Texte intégral
Le Parisien - 17 février 1997
Le Parisien : Soutenez-vous l'appel à la désobéissance civile lancé par des cinéastes contre le projet de loi Debré sur l'immigration ?
Robert Hue (secrétaire national du PC) : Ce projet de loi Debré mutile des valeurs de la République : le droit du sol, le droit d'asile. On met en place avec les déclarations d'issue d'hébergement une sorte de contrôle policier permanent. Cette politique de délation, de rejet de l'étranger, c'est du pain bénit pour Le Pen ! Tout cela me touche particulièrement parce que je me souviens que mon père est passé devant un tribunal allemand en 1940 pour propagande communiste et qu'il a refusé ensuite de se soumettre à un contrôle permanent. Voilà une bonne chose qu'aujourd'hui des cinéastes et des intellectuels trouvent, sous des formes diverses, un moyen de résister aux atteintes à la liberté contenues dans le projet de la loi Debré. Je les soutiens résolument.
Le Parisien : Ne faut-il pas aussi lutter contre l'immigration clandestine ?
Robert Hue : Il faut combattre la surexploitation à laquelle elle donne lieu, maîtriser les migrations et envisager la possibilité d'un retour volontaire. Mais cela doit se faire dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, dans de nouveaux rapports Nord-Sud.
Le Parisien : Pourquoi la gauche qui l’avait emporté à Gardanne a-t-elle été incapable de mettre en échec le Front national à Vitrolles ?
Robert Hue : À Vitrolles, les gens ont eu l'impression qu'on leur parlait de toute autre chose que de leurs problèmes concrets. À Gardanne, le candidat communiste Roger Meï était un rassembleur, un élu de proximité qui connaît les souffrances des gens et qui sait les écouter. C'est tout le contraire de la politique spectacle ! Il reste que cette victoire du FN à Vitrolles est très inquiétante. On a bien vu que la droite continuait d'entretenir des liaisons dangereuses avec le Front national. Par exemple, en reprenant à son compte certains thèmes de la démagogie lepéniste sur l'immigration. L'autre raison qui explique la montée de l’extrême-droite, c'est l'absence de perspective et de vraie alternative à gauche. Pour le moment, il y a un terrible vide.
Le Parisien : Le PC peut-il, sur le terrain, combler ce vide face au Front national ?
Robert Hue : Nous n'avons pas le monopole de la lutte contre le FN. Mais Gardanne a montré qu'il est possible de le faire reculer. Il y a sur le terrain un renouveau militant des communistes, particulièrement dans ces quartiers fortement ébranlés par la crise sociale. Je crois que le PC va de plus en plus apparaître comme un véritable recours pour endiguer le FN. Il est porteur de la révolte des gens et d'une conception moderne et progressiste de la nation. Le parti communiste est probablement la force militante la plus influente dans ces quartiers. Je sais de quoi je parle puisque j'habite depuis 20 ans au cœur d'une cité HLM à Montigny-les-Cormeilles (Val-d'Oise). Dans ces quartiers, il faut porter la souffrance. Mais aussi construire dans l'action des solidarités nouvelles et proposer des perspectives.
Le Parisien : Le FN lance, lui aussi, des opérations de solidarité…
Robert Hue : L'action du Front national est une caricature. Il s'agit toujours pour lui d'opposer, de diviser, de rejeter. Avec le FN, il y a toujours un bouc-émissaire. Un jour, c'est l'immigré, le lendemain, l’exclu ou l'artiste… Il ne faut pas prendre les Français pour des imbéciles : ils sont bien conscients que leurs difficultés ne sont pas dues aux immigrés !
Le Parisien : Quelles solutions proposez-vous ?
Robert Hue : Il ne s’agit pas de se lancer dans un catalogue d'arguments contre le FN comme le propose le RPR. Il faut une intervention militante, citoyenne, de proximité dans les quartiers. En apportant aux gens des réponses fortes en matière de relance économique, d'emploi, de justice sociale, de perspective politique. Et en montrant ce que sont les propositions de l’extrême-droite qui est, par exemple, favorable à la hausse des impôts indirects et ne touche pas aux marchés financiers. Le FN trompe les couches populaires. Nous devons, nous, redonner aux gens à la fois de l'espoir et du sens. S'il existe aujourd'hui une très grande désillusion, un rejet des hommes politiques, c'est parce que les électeurs ont été déçus au moins deux fois dans la période récente. Par les socialistes dans les années 80 et maintenant par Jacques Chirac qui n'a pas réduit, comme il l'avait promis lors de la présidentielle, la fracture sociale.
Le Parisien : Les hommes politiques n'ont donc plus, aujourd'hui, de crédit ?
Robert Hue : Le manque de crédibilité de certaines forces politiques - y compris le PS et son programme - vient du fait qu'il ne suffit plus de faire des promesses ou d'énoncer de belles propositions. Encore faut-il se donner les moyens de tenir ses engagements. Mais je n'accepte pas qu'on dise : la politique c'est pourri. Ce n'est pas vrai, la politique ce n'est pas pourri ! À condition qu'on la pratique autrement, au plus près des citoyens, à leur écoute. La politique est nécessaire à la vie démocratique d'un pays.
Le Parisien : Nourrissez-vous toujours des inquiétudes au sujet de la montée de l'islam intégriste en banlieue ?
Robert Hue : Je ne confonds pas les musulmans, l'islam et l'intégrisme. Les élections en Algérie et la façon dont les Algériens de France ont voté à cette occasion ont montré le poids d'un islam d'ouverture. Je pense que si un intégrisme peut nous guetter, c'est précisément celui du Front national avec cette volonté de repli xénophobe aux frontières qui le caractérise, son nationalisme dangereux, et cette recherche obsessionnelle du bouc-émissaire coupable de tous les maux.
Le Parisien : Redoutez-vous une explosion dans les banlieues ?
Robert Hue : On rencontre dans les quartiers la société telle qu'elle est dans la crise. Avec le poids écrasant du chômage, une insécurité réelle qu'il faut endiguer, l'angoisse du lendemain pour les jeunes, l’échec scolaire… Mais il n'y a pas que de l'échec en banlieue. Il y a aussi la réussite de certains projets, des jeunes qui inventent les solutions de la société de demain. Le meilleur rempart contre le FN, c'est de s'appuyer sur ses potentialités immenses qui existent là comme ailleurs. La pire des choses serait de désespérer de la banlieue.
Le Parisien : Vous allez lancer, le 1er mars à Lille, des assises pour le changement en 1998. Qu'en attendez-vous ?
Robert Hue : Il faut réunir le plus vite possible les conditions pour un engagement commun des forces de gauche afin de promouvoir une véritable politique de changement. C'est une nécessité pour le pays de faire apparaître une alternative à la politique de la droite au pouvoir. Des pas ont été faits. Il faut les poursuivre. Il ne peut pas exister aujourd'hui de majorité à gauche sans le parti communiste. Il reste des obstacles importants à lever comme le passage à la monnaie unique soutenu par le PS. Et nous ne voulons pas d'un accord au rabais qui ne prendrait pas les moyens politiques et financiers d'une vraie alternative. Les discussions doivent, certes, continuer entre les dirigeants. Mais imaginer que c'est au sommet que se régleront les choses serait une pure illusion. Il faut surtout que les citoyens se mêlent à ce débat. Nous leur disons : ne laissez pas la gauche livrée à elle-même ! Intervenez !
Europe 1 - lundi 17 février 1997
J.-P. Elkabbach : M. Hue, vous êtes étrangement silencieux depuis Vitrolles.
R. Hue : Pas étrangement, aujourd'hui je suis présent.
J.-P. Elkabbach : Pendant quelques jours, vous n'avez pas parlé. D'abord, des nouvelles de M. Marchais.
R. Hue : J'ai eu tout à l'heure sa femme au téléphone, il a été hospitalisé hier soir pour un œdème aigu du poumon, c'est-à-dire une complication liée à des difficultés à réguler après l'intervention qu'il a eue en décembre dernier. Il est sous surveillance très sérieuse et en tout état de cause, les nouvelles que j'ai me rassurent.
J.-P. Elkabbach : La gauche s'était faite remarquer par son absence et son silence. Est-ce que le parti communiste se joint au mouvement d'insoumission de la gauche culturelle ?
R. Hue : J'ai dit combien je soutenais résolument cette démarche. Je crois qu'il faut resituer les choses : il s'agit, pour ces artistes, d'un cri d'inquiétude. Il y a une terrible angoisse par rapport à des mesures qui leur semblent porter atteinte à la liberté. Je pense qu'il ne faut pas soutenir cette démarche où l'on montre l'étranger du doigt.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que vous signez l'appel à la désobéissance civile ?
R. Hue : Écoutez, moi en tant que citoyen, je peux signer cet appel. Je vais même aller plus loin : je suis maire, par ailleurs, et donc je suis confronté bien plus encore que le citoyen à ce problème. Or, je pense qu'aujourd'hui, et comme de nombreux maires le pensent - il y a eu une position de l'Union des maires de France en la matière - cette loi n'est pas applicable.
J.-P. Elkabbach : Vous signez vous aussi la pétition, ou pas ?
R. Hue : En tant que citoyen, je peux. Je suis tout à fait pour cette pétition parce qu'elle est une forme d'expression choisie par un certain nombre de gens pour dire leurs sentiments par rapport à une telle situation. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard, cette formule de désobéissance civile. Il faut la resituer dans son contexte. C'est une disposition qu'avait imaginée M. Luther King dans sa lutte par rapport à la ségrégation. Je crois que c'est une démarche qui est tout à fait généreuse.
J.-P. Elkabbach : Cela ne vous semble pas un acte grave, comme dit A. Juppé, d'encourager à ne pas respecter la loi ?
R. Hue : Écoutez, l'acte grave c'est ce qui conduit à, effectivement, être en situation de résistance. Ce n'est pas la première fois qu'on dit qu'il ne faut pas respecter telle loi quand elle vous semble absolument mauvaise. Il y a tellement d'illégalité ! On trouve légal, normal, par exemple, qu'hier, M. Mégret siège au conseil municipal alors qu'il n'est même pas élu. C'est absolument inacceptable ! Il faut resituer : cette disposition prise par les artistes, les intellectuels est une forme d'expression, de pression.
J.-P. Elkabbach : Le socialiste P. Moscovici, pendant tout le week-end, a dit que ce n'est pas le rôle des politiques de se joindre à des mouvements de désobéissance civile.
R. Hue : Moi, je pense qu'il faut savoir résister. Il y a la loi du juste milieu, de l'équilibre à trouver. Comme disait Victor Hugo : « entre l'eau chaude et l'eau froide, c'est le parti de l'eau tiède ». Moi je ne suis pas de ce côté-là. Je dis qu'il faut prendre des dispositions, il faut avoir le courage de prendre position. Et je le fais.
J.-P. Elkabbach : Au passage, cela veut dire que le PS choisit, pour le moment, l'eau tiède ?
R. Hue : En tous les cas, quand j'entends la position de Moscovici, je dis : là, il faut s'engager davantage, il faut dire les choses.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que ce qui vient de se passer n'est pas la preuve qu'il y a un immense vide laissé par les partis politiques et dans lequel s'engouffrent ces pétitionnaires qui ont lancé, déclenché ce mouvement ? En fait, vous ne faites que courir après eux ?
R. Hue : Non, je ne crois pas. D'abord, il n'y a pas un vide de tous les partis politiques. Il y a un certain nombre de prises de position du parti communiste qui sont nettes. Ce matin, je crois que ce n’est pas le vide. Je suis sur une position très précise, je pense en même temps qu'il faut faire la politique autrement dans ce pays, c'est évident. Je dis même que, quelque fois nous-mêmes, los communistes, il faut qu'on regarde si on écoute assez les gens, si on prend assez en compte leurs remarques. Il faut faire la politique autrement. Mais de là à laisser se développer l'idée que la politique c’est mauvais, cela est dangereux et cela apporte de l'eau au moulin du Front national.
J.-P. Elkabbach : Si le Front national déclenchait à son tour un mouvement de désobéissance ou de refus des lois, au moins dans les quatre villes où il a des maires, qu'est-ce que vous feriez ?
R. Hue : J'ai donné la nature de l'intervention des intellectuels tout à l'heure. C'est pacifiste, c'est une démarche qui vient faire pression. Le Front national met en cause un certain nombre de libertés et la légalité dans un certain nombre de communes où il est en place. Cela est inacceptable. Il le fait dans le domaine de la culture, dans le domaine social. C'est gravissime.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous ne pensez pas avoir une part de responsabilité au parti communiste ? D'autre part, Le Pen fait des dégâts partout, des communistes votent aussi pour le Front national. Est-ce que vous ne pensez pas, est-ce que vous ne craignez pas que l'électorat populaire - c'est-à-dire le vôtre - donne raison plus que vous-même à Le Pen ?
R. Hue : Je crois qu'il faut voir ses responsabilités d'une façon générale, Quand, par exemple dans les quartiers difficiles, dans les endroits où la crise pèse lourdement, le parti communiste n'est pas assez présent, là, il a une responsabilité. C'est bien pourquoi d'ailleurs le parti communiste a décidé de relever le défi d'être un véritable recours par rapport au Front national dans ces quartiers difficiles. Et il peut l'être. Regardez Gardanne, par exemple. La démonstration a été faite, entre Vitrolles et Gardanne, que les réponses qui ont été apportées à Gardanne par un élu communiste, par un maire communiste, avec la proximité, la prise en compte des choses, le rejet de la politique spectacle, étaient de nature à faire reculer le Front national.
J.-P. Elkabbach : À Vitrolles, vous n'avez même pas pu avoir un candidat communiste.
R. Hue : C'était une élection municipale et il va de soi qu'au départ, dans ces élections municipales, la loi prévoit, nous oblige en quelque sorte à l'union.
J.-P. Elkabbach : Vous avez rappelé tout à l'heure que vous êtes maire de Montigny depuis plus de 20 ans. Les certificats d'hébergement sont instaurés depuis le décret de 1982, vous l'avez appliqué jusqu'ici ?
R. Hue : Le décret de 1982 est venu dans une situation où, déjà, il y avait eu beaucoup de régularisations de faites.
J.-P. Elkabbach : Vous l'avez appliqué ?
R. Hue : Bien sûr mais ce n'est pas du tout la même chose qu'on nous propose aujourd'hui en nous demandant de faire déclarer aux hébergeants le maintien du résident ou pas. Cela est extrêmement grave. C'est de la délation. On ne peut pas porter cette démarche-là.
J.-P. Elkabbach : Le Premier ministre vient de répéter qu'il maintient son projet qu'il estime équilibré. Qu'est-ce que votre parti, vos élus vont faire ?
R. Hue : Il faut que s'amplifie la riposte à cette démarche du pouvoir. Une fois de plus, il y a une démarche de ce gouvernement qui vise à mettre en cause un certain nombre d'aspects qui sont parmi les valeurs de la République. Je dis qu'il faut se mobiliser. Il y a les intellectuels qui se sont mobilisés, les forces politiques doivent le faire. Moi-même, en tant que maire, il est bien évident que je ne vois pas comment je pourrais appliquer les dispositions de cette loi.
J.-P. Elkabbach : Après, vous aurez le recours éventuel au Conseil Constitutionnel. Deux questions : est-ce que vous manifesterez vous-même samedi prochain avec les pétitionnaires ?
R. Hue : J'ai un problème parce que j'ai un débat qui est prévu mais je le ferai probablement reculer pour être présent.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu'une action concertée avec le parti socialiste est possible ou pas ?
R. Hue : Je pense que, partout, il faut que s'unissent les efforts pour faire reculer cette loi liberticide.
J.-P. Elkabbach : Répondez-moi : oui ou non ?
R. Hue : Au Parlement, communistes et socialistes ont voté ensemble contre ce texte, c'est clair, donc je crois qu'il faut poursuivre.
RMC - jeudi 27 février 1997
P. Lapousterle : Vous êtes de ceux qui ont fait référence à la période de Vichy pour parler de la loi Debré sur l'immigration. Ce rapprochement a provoqué la colère des élus de la majorité qui menacent même, pour certains, de porter plainte. Est-ce que vous maintenez, après les modifications apportées sur la loi Debré, qu'elle porte des relents de cette époque noire ? Franchement ?
R. Hue : En tous les cas, les dispositifs de cette loi, au-delà de l'article 1er qui a été modifié, restent très inquiétants. Je pense par exemple à la perquisition dans les entreprises, dans les véhicules, les fichiers, tout cela ; certes, je ne veux pas systématiquement dire qu'il s'agit là d'un dispositif identique à ce qui se faisait au moment de Vichy mais je veux dire qu'on ne peut pas ne pas voir que ces dispositions n'ont jamais existé dans la loi française depuis Vichy. C'est une réalité ! Et donc, je crois qu'il y a là, de la part du gouvernement, beaucoup d'hypocrisie dans sa démarche. Toute la loi vise à faire de l'immigré le bouc-émissaire. C'est pour cela que je parlais d'hypocrisie de la part du Premier ministre et de son gouvernement car c'est un bon moyen de dissimuler par ailleurs la situation catastrophique d'une France qui a cinq millions de chômeurs !
P. Lapousterle : Au parti communiste français, vous savez mieux que personne que Vichy c'était quand même d'abord la collaboration avec les nazis !
R. Hue : Le parti communiste français est bien placé pour savoir ce qu'a été la période de Vichy ! Mais cette démarche visant, effectivement, à désigner l'autre, les relents de délation forts qu'il y avait dans l'article 1er avant qu'il soit modifié... On nous dit aujourd'hui qu'il a été modifié certes, mais il a été modifié parce qu'il y a eu un mouvement dans l'opinion publique française et notamment dans la jeunesse, notamment chez les intellectuels, car sinon cet article, d'emblée, participait de la délation. Alors, loin de moi l'idée de comparer les systèmes. Ce n'est pas ça le propos, c'est de bien voir ce qui se passe dans le tréfonds de la démarche.
P. Lapousterle : Sur la proposition des députés de gauche, dont certains de vos élus, le Parlement européen a voté jeudi une motion demandant au gouvernement français de retirer ce projet de loi sur l'immigration. Cette motion a provoqué une grosse colère du Président de la République, du gouvernement et hier, à l'Assemblée nationale, le tollé était général. Est-ce que vous pensez que cette motion était dans la compétence du Parlement européen ?
R. Hue : Écoutez, ce que je voudrais dire c'est qu'il faut un sacré culot aux hommes du pouvoir pour se scandaliser d'un vote du Parlement européen alors qu'ils passent leur temps à se plier devant les injonctions de la Commission de Bruxelles, devant toutes ces dispositions des technocrates européens qui ne sont même pas élus ! Je ne vais pas faire un éloge de ce que sont la démocratie et le Parlement européen mais il reste que se sont des parlementaires élus au suffrage universel. Le gouvernement s'offusque d'une mise en cause de la souveraineté nationale mais, en fait, le gouvernement et le Président de la République ont une conception de la souveraineté nationale qui est quelque peu à la carte ! Quand cela leur va bien, on peut amputer la souveraineté nationale et là, d'un seul coup, ils s'offusquent. Je crois qu'il y a beaucoup de culot dans cette démarche !
P. Lapousterle : Est-ce qu'il est dans les compétences du Parlement européen de critiquer une législation purement française ? Vous êtes quand même réservé, vous n’êtes pas un soldat du fédéralisme européen ?
R. Hue : Vous savez bien que je suis très attaché à la souveraineté nationale mais je pense que ce vote du Parlement traduit surtout de l'émotion, de l'émotion par rapport à une mise en cause, dans un pays de l'Union, de ce qui apparait fondamental, à savoir les Droits de l'homme. Je crois qu'il peut y avoir ce type de position.
P. Lapousterle : Votre position est très différente de celle de M. Jospin, depuis le début. De nombreux militants, à gauche, accusent le parti socialiste d'avoir une attitude confuse et un peu trop timide. Comment jugez-vous l'attitude de L. Jospin et du parti socialiste de manière générale, dans cette affaire ?
R. Hue : Ce qui est certain déjà, c'est que le parti communiste a pris d'emblée position sans hésiter dans cette affaire, en soutenant résolument et délibérément le mouvement de protestation qui s'engageait contre le projet de loi Debré. Je pense que le parti socialiste a hésité. Je vois bien que, dans ces hésitations, il y a toujours un rapport à un certain réalisme de pouvoir, de gouvernement mais ce genre d'attitude est très dangereux. Au nom de cette réserve permanente, de cette sorte de contrainte gouvernementale avant l'heure parce que le parti socialiste n'est pas au pouvoir, ce dernier se met en décalage avec l'opinion publique. Je crois que c'est dangereux, pour un parti, d'être en décalage avec l'opinion publique. Je ne donne pas de leçon et je ne suis pas là pour cela mais il reste que je crois qu'il faut bien prendre en compte ce qui est en train de se passer dans le pays. Il y a dans ce mouvement à propos du projet de loi Debré, bien plus que cela et notamment dans la jeunesse. Ce mouvement reflète un malaise, une angoisse, une angoisse à la fois par rapport à l'avenir de la société et l'absence d'alternative progressiste aux yeux de beaucoup de ces jeunes qui souvent se réclament de gauche. Et puis, il y a certainement, dans ce mouvement, la volonté exprimée confusément qu'il y ait rapidement des propositions qui soient proposées pour le pays. Il y a l'angoisse à propos du Front national et tout cela est venu après Vitrolles. C'est quelque chose qui est pour le moment assez confus mais qui traduit un malaise réel.
P. Lapousterle : Vous pensez que cela peut aller plus loin dans les semaines à venir ?
R. Hue : Je pense à cet état d'esprit d'une partie de l'opinion, d'un côté franchement sensible à ces questions qui touchent à l'avenir de la société, aux Droits de l'homme et, de l'autre côté, un malaise profond qui ne s'est pas dissimulé parce qu'il y a ce débat autour de l'immigration. Je pense au malaise profond qui existe, au plan social, dans ce pays. Et la conjonction de ces deux types de démarche peut conduire effectivement à un mouvement plus grand, plus large.
P. Lapousterle : Pourtant, on a l'impression en ce moment que le gouvernement a des cotes de popularité qui se redressent. Le Président de la République et le Premier ministre ont l'air un peu mieux qu'il y a deux mois et les Français soutiennent la loi Debré, en gros.
R. Hue : Que le gouvernement, que Juppé se requinque, c'est le moins qu'il puisse faire car il est au plus bas dans les sondages d'opinion. Quelques points de gagnés, je serais tenté de dire que c'est la moindre des choses. Il reste qu'en voulant situer le débat sur l'immigration, on sent bien qu'il y là, de la part du pouvoir, une obsession permanente liée aux législatives. Et tout ce qui va participer de projets de loi visant à légiférer dans la prochaine période, de la part du pouvoir, sera inspiré par l'idée de ces élections législatives. On voit bien qu'il n'y a pas l'idée de combattre, contrairement à ce qu'affirme A. Juppé dans les colonnes du Monde ou ailleurs, il n'y a pas de sa part la volonté de s'attaquer franchement, directement aux idées du Front national. Mais il y a, y compris dans le projet de loi Debré, l'idée d'accompagner, en fait, l'ambiance générale.
P. Lapousterle : Vous allez signer avec le parti socialiste quelques accords pour être au premier tour ensemble dans les endroits où le FN est fort ?
R. Hue : Nous pensons que, d'une façon générale, il faut qu'il y ait pluralisme à gauche, y compris lorsqu'il y a le Front national parce que c'est le meilleur moyen de le battre et de l'empêcher de progresser. On l'a vu notamment à Gardanne, c'est significatif. Il reste que, si, pour un peu moins d'une dizaine de circonscriptions, il y avait le danger majeur d'un Front national non seulement présent au second tour mais en situation de gagner, eh bien il convient d'examiner ce que peut faire la gauche unie dès le premier tour. Mais un groupe de travail a été mis en place pour cela.
P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous allez dire après-demain à Lille ?
R. Hue : Je vais lancer les assises pour le changement en 1998 et notamment dire qu'il est grand temps que les forces progressistes dans ce pays participent de la construction d'une alternative qui se fasse avec les citoyens eux-mêmes et je vais proposer un processus permettant d'avancer sur cette question, y compris en ne gommant pas les obstacles qui existent avec le parti socialiste notamment.