Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 28 février 1997, sur la crise du secteur automobile, le plan de redressement du GAN, le financement des déficits des entreprises publiques et le coût du désastre du Crédit Lyonnais, et la réforme du système bancaire.

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Circonstance : Annonce par M. Arthuis du plan de sauvetage du GAN le 27 février 1997.

Média : Europe 1

Texte intégral

Europe 1 : Renault et Peugeot sont en difficulté. Ils vous demandaient de financer sur six ans les départs en préretraite de 40 000 salariés de plus de 51 ans pour recruter des jeunes et ainsi faire face à la concurrence mondiale. L’État a dit « non ». C’est si cher que ça ?

J. Arthuis : Oui, parce que l’État, c’est le contribuable ; et le contribuable n’a pas pour vocation de venir, constamment, en aide aux entreprises qui ont à régler leurs difficultés de fonctionnement.

Europe 1 : Ce qui est le cas jusqu’à présent. Et ça aurait coûté combien ?

J. Arthuis : Des sommes considérables, plusieurs milliards. L’État n’a pas cette capacité. Moi, je veux être le défenseur des contribuables français.

Europe 1 : On progresse donc, pour ce qui concerne l’automobile, vers une crise de l’industrie automobile. Est-ce que ça veut dire que Renault et Peugeot, qui commencent déjà à le faire, devraient revoir à la baisse leurs effectifs ?

J. Arthuis : Ils vont être confrontés à la nécessité de se restructurer pour être compétitifs dans une économie qui se mondialise.

Europe 1 : Se restructurer, ça veut dire baisser les effectifs ?

J. Arthuis : Dans certains cas malheureusement, mais ça n’est pas forcément la seule solution. Il y a des situations où il faut retrouver des lignes de production industrielle, aller systématiquement vers le FNE et vers la suppression d’emplois n’est pas la fatalité.

Europe 1 : Et quand Renault et Peugeot ont demandé leur plan, vous m’avez dit que ça coûtait plusieurs dizaines de milliards ?

J. Arthuis : Ça coûte plusieurs milliards.

Europe 1 : Dizaines de milliards ou milliards ?

J. Arthuis : Non, pas dizaines de milliards.

Europe 1 : Plusieurs milliards. Voici donc l’heure des comptes, l’heure de la réalité. L’État va offrir au GAN 20 milliards pour l’exercice 1996. J’ai envie de dire que ce n’est pas mal. Il y a 37 000 salariés au sein du GAN. Le GAN aura perdu combien, en cinq ans ?

J. Arthuis : 35 milliards. 35 milliards pour l’immobilier et pour des aventures de conquête de marchés sur des bases complètement extravagantes. 35 milliards qu’on aura constatés entre 1993 et 1997, alors même que la bombe était armée à la fin de l’année 1992. Car, on s’était aventuré dans une spéculation immobilière ; les risques, l’ampleur des engagements était passé de 15 à 50 milliards.

Europe 1 : Mais 1993 et 1997, c’est quand même la droite qui était au pouvoir.

J. Arthuis : Oui, mais permettez-moi de vous dire que c’est l’heure de vérité. Il y a eu, dans le passé, des décisions aventureuses et on a bien vu combien cette économie administrée mettait l’État en dehors de sa vocation. Pendant des années sans doute, tout marchait bien et on pensait qu’une entreprise avait forcément vocation à faire du bénéfice. Lorsqu’est venue l’heure des déconvenues, que s’est-il passé ? Il s’est passé que l’État actionnaire n’a pas assumé ses responsabilités, qu’il n’a pas voulu voir la gravité des situations.

Europe 1 : Aujourd’hui, il le fait ?

J. Arthuis : Aujourd’hui, c’est l’heure de vérité.

Europe 1 : C’est donc aussi un mea culpa du ministre de l’Economie pour tous les ministres qui l’ont précédé ?

J. Arthuis : Moi, j’assume ce qui s’est passé précédemment. Pendant trop longtemps, l’État a cru qu’il pourrait s’en tirer par de bonnes paroles, par des images virtuelles qui étaient rassurantes, par des paris optimistes. Il est temps de faire preuve de responsabilité. Moi, j’assume cette responsabilité.

Europe 1 : Vous assumez et le citoyen contribuable paye !

J. Arthuis : Le citoyen, lui aussi contribuable, prend cette responsabilité et je le regrette. Ces situations sont scandaleuses et révoltantes. Mais, la différence entre un héritage dans une famille, c’est que les héritiers peuvent refuser l’héritage sous bénéfice d’inventaire. Quand vous êtes citoyen, vous assumez la diversité des droits et des engagements de cette communauté. Eh bien, maintenant il faut y aller, il faut cesser de se raconter des histoires.

Europe 1 : En 1996, les privatisations ont apporté quelques dizaines de milliards. Est-il vrai que ces dizaines de milliards n’ont servi qu’à couvrir les déficits des entreprises publiques ?

J. Arthuis : Elles ont servi à recapitaliser les entreprises publiques. L’État, hier, avait pris ce qui était bon et avait laissé s’accumuler les déficits. L’heure est venue de les compenser, de les financer, pour en sortir.

Europe 1 : Mais vous confirmez ce que je vous demande : on n’investit pas, on éponge ?

J. Arthuis : Essentiellement.

Europe 1 : Pouvez-vous me dire, si vous l’avez chiffré, l’endettement de toutes les entreprises publiques aujourd’hui ?

J. Arthuis : C’est de l’ordre de 600 milliards. J’ai demandé qu’on me présente les comptes consolidés des entreprises publiques. Je crois qu’on a là vraiment tous les instruments pour faire le procès de l’économie administrée et se prémunir, définitivement, contre les chimères, contre les illusions de l’économie mixte et de l’économie administrée.

Europe 1 : On voit que, cette fois-ci, vous êtes révolté. On va voir quelles conséquences vous allez en tirer. Vous dites : « il faudra privatiser le GAN, ce qui va bien dans le GAN, ce qui est sain » c’est-à-dire, la banque CIC et le pôle assurance. Comment pouvez-vous dire « d’ici à la fin 1997 » : une privatisation, ça ne se décrète pas ?

J. Arthuis : Nous avons, dans le GAN, trois pôles : un pôle immobilier, qui est dans la pire des situations. Et, nous voulons l’isoler pour qu’il ne contamine pas les pôles qui sont sains, à savoir le pôle assurance et le pôle bancaire. Le premier, on le liquide, doucement, en fonction du marché. Les deux autres, je souhaite les privatiser en effet, car ce sont deux très beaux établissements. Dans l’assurance, il y a aujourd’hui un grand vent, un grand souffle ; on a vu les restructurations AXA et UAP. Eh bien, je ne doute pas que le pôle assurance du GAN trouvera facilement des partenaires. Quant au CIC, c’est également un très bel établissement, c’est le cinquième établissement bancaire français, il est rentable et il trouvera également des actionnaires.

Europe 1 : Vous avez retardé d’un mois le troisième plan de sauvetage du Crédit Lyonnais. Ça va faire combien : 140, 150 milliards pour couvrir l’ensemble ?

J. Arthuis : On connaîtra précisément l’ampleur du désastre lorsque ces actifs douteux, transférés au consortium de réalisation, auront été vendus. C’est très cher et c’est révoltant. C’est bien plus que 50 milliards.

Europe 1 : Il y a une hausse de 15 000 à 20 000 des demandeurs d’emploi en janvier, vient de dire J. Barrot. Et on voit en même temps ce climat financier. Diriez-vous que c’est « un Titanic financier », l’ensemble ?

J. Arthuis : Il y a eu 40 000 réductions de demandeurs d’emploi en décembre. Je regrette beaucoup qu’en janvier, il y ait une progression de combien dites-vous ?

Europe 1 : 15 000 à 20 000.

J. Arthuis : Globalement, nous sommes sur une tendance de stabilisation. Cessons de raisonner seulement en chiffres du chômage : on a maintenu l’emploi en 1996.

Europe 1 : Que répondez-vous à ceux qui vous conseillent de laisser le GAN et le Crédit Lyonnais déposer le bilan ? « Le courage c’est la liquidation » disent-ils.

J. Arthuis : Parce que ça coûterait plus cher, parce que l’État actionnaire serait immédiatement condamné par des juridictions commerciales à prendre en charge tout le passif. Je pense aussi aux salariés du CIC, du Lyonnais, du GAN-assurance. Le GAN et le CIC, c’est 36 000 personnes, c’est trois millions d’assurés, c’est deux millions de clients de la banque !

Europe 1 : Quand serez-vous prêt pour le Crédit Lyonnais ?

J. Arthuis : Le Crédit Lyonnais, j’ai retardé de quelques semaines, parce qu’avec la Commission de Bruxelles, j’ai une relation permanente : ils ont souhaité quelques modifications au plan de redressement. Celui-ci sera mis en forme définitive à la fin du mois de mars.

Europe 1 : Vous avez promis une réforme du système bancaire : il y a trop d’établissements différents, de statuts différents, ils n’ont pas la capacité d’affronter la concurrence. Vous renoncez à cette réforme ?

J. Arthuis : Il n’en est pas question. Au 1er janvier 1999, ce sera la monnaie unique, l’euro. Et les banques françaises devront être compétitives par rapport à l’ensemble des banques européennes.

Europe 1 : Alors, quel calendrier ?

J. Arthuis : C’est dans les semaines et les mois qui viennent ; il y a une disposition qui a pour objet de permettre aux banques d’ouvrir plus que cinq jours par semaine, d’être en relation plus directe, plus permanente avec les clients. Ceci dépend d’une modification d’un décret de 1937. J’ai bon espoir que nous y parvenions. Ceci répondra à l’attente des clients et ceci sauvera de l’emploi dans les banques.

Europe 1 : Il y aura donc une grande réforme du système bancaire français dans la perspective européenne ?

J. Arthuis : Il y a nécessité, dans la perspective de l’euro, de ce grand marché européen et de la monnaie unique de rendre les banques françaises compétitives car, pendant trop longtemps elles ont été, elles-mêmes, dans une logique administrée. C’était l’État qui répartissait les parts de marché, qui fixait les taux. Il faut sortir de cela et affronter la concurrence.

Europe 1 : Vous dites : « Il faut trouver les responsables ». Est-ce que ces derniers ne sont pas loin de vous, dans le même immeuble que vous, à Bercy ?

J. Arthuis : J’ai demandé, pour le Crédit Foncier, pour le Crédit Lyonnais, et naturellement pour le groupe GAN, que l’on fasse toutes les investigations requises pour établir les responsabilités. Et, s’il y a des faits qui justifient que l’on saisisse les tribunaux, on le fera. Mais, il y a aussi nécessité pour mon administration de se remettre en cause. Car, pendant très longtemps, on a confondu les fonctions de l’État régulateur et de l’État actionnaire. Et je veux que, désormais, l’État actionnaire, ceux qui s’occuperont de gérer les entreprises, n’aient en aucune façon à s’occuper de la régulation. Qu’ils soient des gestionnaires d’abord et avant tout des gestionnaires responsables.

Europe 1 : Vous avez justement décidé de reprendre en main le Trésor, une des plus importantes administrations de votre ministère.

J. Arthuis : Très belle et très grande administration.

Europe 1 : C’est pour quand, cette réforme du trésor ?

J. Arthuis : Elle est en cours.

Europe 1 : Avec quels principes ?

J. Arthuis : C’est le principe de la responsabilité. Le Trésor, c’est une fantastique équipe de consultants qui est au service du Gouvernement et dont le Gouvernement a ardemment besoin. Mais, il faut clarifier les responsabilités.

Europe 1 : Elle est tellement fantastique qu’il faut la réformer d’urgence...

J. Arthuis : Elle n’y échappe pas, elle non plus. Le monde bouge, change. L’État doit s’adapter et le Trésor aussi.

Europe 1 : Ça va, ou ça va mieux avec A. Juppé ?

J. Arthuis : Ça n’a jamais été autrement que très bien.