Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Conseiller du Président de la République,
Il n’est pas aisé de parler devant vous, devant les hommes de la mer que vous êtes, Louis Le Pensec et Paul Guimard, et c’est avec précaution et modestie que je m’exprime devant vous ce matin. Notre ami, Paul Guimard, saurait mieux que moi, avec le langage de la mer et le langage du poète, dire ce que peut être une grande politique pour la mer. Je dirai qu’en tous cas, la mer suscite en vous, Messieurs les journalistes, assez de force, d’imagination et de rêve pour que vous franchissiez l’obstacle de l’heure et du temps et que vous soyez avec nous ce matin sur ce bateau. Je n’oublie pas non plus, mais la poésie y était loin de ces réflexions, que dans mon toujours présent métier de professeur de droit, métier que j’ai abandonné provisoirement, le droit de la mer a constitué une de mes occupations essentielles, puisque c’est à partir d’une thèse sur le plateau continental de la Mer du Nord que je me suis présenté à l’agrégation de droit.
Je dirai d’abord que la culture de la mer est une culture vivante qui concerne d’abord ceux qui vivent ou ceux qui en vivent, ce qui est une évidence qu’il ne faut pas oublier, nous qui sommes à Paris ici, ce matin.
Le Ministre de la Mer qui s’en occupe activement, sait que tout ce qui s’ordonne autour de la vie des mariniers, des pêcheurs, des saliniers, des ouvriers des chantiers navals, tout cela compte d’abord pour constituer une vraie culture de la mer, une culture au demeurant riche en traditions, en savoirs et en expressions et il appartient à nos deux ministères, et non pas au seul Ministère de la Culture, mon cher collègue, de travailler de concert pour faire vivre et enrichir cette culture-là, cette culture de la vie de tous les jours.
Cette culture-là, cette culture de tous les jours, qui se fabrique chaque jour, elle est reliée évidemment à une histoire et cette histoire, nous devons contribuer à la restituer à nos mémoires à tous et à la mémoire de ceux qui vivent la vie de la mer. La mémoire de ces gens que l’on croit sans histoire comme les paysans des campagnes ou les ouvriers des villes. Cette histoire, ce n’est pas seulement l’histoire des grandes batailles navales. Et pourtant, il faut la raconter, la raconter mieux encore, mais l’histoire de ceux qui souffrent et qui peinent. C’est pourquoi notre Ministère de la Culture a donné des directives aux services des Archives qui relèvent de notre Ministère, pour qu’à l’avenir, les services des Archives s’ouvrent plus largement au public, à tous ceux qui à partir de notre histoire, souhaitent entreprendre d’autres recherches ou d’autres activités. En 1983, la célébration du tricentenaire de la mort de Colbert auquel sont dues la plupart de nos institutions maritimes sera l’occasion de manifestations importantes à la fois par une grande exposition nationale et un colloque historique de haut niveau. Par ailleurs les Archives départementales qui doivent s’ouvrir plus largement au public, accompagneront ces manifestations par un travail de leurs services pédagogiques auprès du monde scolaire. Nous serons particulièrement attentifs aussi à l’effort des associations, des sociétés savantes comme le colloque sur l’histoire maritime qui se tiendra à Brest en 1982, colloque national des sociétés savantes. L’histoire c’est aussi les recherches archéologiques et je ne vais pas, je pense que le dossier de presse évoque l’ensemble des entreprises archéologiques en mer, vous rappeler ce que fait le Ministère de la Culture en ce domaine. Je dirai simplement qu’à la demande de Monsieur le Ministre de la Mer, les moyens ont été donnés pour que les recherches archéologiques sous-marines et subaquatiques, excusez-moi d’étendre ma préoccupation aux fleuves et aux cours d’eau, soient poursuivies et activées.
Traditions de vie, traditions de travail, traditions de culture, traditions d’organisation économique et sociale, sans esprit de nostalgie et de passéisme, la culture maritime d’aujourd’hui, ne se comprend pas sans connaître les traditions profondément enracinées qui ont forgées et soudées tous ceux qui vivent de la mer. Sur ce plan là-aussi, il nous faut mieux connaître et mieux aider à faire connaître les modes de pêche, les architectures navales, les métiers, l’habitat. La diversité des expressions culturelles est extrême, des ex-voto aux chants de navigation, des régates aux contes qui associent l’imaginaire et le réel. Des témoignages concrets de la vie quotidienne, outils, bateaux, à l’aménagement de l’espace, ponts, écluses, glacières, phares, ports et citadelles, bref la vie de chaque jour. Les usages et leur évolution inscrivent leur forte empreinte qu’il faut savoir lire.
Quels sont nos moyens et quelle est notre volonté pour mieux connaître et protéger ce patrimoine-là ? D’abord il y a nos compétences pour l’inventaire et pour la protection des monuments et objets. J’ai demandé à nos services d’activer l’œuvre de protection et d’inventaire du patrimoine maritime comme l’illustre la décision récente prise pour la protection du phare de Cordouan. Mais surtout, si la même préoccupation surgit avec force pour la sauvegarde des bateaux anciens. La question des moyens de protection n’est pas entièrement résolue je vous l’avoue. Je pense pouvoir être en mesure avant quelque mois de faire une série de propositions pour la sauvegarde des bateaux anciens.
Dans le cadre d’une politique nouvelle de la culture mieux reliée à la vie et au travail, j’entends développer l’ampleur et les moyens des écomusées comme à Ouessant dans le parc naturel d’Armorique, le Musée d’Aquitaine à Arcachon, le Musée de la Batellerie à Conflans-Sainte-Honorine pour ce qui n’est pas à proprement parler maritime afin de diffuser, faire connaître, faire comprendre les traditions et la culture de populations trop souvent marginalisées. Les recherches ethnologiques, comme celles déjà soutenues sur la pêche à Martigues, sur la construction navale sur les côtes bretonnes, les gens du seul sur le littoral vendéen recevront un soutien d’autant plus actif qu’elles s’appuieront sur ceux qui sont directement concernés. Aller la rigueur scientifique à la curiosité communément éveillée, susciter les forces vives de réflexion, d’imagination et de création sont la richesse et l’avenir de la culture des gens de la mer comme de toute autre communauté.
Il n’y a pas seulement les objets, il n’y a pas seulement les sites et monuments, il n’y a pas seulement les outils, il n’y a pas seulement les bateaux, il y a aussi, évidemment les traditions et les savoirs. La richesse des traditions, de la culture des gens de mer et c’est celle de leur savoirs scientifiques et techniques, savoirs qui concernent aussi bien la faune, la flore maritime, les vents et les courants, les savoirs écologiques. De ce point de vue, ce matin nous manque un collègue, le collègue de l’environnement, avec lequel, il nous faut étroitement coopérer.
Les savoirs, ce sont aussi les techniques de pêche, les techniques de constructions navales, de conservation du poisson… Le savoir, c’est un examen plus attentif, la compréhension et l’utilisation de l’évolution technologique, de la mécanisation des tâches, aux économies d’énergie, de la sécurité en mer aux conditions de vie, c’est la faculté qui permet d’allier le progrès économique et la qualité du travail.
La réhabilitation de la culture scientifique et technique, fait partie, vous le savez, de l’ambitieux projet culturel du Président de la République. Le Musée des Sciences et des Techniques auquel notre ami Paul Guimard travaille avec ardeur chaque jour, pour l’ouvrir au public dans les délais les plus rapides, consacrera, je l’espère, un département à la culture scientifique et technique des hommes de la mer.
Les moyens que le Ministère met à la disposition de cette préoccupation de culture scientifique et technique sont divers et nombreux. Les écomusées, l’aide à l’édition, le développement des médiathèques, des clubs scientifiques et techniques, aideront aussi à mieux faire connaître la culture scientifique et technique auprès des plus jeunes et auprès des populations les plus larges.
Je pourrais continuer la liste mais je crois que vous avez entre les mains un dossier qui résume l’ampleur et la diversité des interventions du Gouvernement pour mieux protéger, mieux faire aimer les outils, les hommes et les cultures de la mer.
Mais la mer, ce n’est pas seulement ceux qui y vivent, ou ceux qui en vivent ; la mer, au fond, je dirais que c’est la propriété de l’ensemble du pays, y compris de nous tous, moi je ne suis pas un homme de la mer, de nous tous français ou citoyens de tous les pays du monde qui la fréquentent parfois, qui y vivent parfois. 13 millions de personnes prennent leurs vacances sur le littoral, 450 000 bateaux de plaisance sont recensés pour 2 millions de pratiquants. La confrontation entre les gens de la mer et les « terriens » si j’ose dire n’est pas une mince affaire Population de la mer, population de la terre parfois s’ignorent, parfois entrent en conflit, se heurtent. Développer la culture maritime, ce n’est pas seulement protéger le passé, ce n’est pas seulement aimer les gens de la mer face à l’avenir, c’est aussi mieux faire vivre en symbiose ceux de la mer et ceux de la terre. C’est un enjeu décisif de l’aménagement du littoral et du développement économique.
De ce point de vue, je crois que l’activité culturelle à une part importante à jouer, et vous le savez. Les initiatives prises sont nombreuses, réconfortantes et encourageantes. S’agissant des activités culturelles relatives à la mer, j’ai relevé l’existence de plusieurs centaines de groupes de musique, de théâtre, de cinéma, de poésie qui, sillonnant les côtes de France et pas seulement l’Atlantique mais aussi le Méditerranée et l’ensemble des mers qui bordent les rives de notre territoire. Des activités de diffusion et d’animation à partir des canaux et des voies navigables se multiplient : le théâtre de la Rivière en Bretagne qui, s’est créé en 1975, pour parcourir le réseau des canaux, pour diffuser des spectacles à vocation populaire de danse, de cinéma, de théâtre et de poésie. Autre exemple, il porte ce beau nom, l’association « Flagrant délit d’imaginaire » qui mène à partir de sa péniche une action originale d’animation musicale et de quartier, de Paris au Canal Saint-Martin, en Avignon au moment du Festival.
Un projet est en cours d’examen, plus ambitieux encore présenté par une association se propose d’unir l’Atlantique et la Méditerranée par le Canal du Midi et de lier les préoccupations scientifiques dont nous parlions à l’instant à l’occasion du Bicentenaire de l’Ingénieur Riquet, créateur du Canal des Deux Mers, à une politique d’animation en Occitanie associant une douzaine de troupes théâtrales et d’associations de Bordeaux à Avignon. Autre activité, dont personnellement j’ai été le témoin : l’activité autour des chantiers navals. Je ne sais si beaucoup d’entre vous connaissent l’expérience tout à fait exceptionnelle de l’ex-chantier de Port-de-Bouc près de Marseille. Ce fut, vous le savez, un chantier naval très actif pendant plus d’un demi-siècle, et qui, malheureusement a cessé de vivre il y a quelques années. Les ouvriers des communes concernées et notamment de Port-de-Bouc se sont alignés pour faire vivre encore dans la mémoire des populations ce que fut la vie du travail, la vie des gens de Port-de-Bouc, associant des professionnels de la création, des musiciens de Marseille, des metteurs en scène d’Avignon, des hommes de science de l’Université de Marseille, et beaucoup d’autres participants. Ils sont réussi l’été dernier pendant deux mois à créer là un événement vivant, populaire, enraciné dans une connaissance parfaite de ce que fut la vie de ce chantier et préparent pour l’année qui vient de nouvelles rencontres et de nouvelles manifestations. Le lien entre un passé et un avenir, entre la tradition d’une vie et la création de spectacles me paraît être exemplaire des activités culturelles qui ne se réfugient pas dans la nostalgie, mais qui s’appuyant sur un passé construit l’avenir.
Autre exemple : l’association « Tréizour » et la fédération régionale pour le patrimoine maritime en liaison avec la ville de Douarnenez projettent, et nous le soutiendrons, la création d’un centre de culture maritime.
Une ancienne glacière servira de lieu géographique où pourront se rencontrer tous ceux qui s’intéressent au milieu maritime : la photographie, le cinéma, les expositions et débats y trouveront leur place.
Dans le même esprit, nous allons contribuer à aider à la naissance du Festival International de la Culture Maritime qui aura lieu en rade de Brest en juillet 1982. Brest, qui malheureusement, voici quelques semaines a subi un grave dommage : sa maison de la culture a été incendiée au cours d’une nuit et dans quelques instants à l’Assemblée nationale les parlementaires de cette région attireront l’attention du Gouvernement sur les conséquences graves de l’incendie de la Maison de la Culture de Brest.
Voici quelques exemples. Je pourrais les multiplier. D’autres concernent la radio, d’autres la photographie, la chanson, le cinéma…
Du centre méditerranéen de René Alliaud, qui à partir de Fontblanche va faire naître l’un des premiers grands centres régionaux de création cinématographique tourné non seulement vers l’ensemble de la France mais aussi vers l’ensemble des pays de la Méditerranée, au Festival de Brest, à la célébration de tous ceux qui ont contribué à marquer l’histoire de la mer, le Ministère de la Culture, le Gouvernement, les municipalités concernées prennent à bras le corps les activités culturelles qui bordent nos côtes et nos littoraux.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire très rapidement. Pour le reste, économisant votre temps et sentant votre capacité d’écoute dans le froid, je vous renvoie au dossier établi par les services sur ce que le Ministère a entrepris et compte entreprendre dans les prochaines années.
J’avais par une formule, qui a été par les uns approuvés, par les autres moqués, c’est normal, évoqué à l’Assemblée Nationale, il y a quelques semaines, l’idée suivante. Une grande politique de la culture, telle que la souhaite le Président de la République ne peut pas être l’œuvre d’un seul ministre de la culture ou du seul Ministère de la Culture. Une grande politique de la culture, c’est l’œuvre de tout un Gouvernement. Je dirais au-delà, de l’ensemble de ceux qui sont les agents de la culture en France, aux collectivités locales, aux entreprises privées, aux entreprises publiques en passant par les artistes, par les hommes de culture et les créateurs, que dans le Gouvernement de Pierre Mauroy et François Mitterrand, il n’y a pas « un » Ministre de la Culture tout seul, isolé, dans son coin, cherchant à faire entendre la parole, il y a 43, 44 ministres de la Culture. C’est vrai, que chaque fois que nous voulons à pleines mains, avec une volonté ferme, régler un problème, l’archéologie, l’ethnologie, le livre, le cinéma, la musique, nous savons et nous constatons qu’il faut que plusieurs membres du Gouvernement s’associent, les radios, les télévisions, pour sortir de l’ornière et bâtir vraiment une politique nouvelle.
Je remercie beaucoup, M. le Ministre de la Mer d’avoir pris cette initiative car c’est lui qui l’a prise. Notre collègue de l’Environnement est, je pense, de tout cœur avec nous et nous vous donnons un rendez-vous l’été prochain, si vous le voulez bien. Au moins, deux rendez-vous, l’un sur la côte ouest, l’autre sur la côte sud pour ne pas faire de jaloux. Ensemble, nous dresserons le bilan de cette nouvelle politique culturelle pour la mer et par avance nous vous attendons avec joie à ce rendez-vous.