Interview de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État aux transports, à RTL le 14 novembre 1996, sur le projet de réforme de la SNCF et la grève à la RATP.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : À la SNCF se succèdent depuis septembre des grèves régionales. En ce moment c’est le Languedoc-Roussillon. Grèves autour de l’emploi et de la réforme de la SNCF. Pourquoi ne parvenez-vous pas à vous entende avec les cheminots ?

A.-M. Idrac : Je crois que nous sommes tout à fait dans une dynamique de bon dialogue avec les cheminots. Pourquoi ? Parce que, la SNCF, on veut la moderniser, on veut la réformer, pas pour le plaisir de bouleverser les choses, mais simplement parce que, la SNCF, je crois que tout le monde l’aime, tout le monde aime le chemin de fer et on veut donc faire cette réforme qui aboutira à un nouvel avenir pour le chemin de fer.

O. Mazerolle : Oui, mais enfin, au-delà de ces paroles, il y a eu un mécontentement syndical, CGT-CFDT notamment, qui ne veut plus de cette modernisation telle que vous l’envisagiez. Vous avez du reste, devant ce mécontentement, reporté la discussion parlementaire sur la création d’établissements publics qui devaient reprendre à la fois des infrastructures ferroviaires et 125 milliards de dettes de la SNCF.

A.-M. Idrac : Oui nous avons repoussé de quelques semaines l’examen de ce texte par le Sénat et le texte sera examiné au début de l’année prochaine. Vous savez, la SNCF, c’est une réforme suffisamment importante pour qu’on se donne les moyens et le temps en quelques semaines pour la réussir. Et dans les moyens de la réussir, il y a de l’explication, du dialogue, de la concertation avec les organisations syndicales, avec l’entreprise elle-même, avec les élus. Et en l’occurrence les élus nous avaient dit : un petit peu plus de temps pour aller au fond de l’examen du texte.

O. Mazerolle : Ce qui inquiète les cheminots et accessoirement du reste les contribuables aussi, c’est de savoir comment on va payer ces 125 milliards de dettes ?

A.-M. Idrac : Il est clair que comme cela est ressorti du débat qu’on a organisé dans le pays, il faut que cela soit davantage d’argent public pour reprendre cette dette qui, honnêtement, n’étais pas vraiment de la responsabilité de la SNCF.

O. Mazerolle : Mais est-ce l’État pourrait prendre encore une part plus importante de la dette de la SNCF ?

A.-M. Idrac : C’est 125 milliards qu’il y a dans le projet de loi.

O. Mazerolle : Ça a été demandé, y compris par un sénateur RPR, F. Gerbaud, que l’État fasse un petit effort supplémentaire.

A.-M. Idrac : Justement, on va se donner le temps de discuter, d’approfondir la chose. Mais c’est 125 milliards qu’il y a dans le projet.

O. Mazerolle : Autre chose qui inquiète les cheminots : les projets européens. Vous êtes une européenne convaincue vous-même. Ces projets prévoient que, désormais, sur les réseaux ferroviaires, pourraient circuler des trains appartenant à des sociétés différentes, donc la concurrence. Ça va se faire ?

A.-M. Idrac : La vraie concurrence pour le chemin de fer, c’est la voiture et le camion. Quant à la concurrence européenne dont vous parlez, non ! Nous y sommes totalement opposés car ce n’est pas une bonne solution pour redresser le chemin de fer.

O. Mazerolle : Mais pourquoi le Gouvernement français ne céderait-il pas sur ce point alors que, finalement, cette concurrence était instaurée pour le transport aérien ?

A.-M. Idrac : Ça ne nous paraît pas pour le chemin de fer une bonne solution. Il faut avoir une approche pragmatique et raisonnable ; ce n’est pas du tout adapté au problème. B. Pons est allé le dire et nous le disons très clairement à Bruxelles. Nous ne sommes pas pour la libéralisation européenne du chemin de fer.

O. Mazerolle : La France peut dire non ! non ! non ! et non ! contre une majorité d’autre pays ?

A.-M. Idrac : C’est notre position. Elle est claire et nette. En plus, nous ne sommes pas les seuls car ce n’est pas une bonne idée pour le chemin de fer. Il faut avoir des solutions adaptées à chaque problème.

O. Mazerolle : Vous n’appliquerez pas cette disposition ?

A.-M. Idrac : Mais pour l’instant, elle n’est même pas décidée. Donc on ne va pas appliquer quelque chose qui est encore à l’état d’avant-projet !

O. Mazerolle : Demain, il y a une grève dans les transports parisiens, métro et bus. Le président de la RATP a dit : « C’est une grève qui est provoquée par le fait qu’il y a des élections syndicales le 3 décembre, c’est une surenchère. » C’est votre point de vue ?

A.-M. Idrac : Le président de la RATP sait bien ce qui se passe à l’intérieur de son entreprise. Ce que je veux dire sur cette grève, c’est que, vraiment, je crois que ce n’est pas une bonne chose, ce n’est pas une bonne chose évidemment pour les usagers. C’est terrible, cette privation de transport dans la région parisienne. Et puis ce n’est pas la meilleure forme d’action non plus pour défendre l’entreprise. Car l’entreprise RATP comme les autres entreprises de service public, sa raison d’être, ce sont les clients, ses usagers. Je respecte beaucoup le droit de grève, il n’est pas que [illisible] de le limiter, mais vraiment, je crois qu’il y a eu un bon accord passé à la RATP pour limiter ce genre de chose et je souhaite qu’il puisse être dans la mesure du possible respecté.

O. Mazerolle : Mais à la RATP comme à la SNCF on vous dit : emplois ! emplois ! emplois ! Il faut créer des emplois, faire venir des jeunes, on ne peut pas appliquer la loi de Robien puisqu’elle n’est pas applicable dans les entreprises de service public. Que répondez-vous à cette demande d’emploi ?

A.-M. Idrac : D’abord il faut dire que, bien évidemment, dans ces entreprises-là, il n’y a pas de licenciements et que ce sont des entreprises qui recrutent. Je crois que cette question de l’emploi est très importante effectivement pour les entreprises de service et en particulier l’emploi à proximité des clients. Vous voyez par exemple, on parle quelquefois aussi bien les usagers que les salariés, de question de sécurité. Eh bien, il y a une réponse, c’est avoir davantage de présence humaine, davantage de convivialité, de lutte contre la fraude et d’accompagnement dans les transports publics. De même, L. Gallois a tout à fait raison de dire que les agents de la SNCF doivent être au plus près des clients et qu’il n’y a pas de réduction d’emploi surtout ceux qui sont auprès des clients.

O. Mazerolle : Certains font le procès au Gouvernement de vouloir tout faire pour éviter un nouveau décembre noir en décembre noir en concédant beaucoup aux syndicats.

A.-M. Idrac : Non, ce n’est pas comme ça que les choses se présentent. Vous me parlez à nouveau de la SNCF, c’est une réforme suffisamment importante, profonde, qui aurait dû être faite depuis longtemps et qui doit être faite depuis longtemps et qui doit être suffisamment équilibrée pour tout le monde pour que l’on se donne encore une fois quelques semaines pour aller jusqu’au bout des questions qui se posent et lever les malentendus, par exemple le malentendu européen.

O. Mazerolle : Ce n’est pas un recul ?

A.-M. Idrac : Non, ce n’est pas un recul. C’est du temps.

O. Mazerolle : Le TGV Est. Je ne vais pas vous demander « pendulaire » ou pas puisque B. Pons et vous ne dites pas la même chose.

A.-M. Idrac : Nous disons absolument la même chose et nous entendons très bien.

O. Mazerolle : Non, vous dites « TGV pendulaire » et lui « TGV pur sucre ». Quand pourra-t-on aller de Paris à Strasbourg avec un train plus rapide que celui qui circule actuellement ?

A.-M. Idrac : On ira à terme de Paris à Strasbourg en ligne nouvelle en deux heures et B. Pons et moi sommes engagés vis-à-vis des élus à fixer ce qu’on appelle le phasage, c’est-à-dire un peu le calendrier, avant la fin de l’année.

O. Mazerolle : Donc, je le verrai de mon vivant ?

A.-M. Idrac : Mais certainement.

O. Mazerolle : C. Blanc dit dans Les Echos, ce matin, son souhait d’acheter à la fois des Boeing et des Airbus pour renouveler sa flotte. Est-ce que le Gouvernement est hostile à ce qu’Air France achète aussi des Boeing ?

A.-M. Idrac : D’abord, d’un mot, ne boudons pas notre plaisir, une si belle commande d’avions Airbus, européens, par les Américains, c’est 10 000 emplois en France et c’est un peu de fierté pour l’Europe. Ne boudons pas notre joie ! Pour le dossier dont vous parlez, il est actuellement en cours d’examen. C’est vrai que c’est un sujet complexe et pour lequel aucune décision n’est prise.

O. Mazerolle : Mais y a-t-il un veto du Gouvernement ?

A.-M. Idrac : Je vous dis que le dossier est complexe, il est en cours d’examen, aucune décision n’est prise.

O. Mazerolle : Donc il peut y mettre un veto, ce n’est pas exclu ?

A.-M. Idrac : Non, on en parle pas de veto. Ce sera réglé dans l’intérêt des deux entreprises et de l’intérêt national.

O. Mazerolle : Ce samedi, il y a le conseil national de Force démocrate auquel vous appartenez. Est-ce que les oreilles du Premier ministre vont tinter ?

A.-M. Idrac : Si elles tintent, je crois que ce sera en bien parce que je trouve vraiment que c’est très injuste ce qui se dit sur A. Juppé.

O. Mazerolle : Y compris de la part de F. Léotard qui est quand même président de l’UDF ?

A.-M. Idrac : Vous savez, les petites phrases, franchement, ça ne m’intéresse pas tellement. Je préfère les choses profondes, vraies, importantes comme celles que dit F. Bayrou dans son livre « Le droit au sens » ou comme celles qu’avec A. Juppé on essaye de faire pour le pays. Ça me paraît plus positif et plus constructif.

O. Mazerolle : Qu’est-ce qui différencie F. Bayrou de F. Léotard ? L’un est au Gouvernement et l’autre n’y est pas et voudrait y être ?

A.-M. Idrac : Non, à l’UDF, on a fait le choix d’être chacun bien dans notre peau, bien dans nos baskets. Mieux, on est ensemble, c’est vrai dans la vie et c’est vrai dans ce parti, c’est pourquoi il est ouvert et dynamique.

O. Mazerolle : Ce matin, dans Le Figaro, un ministre dit : « Nous sommes des Canadairs chargés d’éteindre les incendies dans nos secteurs où ils pourraient survenir. » Je peux vous appeler Madame le Canadair ?

A.-M. Idrac : Pas du tout. Même si je m’occupe de transports, j’ai l’impression de faire des choses simplement pour que l’on soit plus fiers et plus heureux d’être Français. C’est aussi simple que ça.