Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur le musée de l'aviation de Biscarrosse et sur l'enseignement artistique, Biscarrosse et Bordeaux le 29 novembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration de l'école "Le Petit Prince" et du musée de l'aviation à Biscarrosse-Rencontres interrégionales sur l'éducation artistique à Bordeaux le 29 novembre 1996

Texte intégral

Inauguration de l’école Le Petit Prince et du Musée de l’hydraviation de Biscarrosse, le vendredi 29 novembre 1996

Monsieur le maire,

C’est avec grand plaisir que j’ai répondu à votre invitation.

Inaugurer, avec vous, une école est une grande satisfaction, car je sais que cette construction nouvelle traduit le dynamisme de votre cité.

Le plaisir est d’autant plus intense que l’école offrira aux enseignants et aux élèves de nombreuses opportunités de manifester leur intérêt pour la vie culturelle : la bibliothèque, les salles d’activités pour les arts plastiques, tout ceci augure bien de l’avenir et permettra certainement des rapprochements avec le dynamique centre culturel de votre ville, pour lequel je voudrais saluer les efforts que vous avez engagés.

Vous avez maintenant une équipe professionnelle qui se constitue et qui sait travailler en réseau sur des projets de qualité, alliant la diffusion de spectacles et de très intéressantes formations sur la danse, le cirque, le théâtre, le chant vocal.

Voilà de quoi nourrir la vie culturelle de Biscarrosse, et ouvrir des perspectives passionnantes, pour ceux qui ont en charge l’éducation artistique des jeunes de votre ville.

D’ailleurs, le nom même donné à l’école, « Le Petit Prince » est un magnifique symbole du rapprochement de l’éducation et de la culture.

En faisant, ainsi, référence à l’œuvre merveilleuse de SAINT-EXUPERY, vous avez su faire coup double, et rappeler l’importance que votre ville attache à l’aventure des pionniers de l’aviation et à votre préoccupation constante d’en faire revivre la culture à partir du musée de l’hydraviation.

Permettez-moi, Monsieur le maire, de vous dire que la visite du musée, que j’ai effectuée, m’a fortement impressionné.

C’est, d’abord, un lieu d’évocation de l’histoire, héroïque et aventureuse, de l’aviation commerciale. Ses collections se rapportent à la plupart des grands constructeurs, aviateurs, personnalités marquantes et vivantes dans nos esprits de l’histoire de l’hydraviation : Jean MERMOZ, LATÉCOÈRE, Henri FABRE…

C’est pourquoi la visite de ce musée est un moment fort et plein de charme à la fois, où l’on apprécie de revivre cette riche histoire de passions et d’innovations.

Le lieu même du musée est évocateur, puisqu’il se situe à proximité de l’ancienne usine Latécoère, d’où proviennent nombre d’objets présents au musée. Il est aussi extrêmement intéressant par son caractère unique en Europe. Seule l’Italie dispose d’un musée de l’hydraviation comparable ce qui fait de Biscarrosse une référence internationale que reconnaissent les dix mille visiteurs payants chaque année.

Je tiens à saluer le dynamisme, la compétence, l’action inlassable de Mme VIE-KLAZE, fondatrice de ce musée, que je voudrais féliciter pour sa nomination récente dans l’ordre national du mérite. Il s’agit là d’une juste reconnaissance du formidable travail accompli.

Grâce à elle et à toute l’équipe de bénévoles qui l’entourent, les collections présentées sont importantes. Ces belles maquettes de soufflerie, ces pièces de moteur, ces instruments de navigation sont remarquables et reconnues par la direction des musées de France ; les documents imprimés les œuvres originales d’artistes comme Géo HAM, les projets d’architectes décorateurs sont captivants. Ils aiguisent notre regard sur le monde riche de l’hydraviation.

Le musée ne s’est pas arrêté là. Il lui fallait présenter des hydravions en grandeur réelle.

Sur les conseils de l’inspection des musées de France, la ville de Biscarrosse a acheté en 1992, deux hydravions Gruman, construits pour la marine américaine en 1944.

Le musée et Madame VIE-KLAZE ont su faire preuve d’une ténacité à la hauteur de leur légitime passion.

Pour la restauration de ces appareils, l’association se mit en quête, non de mécénat en argent, mais d’une sous-traitance, plus ou moins gratuite, pour les pièces à changer ou à restaurer.

Ainsi, l’un des hydravions Gruman Widgeon a été confié à l’école des mécaniciens de l’armée de l’air de Rochefort où il a été refait, en vue d’une présentation devant le musée. Le deuxième hydravion de ce type, qui est présenté dans l’un des halls, a été restauré par des bénévoles de l’association aidés de CES.

Il en est de même pour un petit hydravion moderne américain Thurston TEAL, restauré par l’équipe de bénévoles de l’association, dont quelques retraités toujours actifs.

Je félicite aussi l’association du musée pour sa volonté de faire partager, aux jeunes scolaires, son enthousiasme pour l’aviation, en ayant concrétisé un véritable jumelage entre le musée, le lycée des métier de la mer de Gujan-Mestras et le lycée professionnel de Parentis.

Ce jumelage est exemplaire, puisque les élèves ont directement contribué à la construction d’une réplique, à l’identique, d’un hydravion Donnet-Lévêque de la première guerre mondiale.

Le lycée des métier de la mer s’est ainsi chargé de faire réaliser, par les élèves, la partie menuiserie du projet, la partie ferronnerie et chaudronnerie ayant été assurée par les élèves du lycée professionnel de Parentis.

Je me réjouis que ce partenariat ait permis de mieux faire découvrir le musée au élèves des deux lycées et de les intéresser au travail qui s’y accomplit. Il a aussi permis une communication encore meilleure entre élèves et enseignants des deux lycées, qui ont travaillé dans un esprit de coopération et de complémentarité.

La direction régionale des affaires culturelles a suivi cette opération exemplaire dès son origine.

Je rappelle enfin que, pour ce qui est de l’investissement, après avoir subventionné la réalisation du musée lui-même, la direction régionale des affaires culturelles a pris en compte sur ses crédits déconcentrés, en 1993 et 1994, la réalisation par la ville de Biscarrosse, de deux halls vitrés de 240 mètres carrés chacun, pour présenter au public les grosses pièces mécaniques et surtout les trois hydravions restaurés -  le quatrième le sera à l’extérieur.

Le montant total de cette dernière dépense s’élève à 902 500 francs, la subvention globale du ministère de la culture en représentant plus du tiers. J’ajouterai que le conseil général est, également, intervenu sur cet équipement.

Restent à aménager, dans les prochaines années, les nouveaux locaux de réserves, d’archives et de documentation et à construire un nouveau pavillon pour la salle d’expositions temporaires.

Mesdames et Messieurs, ce musée de Biscarrosse représente une part précieuse de l’épopée à la fois humaine et technique de l’hydraviation. Le souvenir de ces hommes, équipages, personnels techniques, constructeurs qui en furent l’âme ne nous quittera jamais : il est, pour nous le symbole vivant de ce que l’homme, quand il le veut, est plus grand que l’homme.

 

Rencontres interrégionales sur l’éducation artistique à Bordeaux, le vendredi 29 novembre 1996

L’éducation artistique et culturelle est unanimement reconnue comme l’un des enjeux majeurs de la politique culturelle.

Toutes les études, tous les sondages confirment qu’une place prépondérante doit être accordée à ce que je n’hésite pas à appeler une cause nationale.

Le Président de la République, Jacques CHIRAC, s’est d’ailleurs engagé, dès sa campagne présidentielle à – je le cite : « … rouvrir le chantier des enseignements artistiques ».

Il l’a réaffirmé, tout récemment, en faisant de l’égalité des chances par la culture l’ambition culturelle de son septennat : « Tout se joue », dit-il, « autour de l’enfant. L’objectif est de donner, à chaque enfant, sa chance culturelle ».

Ces rencontres qui s’ouvrent aujourd’hui s’inscrivent pleinement dans cette perspective.

J’ai souhaité les organiser en partenariat avec le Monde de l’éducation dans cinq inter régions, afin de dégager les grandes orientations d’une politique de généralisation de l’éducation artistique, en concertation avec l’ensemble des partenaires.

En effet, la politique d’éducation artistique et culturelle est l’affaire de toutes les autorités publiques. Elle est celle de l’État, de tous les ministères et tous les établissements publics placés sous leur tutelle, mais aussi celle des collectivités territoriales et des structures qu’elles contrôlent, parmi lesquelles figurent les établissements spécialisés dans l’enseignement des arts.

Il s’agit donc de mobiliser tous les moyens dont dispose la puissance publique et d’encourager toutes les initiatives publiques ou privées allant dans ce sens.

Construire la société de demain, c’est construire l’avenir de nos enfants.

Le développement du goût, de la sensibilité pour tous les domaines de la connaissance ne passe pas seulement par la raison, mais repose sur une éducation de la sensibilité.

Tous les enseignants, tous les éducateurs, les parents eux-mêmes savent que cette éducation contribue à la construction de la personnalité, permet d’éveiller des appétits de connaître qui ne sont pas du même ordre que ceux qui passent par les disciplines jugées « fondamentales » et butent trop souvent sur l’échec scolaire.

L’acquisition de compétences essentielles pour affronter les multiples mutations sociales et professionnelles que les enfants d’aujourd’hui seront conduits à rencontrer ne sauraient être mieux développée que par la rencontre avec la création, chez les créateurs eux-mêmes ou auprès des responsables des lieux de conservation des œuvres qu’ils ont produites. Créativité et sens de l’adaptation sont les compétences que l’éducation artistique et culturelle est assurément seule à offrir.

Cela commence à l’école : c’est l’éducation artistique.

L’objectif de l’éducation artistique est de donner, aux élèves, une formation équilibrée en cultivant des capacités que les enseignements traditionnels ne peuvent pas développer seuls : la créativité et l’imagination, mais aussi la curiosité, l’autonomie, le sens artistique et celui de l’observation.

Il ne s’agit pas seulement ou pas forcément de former de futurs artistes, mais de donner à tous les enfants les moyens d’observer et de comprendre le monde qui les entoure, en affinant leurs perceptions et leur discernement.

L’éducation artistique favoriser l’acquisition d’une sensibilité, de savoirs, de talents, qui leur serviront, tout au long de leur cursus scolaire, en les rendant capables d’imaginer, de créer, de penser par eux-mêmes et de s’adapter à des situations nouvelles. C’est l’efficacité même du système scolaire qui est en jeu.

A une époque où la scolarité est de plus en plus longue, on ne peut réduire le rôle de l’école à la formation purement intellectuelle ou à la seule qualification professionnelle. Il est nécessaire que l’école soit le lieu de transmission d’un langage, d’un patrimoine, d’un corps de référence commun. La culture fait partie des savoirs et des savoir-faire fondamentaux.

La culture est, également, un moyen privilégié de lutter contre les exclusions. L’enfant en difficulté scolaire peut accéder plus facilement à la maîtrise des signes et des symboles par des expériences concrètes de jeu, de manipulation, de contacts avec les objets, avec la matière. Il peut développer des capacités intellectuelles et créatrices qu’il appliquera, ensuite, à des domaines plus abstraits. C’est une chance de plus, pour lui, de ne pas se sentir exclu du système scolaire.

De plus, l’école est le premier et parfois le seul lieu de l’éveil artistique ; celui où l’élève, qu’il habite à la campagne ou dans un quartier périphérique, qu’il soit issu de l’immigration ou qu’il vive une situation familiale économiquement précaire, doit avoir autant de chances que tous les autres enfants de son âge de rencontrer l’œuvre d’art et d’accéder au jugement esthétique.

Enfin, c’est à l’école que se forge une identité culturelle commune, issue d’un patrimoine partage par tous. Ainsi, l’accès à l’éducation artistique est-il bien l’un des enjeux majeurs de la démocratie.

Si les enseignements spécialisés ne relèvent pas directement de l’éducation artistique et culturelle, au sens large du terme, ils y participent pour un nombre croissant d’enfants et de jeunes.

En effet, ces enseignements sont au cœur des grands enjeux de la vie sociale et culturelle d’aujourd’hui et de demain, que sont l’aménagement des rythmes scolaires, la politique de la ville, l’animation de la vie culturelle locale.

J’ai décidé de proposer une loi, dont l’objectif est de rendre les enseignements spécialisés accessibles à tous, sur l’ensemble du territoire. Son ambition est de créer un véritable service public de l’enseignement de la musique, de la danse et de l’art dramatique.

Pour cela, il est nécessaire de remédier aux trois principales faiblesses du dispositif actuel : une insuffisance clarification des compétences respectives des différentes collectivités locales et de l’État ; un manque de coordination du réseau des établissements ; l’absence d’un outil spécifique en matière d’enseignement supérieur, en dehors des conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon.

Pour accompagner cette réforme d’ampleur comme la nouvelle répartition des compétences, l’État consentira un effort budgétaire exceptionnel, pendant cinq ans.

Je voudrais mentionner, à l’appui de mes propos, les résultats du dernier sondage IPSOS, effectué le  18 novembre dernier, sur l’image de l’enseignement artistique en France. Ils sont parlants.

52 % des personnes interrogés estiment que la place accordée à l’éducation artistique est insuffisante et 72 % d’entre elles sont favorables à ce que les disciplines artistiques soient considérées comme des matières à part entière.

Dans la même logique, 56 % de l’échantillon pensent que l’éveil et la pratique de ces disciplines peuvent être un remède à l’échec scolaire et un facteur d’intégration sociale.

Devant ces chiffres et la reconnaissance de l’éducation artistique comme un élément essentiel dans l’éducation des enfants, il faut que le ministère de la culture réaffirme sa force de proposition, d’innovation, d’expérimentation.

Je suis convaincu qu’il convient d’énoncer clairement une volonté politique forte, s’inscrivant dans le sens des priorités présidentielles et gouvernementales.

Le partenariat avec les autres ministères et les collectivités territoriales est la condition de la réussite de cette politique.

Depuis longtemps, l’éducation nationale a été le partenaire essentiel : de la loi de 1988 – qui a permis la mise en place des classes culturelles et des ateliers de pratique artistique –, jusqu’au protocole d’accord de novembre 1993.

Ce dispositif est renforcé par la présence du ministre de la jeunesse et des sports instituant, à titre expérimental, des parcours d’éducation artistique pour tous les enfants d’un territoire donné.

La question de l’éducation artistique dépasse largement le strict cadre de ce partenariat.

C’est pourquoi, d’autres partenaires, l’agriculture, la ville et l’intégration, le tourisme et les réseaux d’éducation populaire sont désormais associés.

Pour ma part, je suis déterminé à mobiliser l’ensemble des directions de mon ministère, selon deux orientations :

Proposer une initiation artistique et culturelle pour tous les enfants, à partir des enseignements dispensés dans le temps scolaire.

Clarifier et améliorer encore l’offre culturelle. Il faut y travailler avec les collectivités territoriales. Tous les publics étant concernés par l’accès à l’art et à la culture, il est nécessaire de mettre en réseau les ressources et les structures culturelles, en lançant avec les collectivités locales de véritables politiques contractuelles.

Réussir une politique d’éducation artistique aujourd’hui, c’est, d’abord, rendre lisible ce qui existe déjà, le faire vivre pour un public toujours plus nombreux, grâce à des professionnels formés à l’accueil des publics et à la médiation.

Mon ambition, vous l’aurez compris, est de passer, après les années d’expérimentation, à la phase de généralisation.

Ces rencontres doivent permettre de proposer un bilan et des perspectives dans ce domaine.

Toutes les expériences témoignent de la volonté de la disponibilité de l’esprit d’initiative et de la coopération de tous les acteurs sur le terrain.

Il faut les pérenniser, les conforter, les capitaliser.

Des formules souples doivent être mises en place pour permettre à des artistes ou des professionnels de la culture de toutes disciplines, de tous milieux d’intervenir dans tous les moments de la vie des enfants et des jeunes.

L’éducation artistique et culturelle doit pouvoir être dispensée à l’école au collège et au lycée par des enseignants, des artistes, des conservateurs de musées, des bibliothécaires ou tout autre professionnel de la culture.

Enfin, je souhaite que toutes nos institutions culturelles s’ouvrent, toujours plus largement, en devenant les maillons essentiels d’un grand réseau public au service de l’action éducative et culturelle.

Je vous remercie chaleureusement d’avoir accepté de prendre part à ces travaux dont j’étudierai les conclusions avec la plus grande attention.

Elles participeront à l’élaboration de ce dispositif d’accès à la démocratie culturelle souhaitée par tous.