Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, à Europe 1 le 10 décembre 1999, sur le développement économique de la Corse, la position française face à l'embargo sur la viande britannique, l'élection législative partielle à Paris et l'élection de Mme Alliot-Marie à la présidence du RPR.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Les Corses s'isolent, ils font eux-mêmes le blocus de la Corse, ils refusent la concurrence, leurs responsabilités, les réformes, tout ! Qu'est-ce qu'on fait pour les aider, comment on les secoue, monsieur Pasqua ?

- « Je crois que le Premier ministre a décidé de se mettre en première ligne. J'espère qu'il a des idées, parce que s'il les reçoit uniquement pour les écouter, ça ne débouchera pas sur grand-chose, il va entendre les litanies habituelles. J'ai eu l'occasion à deux reprises de diriger le ministère de l'Intérieur et une fois dans le même temps d'avoir en charge le développement de la Corse à travers l'aménagement des territoires. Je crois qu'il faut conduire en même temps une politique d'application de la loi et de répression des activités criminelles, mais aussi dans le même temps il faut conduire une politique de développement économique. Et celle-ci ne peut se faire que si les Corses eux-mêmes sont d'accord. C'est la raison pour laquelle je pense que, dès lors qu'on arriverait à déboucher sur un consensus sur les mesures à prendre, il faudrait consulter l'ensemble des Corses pour qu'ils fassent le projet qui aura été adopté. »

Q - C'est-à-dire une consultation, un référendum pour les Corses ?

- « Oui. »

Q - Et pourquoi pour les Corses sans les autres,

- « Parce que c'est prévu. »

Q - C'est reconnaître l'identité du peuple corse.

- « Non, pas du tout. Il s'agit d'associer l'ensemble des Corses aux décisions qui seront prises en matière de développement économique. Moi je ne parle pas d'autre chose, c'est de cela dont je parle. »

Q - Est-ce que vous trouvez que L. Jospin fait bien lui au moins de les réunir tous, y compris les nationalistes, au grand jour ?

- « Oui, mais ça, vous savez il n'a rien inventé ! La première chose que j'avais faite au nom du gouvernement d'E. Balladur, à peine nommé ministre de l'Aménagement du territoire, je m'étais rendu en Corse devant l'Assemblée régionale et ensuite j'avais reçu les représentants de toutes les familles y compris les nationalistes. »

Q - Vous voyez les résultats !

- « Les résultats, c'est que malheureusement ce qui nous a manqué à nous - c'est-à-dire au Gouvernement de J. Chirac et à celui d'E. Balladur - c'est le temps puisque à deux reprises notre action a été interrompue par les élections. Ce Gouvernement n'aura pas ces excuses parce qu'il aura disposé, ou il disposera de cinq ans devant lui. Il sera jugé sur ce qu'il aura fait. »

Q - Donc un référendum pour les Corses, en Corse, et avec plus d'autonomie pour les Corses.

- « Oui, mais le référendum ça n'est qu'une consultation des Corses, ce n'est que l'aboutissement. On ne va pas leur demander ce qu'ils pensent. Il s'agit d'abord qu'il y ait un consensus sur les mesures à prendre en matière de développement économique puisque c'est l'essentiel. Est-ce qu'on est en mesure de faire en sorte que celle île se développe et que tous ceux qui y vivent et notamment les jeunes y trouvent les moyens d'existence nécessaires ? »

Q - Eh bien, qu'ils fassent aussi eux-mêmes un effort !

- « Bien entendu ! »

Q - Les quinze européens sont à Helsinki. Ils affrontent en ce moment un coup de froid à cause du boeuf fou britannique. L. Jospin, est-ce qu'il a eu raison ?

- « Oui, tout à fait ! Je constate d'ailleurs que L. Jospin a retrouvé l'intérêt de la souveraineté nationale. Car pour pouvoir dire « non », il faut être souverain. »

Q - Donc, vous voyez qu'on peut être très européen et dans certains cas défendre les intérêts nationaux.

- « Qu'est-ce que ça veut dire être très européen ! Tout le monde est européen. Moi je n'accepte pas qu'on me dise que je suis contre l'Europe. Je suis contre l'Europe dans laquelle les nations disparaissent. Ce n'est pas du tout pareil ! »

Q - Mais enfin, ce n'est pas le cas.

- « M. Jospin retrouve tout d'un coup l'intérêt pour une nation de pouvoir décider par elle-même quand ses intérêts vitaux sont en compte. C'est cela que j'appelle la souveraineté. »

Q - Et la préférence nationale dans certains cas !

- « La préférence nationale il y a belle lurette que ça n'existe pas, pas plus que la préférence communautaire d'ailleurs ! On ne peut pas être à la fois pour l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui et la mondialisation. Tout ça est incompréhensible et incohérent. »

Q - Mais pourquoi vous êtes tout le temps défenseur des vieilles batailles. Vous, le gaulliste, vous êtes accrochés à la lampe à huile et à la marine à voile. On ne vous reconnaît pas là !

- « Non, je ne suis attaché ni à la lampe à huile, ni à la marine à voile. Je crois qu'il faut construire l'Europe en partant des réalités. Les réalités ce sont les nations. Il faut se rendre compte aussi d'une autre chose, c'est que la mondialisation ça va beaucoup plus vite que l'Europe et que ce système actuel qui consiste à essayer à enfermer l'Europe dans un certain nombre de carcans est incohérent. »

Q - Et qu'il y ait une tension avec T. Blair, qu'il y ait une tension avec l'Europe, on s'en fiche ?

- « Le problème ce n'est pas qu'il y ait une tension. Le problème est le suivant : la santé des Français pourrait-elle être menacée par la mise sur le marché du boeuf britannique ? La réponse est oui ! Lorsque j'entends monsieur Hollande, avec beaucoup… »

Q - D'éloquence !

- « D'éloquence », oui… et un peu d'impudence, dire qu'il faut se rendre compte de l'intérêt des Français et faire passer la prévention et la précaution avant toute autre notion, je trouve que c'est bien ! Mais il devrait se souvenir que tel n'avait pas été leur cas lors du sang empoisonné, c'est peut-être ça qui rebondit. »

Q - Ce matin il y a un jospiniste de plus.

- « Oh, non ! Oh là ! Non pas du tout ! Ne caricaturez pas monsieur Elkabbach ! »

Q - Non pas du tout, mais enfin, on peut avoir de l'humour surtout avec vous. Alors l'opposition est en train de vous maudire parce que vous avez laissé battre dimanche à Paris l'UDF D. Bariani. C'est la stratégie Ponce Pilate. Est-ce que vous allez recommencer à jouer comme ça contre votre camp pour les élections législatives, les prochaines élections ?

- « Non mais il ne s'agit pas du tout de ça ! D'abord, monsieur Bariani avait été battu lors du scrutin précédent si j'ai bonne mémoire. En 97, il a été battu avec le même pourcentage de voix, le RPR n'existait pas. Je souhaite d'autre part que le fait que nous ayons dit qu'il appartenait à nos électeurs de se déterminer ne les a pas empêchés de reporter massivement leurs voix sur Bariani. »

Q - Vous n'avez pas répondu à la question. Est-ce que vous allez faire ça à chaque fois ? C'est-à-dire, pour des triangulaires vous allez faire battre - comme autrefois J.-M. Le Pen - vous allez faire battre vos amis de droite ?

- « Ne comparez pas ce qui n'est pas comparable ! J'ai déjà eu l'occasion de dire que nous ne jouerons pas la politique du pire, mais ce dont il faut se rendre compte c'est que nous sommes un mouvement politique qui est décidé à traiter les électeurs d'une manière adulte. Personne n'est propriétaire des voix des électeurs, ce n'est pas du bétail. »

Q - Madame Alliot-Marie est devenue président du RPR. Est-ce qu'elle entame bien son rôle ?

- « Je ne sais pas. Je ne suis pas à l'intérieur du RPR. »

Q - Non, mais vous la voyez agir : les premières déclarations, les premiers rendez-vous ?

- « Le premier rendez-vous, elle est allée déjeuner chez J. Chirac. Ce qui me paraît normal. Ensuite il a été annoncé qu'elle se rendrait chaque semaine pour rencontrer J. Chirac. Donc la principale novation c'est qu'au lieu de recevoir Séguin ou Sarkozy, Chirac reçoit madame Alliot-Marie. »

Q - Et alors, qu'est-ce qu'il y a de choquant ?

- « Il n'y a rien de choquant. Mais ça veut dire qu'il n'y a rien de changé. »

Q - Elle va organiser en mars des assises du gaullisme et elle vous a invité. Est-ce que vous finirez par vous laisser convaincre ?

- « Il ne s'agit pas de dire qu'on est gaulliste, il faut apporter la preuve qu'on l'est. Et apporter la preuve que l'on est, c'est avoir une certaine attitude. On ne peut pas dire cela quand on a adopté le Traité d'Amsterdam qui a consacré l'abandon de pans entiers de souveraineté nationale. »

Q - Donc elle n'est pas gaulliste ?

- « Elle est chiraquienne. »

Q - Chirac, ça ne veut pas dire gaulliste ?

- « Chirac est chiraquien lui aussi. C'est même le premier des chiraquiens. »

Q - C. Nay le rappelait tout à l'heure et vous l'avez entendue, la plupart des têtes de listes aux européennes ne vont pas siéger finalement à Strasbourg. Est-ce que vous allez être cohérent : vous serez à Strasbourg ou vous démissionnez de Strasbourg ?

- « J'ai une décision à prendre. Je la prendrai la semaine prochaine après avoir réuni les membres de mon groupe. Mais je vous laisse penser ce que je pourrais faire puisque dans votre question vous dites vous-même : « Est-ce que vous serez cohérent avec vous-même ? » Vous avez donc déjà en partie la réponse. »

Q - Je vais encore préciser : en avril 99 vous avez affirmé, je vous cite « on ne peut pas se présenter à l'élection pour ne pas exercer son mandat ». Vous, vous allez l'exercer ?

- « C'est probable. »

Q - Merci. J'ai envie de vous offrir un cadeau pour Noël. Je crois avoir trouvé : un bon rendez-vous avec Chirac.

- « Je n'ai pas besoin de vous pour ça. Merci. »

Ah donc il y en a, il y a des contacts ! Et dire que nous nous pensions qu'il n'y en avait pas !