Texte intégral
Allocution lors de la porte ouverte sur les archives parue dans l'Humanité du 13 février 1998
Permettez-moi, tout d’abord, de vous adresser mes meilleurs vœux et de vous remercier de donner, par votre participation, tout son sens à cette journée de travail, d’échanges et de confrontations.
Avant de préciser la finalité et les ambitions dans lesquelles nous envisageons ce travail, je voudrais féliciter l’équipe des militants, d’archivistes et d’historiens qui a préparé cette « journée portes ouvertes ». Par l’image et le son, par le document et l’affiche, par l’utilisation professionnelle des techniques les plus avancées, elle atteste de la réalité de l’effort entrepris pour mettre les fonds d’archives du PCF à la disposition de la recherche historique. Je voudrais également remercier Francette Lazard qui coordonne et impulse ces efforts.
En créant la commission « archives et mémoire militante », la direction de notre Parti a voulu donner, au printemps dernier, une impulsion et des moyens nouveaux au travail engagé, depuis la décision prise en 1993, d’ouvrir ces fonds selon la législation en vigueur pour les archives publiques.
Je voudrais dire ici les raisons de cette impulsion nouvelle, de cet engagement fort et des initiatives qu’ils appellent.
Nous voulons contribuer à l’élaboration par notre peuple des réponses qu’il doit apporter aux défis auxquels il est confronté en cette fin de siècle. Mettre l’homme au centre du développement de la société. Construire un communisme neuf. Nous avons l’ambition de devenir pleinement « pôle de réussite sociale » de la gauche. Notre mutation suppose un exceptionnel effort de lucidité sur les évolutions antérieures sur les conceptions qui ont prévalu des décennies durant, sur les choix effectués et sur leurs implications en longue durée, autrement dit sur l’histoire.
Vous avez sans doute remarqué le nom que nous avons donné à notre commission, « archives et mémoire militante ». Il exprime, très simplement, une visée tout à fait essentielle à mes yeux : celle du rôle décisif des individus dans le mouvement profond d’une époque, celle de l’intervention des hommes et des femmes, qui sont et font le peuple, dans le devenir d’une nation. L’un des apports du Parti communiste à l’histoire de notre pays n’est-il pas d’avoir motivé et mobilisé l’exceptionnelle richesse humaine de générations de militants ? Ces militants ont tissé au plus profond de notre peuple d’innombrables liens de générosité, de solidarité, de fraternité vraie et de dignité contre tout ce qui opprime, exploite, aliène les êtres humains.
Cet apport a fortement contribué à façonner la société française du 20ème siècle, dans ses dimensions humanistes et progressistes. Dans les localités, dans les familles, la trace en est forte, vivante et passionnante. La mémoire militante lui donne vie, à travers nombre d’itinéraires personnels jalonnés d’espérance et de courage, de ruptures et de solidarités. Vous comprendrez, disant ces mots que je tienne à saluer avec respect et affection les vétérans du Parti qui nous font l’amitié d’être ici.
Lier la pleine ouverture des archives du PCF à la mobilisation active de la riche diversité de la mémoire militante peut, c’est notre souhait, ajouter aux diverses sources qui témoignent de l’activité communiste, des matériaux du plus haut intérêt sur le vaste chantier du travail historique.
Vous avez comme moi noté la place prise jusqu’à ces derniers jours par les controverses sur l’histoire au cœur de la vie politique française Je pense que c’est un révélateur sérieux ce qui est, aujourd’hui, en jeu. Notre pays est en effet confronté à des choix qui mettent en cause les apports les plus originaux de deux siècles d’histoire structurant la nation française contemporaine : révolutions, républiques, mouvements populaires, résistances, luttes sociales et démocratiques. La crise de la société, la crise de la politique ont brouillé les repères. L’avenir en panne met le passé en question en même temps qu’il exige l’apport de l’intention, de la créativité, de la construction innovante.
D’où l’impact actuel des débats sur l’histoire. D’où la nécessité plus forte que jamais du respect des fonctions spécifiques de la politique et de l’histoire. L’effort complexe de connaissance rigoureuse du passé est contredit par l’instrumentalisation de l’histoire, voire sa manipulation à des fins de conjoncture. Cette instrumentalisation contredit également l’effort, tout aussi nécessaire, de lucidité politique. Pour ce qui nous concerne, nous avons fait l’amère expérience de ces errements aux dépens de l’histoire comme de la politique. J’y insiste d’autant plus qu’il y a là une exigence fondamentale de rigueur, de respect, de liberté et de responsabilité.
Les diverses initiatives de cette journée de débats témoignent d’une volonté de travail inscrite dans la durée.
Nous voulons, je l’ai dit, mettre toute la mesure de nos moyens les fonds d’archives du PCF à la disposition des historiens. De tous ceux qui le souhaitent. Et nous souhaitons qu’ils soient nombreux, exigeants, divers. Qu’ils publient et discutent. Les débats, les confrontations sur les démarches, l’interprétation des faits, des documents bruts, des archives, son inhérents à la recherche, à l’effort toujours relatif de connaissance. Ils sont et seront pour nous éclairants, indispensables. Dans la diversité de leurs opinions ou de leurs engagements politiques, de leurs relations avec le Parti communiste, de leurs sensibilités, de leur projet professionnel, les historiens qui s’engagent dans des travaux sur l’histoire du PCF trouveront portes ouvertes pour ses archives. Sous la responsabilité de notre commission, les fonds d’archives du PCF sont mis sans restriction à la disposition des chercheurs et personnes accréditées selon les normes de consultation des archives publiques.
Nous sommes conscients des efforts à faire et des moyens nécessaires pour rendre l’ensemble de ces fonds effectivement accessibles. Nous étudions la possibilité de création d’une fondation, qui pourrait disposer de possibilités de travail élargies. Nous avons décidé, en cohérence avec cette démarche, de mettre en place une véritable politique de collecte et de mise en réseaux des fonds d’archives anciens ou actuels. Vous apprécierez, j’en suis sûr, cette nouvelle approche qui établit désormais, pour la direction et les instances de notre Parti, des règles de conservation d’archives clairement établies. Ainsi les archives de Georges Marchais qui a impulsé cette politique d’ouverture, sont d’ores et déjà placées sous la responsabilité de notre commission.
Le PCF prend un engagement dont il mesure la portée. Il en appelle au libre développement du travail des historiens pour mettre au jour ce que fut l’histoire du PCF en liaison avec les données, les enjeux, les antagonismes et les évolutions de ce siècle. Il ne manquera pas de tirer profit de l’apport des travaux engagés, des discussions de recherche qu’ils suscitent.
Car le PCF considère qu’il a une responsabilité politique à l’égard de sa propre histoire.
Un exemple. On nous interroge souvent, vous le savez, sur le sens de notre récente décision de congrès de demeurer le PCF, près de 80 ans après Tours, alors que nous condamnons, totalement et sans équivoque, les drames qui se sont produits en ce siècle au nom du communisme. Chacun comprend que cela pose bien des questions. Cette décision exprime un choix. Assumer pleinement pour innover vraiment. C’est une originalité certaine dans le paysage politique français. Dirais-je que nous en sommes assez fiers ? A nos yeux, la créativité dans l’exploration des défis d’aujourd’hui est inséparable du courage d’investigation critique de tout ce qui s’est accompli hier. C’est le fond de notre démarche sur toutes les questions que pose l’histoire du communisme.
Bien sûr, pour les communistes d’aujourd’hui, les notions qui sous-entendaient le choix de Tours, - mouvement international dont le centre est Moscou, dictature du prolétariat, parti-guide, marxisme dogmatique et doctrinaire, centralisme démocratique – ne sont plus de références, mais, comme le léninisme lui-même, des objets d’histoire. Une tout autre conception de la révolution, des finalités et des pratiques d’un parti communiste se dégagent des efforts de renouvellement engagés il y a plus de vingt ans. Et la mutation que nous nous employons à approfondir et à mener à bien trouve sa cohérence nouvelle dans la volonté de promotion de la capacité d’intervention et d’initiative des individus. Affirmer aujourd’hui cette ambition comporte un impératif qui conditionne la crédibilité même de notre mutation : non seulement condamner le stalinisme, mais travailler plus encore à en comprendre les ressorts et les racines.
Face aux tragédies et aux faillites de l’histoire, le délégué au Congrès de Tours en 1920 et celui de notre 29ème Congrès ont en commun une chose essentielle : la volonté de chercher le chemin d’un combat plus efficace contre les dominations capitalismes. C’est sur ce chemin-là que nous voulons innover. C’est pourquoi il ne peut y avoir, pour nous, de « congrès de Tours à l’envers » !
C’est aussi pourquoi nous devons prendre nos pleines responsabilités politiques à l’égard de notre propre histoire. Nous devons développer, avec beaucoup plus d’efforts et d’esprit de suite, le travail que nous avons entrepris pour progresser dans la connaissance et la compréhension qui est advenu.
Nous avons avancé. Nous nous sommes dégagés d’une doctrine qui érigeait le centre dirigeant du parti en maître à pense du juste et du vrai, et le parti lui-même en guide patenté du peuple. Nous avons mis en évidence le poids sclérosant du modèle soviétique, les gâchis politiques dus aux regards pris dans l’élaboration d’une démarche en phase avec les défis de cette fin de siècle.
Nous ne sommes pas quittes. Il nous faut également dire pourquoi et comment, dans les conditions et les enjeux d’alors, ces scléroses ont prévalu. Dire pourquoi et comment nous avons été marqués par le stalinisme et nous avons étouffé, voire exclu, la créativité intellectuelle et politique que nous avons aussi su manifester en plusieurs rendez-vous décisifs avec notre peuple. Dire si ces dérives ont connu en France une dimension, une forme particulière et étudier leur lien avec les conceptions antérieures d’un mouvement communiste, du mouvement ouvrier, dans leurs contradictions. Si des communistes ont travaillé déjà sur ces questions, nous mesurons l’effort collectif qu’il nous faut encore impulser. Pour nous inscrire dans tout le patrimoine historique du communisme français, nous devons contribuer, pour ce qui nous concerne, à en démêler les fils.
Mais il y a plus, et plus urgent encore. Des militants, des dirigeants de notre Parti, à tous niveaux, ont été hier sanctionnés ou exclus, à partir de conceptions et de pratiques que nous réprouvons aujourd’hui. Je l’évoquais récemment en présence de Maurice Kriegel-Valrimont. Nous devons le constater avec amertume, de véritables procès ont été instruits, exigeant la soumission des communistes concernés, attaquant les personnes dans leur intégrité. Le temps n’efface pas ces blessures. Mais nous avons la responsabilité pressante de mette en évidence ce qui s’est réellement passé, le poids des erreurs commises, notre condamnation sans appel de ces méthodes, notre analyse de leurs causes et de leurs conséquences.
Ce n’est pas seulement un devoir à l’égard de tous ceux qui ont été directement concernés. C’est pour le Parti communiste une obligation politique et morale que nous devons conduire rapidement à son terme. Par respect pour les personnes en cause. Pour restituer à la force communiste que nous voulons déployer toutes ses racines.
C’est une responsabilité de direction. C’est pourquoi il est indispensable d’impulser vigoureusement les analyses nécessaires pour fournir, le plus rapidement possible, au Comité national de notre parti les données qui lui permettront de s’exprimer sur les affaires et les exclusions politiques qui ont marqué notre histoire. Je pense notamment à l’affaire Marty (Tillon, à Georges Guingoin, à Marcel Prenant, à Henri Lefèvre, à l’affaire Servin) Casanova, comme à bien d’autres, connus ou moins connus… Nous demandons à la commission d’arbitrage élue au congrès de conduire ce travail. Elle a en charge les dossiers de l’ancienne commission centrale de contrôle politique. Elle pourra s’entourer, avant de transmettre son rapport au Comité national, de militants et de dirigeants susceptibles d’élargir son information et sa réflexion, ainsi que du concours d’historiens.
Vous le constatez déjà, je l’espère, cette journée est un moment dans la démarche de grande portée. Nous envisageons d’autres initiatives. Pour la première fois va se tenir dans notre centre national de Draveil un stage de formation entièrement consacré à l’histoire du Parti communisme.
Les premières discussions de ce matin donnent le ton. Le débat de cet après-midi sur « archives, histoire et débat citoyen » promet d’être plein d’intérêt. Merci encore à tous nos invités pour leur stimulant apport, dans une fructueuse confrontation qui en appellera d’autres.
Lettre du 6 février 1998
Cher Georges Guingoin et, si vous me le permettez, cher ami,
« De nombreux communistes m’ont interpellé, notamment à la suite du discours que j’ai prononcé à Longlaville en présence de Maurice Kriegel-Valrimont, pour témoigner de votre histoire, celle du grand dirigeant de la Résistance, et des conditions de votre exclusion. »
« J’ai été amené à lire, lors de l’ouverture des archives du PCF le 24 janvier dernier, l’obligation morale et politique que constitue pour les communistes la responsabilité de mettre en évidence ce qui s’était réellement passé en des périodes difficiles de l’histoire de notre parti. La Commission nationale d’arbitrage élue au congrès est en charger de mener un travail approfondi d’analyse sur les affaires et les exclusions politiques qui l’ont marquée afin que le Comité national s’exprime sur elles. C’est Francette Lazard, responsable de cette commission, qui est chargée de suivre ces questions et je tenais à vous en informer. »
« Sans attendre les conclusions de ces travaux, je tiens à vous confirmer, à vous personnellement, combien le Parti communiste reconnaît la gravité du tort qu’il a ainsi fait à des femmes et à des hommes, et le tort qu’il s’est fait à lui-même. J’ai dit à Maurice Krigel-Valrimont, et à travers lui à tous ceux qui ont vécu des épreuves identiques, que le PCF assume la totalité de son histoire et qu’il condamne sans appel les comportements qui ont douloureusement bouleversé la vie de nombre des siens. Nous savons quels procédés ont été utilisés et mesurons toute l’injustice que représente votre exclusion. Le reconnaître aujourd’hui n’efface certes pas les blessures mais je tenais néanmoins à vous le faire savoir, vous le chef des FTP du Limousin, et à vous exprimer ma très profonde considération. »
« Persuadé que vous verrez dans cette démarche le témoignage de notre attachement au meilleur de l’idéal communiste, je vous prie d’agréer, cher ami, en mon nom et au nom de la direction du PCF, l’expression de mes chaleureuses et sincères salutations. »