Texte intégral
Il y a quelques semaines dans un journal du soir, j'ai appelé l'attention sur l'impasse où nous conduisait l'approche européenne du gouvernement. Partisan d'une Europe qui ne soit pas celle de la récession mais celle de la croissance, je formulai un certain nombre de recommandations précises sur la Conférence intergouvernementale, sur la monnaie unique et sur l'élargissement de l'Union européenne. Les réactions du côté allemand comme du côté français ont été nombreuses. Le Parti socialiste, pour sa part, vient de retenir dans son projet de plate-forme plusieurs de ces propositions. Fin novembre, l'Assemblée nationale tiendra un débat européen à l'approche du sommet de Dublin. Bref, même si le comportement du gouvernement continue d'être assez ambigu sur l'Europe, les termes de la discussion sont en train de bouger et je m'en réjouis.
Je voudrais aujourd'hui aborder ici, fût-ce rapidement, un autre sujet important et d'une façon tout aussi carrée : les relations entre la réduction de la durée du travail, l'évolution des salaires et la création d'emplois dans la perspective des prochaines élections législatives que l'opposition peut gagner. Cette question est au coeur de beaucoup d'interrogations actuelles. Là aussi il est souhaitable que les termes du débat bougent.
Depuis longtemps la gauche française a mis l'accent sur les perspectives ouvertes par une réduction individuelle de la durée du travail, mais l'expérience de 1981-1982 sur ce point, en raison de ses modalités, n'a pas été satisfaisante. Les partis de droite, longtemps hostiles à toute réduction, semblent évoluer avec la loi de Robien, même si celle-ci comporte des ambiguïtés, notamment dans le décalage qu'elle instaure entre les engagements pris par les entreprises sur deux ans, et les avantages consentis à elles sur sept ans. Dans mon esprit, le choix est net : le mouvement de réduction individuelle de la durée du travail doit être encouragé, non seulement pour des raisons liées à l'action en faveur de l'emploi, mais parce qu'il s'agit d'une tendance profonde de nos sociétés à gains de productivité massifs. Nous devons accompagner cette tendance et l'organiser pour rendre notre société plus efficace et plus équitable.
L'objectif mobilisateur dans ce domaine s'appelle la semaine de quatre jours de travail. Même si aujourd'hui cela peut paraître audacieux, je suis convaincu que nous irons peu à peu dans cette direction, avec une traduction positive possible pour les rythmes de vie, les formes d'activité et même les rapports sociaux. Mais attention ! La semaine de quatre jours de travail ne signifie pas mécaniquement trois jours de repos consécutifs. Elle ne se réalisera pas en une seule fois. Elle passe par quatre jours et demi, par de nouveaux horaires, par moins d'heures supplémentaires. Elle suppose, si on veut encourager parallèlement la croissance, des discussions approfondies sur l'aménagement du travail lui-même.
Parallèlement, il est clair que dans la situation actuelle de notre pays, après des années de partage de la valeur ajoutée favorable aux revenus du capital plus qu'à ceux du travail et alors même que la demande intérieure est déprimée, une revalorisation raisonnable et négociée des salaires est souhaitable. Cette revalorisation, si elle est maîtrisée, doit avoir des conséquences positives sur la croissance, donc sur le recul du chômage.
Tout cela ne peut évidemment pas être séparé du développement même de l'emploi. Le programme « 700 000 emplois pour les jeunes » que nous voulons mettre sur pied doit être discuté dans ses modalités techniques ; il faut en tout cas qu'il se traduise dans les faits. Entre toutes les propositions évoquées, c'est ce programme emploi des jeunes qui constitue à mes yeux la priorité absolue. Parce qu'il redonnera une perspective à des milliers de familles qui l'ont perdue. Parce que c'est la seule façon d'éviter le cercle vicieux de la désespérance. Nous devons mobiliser vers cet objectif une large part des ressources publiques disponibles et demander aux entreprises de faire leur meilleur effort en ce sens, en étant volontaristes.
Ces trois axes sont clairs. Les interrogations concernent leur compatibilité au service de la croissance. Comment avancer simultanément dans ces trois directions sans surcharger les entreprises, Comment jouer la synergie et éviter les contradictions ? La réponse est à rechercher non seulement dans des mesures générales indispensables de politique économique (baisse des taux d'intérêt, limitation de la pression fiscale, soutien au logement et aux travaux publics…) mais dans des accords en trois volets, des accords originaux qui devront être négociés entre partenaires, au niveau national, puis par branche ou par entreprise.
La méthode pourrait être la suivante. Sur deux, trois ou quatre ans, comme c'est le cas souvent en Allemagne, les partenaires négocient un accord comportant trois éléments : un élément salarial afin d'assurer au personnel de l'entreprise une progression de son pouvoir d'achat (moindre, bien sûr, que si la totalité du résultat disponible lui était affecté) ; un élément d'embauches afin que ces évolutions servent à la création d'emplois ou du moins à leur maintien ; un élément de réduction de la durée du travail, cet aspect étant complété par un aménagement de l'organisation du travail. Il est souhaitable que ces accords portent sur un rythme pluriannuel pour éviter que l'on bute sur la question d'une baisse du pouvoir d'achat, baisse qui, si elle devait intervenir, ne serait pas acceptée par la plupart des salariés et qui entraînerait des conséquences économiques récessives.
Comme les Trois Mousquetaires, ces trois éléments seront d'ailleurs souvent quatre. Dans certains cas, notamment pour les petites entreprises et lorsque la réduction de la durée du travail sera importante, les accords pourront rencontrer des difficultés financières. Il faut alors, comme le propose à très juste titre la plate-forme du Parti socialiste, que puissent être mobilisés et recyclés dans cette direction les fonds importants dépensés aujourd'hui passivement pour l'indemnisation du chômage et pour les exonérations inutiles.
Les accords originaux que j'évoque soulèveront certainement des objections. Qu'on en discute ! Le débat en sera enrichi et vaudra certainement mieux que les noms d'oiseaux échangés ces derniers temps en lieu et place d'une discussion sérieuse. La mise en place de tels accords au service d'une politique de progrès devrait contribuer à rompre la spirale dépressive du pays. En anticipant les évolutions du siècle, ces nouveaux accords de croissance devraient contribuer à redonner à la France ce qui lui manque le plus : une perspective, une espérance.