Interview de M. Patrick Devedjian, porte-parole du RPR et candidat à la présidence du RPR, à Europe 1 le 26 octobre 1999, sur la direction et l'avenir du RPR, et sur la "dégradation" du climat politique autour de la succession de Jean Tiberi à la mairie de Paris.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Arlette Chabot : Le Gouvernement a renoncé à financer, en partie, les 35 heures en piochant dans les caisses de l'assurance chômage et de la sécurité sociale. Alors, aujourd'hui, vous louez la sagesse de M. Aubry ?

Patrick Devedjian : Surtout, c'est un grand recul du Gouvernement qui voulait ponctionner la sécurité sociale. On voit que cette affaire des 35 heures, c'est une véritable usine à gaz qui va coûter une fortune. Passe encore qu'on travaille moins, mais que cela coûte de l’argent ! On voit que c'est une bombe à retardement qui est posée.

Arlette Chabot : Vous pensez que M. Aubry aurait dû annoncer cette décision plus tôt parce que ça a l'air assez facile, finalement, de financer les 35 heures ? On pioche un peu ailleurs, c'est-à-dire taxe sur les alcools, après les tabacs. C'est moral, peut-on même dire.

Patrick Devedjian : Eh bien, c'est un faux-pas d'abord que d'avoir voulu ponctionner les fonds de l'Unedic et ça a conduit à développer un front social. M. Aubry, qui veut rétablir le dialogue social, eh bien elle a parfaitement réussi à le faire, en tous les cas, entre le patronat et les syndicats puisqu'ils se sont mis d'accord contre elle.

Arlette Chabot : Vous pensez que le patronat, dans ce bras de fer qui l'oppose effectivement au Gouvernement, doit, maintenant, rester dans les organismes paritaires ?

Patrick Devedjian : Eh bien, ça dépend du. Gouvernement. Si on veut que les organismes paritaires continuent à fonctionner, il faut naturellement leur laisser un rôle. Or, jusqu'à maintenant, le Gouvernement a plutôt montré de l'autoritarisme dans ce domaine en mettant les partenaires sociaux devant le fait accompli. Si bien qu'ils peuvent légitimement se poser la question de leur utilité.

Arlette Chabot : Le Medef n'a pas donné encore sa réponse. À votre avis, il a vraiment envie de quitter les organismes sociaux ?

Patrick Devedjian : Je pense que le fait que le Gouvernement ait reculé devant son intention tout à fait scandaleuse de ponctionner la sécurité sociale devrait permettre, en tous les cas, que les choses ne se détériorent pas tout de suite.

Arlette Chabot : C'est souhaitable, selon vous, que le Medef reste ? Vous le souhaitez ? L'opposition le souhaite ?

Patrick Devedjian : Il est souhaitable que le dialogue social continue mais, jusqu'à maintenant, il a été entamé par l'attitude du Gouvernement.

Arlette Chabot : En tout cas, ce recul est dû aux pressions conjuguées des syndicats, des organisations syndicales ouvrières et puis du patronat. Ce n’est pas dû à l'opposition.

Patrick Devedjian : Si, mais c'est vrai que l'opposition a été insuffisante dans ce débat. C'est bien ce que je déplore. D'ailleurs, je constate que quand le RPR est un peu éliminé du débat par le fait de sa compétition interne, par le fait des démissions successives dont il a fait l'objet, eh bien l'opposition est vacillante, ce qui prouve que le RPR est indispensable pour qu'il y ait une opposition vertébrée.

Arlette Chabot : Il n'y a quand même pas que vous dans l'opposition !

Patrick Devedjian : Non, il n'y a pas que nous mais, vous voyez, quand on n'est pas là, on manque.

Arlette Chabot : Est-ce que ce n'est, effectivement, pas dramatique pour vous de voir que le débat sur les 35 heures, comme dans d'autres sujets d'ailleurs effectivement, se joue au sein de la majorité plurielle ?

Patrick Devedjian : Il se joue aussi dans l'opposition, il se joue aussi avec les partenaires sociaux. Nous, nous avons cessé de dénoncer le caractère pernicieux des 35 heures. Si la réduction du temps de travail est inscrite, évidemment, dans une perspective historique, même 110 milliards ! – le fait de vouloir régler ça de manière uniforme, que, dans toute la France, il faille régler la pause casse-croûte et que, partout, dans chaque entreprise, quelle que soit la différence des modes de production, on veuille uniformiser l'organisation du travail avec un code du travail qui, maintenant, est devenu totalement illisible. Plus personne, même pas un avocat, ne peut suffire à interpréter le code du travail. C'est quand même une chose qui, vraiment, pénalise l’emploi dans notre pays.

Arlette Chabot : Vous êtes, ce matin, à Marseille parce que vous faites campagne. C'est la campagne présidentielle au RPR. C'est la raison pour laquelle, effectivement, le rassemblement est un peu absent du débat. Ça va durer jusqu'au début décembre, absence pour cause d'élections internes ?

Patrick Devedjian : Non, pas seulement. Absence aussi parce que nous avons eu des démissions. Depuis la démission de P. Séguin, au RPR, eh bien il n'y a pas d'organe de direction et donc, évidemment, l'action du RPR en souffre.

Arlette Chabot : Il y a plutôt une vie en dehors du RPR parce que tous ceux qui sont en dehors ne se sont jamais autant exprimés sur des sujets de fond. C'est vrai pour A. Juppé, c'est vrai pour P. Seguin, par exemple.

Patrick Devedjian : P. Séguin n'a jamais autant parlé que depuis qu'il a démissionné.

Arlette Chabot : Oui. Vous quittez le RPR pour être libre et organiser le débat de fond ? C'est ça que vous êtes en train de nous dire ? On est mieux à l'extérieur que dedans ?

Patrick Devedjian : Non, non. Ça prouve, au contraire, qu'il faut transformer le RPR pour que ce soit un lieu de débat. Trop souvent, ça a été évidemment un espace monolithique. Heureusement, nous avons cette élection. Moi, je crois profondément à son utilité parce qu'elle développe une culture démocratique et nous avions besoin de cela.

Arlette Chabot : Pendant cette campagne, est-il vrai que, tous les soirs, les premières questions que vous posent les militants portent sur la mairie de Paris et sur l'avenir de J. Tiberi ?

Patrick Devedjian : Oui, c'est naturel parce que c'est un sujet d'angoisse pour l'ensemble des militants. D'abord, la mairie de Paris, la Ville de Paris, c'est un peu le cœur de l'acquis du RPR. Nous .avons perdu les élections législatives de 1997. Nous avons perdu plus de la moitié de nos adhérents. Chacun comprend que si nous perdons aussi la mairie la Paris, qui est, je dirais, la ville la plus emblématique que le RPR détienne, eh bien il nous sera très difficile de gagner les élections législatives et il nous sera très difficile de gagner les élections présidentielles. Tout le monde de poursuivre un enchaînement fatal qui nous conduira, non seulement à la défaite, mais peut-être à la disparition même du RPR. On a le sentiment que le RPR joue sa vie à cette occasion et c'est pour ça que tout le monde est inquiet.

Arlette Chabot : C'est pour ça que vous parlez de défaite tragique, tragique pour le RPR, pour l'ensemble des militants, pour les élus, voire même pour le Président de la République parce que, au bout du compte, il y a une élection présidentielle ?

Patrick Devedjian : Et pour l’opposition. Il faut voir quand même qu'on à la gauche la plus archaïque d'Europe, la seule qui se soit alliée avec des communistes qui n'ont pas changé, la seule qui fasse les 35 heures, la seule qui fasse cette politique si décalée par rapport aux exigences de la mondialisation et, en même temps, on a une opposition qui est en train de se décomposer et elle se décompose parce que, à partir d'affaires comme la mairie de Paris, elle est incapable de prendre des décisions. Ce qu'on attend aujourd'hui, finalement, ce sont des décisions.

Arlette Chabot : Justement, hier, J. Tiberi a réaffirmé, au début du Conseil de Paris, qu'il irait jusqu'au bout de son mandat. Qu'est-ce que vous lui dites ce matin ?

Patrick Devedjian : Eh bien, ça, c'est sa responsabilité. Personne ne peut l'obliger à démissionner mais je crois qu’il y a deux choses. Premièrement, un problème politique, deuxièmement, un problème moral. Sur le problème moral, je comprends que J. Tiberi soit exaspéré parce que, finalement, son affaire est plutôt moins grave que d'autres…

Arlette Chabot : Oui, il y a présomption d'innocence, Monsieur l’avocat Devedjian !

Patrick Devedjian : Bien entendu. Il a le droit à la présomption d'innocence et quand je vois les socialistes, par exemple, lui faire la morale alors que, en particulier à Paris, quand j'entends M. Delanoë, alors que deux députés de Paris sont mis en examen et poursuivis pour détournements de fonds de la sécurité sociale qui représentent cent fois ce qui est reproché à X. Tiberi, quand je vois que M. R. Hue va passer en correctionnelle pour un financement du. Parti communiste qui est sans commune mesure avec ce qui est reproché au RPR, je comprends...

Arlette Chabot : Quand on s'est jeté les affaires et les interrogations les uns et les autres, ça ne fait pas beaucoup avancer les choses, ça !

Patrick Devedjian : Non, ça ne fait pas beaucoup avancer les choses mais je comprends que J. Tiberi soit exaspéré. D'une certaine manière, le courage qu'il montre, avec sa femme, dans cette affaire, c'est quelque chose qui peut toucher tout le monde...

Arlette Chabot : Donc, pas d'acharnement contre J. Tiberi mais...

Patrick Devedjian : Mais, en même temps, nous avons, là, un vrai problème vraisemblablement, J. Tiberi ne pourra pas mener victorieusement la liste du RPR aux élections municipales à Paris...

Arlette Chabot : Alors, il démissionne maintenant, il va jusqu'au bout...

Patrick Devedjian : On ne peut pas l'obliger à démissionner s'il ne veut pas mais ce que, nous, nous pouvons faire, en revanche, c'est de désigner un autre candidat par un processus démocratique interne au RPR et d'avoir très rapidement, je dis “très rapidement parce que les choses se détériorent, quelqu'un qui porte le drapeau du RPR et qui puisse d'ores et déjà engager la campagne. Alors, je crois que, après avoir lancé un appel à candidature, on voit bien, au RPR, il y a trois ou quatre personnes qui sont susceptibles de faire une tête de liste à la mairie de Paris. Nous pourrions réunir les adhérents de la ville de Paris, ils sont assez nombreux, et puis les faire voter et, de cette manière, désigner démocratiquement la prochaine tête de liste aux élections municipales à Paris.

Arlette Chabot : Ça veut dire que ce sera la première tâche du nouveau président du RPR d'organiser, par exemple, cette consultation des militants parisiens, c'est ça ?

Patrick Devedjian : Je crois, bien sûr, il y a urgence. Si possible, mais ça me paraît difficile, il faudrait presque le faire tout de suite, avant même cette élection, mais on ne peut pas, en tous les cas, je pense que les candidats à la présidence du RPR doivent dire aux adhérents du RPR qui sont susceptibles de voter pour eux comment ils vont régler ce problème. On ne peut pas les laisser pourrir.

Arlette Chabot : C'est-à-dire Balladur, Séguin ou F de Panafieu seront soumis au vote ?

Patrick Devedjian : Ou d'autres encore, oui.

Arlette Chabot : D'autres encore.

Patrick Devedjian : Tons ceux qui voudront. À partir de l'instant où on lance un appel à candidatures, chacun peut se déclarer. C'est le propre même de la démocratie. Puis, les militants voteront. Moi, je crois d'ailleurs qu'ils ne se tromperont pas. Ils désigneront celui qui est le plus capable de conduire le RPR à la victoire à Paris et, encore une fois, si on perd Paris, ce sera un enchaînement fatal.

Arlette Chabot : Petite précision. Vous excluez, par exemple, que la majorité municipale puisse mettre J. Tiberi en minorité à l'occasion du vote du budget, par exemple, ce qui pourrait être une manière de le désavouer et de lui demander de partir ?

Patrick Devedjian : S'il est mis en minorité et qu'il ne veut pas partir, il peut rester. Le préfet peut régler le budget de Paris et donc, la situation se dégradera encore un peu plus mais elle ne se règlera pas pour autant.

Arlette Chabot : Au-delà de cette querelle de Paris, revenons sur l’élection au RPR. Au bout du compte, il y aura quand même deux-trois idées qui sortiront de votre débat interne ? Rassurez-nous, on ne restera pas juste aux querelles ?

Patrick Devedjian : Non, non, je l'espère. Enfin, c'est justement les questions qu’il faut poser aux candidats. C'est comment ils peuvent présenter un projet alternatif aux socialistes. Vous savez, nous ne gagnerons les élections prochaines que si nous donnons à notre peuple un espoir de changement par rapport à la politique des socialistes. Très souvent, on nous a reproché de ne pas pouvoir faire la différence entre eux et nous. Eh bien, il faut construire – et le construire sérieusement avec un vrai travail démocratique – un projet qui montre la différence.