Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, sur le marché des protéines végétales dans le cadre de la PAC et le développement du secteur des oléo-protéagineux, Strasbourg le 10 décembre 1996.

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  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Colloque "Protéines végétales" Strasbourg le 10 décembre 1996

Texte intégral

Messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,

C'est une double chance pour moi que d'être ici aujourd'hui en présence des parlementaires européens et des professionnels agricoles européens.

Et surtout pour aborder un sujet, stratégique pour l'Europe, et que la France a porté – depuis les années 70 en quelque sorte – avec l'appui et la réalisation de l'Union européenne. Et sur lequel depuis deux campagnes la France est en revanche un peu seule, isolée.

Et c'est avec une certaine satisfaction que je constate que la persévérance porte ses fruits. Ce sujet rassemblant aujourd'hui parlementaires et producteurs européens. D'autres restent encore à convaincre.

Vous avez ce matin, avec les meilleurs spécialistes, fait un état des lieux. Je ne vais pas moi-même refaire le chemin que vous avez parcouru et que Christian Jacob a résumé, mais je vais tout de même citer quelques faits et quelques chiffres.

On vante beaucoup les mérites du libre-échange et de la répartition des productions en fonction des avantages comparatifs des régions ou des pays. Et c'est bien bercé par cette idée qu'en 1973 nous nous sommes retrouvés à court de matières riches en protéines suite à l'embargo américain sur les exportations de soja.

S'il n'est pas envisageable d'être auto-suffisant pour toute sa consommation, une attention toute particulière doit être apportée aux produits alimentaires, comme à certaines autres matières premières.

C'est ce que je considère comme de la sécurité alimentaire, au sens approvisionnement du marché, que ce soit du marché mondial ou que ce soit de notre marché intérieur.

Ainsi, l'objectif politique et économique que doit avoir l'Europe en matière d'alimentation c'est que chacun ait les moyens, ou de produire ce qu'il lui faut, ou les moyens de se procurer ce qu'il lui faut sur le marché. Et c'est bien cet objectif qui est le premier.

Ce n'est que devant ta difficulté structurelle à long terme que cela pose et devant te nécessaire recours au marché pour de nombreux pays que l'Europe a une place à tenir dans l'approvisionnement du marché mondial.

Car, je suis persuadé que l'Europe avec l'avantage que lui confère son climat tempéré, la maîtrise – relative certes – et la régularité de ses récoltes, est un des seuls exportateurs à pouvoir garantir la fourniture de matières premières agricoles sur le marché.

On ne peut donc pas laisser entièrement dépendre d'un seul fournisseur l'ensemble des marchés.

Avec les protéines végétales c'est bien de l'approvisionnement de l'Union européenne dont il s'agit.

Le premier « Plan protéines » engagé en 1974 a permis le développement de cultures d'oléagineux, de protéagineux et de fourrages, amenant le taux d'auto-approvisionnement de la Communauté européenne de 15 % en 1973, à 37 % en 1991.

On pourra discuter d'un taux considéré comme satisfaisant Toujours est-il que depuis cette date, la situation se dégrade et le taux d'autosuffisance européen tend à diminuer progressivement. Il est passé de 37 % en 1992, à 30 % en 1996. Et aujourd'hui 70 % des besoins de l'Union sont assurés par des importations, notamment de tourteaux de soja.

En effet, alors que la demande mondiale en matières riches en Protéines (MRP) augmente en moyenne de 4 millions de tonnes par an depuis 1992 (dont environ 1 million pour l'Union européenne) la production de la Communauté européenne se stabilise autour de 14 millions de tonnes, pour une consommation qui s'établit aujourd'hui autour de 45 millions de tonnes.

Je vous ai entendu souligner que la crise qui a touché l'élevage bovin ne ferait qu'accentuer le déficit de l'Union européenne en protéines végétales.

Attardons-nous quelques instants sur cette question.

Certes, suite à la crise de l'ESB, la réglementation relative à la fabrication des farines de viandes a été modifiée de façon à interdire l'utilisation des cadavres et des saisies.

Diverses estimations conduisent à penser que cette nouvelle réglementation devrait entraîner une réduction d'utilisation de ces farines de 15 % pour les aliments composés du bétail.

En théorie, cette moindre utilisation des farines de viandes doit se traduire par une incorporation plus importante de certaines protéines végétales.

Bien que les volumes en jeu soient probablement faibles, je peux partager cette analyse.

Certes, les viandes blanches se substituent aux viandes rouges, et elles requièrent plus de protéines végétales. Mais le consommateur n'a pas dit son dernier mot. Il se fait, dans le secteur bovin, un travail immense pour préparer l'avenir et pour répondre aux attentes des consommateurs.

Le conseil des ministres européens de l'agriculture s'est engagé à réformer l'OCM viande bovine avant la fin 1997. Des premiers jalons importants ont été plantés lors du conseil d'octobre. Ne serait-ce que le renforcement des incitations à l'extensification des élevages. Il y a sur la table, en discussion, deux règlements importants concernant l'identification des bovins et l'étiquetage des viandes bovines. La position que j'ai prise publiquement est directement liée à l'avis du conseil national de la consommation. Le consommateur appréciera.

La crise du secteur bovin et la réforme profonde qui concernera ce secteur bovin font craindre une réduction des surfaces fourragères consacrées à l'élevage. Pour moi, la question ne se pose pas dans ces termes. Il s'agit au contraire d'inscrire l'élevage bovin dans une voie plus extensive avec un recours à l'herbe accru.

Dans ce sens, il s'agit, pour un niveau de production donnée, d'utiliser plus de surface, d'occuper plus d'espace. L'analyse de tous ces effets doit être approfondi parallèlement aux réformes qui se préparent pour le secteur bovin.

Cette discussion ne saurait nous conduire à une analyse très différente concernant le déficit d'approvisionnement de l'Europe en protéines végétales. Un tel déficit n'est pas satisfaisant.

Comment en est-on arrivé là ?

D'une part, les différentes sources de protéines ont été encadrées par des limites communautaires, directement ou indirectement. C'est le cas des oléagineux pour lesquels la surface aidée est plafonnée, limitant également la production de tourteaux. La limite de production des tourteaux alimentaires issus de la jachère industrielle est bien connue.

Il en est de même pour le secteur des fourrages séchés et déshydratés et des légumineuses à graines.

D'autre part, la spécificité de la culture des protéagineux n'est pas complétement prise en compte par la politique agricole de 1992 dans la mesure où la réforme de son régime d'aide n'est pas complétement achevée et où le niveau de soutien n'est pas équilibré avec celui des cultures qui les concurrencent dans l'assolement. On dépasse ici la question du revenu des producteurs, qui substitue une culture à une autre pour aborder la question du pilotage de la PAC.

Outre les principes qui régissent les soutiens aux différentes productions, il y a un travail de suivi, d'analyse et d'alerte à faire. Et le cas échéant, il y a des corrections à apporter. C'est selon moi ce qui n'a pas été fait.

Au-delà, c'est bien la question de « que produire et pourquoi » qui se pose. Je l'ai dit, n'ergotons pas sur un taux d'auto approvisionnement à atteindre. Il est évident qu'un taux réel, et décroissant, de 30 % est insuffisant.

Il est donc évident qu'il faut produire plus de protéines végétales. Un objectif commun, issu d'une évaluation sérieuse des besoins doit pouvoir être trouvé.

J'ai bien écouté la présentation par monsieur Sabin du second plan protéines qui propose plusieurs axes pour développer ces productions.

Vous avez bien compris, à travers les propos que j'ai tenus jusqu'à maintenant, qu'une telle démarche, dans son principe, emporte pleinement mon adhésion. Elle prolonge, approfondit et amplifie les positions que j'ai défendues jusqu'alors sur les protéines végétales.

Sans donner un avis point par point sur ces propositions qui devront être étudiées par chacun, je souhaite néanmoins vous faire part de quelques réflexions.

L'élaboration d'un programme de recherche est un élément important du dispositif, que ce soit l'amélioration des plantes ou les techniques de culture. La recherche permet de mieux répondre aux besoins technique et économique des producteurs tout en intégrant au fur et à mesure de leur formulation les attentes des consommateurs en matière de mode de production et de qualité.

Encore faut-il que la technique, issue de la recherche ne soit pas trop incomprise de nos concitoyens. Les soucis de sécurité et de transparence qui doivent guider les décisions et les pratiques en matière de recherche et de production sont inséparables de la communication et de la pédagogie.

En matière d'organisme génétiquement modifié, l'approche que j'ai décrit rime en l'occurrence avec cas par cas et étiquetage. Cas par cas parce que chaque produit est différent et doit faire l'objet d'études spécifiques de ses effets. Étiquetage parce que le consommateur est en droit de savoir qu'il consomme un produit pouvant contenir des OGM.

Le rééquilibrage du règlement grande culture au profit des protéagineux me paraît, disons-le clairement, tout-à-fait justifié. Les protéagineux sont moins contraints que les oléagineux, en particulier en ce qui concerne les surfaces, dans le cadre des accords de Marrakech. Ils constituent de ce fait un atout majeur pour réduire notre dépendance en protéines végétales, notamment destinées à l'alimentation animale, et pour assurer une nécessaire diversification des marchés des matières premières.

Un aménagement du paiement compensatoire protéagineux permettrait d'inciter à un meilleur équilibre des surfaces ensemencées en céréales, oléagineux et protéagineux. La mise en place d'un mécanisme de variabilité du montant de l'aide, calculée sur le modèle « oléagineux » permettrait de tenir compte des variations des prix de marché.

Je souligne en outre l'intérêt qu'il y aurait à aménager également le régime des aides en faveur des fourrages afin qu'il demeure favorable au maintien et au développement de ce secteur dont les qualités agronomiques, écologiques et stratégiques sont indéniables.

Soutenues par les producteurs et les parlementaires européens, ces propositions, que j'ai moi-même portées, pourront plus facilement trouver une issue favorable.

Vous posez enfin la question en terme de principe : prendre en compte les spécificités du secteur des oléo-protéagineux pour l'avenir. Il ne s'agit pas de faire ce qui ne peut être fait, il s'agit de garder en tête l'importance de ces productions, des producteurs et de leur utilité dans le développement de l'économie agricole européenne.

Je pourrai répondre qu'avec de tels colloques, personne ne risque de négliger les protéines végétales. Je crois qu'il est nécessaire d'aller plus loin, de créer un état d'esprit chez les décideurs, de donner une priorité à ce dossier, donner un espace plus grand aux cultures riches en protéines.

Je ne sais pas aujourd'hui qu'elle forme cela pourra prendre. Je peux seulement constater avec vous les verrous qui brident ces cultures.

Hors la production de tourteaux issus de la jachère industrielle pour laquelle il existe encore une certaine marge, les autres productions sont parfaitement encadrées, nous l'avons déjà dit et surtout elles sont cloisonnées entre elles. Cela peut donner quelques idées, non ?!

Ce second plan protéines me semble en conclusion réunir tous les atouts, pour réussir aussi bien que celui lancé il y a 22 ans par les professionnels français.

Aujourd'hui c'est naturellement qu'il est porté par les organisations européennes et par le parlement.

Je lui souhaite de se préciser et de se réaliser rapidement pour la plus grande chance de l'agriculture et de l'économie agricole européenne.

Je vous remercie.