Déclaration prononcée au nom de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, sur la stratégie nationale et la coopération internationale pour lutter contre l'effet de serre, Paris le 28 novembre 1996.

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Circonstance : Clôture du colloque sur l'effet de serre à l'Ecole nationale des Ponts et Chaussées à Paris le 28 novembre 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Je me réjouis de me retrouver parmi vous ce soir pour conclure ce colloque sur l’effet de serre organisé par les Annales des ponts-et-chaussées. Il s’agit en effet d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur.

La vie est apparue sur Terre, et a pu s’y maintenir, grâce à l’existence de l’atmosphère. Cette enveloppe ténue protège notre planète contre les agressions extérieures.

Pour protectrice qu’elle soit, l’atmosphère n’en est pas pour autant fragile. Sa composition, et par là même les climats, résulte de la lente évolution des équilibres naturels. La qualité de la vie des générations futures, pour ne pas évoquer la survie de l’humanité, dépend donc du maintien de la qualité de l’atmosphère.

Or, aujourd’hui, l’atmosphère est menacée du fait des activités humaines. Comme vous avez pu le constater lors de la session de ce matin, cette menace se précise chaque jour avec l’amélioration des connaissances scientifiques.

Le second rapport d’évaluation du GIEC, approuvé au cours de sa 11e assemblée à Rome en décembre 1995, a confirmé la réalité des scénarios de changement du climat lié à l’accroissement de l’effet de serre.

II faut s’attendre d’ici 2100 à une augmentation de l’ordre de deux degrés de la température moyenne à la surface du globe. Ce n’est d’ailleurs pas tant cette évolution en elle-même qui est inquiétante que la rapidité avec laquelle elle se produit. À titre de comparaison, lors des périodes glaciaires, la température moyenne de la planète n’était inférieure que de quelques degrés par rapport à aujourd’hui. Ces évolutions s’étaient déroulées sur plusieurs millénaires.

Le réchauffement de la planète au cours des prochaines décennies s’annonce donc catastrophique. La seconde moitié du prochain siècle risque fort d’être apocalyptique. Deux degrés de réchauffement, c’est une hausse de l’ordre de 50 cm du niveau des océans, sous l’effet de la dilatation et de la fonte de glaciers et calottes glaciaires. Certains États insulaires seront rayés de la carte. Il en ira probablement de même de zones entières, comme les grands deltas, qui seront victimes d’inondations de plus en plus meurtrières.

Les conséquences locales de ces bouleversements du climat sont encore difficiles à apprécier avec précision, mais on peut d’ores et déjà s’attendre à la désertification de zones arides et semi-arides, à l’extension des régions touchées par les maladies infectieuses, à la recrudescence des cyclones, à une accentuation des problèmes de famine dans les régions les plus pauvres, etc.

J’ai demandé au Président de la Mission interministérielle de l’effet de serre de lancer une étude sur les impacts directs et indirects susceptibles de frapper notre pays, y compris en outremer. Cette étude devra élaborer des prévisions climatiques régionales pour la France, quantifier les impacts en termes physiques et économiques, et définir une stratégie d’adaptation aux changements possibles.

D’aucuns affirment que le changement du climat a bel et bien commencé. La température moyenne du globe a augmenté de 0,6 degré depuis la fin du XIXe siècle. Le niveau de la mer s’est élevé d’une vingtaine de centimètres.

Parmi les dix années les plus chaudes de ce siècle, sept ou huit concernent la décennie qui vient de s’écouler. Le « tableau de bord de la planète » pour 1995, publié aux États-Unis par le WorldWatch Institute, indique que 1995 a été l’année la plus chaude depuis que l’humanité a commencé à mesurer les températures, il y a 130 ans.

Ce rapport indique également que la production mondiale de céréales a été en 1995 la plus faible depuis 1988 et que les réserves mondiales de céréales sont tombées de 61 à 48 jours d’utilisation.

Les coûts des dommages résultant des changements climatiques sont encore malaisés à calculer, mais certaines estimations avancent l’ordre de grandeur de 1 à 2 % du produit intérieur brut mondiale. Il s’agit donc d’un enjeu de plusieurs centaines de milliards de francs au plan mondial.

Les assureurs s’inquiètent d’ores et déjà de la multiplication des sinistres majeurs liés à des conditions météorologiques extrêmes, par exemple dans nos départements et territoires d’outremer. Le rapport do WorldWatch Institute indique que les paiements pour les sinistres industriels dus aux conditions météorologiques ont atteint 48 milliards de dollars pour les années 90 contre 16 milliards pour la totalité des années 80.

Ces bouleversements du climat frapperont de plein fouet les générations futures. La lutte contre l’effet de serre s’inscrit donc pleinement dans le développement durable.

* Développement durable

La notion de développement durable s’est peu à peu forgée au cours de ces années d’après-guerre où une croissance incontrôlée des pays industrialisés a détruit, souvent de façon irréversible, ressources et patrimoine naturels tout en apportant son lot de pollutions diverses.

Le développement durable repose sur trois bases indissociables : le développement économique, le développement social, la préservation de l’environnement.

Qu’une de ces bases fasse défaut, et tout l’édifice s’écroule. L’impératif du développement durable est donc d’assurer ces trois objectifs et ne plus sacrifier l’un par rapport à l’autre, comme cela a été trop souvent le cas pendant des années.

Lors la conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement qui s’est tenue à Rio en juin 1992, la France s’est engagée à présenter un rapport sur la stratégie française du développement durable en vue de l’assemblée générale des Nations-Unies de 1997.

J’ai renouvelé et installé en janvier dernier la commission française du développement durable. Composée d’experts reconnus, elle pouvait, seule, rédiger ce rapport. J’ai cependant souhaité que ce rapport s’appuie aussi sur la vie au quotidien, sur la pratique de terrain, tant des élus que des multiples catégories de citoyens qui font la diversité de notre pays.

C’est pourquoi j’ai invité les présidents des conseils régionaux à organiser dès 1996 des assises régionales du développement durable en liaison avec les services déconcentrés de l’État. Ces assises doivent mettre en évidence les priorités spécifiques de chaque Région et souligner les difficultés rencontrées.

Plus de la moitié des Régions ont d’ores et déjà organisé ces assises. J’ai participé à la plupart d’entre elles et ai pu à ces occasions apprécier la qualité des débats qui se sont tenus. Leurs conclusions participeront aux réflexions des assises nationales qui se tiendront dans deux semaines pour élaborer la stratégie française du développement durable.

J’espère avoir ainsi apporté des éléments de réponse à une des questions que vous vous posez : l’homme politique ne se trouve-t-il pas face à des responsabilités qui vont au-delà du mandat que lui ont confié les électeurs ?

* Phénomène global

Par rapport à d’autre problèmes d’environnement, l’effet de serre se caractérise non seulement par une échelle de temps qui couvre plusieurs générations, mais aussi par une échelle géographique qui couvre l’ensemble de la planète.

À problème global, réponse globale. Seule une réponse internationalement concertée permet de s’y attaquer véritablement. Il convient donc de mettre sur pied une politique de coopération internationale permettant de faire réaliser en priorité des réductions d’émissions là où elles sont les moins coûteuses.

* Principe de précaution

L’effet de serre est également une bonne illustration du principe de précaution, adopté lui aussi lors de la conférence de Rios. Ce principe a été défini clairement par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement :

Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économique acceptable.

Or, si la précaution était de mise ces dernières années, elle doit aujourd’hui de plus en plus céder la place à la prévention. Les experts confirment aujourd’hui la causalité entre l’accroissement de l’effet de serre et l’augmentation de la concentration de certains gaz dans l’atmosphère.

À cet égard, permettez de vous dire combien je connais l’importance du débat sur le thème du rôle des experts, et combien, en tant que ministre, j’attache de prix au dialogue entre les décideurs et les experts. Je regrette sincèrement de n’avoir pu assister à vos travaux sur ce thème.

J’attache de l’importance, non seulement à l’expertise scientifique, et j’ai eu l’occasion de citer le second rapport du GIEC, mais également à l’expertise économique.

Nous sommes en effet en face d’un phénomène dont les coûts de prévention comme les coûts des dommages peuvent se chiffrer en points de PIB. Toutefois, les mesures de prévention ont lieu dès aujourd’hui alors que les principaux dommages sont reportés sur les décennies à venir. Les calculs d’actualisation classiques annihilent donc les coûts des dommages et perturbe la prise de décision des mesures de prévention.

Je pense donc qu’il nous faut avoir une véritable réflexion sur les processus d’actualisation économique dans le cadre du développement durable.

Des premiers engagements ont d’ores et déjà été pris en vue de limiter les émissions de gaz à effet de serre participant aux changements climatiques. La Convention cadre signée lors de la conférence de Rio et ratifiée par la France le 25 mars 1994, fixe comme objectif ultime la stabilisation des concentrations dans l’atmosphère de gaz à effet de serre.

L’effort le plus important concerne le gaz carbonique, qui contribue à la part principale de l’accroissement de l’effet de serre. C’est aussi le plus difficile à mettre en œuvre, car il n’est pas possible de dépolluer les émissions de gaz carbonique, qui sont directement liées aux consommations d’énergie fossile ou à la déforestation.

* Engagements actuels

Une première étape consiste à mettre en œuvre les engagements actuels de la Convention de Rio.

En ce qui concerne la coopération avec les pays en développement, notre pays tient ses engagements au plan financier dans le cadre du fonds pour l’environnement mondial. Nous avons d’autre part créé un fonds français pour l’environnement mondial, qui reprend au plan bilatéral les mêmes règles que le fonds multilatéral.

Nous avons par ailleurs décidé de nous impliquer fortement dans la mise en œuvre conjointe et de lancer un programme pilote, avec une large prise en compte de projets relevant de l’aide publique au développement, du fonds pour l’environnement mondial et du fonds français pour l’environnement mondial, comme de projets purement industriels.

Tous les projets ne devront cependant pas être automatiquement transmis au secrétariat de la Convention de Rios. Une structure ad hoc pourrait être mise en place à cette fin, sous réserve de l’approbation des différentes instances, pour traiter des actions de mise en œuvre conjointe, les sélectionner, les « formater » et les transmettre au secrétariat de la Convention de Rio après conclusion d’un « arrangement administratif » avec les pays partenaires.

La Convention de Rio prévoit que les pays industrialisés signataires, individuellement ou conjointement, réduiront en l’an 2000 leurs émissions de gaz à effet de serre, hormis ceux déjà visés par le protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone, au niveau de 1990.

L’Union européenne a souscrit globalement à cet engagement et a prévu en outre une stabilisation de ses émissions de gaz carbonique d’ici l’an 2000 au niveau de 1990. Je pense que cet objectif risque de ne pas être tenu et que les émissions ne seront pas stabilisées.

La France a pour sa part un niveau d’émission par habitant et par unité d’activité économique parmi les plus bas des pays développés, à moins de deux tonnes de carbone par habitant et par an.

Elle s’était fixé dès 1990 l’objectif de ramener ses émissions gaz carbonique à partir de l’an 2000 à un niveau inférieur à deux tonnes de carbone par habitant et par an.

Selon le programme national de prévention du changement de climat, adopté par le Gouvernement en février 1995, tout en respectant cet engagement, les émissions françaises de gaz carbonique devraient augmenter de 7 % d’ici l’an 2000. Cette augmentation devrait toutefois être contrebalancée par la réduction importante d’autre gaz à effet de serre comme le méthane et le protoxyde d’azote et notre pays devrait ramener ses émissions globales de gaz à effet de serre en l’an 2000 au niveau de 1990.

Nous ne devons pas nous contenter de ce constat. Nous devons continuer à participer pleinement à l’effort de stabilisation souscrit par l’Union européenne.

* Les mesures prises en France

J’ai ainsi engagé une démarche de signature d’engagements volontaires, demandant aux entreprises de procéder à des investissements de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur la décennie 1990-2000.

Cette démarche s’inscrit dans le cadre du programme national de prévention du changement de climat qui, en application du « mémorandum français sur l’approche fiscale de prévention de l’effet de serre » en date du 21 mars 1994, limite l’approche fiscale aux secteurs des transports, du résidentiel et tertiaire, et des usages banals de l’industrie.

Pour les procédés gros consommateurs d’énergie, compte tenu des risques de délocalisation industrielle, le programme reprend le principe des engagements volontaires, demandant aux entreprises de procéder à des investissements d’économies d’énergie fossile à temps de retour de l’ordre de 4 à 6 ans.

J’ai d’ores et déjà contresigné quatre accords volontaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, Aluminium Péchiney s’est engagé à réduire de 19 % la quantité totale de gaz carbonique émise par tonne d’aluminium produite. Il s’est également engagé à réduire de 63 % l’émission spécifique d’un gaz à effet de serre environ 5 000 fois plus puissant, le tétrafluorure de carbone. Au total, l’engagement porte sur une réduction effective de 34 % de l’impact global du groupe Pechiney sur l’effet de serre.

La branche professionnelle des fabricants de chaux grasses et magnésiennes s’est quant à elle engagée à réduire de 5 % par tonne de chaux produite la quantité d’énergie fossile consommée et de la quantité de gaz carbonique émise.

La profession cimentière s’est engagée à réduire de 10 % par tonne de ciment fabriquée la quantité de gaz carbonique émise. Au total, l’industrie cimentière réduira ses émissions globales de 25 %.

La société 3 Suisses s’est engagée à réduire de 25 % en cinq ans les émissions de gaz carbonique sous sa responsabilité. Cet engagement couvre, d’une part les émissions liées à la consommation d’énergie sur les sites de l’entreprise, d’autre part, et j’insiste sur ce point, les émissions liées aux transports.

D’autres « chantiers » sont en cours, qui concernent les secteurs de l’acier, du verre, de la chimie.

En matière de transports, nous avons relevé le niveau des taxes sur les carburants et le Gouvernement a consacré plus de 350 MF en 1995 pour le développement du transport combiné.

Il a par ailleurs lancé en mars dernier le nouveau programme de recherche, de développement et d’innovation technologique sur les transports terrestres (PREDIT), auquel le ministère de l’Environnement participe pour la première fois.

Ce programme intègre les paramètres d’environnement comme déterminants pour l’économie du secteur. Parmi les quatre volets de ce programme, qui sera doté de 7 milliards de francs, deux concernent plus particulièrement l’environnement et l’effet de serre : l’un vise les recherches à caractère stratégique, l’autre l’approfondissement des connaissances scientifiques et technologiques.

J’attache par ailleurs une importance au développement des énergies renouvelables.

Une fiscalité incitative a été instaurée pour les carburants issus de la biomasse. Le Gouvernement a par ailleurs lancé en 1995 le plan « bois énergie et développement local », qui vise à structurer une filière bois-énergie.

Il a également lancé en 1996, en liaison avec EDF, un programme ambitieux de développement de l’énergie éolienne reliée au réseau électrique, qui vise à installer 500 MW d’ici l’an 2005. Cette énergie, qui est aujourd’hui au seuil de la compétitivité, pourrait jouer à moyen terme un rôle important dans le système énergétique français.

Par ailleurs, la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie vient d’être examinée en seconde lecture par le Parlement et sera bientôt promulguée.

Elle fournit notamment une large palette de mesures techniques destinées à réduire les émissions polluantes et les consommations d’énergie, qui concernent notamment les produits, les combustibles et carburants, et les véhicules.

Parmi les mesures votées par le Parlement, on peut noter l’obligation d’incorporation dans les carburants à l’an 2000 composés oxygénés, dont on sait qu’une part sera produite forme d’ETBE ou d’ester provenant de la biomasse agricole.

On peut noter également l’obligation d’incorporation de bois dans la construction, qui conduira à stocker du carbone de façon durable. Nous nous fixons comme objectif l’augmentation de 25 % des utilisations du bois dans la construction entre 1990 et 2010.

La loi sur l’air énonce également, pour la première fois, les principes que la fiscalité des combustibles et carburants doit respecter. II s’agit là d’une disposition importante car elle permet d’introduire dans les choix fiscaux la préoccupation environnementale.

Elle a déjà été mise en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour 1997, qui prévoit en effet une augmentation de la TIPP sur le gazole, légèrement supérieure à celle portant sur l’essence. Cette différentiation est certes modeste mais il s’agit d’un début, qui va incontestablement dans la bonne direction.

Le Parlement a également voté des dispositions fiscales positives destinées à faire décoller le marché des véhicules sobres en énergie et peu polluants, tels que les véhicules électriques ou ceux fonctionnant au gaz naturel ou au gaz de pétrole liquéfié.

Bien entendu, nous ne limitons pas notre action au seul gaz carbonique, mais a pris des mesures importantes sur les autres gaz à effet de serre.
 
Ainsi la loi de 1992 sur les déchets, qui limite à partir de 2002 la mise en décharge aux seuls déchets « ultimes », permettra à terme de réduire à zéro les émissions de méthane des décharges.

Des mesures réglementaires viennent d’être imposées aux usines rejetant du protoxyde d’azote (industrie de l’acide adipique et de l’acide glyoxylique). Leur effet sera à lui seul équivalent à une réduction de 6 % des émissions de gaz carbonique. Au total, avec d’autres mesures visant l’agriculture, les émissions de protoxyde d’azote de la France seront divisées par deux entre 1990 et 2000.

* Mandat de Berlin et préparation de Kyoto 97

Je considère que les pays développés doivent continuer à être à l’avant-garde de la lutte contre l’effet de serre. Il convient de renforcer leurs engagements dans le, cadre du « mandat » adopté l’an dernier à Berlin par la première conférence des Parties à la Convention de Rio, pour la préparation du protocole devant être signé à l’automne 1997 à Kyoto lors de la troisième conférence des Parties.

Le second rapport du GIEC indique qu’il faut viser une stabilisation des concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère à un niveau de 550 ppmv, qui représente le double de la concentration avant l’ère industrielle. Un tel niveau conduirait d’ores et déjà à une augmentation des températures moyennes du globe de 2,5 °C par rapport au niveau préindustriel.

Ces objectifs chiffrés font aujourd’hui l’objet d’un consensus au plan international, notamment de la part de l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

Ils supposent des efforts de réduction globale significative des émissions de gaz à effet de serre, qui devront être précisés dans les protocoles pris pour l’application de la Convention. Plus tard l’on décidera d’agir, plus grand sera l’effort nécessaire pour atteindre l’objectif ultime.

Une baisse de 50 % à terme des émissions mondiales de gaz carbonique m’apparaît d’ores et déjà nécessaire.

Les travaux du groupe de travail du « mandat de Berlin » se poursuivent. Ce mandat vise la mise au point d’une approche combinant d’une part des politiques et mesures, d’autre part des objectifs de limitation et de réduction des gaz à effet de serre dans le cadre d’échéances précises (2005, 2010 et 2020).

* Politiques et mesures

L’expérience du programme français de prévention de lutte contre l’effet de serre montre que seule une partie des mesures a pu être décidée au niveau purement national. Nombre de mesures relèvent, au titre de la subsidiarité, du niveau communautaire. Leur mise en place nécessite un accord des États membres de l’Union européenne.

Ceci, entre autres, démontre la nécessité que les pays développés s’engagent sur des politiques et mesures de prévention du changement de climat de façon coordonnée au niveau international. Une telle coordination est nécessaire compte tenu des risques de distorsion de concurrence dans la compétitivité internationale.

La mise en place progressive d’un système énergétique mondial faiblement émetteur de carbone fossile est indispensable. Elle passe par des actions à la fois dans le domaine de la maîtrise de la demande d’énergie et dans celui de l’offre d’énergie, visant notamment une substitution au bénéfice de vecteurs d’énergie à faible teneur en carbone fossile.

Le coût économique de la prévention des changements de climat pourra être contenu dans des limites acceptables (au maximum quelques % du PIB) si des stratégies efficaces sont mises en œuvre à l’échelle mondiale.

Il s’agit en particulier :
    – d’exploiter le potentiel non négligeable d’actions « sans regret » disponible dans la plupart des pays, notamment dans le secteur énergétique ;
    – de susciter et d’accélérer les développements technologiques, et non pas de les attendre, afin d’apporter des réponses le plus vite possible à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre ;
    – de privilégier les instruments économiques, qui présentent certainement un meilleur rapport coût efficacité que les autres approches ; il faut viser en particulier la suppression des subventions à la consommation d’énergie fossile et la taxation du gaz carbonique ;
    – comme je le rappelais plus haut à propos des accords volontaires, la France a proposé en 1994 à ses partenaires européens la mise en place progressive, dans le cadre du dispositif existant sur les accises, d’une taxation du gaz carbonique dans les seuls secteurs dont la compétitivité internationale ne serait pas affectée par cette taxe ;
    – le retard dans la mise en œuvre d’une telle taxe affecte la réalisation de certaines mesures faute d’un « signal-prix » incitant les acteurs économiques à exploiter les gisements d’efficacité énergétique.

* Objectifs de limitation et de réduction

Ce consensus a pu être rendu possible grâce à l’évolution de la position des États-Unis, qui ont pour la première fois pris partie en faveur du principe d’objectifs juridiquement contraignants.

Il conviendra toutefois d’adopter une certaine souplesse dans la localisation des actions de réduction, ainsi qu’une souplesse dans le temps. C’est en effet le cumul des émissions à l’intérieur d’une période donnée qui peut être relié aux effets sur le climat, et non pas les émissions d’une année précise à l’intérieur de cette période.

Il convient d’observer la diversité des niveaux actuels d’émission de gaz carbonique de différents pays développés aux niveaux de vie comparables.

États-Unis, Canada, Australie émettent plus de 5 tonnes de carbone par habitant et par an. Dans la moyenne des pays de l’OCDE, l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume Uni sont autour de 3 tonnes. Enfin, parmi les niveaux les plus faibles, la Suède, la France et le Japon sont à moins de 2 tonnes.

Les origines de la structure énergétique de production d’électricité ne suffisent pas pour expliquer ces différences. Le rapport du Conseil mondial de l’énergie met clairement en lumière les niveaux atteints par des pays comme le Japon ou la France en matière d’efficacité énergétique du PIB.

Ces résultats reposent notamment sur de vigoureux efforts de réduction des consommation d’énergie et sur la fiscalité de l’énergie.

Il conviendra d’attacher une attention particulière à la différenciation et une répartition équitable des efforts menés par les Parties au service de la réduction globale.

L’idéal serait que la répartition de l’effort entre les pays développés se fasse sur la base du coût rapporté à la tonne de carbone évitée des mesures mises en œuvre. Une façon simple et efficace de le traduire serait de mettre en œuvre une fiscalité sur les émissions de gaz carbonique à des taux coordonnés dans l’ensemble des pays développés.

Compte-tenu des difficultés à obtenir un accord sur ce point, et du consensus international sur la notion d’objectifs juridiquement contraignants, notre pays doit apporter dans le processus de négociation menant à Kyoto des propositions concrètes en matière de différentiation des objectifs.

Faute d’une stratégie offensive dans ce domaine, nous serions en position difficile face à ceux qui prônent des objectifs uniformes, à savoir un même pourcentage de réduction pour l’ensemble des pays développés. La solution des objectifs uniformes, qui ne tient pas compte des niveaux de départ, est inacceptable pour notre pays.

La meilleure défense reste l’attaque. J’ai donc demandé à la Mission Interministérielle de l’effet de serre d’élaborer des propositions sur la différentiation des objectifs reposant sur des bases objectives.

Le principe de ces propositions repose sur l’adoption par les pays développés de trajectoires convergeant à terme vers un niveau voisin d’émission par habitant ou par unité d’activité économique, ce qui assure une réduction globale des émissions à des échéances convenues.

J’estime pour ma part que le niveau global qui doit être recherché en vue d’atteindre les objectifs recommandés par le GIEC est une émission moyenne à terme, pour l’ensemble des pays développés, sans doute inférieure à une tonne de carbone par habitant et par an. Cet objectif implique une réduction moyenne annuelle d’au moins 1 % des émissions globales de gaz carbonique des pays développés. Le pourcentage de réduction applicable à chaque Partie doit bien entendu être différencié selon les critères de convergence que j’ai évoqués.

 

Conclusion

Mesdames, Messieurs,

Je regrette de ne pas avoir pu suivre vos travaux, qui m’auraient certainement éclairée sur un chiffrement plus précis des objectifs de limitation et de réduction des émissions de gaz à effet de serre auxquels nous devrions nous astreindre compte tenu des données scientifiques et économiques disponibles.

Je ne doute pas que les résultats de vos réflexions pourront apporter des éléments de réponse concrets aux questions que nous nous posons, tant en termes de connaissances scientifiques et d’appréciation des enjeux socio-économiques qu’en termes de décisions à prendre.