Texte intégral
Le Figaro : Politiquement, comment vous définissez-vous ?
Jean Arthuis : Je suis un libéral.
Le Figaro : Qui dirige Bercy ? Le libéral ou le « démocrate-chrétien sans complexe » ?
Jean Arthuis : Ma préoccupation est de mettre l'économie et la finance au service de l'homme, de démontrer que la mondialisation est une chance pour tous, au sein de la communauté nationale comme dans les relations entre pays développés et pays en voie de développement. Je fais confiance à l'homme, et j'attends des pouvoirs publics qu'ils mettent la politique au service des hommes. C'est une exigence qui conduit à un devoir de vérité et de transparence dans la gestion publique.
Le Figaro : La mondialisation est une chance, dites-vous. Mais il y a plus de trois millions de chômeurs...
Jean Arthuis : Lors du G7 de Lyon, en juin dernier, le président de la République avait choisi un thème prometteur : démontrer que la mondialisation est une chance pour tous. La mondialisation doit cesser d'être un facteur d'Inquiétude. Prenons garde à ne pas céder à une vision nostalgique, mélancolique, et surtout fausse. Aller à la conquête du monde est une nécessité absolue. Nous sommes peu présents à l'étranger. Il doit y avoir à peu près 1 700 000 Français hors du territoire national, alors qu'il y a plus de 3 millions d'Allemands et 4 300 000 d’Italiens. Dans ce monde complexe, où l'information n'a jamais été aussi abondante, nous devons nous battre avec des outils modernes, nous devons développer l'« intelligence » économique. Ceux qui ont accès à l'information ont des visions plus justes, des stratégies plus sûres ; il faut donc que nous mettions toute cette information à la disposition de tous les acteurs économiques.
Le Figaro : Est-ce que vous ne craignez pas que les intérêts des acteurs économiques divergent de plus en plus de ceux de l'Etat français ?
Jean Arthuis : Il faut retrouver une sorte de patriotisme économique. L'évolution récente a créé une sorte de distance entre la grande entreprise et la nation. Il y a encore quelques années, la grande entreprise nationale apparaissait totalement solidaire du développement national. Aujourd'hui, la grande entreprise a forcément une stratégie planétaire, et ses préoccupations ne &ont plus nécessairement en phase avec ce dont l'Etat est garant, notamment en matière sociale. Mais il faut que la France développe une véritable culture d'entreprise, que les Français soient plus entreprenants.
Nous devons les y aider en allégeant le poids des contraintes que l'on n'a cessé d'accumuler, qui ont progressivement découragé l'initiative et peut· être créé un déficit d'ambition et d'esprit d'entreprise chez les Français. La baisse de l'impôt sur le revenu que les Français vont constater celte année répond à celle nécessité.
Le Figaro : Quelle est votre recette pour rendre les Français « entreprenants » ?
Jean Arthuis : Trop de contraintes pèsent encore sur les entreprises. Nous devons aller plus loin, par exemple en matière de charges sociales. Il faut les alléger progressivement, le plus rapidement possible, dès que nous aurons les moyens budgétaires de le faire. Poursuivre ainsi ce que nous avons commencé, en allégeant le formalisme et les obligations paperassières.
Le Figaro : En matière fiscale, est-ce qu'il faut aller plus vite, comme vous y invite Jacques Chirac ?
Jean Arthuis : C'est une priorité gouvernementale. Au surplus, nous devons être capable de répondre à la question de savoir si nous avons une fiscalité qui est encore adaptée à une économie qui se mondialise. Toutes les formes de concurrence entre les Etats vont se multiplier pour attirer les entreprises. La France, pour réussir, a besoin d'hommes, de capitaux, de talents. Encore faut-il que les conditions d'accueil soient compétitives. Si les talents et les capitaux estiment qu'ils seront mieux traités dans d'autres pays que la France, nous n'irons pas au bout de nos ambitions. Si la fiscalité est excessive, les talents iront se faire imposer ailleurs. Ils iront se domicilier à l'étranger. C'est déjà le cas de grands sportifs ; certains joueurs de foot préfèrent aller jouer dans des équipes étrangères parce qu'ils y sont mieux traités fiscalement. Si l'on ne répond pas à ces questions, nous risquons de ne plus pouvoir jouer en Coupe du monde. Il s'agit de savoir si l'on veut continuer à jouer en division régionale ou si l'on veut jouer au niveau international.
Le Figaro : À force de se polariser sur la réduction du déficit budgétaire, est-ce que l'on ne risque pas d'asphyxier le pays ?
Jean Arthuis : L'assainissement des finances publiques n'est pas un projet politique en sol, mais il n'y a pas de projet politique qui puisse faire l'économie de cette exigence, Tous ceux qui croient pouvoir s'en abstraire racontent des histoires.
Le Figaro : Mais la situation économique ne s'améliore pas...
Jean Arthuis : L'année qui vient doit être abordée avec confiance : l'économie marche mieux, les entreprises sont compétitives, nous sommes sur un rythme de 120 milliards d'excédent d'exportations, ce qui témoigne d'une vraie efficacité, les taux d'Intérêt ont baissé dans des proportions sans précédent.
Le Figaro : Les indicateurs économiques sont bons, à l'exception de l'emploi, mais le gouvernement reste impopulaire. Comment expliquez-vous les ratés depuis 18 mois ?
Jean Arthuis : Peut-être y a-t-il eu un déficit de pédagogie pour dessiner l'horizon. Prenons l'exemple de l'euro, qui est parfois apparu comme une contrainte, une discipline arbitraire. Nous n'avons probablement pas assez montré les b6néfices à tirer de la mise en place de l'euro, alors que certains ne se privaient pas de dire que la réduction des déficits ne tenait qu'à des contraintes européennes, ce qui était inacceptable comme procès. Si nous réduisons le déficit, c'est pour une croissance plus forte et pour créer de l'emploi. Et si nous faisons l'euro, c'est pour garantir la stabilité monétaire, indispensable au développement des entreprises.
Le Figaro : Parmi les ratés, il y a aussi l’affaire Thomson...
Jean Arthuis : Les privatisations qui restent à réaliser sont des opérations difficiles. Nous avons à mieux préparer les esprits pour que chacun en comprenne les raisons. Je pense qu'il est indispensable d'associer les salariés, notamment en leur permettant de venir actionnaires. Lorsqu'on privatise par offre publique de vente, il y a un actionnariat salarié. Lorsqu'on privatise par opération de gré à gré, il faut que l'on offre la possibilité au personnel de devenir actionnaire de l'entreprise, de manière aussi avantageuse. Nous dei vans avoir une démarche d'adhésion, de participation.
Le Figaro : Il y a quelques années, vous aviez déclaré qu'un mouvement politique n'est véritablement crédible que lorsqu'il compte au sein de son équipe un candidat déclaré...
Jean Arthuis : Je crois qu'il est normal qu'un mouvement politique dispose en son sein d'un candidat potentiel.
Le Figaro : Qui est le présidentiable de Force démocrate aujourd'hui ?
Jean Arthuis : La question est sans doute prématurée. Nous sommes à un peu plus de cinq ans de l'échéance présidentielle. Aujourd'hui, Force démocrate compte bon nombre d'hommes de qualité, et son président, François Bayrou, procède à une belle rénovation du mouvement centriste. Il en a élargi l'assise, il multiplie les lieux de réflexion. Nous modernisons notre formation politique, ce qui est une nécessité. Les partis politiques avaient mal vieilli. On parle de la réforme de l'État et des institutions, mais il faut aussi s'interroger sur l'opportunité de moderniser la vie politiques. Les Français ne toléreraient pas le moindre retard en la matière.
Le Figaro : Dans la perspective des législatives, qui s'impose pour mener la majorité au combat ?
Jean Arthuis : La tradition, sous la Ve République veut que le premier ministre dirige la majorité et mène le combat ; mais il ne le mène pas seul, il le mène avec l'ensemble des leaders, en équipe et en confiance. Alain Juppé mènera ce combat avec succès.
Le Figaro : Avez-vous le sentiment que l'UDF soutient suffisamment l'action gouvernementale ?
Jean Arthuis : Face aux problèmes de société, la diversité des réponses est une richesse. Cela étant, une bonne méthode doit nous permettre d'éviter de cultiver les divisions. Il faut pourchasser tout ce qui conduirait à aviver des conflits de personnes, à faire disparaître des clans, à susciter des querelles intestines. Ce gaspillage d'énergie ne pourrait qu'affaiblir la majorité. En revanche, il faut que chaque parti soit un laboratoire d'idées, et qu'ensuite nous ayons l'intelligence de mettre en synergie toutes ces proposions dans un esprit de compréhension et d'union. Les luttes gauloises sont d'un autre âge. Le RPR a sa culture et ses valeurs, l'UDF a les siennes, et, au sein de l'UDF, il peut y avoir différents points de vue. Il importe que chacun soit lui-même et qu'il ait suffisamment confiance en lui.
Le Figaro : En ce début d'année, la nomination de deux nouveaux membres au conseil de la politique monétaire de la Banque de France a suscité de vives réactions à l'UDF. Pourquoi est-ce que les noms proposés par René Monory n'ont pas été retenus par le gouvernement ?
Jean Arthuis : Le choix s'est fait en faveur de deux personnalités qui assureront la continuité de la politique monétaire et privilégieront la stabilité du franc par rapport au mark comme l'ensemble des monnaies européennes, préparant ainsi la France au passage rapide à la monnaie unique.
Le Figaro : On a beaucoup parlé d'un remaniement. Est-ce qu'il aurait été utile pour la majorité ?
Jean Arthuis : Le gouvernement d'Alain Juppé a fait preuve de courage, de lucidité et de détermination pour tenir le cap fixé par le président de la République. Je n'ai jamais ressenti ce remaniement comme une nécessité, et je doute que son évocation ait profité à l'action entreprise. Je sais que ça fait le bonheur d'un certain nombre de chroniques journalistiques, mais est-ce que ça fait le bonheur des Français ? Je n'en suis pas sûr...
Le Figaro : A propos du programme économique de la gauche, vous avez parlé d'un État Père Noël...
Jean Arthuis : J'ai eu vraiment le sentiment que Lionel Jospin et le Parti socialiste s'étaient habillés en Pères Noël. Travailler moins en maintenant les rémunérations, c'est irréaliste. Accroître le nombre de fonctionnaires, c'est à contretemps. La France détient le record des prélèvements obligatoires. Ce n'est pas en alourdissant le poids des charges que l'on va s'en sortir, pas en promettant je ne sais quelle sécurité absolue, complément chimérique dans un monde qui se transforme, qui se globalise. M. Jospin aurait-il pour seule ambition de faire de la France le dernier État collectiviste du monde ?
Le Figaro : Pour la majorité, le principal danger aujourd'hui, c'est plutôt la gauche ou le Front national ?
Jean Arthuis : La majorité doit être suffisamment solide et confiante en elle-même. Le principal danger, c'est un déficit d'écoute, un déficit de compréhension, un déficit de pédagogie. Je considère que nous avons toutes les conditions pour réussir, et c'est ce qui va s'accomplir en 1997. Mais ce n'est pas simple de rompre avec l'embardée des dépenses publiques, avec les bonnes vieilles habitudes qui consistent à dire qu'un bon budget c'est forcément un budget dont les crédits progressent ; de rompre avec l'idée selon laquelle « l'inflation c'est bien ; comme ça, on ne rembourse pas ses dettes » ; de rompre avec un certain nombre de commodités et de facilités qui nous mettaient progressivement à l'écart de la communauté internationale. Si la France veut assumer son rôle sur le plan mondial, il faut que nous nous battions pour construire l'Europe, non pas une Europe qui engloutirait les nations, mais une Europe au sein de laquelle chaque pays aura son identité, sa place, son rôle et son poids.
Le Figaro : La stratégie prônée par Philippe Douste-Blazy est-elle un bon moyen de lutter contre le Front national ?
Jean Arthuis : Il faut dénoncer toute atteinte aux valeurs. Je dénonce le racisme, la xénophobie. Mais il faut surtout être soi-même et renforcer la relation que nous avons avec les Français, en allant au-devant de leurs préoccupations, en soulignant la cohérence et le sens de nos réformes, expliquer nos priorités, et lutter contre les hypocrisies et les facilités. Il faut continuer à donner à la France des perspectives, pour que les Français regardent devant eux et non pas dans le rétroviseur.
Le Figaro : Lorsque Charles Pasqua dit que nous sommes en 1788, vous estimez qu'il regarde dans le rétroviseur ?
Jean Arthuis : Je me méfie un peu des formules à l'emporte-pièce. Par exemple lorsqu'on me dit : « Actuellement, je constate une chose : en 1997, il faudra rembourser l'emprunt qui a été lancé en 93 !