Conférence de presse de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur les défaillances et les responsabilités à l'origine de la débacle du GAN, sur le plan d'intervention de l'Etat actionnaire et sur la prochaine privatisation du GAN et du CIC, Paris le 27 février 1997.

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Circonstance : Annonce du plan de sauvetage du GAN le 27 février 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Le groupe GAN se trouve aujourd’hui dans une situation dramatique. L’ampleur des pertes et des difficultés contraint l’État, actionnaire à plus de 80 % de la société centrale du GAN, à intervenir massivement pour permettre au groupe GAN-CIC de retrouver les voies de l’avenir.

C’est pourquoi j’ai souhaité vous rencontrer aujourd’hui pour aborder avec vous trois questions : Où en est-on ? Pourquoi en est-on là ? Que fait l’actionnaire et pour quel projet ?

Voici les objectifs que je me suis fixés dans le traitement de ce dossier :
     - connaître la vérité, c’est-à-dire l’ampleur exacte du problème avant de pouvoir déterminer quelle peut être la meilleure réponse de l’État-actionnaire, c’est-à-dire, la moins coûteuse possible pour le contribuable ;
     - respecter quelques principes fondamentaux à mes yeux : traiter l’ensemble des problèmes du groupe, dans la transparence ; minimiser le coût pour les finances publiques ; agir conformément aux règles de concurrence ;
     - préserver l’emploi ;
     - définir une stratégie, un projet cohérent autour duquel les équipes du GAN et du CIC se mobiliseront. J’ai confiance en leur capacité à mettre en évidence leurs atouts qui sont considérables et à se préparer à la privatisation.

I.  Première question : où en est-on ?

Le conseil d’administration de la société centrale du GAN vient de se tenir sous la présidence de M. Pfeiffer. Je ne reviendrai pas sur ce qui figure dans le communiqué diffusé par le GAN en accord avec son actionnaire. Quelques chiffres cependant caractérisent la situation actuelle du GAN.

Le GAN devrait passer dans ses comptes 1996 environ 14 milliards de francs de provisions provenant pour l’essentiel de l’UIC, et de la défaisance immobilière créée en 1994. Ainsi, à la fin de l’année 1996, le GAN est virtuellement en situation nette négative.

En l’espace de quatre ans, l’UIC, filiale du GAN spécialisée dans le financement du secteur immobilier a coûté plus de 27 milliards de francs au GAN. Les pertes enregistrées depuis 1992 sur l’assurance dommage du fait d’une politique tarifaire hasardeuse et de coûts trop élevés dépassent 4 milliards de francs et celles issues de la surévaluation des actifs, notamment immobiliers, sont du même ordre de grandeur. Ainsi, depuis 1992, 35 milliards de francs de pertes ont été constatées.

Elles ont été financées jusqu’à présent par les fonds propres du GAN, par les résultats de l’assurance vie et du CIC et par la recapitalisation de près de 3 milliards faite par l’État en 1995.

Dans la mesure où le GAN n’arrêtera ses comptes qu’à la fin du mois d’avril, il n’est pas l’heure d’entrer dans plus de détails. Mais, il est important d’avoir ces ordres de grandeur à l’esprit pour apprécier l’ensemble du dispositif mis au point par l’actionnaire et l’entreprise.

II.  Deuxième question, que l’importance des pertes rend incontournable : comment a-t-on pu en arriver là ?

Il est indispensable, afin d’en tirer les leçons pour l’avenir, de revenir sur l’enchaînement des faits. Je voudrais donc vous en retracer brièvement les grandes étapes.

1. 1988-1992 : le temps de la croissance aventureuse

Le groupe GAN constitue à partir de 1990 un pôle immobilier important en prenant progressivement le contrôle de l’UIC, banque qui s’est spécialisée dans le financement des professionnels de l’immobilier et est sur une trajectoire de développement extrêmement rapide de ses encours (de 15 à 50 milliards entre 1987 et 1992).

Par ailleurs, le GAN entreprend une politique de conquête de parts de marché en assurance dommages, en cassant les prix, l’État s’inquiète dès le début de 1992.

La bombe est armée.

2. 1993/mi 1995 : le pari optimiste du redressement interne

Le CIC, auquel le GAN a finalement repris l’UIC début 1993, met en œuvre un plan de redressement de sa rentabilité.

Le GAN commence à inverser sa politique tarifaire en assurance dommages sous la pression renouvelée de son actionnaire.

Le GAN et l’État découvrent avant l’arrêté des comptes 1993 (février 1994) que l’UIC a accumulé des pertes extrêmement importantes, auxquelles l’UIC ne peut faire face seule. Le président du GAN propose à l’État de décharger l’UIC des crédits les plus compromis (19 milliards de francs) par la mise en place d’un cantonnement interne au groupe GAN. Une partie de ces pertes est provisionnée immédiatement. Simultanément, le GAN procède à un changement de méthode comptable qui lui fait constater immédiatement trois milliards de bénéfices futurs.

Pendant l’exercice 1994 l’UIC fait l’objet de plusieurs audits. Le nouveau président du GAN demande alors à l’État de compenser l’ensemble de la perte, telle qu’estimée à l’époque résultant des risques de l’UIC, soit environ 10 milliards. L’État recapitalise le GAN à hauteur de 2,8 milliards, sur la base d’un plan de redressement du groupe qui doit lui permettre de supporter dans le temps les pertes et charges futures. Cette recapitalisation, ainsi que le plan attaché, seront approuvés par la Commission de Bruxelles en septembre 1996. Cette vision optimiste ne va pas résister à l’épreuve du temps.

3. Mi 1995 à février 1997 : le temps de la vérité

Le redressement du CIC se poursuit, celui du GAN est plus lent que prévu.

Début août 1995, le ministre de l’Economie et des Finances demande à un conseil extérieur (Morgan Stanley) une opinion sur l’adéquation du plan de redressement, dans une perspective notamment de privatisation. Le plan est jugé ambitieux, sur le redressement opérationnel, et trop tendu pour ce qui a trait à la liquidité du groupe et de ses composantes ; une accélération des cessions est donc conseillée. En décembre 1995, l’État approuve la proposition du président du GAN qui annonce un programme complémentaire de cessions d’actifs, dont l’ouverture du capital et éventuellement la cession majoritaire du groupe CIC. La privatisation du CIC est lancée, puis suspendue en novembre 1996.

En ce qui concerne l’immobilier, l’UIC comme la défaisance mettent en œuvre le programme de cessions.

Dans le courant de l’été 1996, les signes se multiplient sur l’ampleur probable des pertes immobilières ; leur niveau met clairement en danger le plan initial. Je fais alors lancer un audit complet du risque immobilier d’origine UIC porté par le groupe. Ses conclusions, rendues en février 1997 avec les premières appréciations portées par le nouveau président du GAN sur l’activité assurance, rendent incontournables l’intervention de l’actionnaire.

II.  Quelles leçons peut-on tirer de cet enchaînement ?

Un sinistre d’une telle ampleur conduit naturellement à s’interroger sur les responsabilités. Il ne m’appartient pas d’instruire ici le procès de tel ou tel. Mais, il est nécessaire d’être très clair sur l’origine des pertes : cette clarté dans l’explication doit être le gage d’un changement profond de comportement dans lequel le dynamisme n’exclut pas la rigueur, l’initiative n’entrave pas le contrôle et où tout est mis en œuvre pour améliorer la compétitivité.

a) La première défaillance concerne évidemment la prise inconsidérée de risques dans le cadre d’une politique expansionniste non maîtrisée. C’est la période qui s’achève au début 1993.

Dans l’immobilier comme dans l’assurance, la tentation de conquérir des parts de marché est un jeu dangereux quand il ne s’appuie pas sur un renforcement des dispositifs de contrôle interne. Le retournement du cycle conjoncturel a rendu insupportables les niveaux de prix atteints au sommet de la bulle immobilière de la fin des années 1980, qui est la période où l’UIC s’est particulièrement développée.

Les responsables de ces stratégies ont quitté le groupe. J’ai chargé le président Pfeiffer de rechercher les responsabilités et d’engager en conséquence les poursuites qui s’imposent.

Pour que de tels phénomènes ne se reproduisent pas, j’ai demandé au président du GAN de me faire part rapidement de ses propositions stratégiques afin de faire ressortir les activités sur lesquelles il convient, compte tenu de leur rentabilité et de leurs perspectives, de faire porter les efforts. Ces orientations devront donner lieu à une discussion approfondie afin qu’elles soient mises en œuvre en toute connaissance de cause par l’entreprise et son actionnaire.

b) La seconde origine des difficultés du GAN réside dans la défaillance de l’information et du contrôle internes. L’ampleur des risques pris non seulement n’a pas été mesurée au départ mais a demandé beaucoup de temps pour l’être par la suite.

Ceci explique qu’on découvre encore des pertes sur des dossiers audités et sur-audités. Les efforts menés ces derniers mois devront donc être encore amplifiés et le contrôle de la holding sur les filiales renforcées, de même que celui de l’État sur ces structures.

c) Enfin, je constate que les multiples contrôles existants, internes et externes, n’ont pas eu une efficacité suffisante. La direction des entreprises concernées, GAN et UIC, les conseils d’administration, les commissaires aux comptes, les auditeurs, les autorités de contrôle, l’État actionnaire n’ont pas ensemble réussi à prévenir les prises de risques puis à bien les mesurer alors même que ces risques étaient devenus des facteurs de pertes inéluctables.

La gravité de cette situation a de quoi susciter l’incompréhension, voire la révolte. Cela étant, l’actionnaire, à ce stade, doit faire face à ses obligations.

III.  Troisième question : que va faire l’État et pour quel projet ?

Ce projet peut se résumer en trois temps : clarification, intervention, privatisation.

1. Le plan de restructuration est d’abord dicté par la nécessité absolue de clarifier une structure complexe, voire illisible qui est un obstacle à la valorisation des atouts du groupe GAN sur ses métiers de base.

La structure du groupe GAN sera donc clarifiée en trois pôles distincts, pour dégager le CIC et GAN Assurances des risques sur l’immobilier.

La holding Gan société centrale (GAN SC) sera ainsi à la tête de trois pôles : l’assurance (GAN SA), le CIC et l’ensemble immobilier (UIC et défaisances). Chacun de ces pôles constitue un ensemble cohérent et, surtout, le pôle assurance et le CIC sont ainsi dégagés du risque immobilier qui n’est plus assumé que par la société centrale du GAN, à l’égard de laquelle l’État s’engage.

Ce dispositif permettra par ailleurs d’utiliser les recettes de la future privatisation de GAN Assurances et du CIC pour assumer une partie des besoins de financement de la défaisance : le groupe GAN contribuera ainsi, par la privatisation, à la couverture d’une partie de ses pertes. Croyez bien que mon souci est également de protéger les contribuables.

2. L’intervention de l’État est la conséquence de cette clarification : Elle pourrait être à terme de l’ordre de 20 milliards. Avec la recapitalisation de 1995, l’État sera donc intervenu à hauteur d’environ 23 milliards de francs au profit du GAN.

Le plan qui sera mis en place, sous réserve de l’accord du Parlement et de la Commission européenne à qui il sera rapidement soumis, se décompose donc de la façon suivante :
     - 11 milliards de dotation en capital en 1997, soit 7,1 milliards pour recapitaliser l’UIC et 3,9 milliards pour améliorer la situation des sociétés d’assurance au regard de la réglementation ;
     - environ 9 milliards de pertes prévisibles liées à une garantie donnée par l’État au GAN au titre de la défaisance immobilière mise en place en 1994. Ce dernier chiffre est estimatif dans la mesure où il dépend de la valeur de réalisation des actifs concernés ; le produit des privatisations de GAN SA et du CIC sera affecté au financement de cette garantie ;
     - enfin, l’État prendra l’engagement de faire son devoir d’actionnaire si la société centrale du GAN ne pouvait assumer seule d’éventuelles pertes futures liées à l’UIC, notamment en cas de cession.

L’État fait ainsi face à ses responsabilités d’actionnaire majoritaire du GAN. Je rappelle qu’il apportera son soutien, non pas en faisant appel aux ressources budgétaires traditionnelles, mais en mobilisant les recettes de privatisation.

Cet effort de l’État trouvera sa contrepartie dans celui que doit consentir le GAN. Par la qualité et la rigueur de leur gestion, GAN Assurances et le CIC doivent faire la démonstration de leur capacité à progresser dans des marchés de plus en plus difficiles et d’améliorer leur compétitivité et leur rentabilité. Ceci passe notamment par des efforts déterminés de réduction des coûts pour les rapprocher de ceux de la concurrence.

Par ailleurs, le traitement des difficultés de l’UIC et de la défaisance doit être poursuivi sans délai et avec une vigueur renouvelée. C’est une des priorités majeures assignées par l’État à la direction du GAN.

3. La privatisation est la clef de voûte de ce plan.

a) Cela doit être une ambition pour les dirigeants, salariés et mandataires de GAN Assurances et du CIC : seul l’adossement à de nouveaux actionnaires privés est à même de donner à GAN Assurances et au CIC les moyens futurs de leur développement. Les atouts de ces deux entreprises, qui doivent encore être renforcés, sauront convaincre les acquéreurs.

Depuis le début de mon intervention, j’ai beaucoup parlé de pertes, de risques et de sombres perspectives. Il faut dire les choses comme elles sont. Notre Gouvernement a le choix du langage de vérité. L’intervention de l’État aux côtés du GAN doit se faire dans une perspective positive : ces entreprises, le CIC comme GAN Assurances, sont connues et reconnues pour leurs qualités. Elles seront dégagées du poids que l’immobilier faisait peser sur elles démontreront leur capacité à être parfaitement compétitives, afin de réussir leur privatisation rapide.

b) La privatisation est aussi une nécessité pour limiter le coût du sauvetage du GAN pour les finances publiques. Se préparer à privatiser vite, dans de bonnes conditions est indispensable car, la simplification de la structure financière et le dénouement des prêts intra-groupe seront financés par le produit de la privatisation du CIC et de GAN Assurances. Ce produit de privatisation doit également, le moment venu, financer au moins partiellement la perte finale de la défaisance.

Je vous ai dit que je souhaitais partager avec vous toute la vérité qui a pu être faite sur la situation du groupe. Ce souci d’honnêteté et de transparence me conduit également à souligner la part d’incertitude et d’aléa.

En ce qui concerne les provisions, l’expérience nous a enseigné la prudence, en dépit du sérieux avec lequel a été opéré le travail d’évaluation des risques et charges pesant sur le GAN. Mais, ce risque est désormais limité compte tenu de la réduction des encours de l’UIC et de la défaisance. Une gestion rigoureuse demeure néanmoins nécessaire sur ces encours résiduels.

D’autre part, le montant final de l’intervention de l’État dépendra du prix auquel les privatisations du CIC et de GAN Assurances pourront être opérées. Des moins-values ne sont pas exclues. À nous de les éviter ou, à tout le moins, d’en limiter l’importance et l’impact sur les finances publiques.

Enfin, le calendrier peut faire varier le coût de l’intervention de l’État. Plus la cession du CIC et de GAN Assurances réalisée rapidement, plus le concours de l’État sera réduit, les recettes de privatisation permettant de compenser les besoins de financement de la défaisance et de l’UIC.

Je crois que, par ce plan de restructuration, l’État démontre sa volonté de traiter, en toute transparence, tous les problèmes. La tentation aurait pu être d’occulter les réalités. Tel n’est pas le choix du Gouvernement : les pertes et l’importance des besoins sont présentés, une réponse adaptée leur est apportée, les perspectives du groupe sont tracées.

Le marché de l’assurance comme celui de la banque sont entrés dans une phase de restructuration sans précédent, à laquelle l’État entend contribuer positivement. Dans un tel contexte, les candidats souhaitant acquérir le CIC ou GAN Assurances, ensemble ou séparément, devraient être intéressés par deux entreprises qui occupent la 5e place sur leurs marchés respectifs.

L’État actionnaire prend aujourd’hui toute la mesure de ses responsabilités. Il entend défendre tout à la fois les entreprises, leurs salariés et les contribuables. Le plan de restructuration permet au groupe GAN de sortir de l’impasse. Je fais confiance à Monsieur Didier Pfeiffer, à Monsieur Philippe Pontet et à l’ensemble de leurs collaborateurs pour relever ce défi.

Puissent les péripéties du groupe GAN nous prémunir contre les illusions et les mirages de l’économie administrée.

Je vous remercie.