si c'était Vichy, je ne serai pas là pour parler.

A. Bocquet : C'est évident que ce n'est pas Vichy, c'est clair, mais il faut mettre un terme à des lois qui mettent en cause les données fondamentales de ce qui fonde la République française.

O. Mazerolle : Est-ce que, d'une certaine manière, en prenant cette position, vous ne risquez pas de vous couper d'une partie de votre électorat ? Il y a eu, dans « Libération » ces derniers jours, des interviews de délégués syndicaux, CGT, CFDT, FO, qui expliquaient que, dans leurs usines, il était impossible de faire circuler la pétition contre la loi Debré ?

A. Bocquet : Le grand problème qui est posé avec l'immigration, c'est d'abord le problème du travail. C'est le problème de l'emploi. Moi, je suis d'une région où mineurs marocains, mineurs français, mineurs polonais agissaient ensemble pour défendre leurs droits sociaux, pour défendre les valeurs de dignité. Dans les usines textiles de Roubaix-Tourcoing, il y avait des ouvriers portugais, algériens, français, flamands qui travaillaient ensemble, qui luttaient ensemble pour la dignité. C'est cela qui fonde la réalité de ce qu'est la France. Or, cela est cassé par la crise, cassé par l'attaque contre l'emploi et ce qui divise la France, c'est d'abord le chômage. Ce sont ces jeunes bardés de diplômes qui ne trouvent pas d'emploi. C'est là qu'il faut apporter la réponse. En répondant à cette question de l'emploi et en travaillant à faire en sorte que nos jeunes puissent accéder aux métiers et à l'emploi, on va résoudre beaucoup des problèmes posés par l'immigration.

O. Mazerolle : Mais certains de vos électeurs, qui ne se contentent pas de ce constat, vous ont quitté pour le Front national, par exemple ?

A. Bocquet : Mais il est de notre responsabilité, et nous nous y penchons, nous nous y attachons, de reconquérir tous ces gens qui sont dans la désespérance. Parce que le Front national, c'est le parti de la désespérance. Nous, nous sommes le parti du changement, le parti de l'espoir, et cage d'escalier par cage d'escalier, dans les contacts, les entretiens, les actions, que nous menons dans les entreprises avec les salariés, nous pouvons retisser ce lien social conquérant pour que cela change en France et pour que la République puisse continuer.

O. Mazerolle : Est-ce que le Parti communiste est prêt à présenter, avec les autres partis de gauche, une candidature unique dans les circonscriptions où le Front national aurait des chances de succès ?

A. Bocquet : La règle générale, c'est que nous soyons candidat dans toutes les circonscriptions. Il y a des discussions qui sont en cours actuellement pour examiner quelques cas particuliers. Je ne sais pas où en sont ces discussions. Il faut qu'elles se poursuivent. Mais la règle, c'est que chaque formation politique de gauche défende son point de vue, ses couleurs, son programme. Je pense que c'est bien. Comme le disait en son temps Guesde : au premier tour, on choisit ; au second tour, on élimine. Cela étant dit, quelques cas particuliers peuvent évidemment être examinés.

O. Mazerolle : Donc, la porte n’est pas totalement fermée ?

A. Bocquet : Nous ne fermons jamais aucune porte. Nous sommes un parti de l'ouverture.

O. Mazerolle : Demain à Lille, le Parti communiste, avec Robert Hue en tête et vous l'invitant puisque vous êtes le régional de l'étape, vous lancez une sorte de grande campagne électorale pour un véritable changement : à gauche toute ! Cela s'adresse à qui, au Parti socialiste ?

A. Bocquet : Ce n'est pas tout à fait une campagne électorale, c'est une campagne de débats, de dialogue autour du thème : « le changement en 1998, c'est possible mais quel doit être ce changement ? Quel doit être le contenu de ce changement ? » C'est pourquoi, le comité national du Parti communiste a lancé l'idée d'assises pour le changement qui se tiendront de mars à juin et que nous lançons effectivement, que Robert Hue va lancer demain solennellement à Lille, et qui consiste à proposer à tous nos partenaires de gauche quels qu'ils soient de co-organiser dans chaque département des assises avec la présence du maximum de citoyens possible pour que tous ceux-ci, en présence des responsables politiques, débattent du changement en 1998 qui est une exigence : 73 % des gens sondés en France disent qu'il faut le changement, qu'ils sont favorables au changement de politique, le problème c'est qu'aujourd'hui, la gauche et en particulier les communistes, nous avons une responsabilité en ce qui concerne cet avenir. Nous, n'avons pas le droit à l'erreur et pour qu'il n'y ait pas d’erreur, il faut que ce changement, le contenu de ce changement soit partagé, discuté, élaboré par la majorité des citoyens.

O. Mazerolle : On lit beaucoup, dans « l'Humanité », des déclarations de militants de base, pas seulement communistes d'ailleurs, qui disent : il n'y a pas de politique de gauche crédible. Cela veut dire que ce que présente le Parti socialiste ne vous paraît pas suffisant ?

A. Bocquet : Le Parti socialiste a sa politique, a son programme. Certes, nous ne partageons pas toutes les analyses et toutes les propositions du Parti socialiste.

O. Mazerolle : Notamment sur l'Europe ?

A. Bocquet : Effectivement, il y a un débat de fond sur l'Europe et ce débat de fond sur l'Europe ne peut être tranché que par les citoyens eux-mêmes. Nous sommes actuellement dans une campagne de pétitions, nous voulons recueillir un million de signatures pour qu’il y ait dans ce pays un référendum à propos du passage à la monnaie unique, nous en sommes actuellement à plus de 300 000 signatures et il y a un écho très favorable dans le pays. Il y a d'ailleurs des représentants de différentes forces – et je pense cela à Jean-Pierre Chevènement mais même à M. Schumann – qui disent : il faut un référendum, il faut que le peuple de la France, dès que son avenir est engagé, puisse se prononcer. C'est pourquoi, dans ce grand débat démocratique, dans cette grande discussion, à la fois le débat à propos du changement dans ces assises que nous organisons, à la fois avec cette pétition pour obtenir le référendum, nous contribuons en ce qui nous concerne, nous communistes, à faire élever le niveau de cette volonté.

O. Mazerolle : Est-ce que le « À gauche toute ! » que vous préconisez est compatible avec le réalisme de gauche dont Lionel Jospin pense qu'il est absolument nécessaire pour pouvoir gagner les élections ?

A. Bocquet : Vous savez, il y a un proverbe qui dit que ce sont les passants qui font le chemin et, nous, nous considérons que c'est d'abord les citoyens, les gens eux-mêmes qui décideront de ce que sera l'avenir. Et nous voulons apporter notre modeste contribution à ce que les Françaises et les Français décident de leur avenir.

O. Mazerolle : Vous voulez vraiment prendre le pouvoir pour gouverner avec d'autres partis de gauche ou vous voulez rester dans une opposition radicale et dire : il faut faire autre chose ?

A. Bocquet : Nous voulons simplement que le peuple ait le pouvoir et que tout ce qui se décidera demain soit conforme à sa volonté, à son désir de changement qui est très profond et ardent dans le pays.