Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, sur le marché du sucre et de la betterave à sucre et la filière des biocarburants, Paris le 11 décembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Assemblée générale de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), Paris le 11 décembre 1996

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

Merci de m’avoir invité à célébrer votre anniversaire celui de vos 75 ans. 75 années de parcours exemplaire.

Exemplaire pour notre agriculture et pour son avenir.

C’est en tout cas ma perception de votre histoire.

Durant 75 ans, votre organisation a été un moteur, le moteur de l’émergence d’une profession, et au-delà de toute une filière, très organisée et dynamique.

Avant toute autre organisation commune, elle a œuvré à un développement concerté de la production de betteraves-sucre et de betteraves-alcool en France.

En 1968, ce travail a été couronné de succès au niveau communautaire lorsque la CGB, avec le concours de l’administration, a obtenu la mise en place d’un environnement réglementaire et économique à la hauteur de ses ambitions : la première organisation commune de marché dans le secteur du sucre avec les 3 piliers d’une grande politique :
    - la volonté d’une réelle maîtrise de la production agricole ;
    - une prise en charge financière par l’ensemble de la filière betteraves/sucre des charges de l’organisation de marché ;
    - et le principe de la préférence communautaire.

En avril 1995, ces principes fondateurs de l’organisation commune du marché du sucre ont été reconduits pour une période de 6 ans.

Et croyez-moi si vous voulez bien, on me répète à l’envie que la CGB n’y est pas pour rien.

La nouvelle OCM a maintenu l’essentiel de qui avait fait le succès de la précédente :
    - quotas de production et écoulement de sucre à des prix garantis ;
    - autofinancement par les planteurs et les fabricants de sucre ;
    - maintien du niveau des quotas de production et de la préférence communautaire.

Au-delà de cette réussite dans le temps, qui tient de la prouesse, il faut voir une constante dans les missions sur lesquelles la CGB s’est investie : la mission de représenter et de défendre les planteurs de betteraves. L’ambition d’être un partenaire acharné mais constructif du débat interprofessionnel. Le souci de l’avenir à travers le développement de techniques culturales nouvelles et de débouchés nouveaux.

Un passé comme celui-là, c’est déjà une force pour l’avenir.

Votre secteur montre sur la durée de bons résultats économiques qui témoignent aussi de choix stratégiques parfaitement réussis.

Grâce à vous, la France est aujourd’hui un acteur de premier plan dans le secteur du sucre au niveau mondial.

Plus de 40 000 exploitations betteravières contribuent à faire de ce secteur le premier producteur et le premier exportateur européen. 46 usines transforment cette production et apportent plus de 6 milliards de francs à l’excédent commercial français soit 15 % de l’excédent agro-alimentaire.

Si la superficie consacrée en France à la culture de la betterave est sensiblement au même niveau qu’en 1960, les progrès réalisés dans les modes de cultures et la sélection variétale ont été spectaculaires. Les rendements ont suivi et la production française de sucre est supérieure d’un tiers à celle d’il y a trente ans.

Compte tenu des accords de Marrakech et de l’émergence de nouveaux producteurs sur le marché mondial, cette augmentation vous a conduit à imaginer une démarche stratégique nouvelle, courageusement engagée sous la bannière de la CGB.

Il s’agit d’une politique volontariste en matière de production de betteraves à sucre hors quota alliée à la recherche de débouchés non alimentaires, et une politique qui s’est concrétisée par la production de biocarburants à partir d’éthanol.

Tous nos efforts ont été payants et vous faites aujourd’hui partie des producteurs agricoles qui ne sont pas en crise.

Dieu merci tout ne va pas mal dans notre agriculture.

C’est vrai que les éleveurs bovins sont frappés depuis mars de plein fouet par une crise sans précédent dans l’histoire de l’agriculture et leur situation justifie pleinement les moyens considérables qui ont été mis en œuvre pour les soutenir et ceux qui devront encore être mis en œuvre (OCM). C’est vrai aussi que nous avons connu cet été une crise grave pour certaines productions fruitières.

Mais il y a d’autres secteurs de l’agriculture qui se portent bien, pas seulement la betterave. Je m’en réjouis, parce que la meilleure santé économique d’une partie de l’agriculture se répercute sur des filières entières, en amont et en aval.

L’agrofourniture, le machinisme agricole sont par exemple des branches d’activités qui bénéficient d’une situation meilleure constatée dans vos exploitations et celles d’autres secteurs de la production agricole.

Et puis, je m’en réjouis parce que c’est un des éléments qui donne confiance à des jeunes qui veulent s’installer et vous savez que l’installation est un grand objectif national pour l’agriculture.

Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu’il faut se reposer sur ses lauriers, ni vous, ni moi.

Je préfère agir pour maintenir et conforter une situation favorable plutôt que d’être surpris par une crise qui a toujours des conséquences irréversibles, et je sais de quoi je parle.

Je saisis d’ailleurs l’occasion de vous remercier au nom des éleveurs du geste de solidarité que vous vous proposez de faire en leur faveur et dont la mise en œuvre pratique sera examinée en étroite concertation avec vos représentants.

En matière de prise en compte de l’environnement dans le développement de vos productions, vous n’êtes pas en reste.

Alors que les rendements ont progressé régulièrement de 2 % par an au cours des 20 dernières années, passant de 7 T/ha de sucre à plus de 10 T/ha, il est remarquable de noter que :
    - la quantité d’engrais azoté utilisée par ha de betterave a diminué de 30 % ;
    - que la quantité de matière active utilisée dans les traitements phytosanitaires a de même baissé de 30 %.
    - et que l’apport d’eau sur les parcelles irriguées a été limité aux stricts besoins de la plante.

Je ne crains pas de dire que cela correspond à ce que je considère comme devant être le modèle d’agriculture à défendre en Europe. Une agriculture raisonnablement intensive, capable de prendre en compte l’environnement, tout en étant résolument tournée vers la production et l’approvisionnement du marché.

À cet égard, je relève vos propos sur les OGM. Les secousses que l’agriculture a vécu ces derniers mois m’ont renforcé dans ma conviction d’accorder une attention prioritaire à la sécurité et à la transparence. Et j’estime qu’en matière d’organisme génétiquement modifié, nous devons procéder au cas par cas et toujours dans une transparence totale grâce à l’étiquetage.

Au cas par cas, parce que chaque produit est différent et que chaque produit doit faire l’objet d’études spécifiques. Et nous devons imposer l’étiquetage parce que le consommateur est en droit de savoir qu’il achète un produit pouvant contenir des OGM. Je crois que dans ces conditions on peut progresser.

S’agissant du progrès et de sa maîtrise, je voudrais revenir sur un programme d’avenir dans lequel vous vous êtes investis aux côtés des pouvoirs publics : la filière biocarburants.

Au plan agricole, la production d’éthanol carburant a en effet mobilisé, au titre de la récolte 1996 plus de 10 000 ha de betteraves et 12 000 ha de blé. À partir de cette récolte, plus de 79 000 tonnes d’éthanol pourront être produites.

En prévoyant notamment l’incorporation obligatoire d’un taux minimal d’oxygène dans les carburants et combustibles liquides d’ici l’an 2000, la loi sur l’air entend se donner les moyens de lutter efficacement et rapidement contre les pollutions atmosphériques liées au fonctionnement des moteurs.

Je tiens à vous assurer que je resterai particulièrement vigilant au moment de l’élaboration des décrets d’application de cette loi.

Mais il faut encore aller plus loin et prévoir une politique fiscale adaptée aux rapports de prix entre les carburants renouvelables et les carburants minéraux, une politique stable au niveau communautaire. C’est bien ce que la commission envisageait de faire à travers le projet de directive dite « Scrivener ».

Dans l’intervalle, il était nécessaire de mettre en place en France un système de défiscalisation performant et compatible avec les règlementations communautaires.

Si ce dossier connaît des difficultés, je suis personnellement convaincu que les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics et l’Union européenne sont les bons, ils sont clairs, et je n’imagine pas qu’une issue favorable ne puisse pas être trouvée.

Dans ce domaine comme dans d’autres, vous avez besoin d’engagements dans la durée. On ne peut pas avoir en permanence le nez dans le guidon : il faut savoir lever les yeux.

Le renouvellement pour 6 ans de votre régime spécifique, les négociations d’élargissement aux PECQ qui ne commenceront qu’après la CIG et qui prévoiront une période transitoire nécessairement adaptée, le respect du calendrier de Marrakech en ce qui concerne les négociations commerciales, tout cela vous permet de regarder un peu plus loin.

À ce titre, je voudrai saluer deux démarches que vous avez entreprises.

D’une part, les relations privilégiées que la CGB a développé avec les producteurs des PECO.

J’ai pu constater sur place que le niveau de connaissance mutuelle et surtout le rapprochement des dispositifs qui existent ou se créent dans ces pays avec celui qui prévaut dans l’Union, ce rapprochement va dans le bon sens.

Il est clair que cela facilitera les futures négociations avec ces pays en particulier pour la reprise des dispositifs communautaires de la PAC.

D’autre part, vous avez fait un réel effort de prospective cette année en lançant une étude sur les perspectives d’évolution des marchés mondiaux.

Nous devons toujours penser à l’avenir. C’est pourquoi, d’ailleurs, la France va se doter d’une nouvelle loi d’orientation pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt parce que nous devons prévoir, anticiper, préparer les révolutions qui s’annoncent pour les vingt prochaines années.

Notre monde est incertain, variable, complexe. Et notre responsabilité collective est de tracer les lignes directrices pour nos filières agro-alimentaires et pour notre espace rural.

Tel est l’enjeu de cette loi d’orientation qui devra surmonter les paradoxes de notre agriculture et aura 5 principes :
    1. affirmer et assurer la place majeure de l’agriculture dans la société française ;
    2. reconnaître la primauté des personnes ;
    3. admettre la diversité des solutions pour réconcilier les différentes logiques ;
    4. inscrire la notion de durée au coeur du « contrat » qui sera ainsi passé entre la Nation et son agriculture, entre l’État et l’initiative privée ;
    5. promouvoir la modernité du secteur agricole et agro-alimentaire.

Je crois que pour son 75e anniversaire, la CGB retrouve dans ces principes les ambitions, les espoirs, les préoccupations des planteurs qui la constitue.

Monsieur le Président, vous m’avez indiqué également votre souci, et celui des planteurs vis-à-vis des restructurations qui affectent l’industrie de transformation.

Il ne m’est pas possible de me substituer à vous. Mais je tiens à vous dire que je comprends l’attachement des planteurs à l’usine à laquelle ils livrent. C’est une relation forte qui lie l’usine et le planteur et qui dépasse souvent la question économique.

Je comprends aussi qu’il est indispensable d’avoir un outil performant de transformation, mais souci de l’emploi.

Vous avez parlé au début de votre intervention de mariage entre les planteurs et les industriels. Il faut à l’évidence viser l’équilibre.

Monsieur le président, en 75 ans, ne vous êtes pas laissés endormir par les petites habitudes ou par la routine. Vous avez plutôt fait preuve de recul dans l’analyse, d’imagination, d’ambition, de détermination, de capacité à surmonter les épreuves. C’est sans aucune nostalgie, mais au contraire, avec l’idée de vous projeter vers le nouveau millénaire, que vous allez maintenant aborder votre 76e année.

Bon anniversaire ! Et bon courage pour les années à venir !