Interviews de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, à France-Inter le 4 février 1997, France 3 le 10 et dans "Le Parisien" du 11, sur l'emprisonnement de Bernard Tapie et sur la victoire du Front national à l'élection municipale partielle de Vitrolles.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Victoire de la liste du Front national conduite par Catherine Mégret à l'élection municipale partielle de Vitrolles le 9 février 1997

Média : Emission Journal de 19h - France 3 - France Inter - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

France Inter - mardi 4 février 1997

P. Le Marc : Première nuit de Bernard Tapie en prison. Alors, qu’inspire au maire de Marseille que vous êtes, la chute de son grand adversaire et l’épreuve qu’il traverse ?

J.-C. Gaudin : Vous savez, je professe des principes qui m’incitent au pardon des offenses même si aucun précepte ne m’interdit d’en garder le souvenir.

P. Le Marc : Il y a beaucoup d’offenses ?

J.-C. Gaudin : C’est une épreuve terrible pour Tapie aujourd’hui. C’est toujours une épreuve d’aller en prison. Je ne la souhaite à personne. Moi, je me suis battu à visage découvert face à Tapie et face à Le Pen, en 1992, dans une campagne électorale très dure, très violente. J’ai gagné. Et un grand nombre de ceux qui étaient sur la liste de Bernard Tapie m’aident à gouverner la région. Alors, je n’ai pas d’autre chose à vous dire aujourd’hui. Si ce n’est que je pense que l’homme traverse une période difficile.

P. Le Marc : Où était l’erreur de Bernard Tapie et quelles leçons en tirer sur le plan politique car il reste quand même un homme politique ?

J.-C. Gaudin : Justement ! Un homme politique, un peu d’une catégorie particulière, qui ne respectait visiblement pas les principes de déontologie d’une classe politique, qui est ce qu’elle est, mais qui sait qu’il y a des limites à ne pas dépasser.

P. Le Marc : Une déontologie qui n’est pas toujours respectée par les autres membres de cette classe politique ?

J.-C. Gaudin : C’était un cas particulier ! Si vous voulez me pousser un peu plus, je vous dirais qu’il a quand même bénéficié, à un moment donné, du soutien de l’appareil de l’État au plus haut niveau, même d’une chaîne de télévision. Faut-il continuer plus loin ?

P. Le Marc : Bernard Tapie s’était donné pour mission de terrasser le Front national à Vitrolles. Dimanche, le parti de Jean-Marie Le Pen a devancé très largement la gauche et la majorité. Alors la faute à qui ?

J.-C. Gaudin : Oh sans doute, en premier, me semble-t-il, la faute à ceux qui gouvernaient depuis douze ans et qui ont cru qu’en multipliant les HLM avec des barres et des tours, on pouvait distribuer des logements et ainsi se faire une clientèle électorale. Cette clientèle électorale va aujourd’hui au Front national. Alors c’est un désaveu complet de la gauche aujourd’hui. Mais ce désaveu à l’égard de la gauche ne doit pas conduire à un remède pire que le mal. M. Guichard a fait un très bon résultat. C’est le seul des candidats des trois listes à progresser de manière substantielle.

P. Le Marc : Mais avec un score assez faible ?

J.-C. Gaudin : Avec un score tout de même assez faible.

P. Le Marc : Pourquoi cette faiblesse de la droite ?

J.-C. Gaudin : Parce que depuis un certain nombre d’années, peut-être que la droite libérale n’a pas fait, dans ces secteurs du département des Bouches-du-Rhône, tout ce qu’il fallait faire. En tout cas, notre candidat se retire et je crois qu’il est assez clair dans les déclarations qu’il a pu faire.

P. Le Marc : Que dites-vous à ses électeurs pour qu’ils écartent le Front national de la mairie car c’est bien l’objectif si j’ai bien compris ?

J.-C. Gaudin : Oui, bien entendu. Vous savez que nous ne voulons pas tomber dans un piège qui s’appelle le front républicain. S’il devait y avoir un front républicain, il aurait fallu que M. Anglade et M. Guichard jumellent leur liste. Nous ne voulons pas le faire ! Pour autant, nous dénonçons avec vigueur les thèses du Front national et les méthodes du Front national. Et j’ajouterai, depuis hier après-midi, les expressions du Front national, puisque M. Juppé et moi-même ne sommes pas épargnés. On peut éviter sans doute que la mairie de Vitrolles ne tombe aux mains du Front national.

P. Le Marc : Vous appelez expressément les électeurs de la majorité à voter pour le Parti socialiste ?

J.-C. Gaudin : Nous appelons nos électeurs à un réflexe républicain, c’est-à-dire que ceux qui se retrouvent dans les valeurs fondamentales de la démocratie et de la République sauront faire le choix.

P. Le Marc : Est-ce que ce désistement républicain est appelé à devenir une règle générale ?

J.-C. Gaudin : Je crois que la plupart des leaders se sont exprimés, hier, pour l’expliquer. C’est une situation particulière due à la carence du Parti socialiste dans une ville où, alors que les socialistes et les communistes gouvernent depuis douze ans, le Front national arrive jusqu’à 47 %, ce qui est quelque chose qui, quand même, ne va pas ! Faut-il insister ? Faut-il faire un dessin ? Si j’insiste, vous me direz que je suis contre M. Anglade.

P. Le Marc : Est-ce que la politique de la majorité, du gouvernement, n’est pas en cause non plus dans ces résultats ?

J.-C. Gaudin : En tout cas, la droite libérale dans cette région devient le seul obstacle et le seul rempart contre le Front national. Je me tue à le dire alors qu’à Vitrolles en particulier, comme pour moi en 1992 aux régionales avec Tapie et Le Pen, nous avons dû desserrer l’étau d’une médiatisation excessive qui fait que l’on ne parlait que de M. Anglade et de Mme Mégret alors qu’il y avait une solution bien meilleure que ces deux solutions-là !

P. Le Marc : Alain Juppé estimait hier sur cette antenne que malgré Vitrolles, le Front national ne lui paraît pas une exception dans l’Hexagone. Partagez-vous cet avis ?

J.-C. Gaudin : Je pense que jadis, le Front national était plutôt concentré sur le sud de notre pays et nous avons eu à supporter ceci pendant un certain nombre d’années. Je pense qu’aujourd’hui, il progresse dans d’autres régions de la France, qu’il faut être très attentif à cela et que cela nécessite aussi de la part du gouvernement un peu de courage dans un certain nombre de…

P. Le Marc : C’est-à-dire ?

J.-C. Gaudin : C’est-à-dire que ce qui se passe aujourd’hui avec la loi de M. Debré est quelque chose de courageux. M. Debré a raison de vouloir réformer un certain nombre d’abus qui se trouvent dans ce domaine-là.

P. Le Marc : Oui, mais le gouvernement et la majorité donnent le sentiment de ne pas trop savoir où ils vont. Les députés ont durci le projet Debré, les sénateurs l’édulcorent, où est le curseur ?

J.-C. Gaudin : Mais pas du tout, vous caricaturez toujours.

P. Le Marc : Pas du tout.

J.-C. Gaudin : Il y a le gouvernement qui fait un texte qui est signé au Parlement. Le Parlement doit en discuter, le Parlement a le droit de modifier, le Parlement a le droit de transformer un certain nombre de choses et le Sénat a aussi le droit de ne pas être exactement du même avis que l’Assemblée nationale. C’est cela la démocratie. On ne fait pas que l’application des institutions de la vie républicaine.

P. Le Marc : Mais vous savez très bien que c’est un problème. Cela met en lumière une divergence au sein de la majorité sur la stratégie à adopter à l’égard du Front national.

J.-C. Gaudin : Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas de divergences sur des textes aussi sensibles. M. Debré fait un bon texte, nos compatriotes le demandent et si on l’avait fait avant, peut-être qu’à Vitrolles, Mme Mégret ne ferait pas autant de voix. Alors évidemment, il y a toujours aussi – et vous ne m’en parlez pas – cette distorsion entre un Paris médiatique, une vie politique à Paris et une vie politique en province qui est différente. Voilà. Nos électeurs, les Françaises et les Français demandent souvent que l’on soit un peu plus durs, un peu plus sévères et ils n’ont pas tout à fait tort.

P. Le Marc : Dans quelques jours, va se tenir un sommet pour l’emploi des jeunes. Que fait le ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration sur ce plan ? Que peut-il apporter de plus ?

J.-C. Gaudin : Eh bien, ce que nous apportons, je crois, c’est, effectivement comme vous le disiez à l’instant même, un plus. Éric Raoult et moi-même avons prévu les 100 000 emplois-ville, c’est-à-dire que c’est mieux que les TUC, c’est mieux que les CES, c’est mieux que les CES consolidés et ça s’adresse à des jeunes de 18 à 25 ans pour une durée de cinq années, au terme desquelles les indemnités chômage sont prises par l’Unedic. Je signe tout à l’heure un accord en ce sens avec Mme Notat et les partenaires sociaux. L’État prend en charge 55 % de ce salaire des jeunes. Les CES, c’est 2 500 francs. Là, c’est 4 700 francs pour une durée de cinq ans. Voilà un exemple de ce que nous faisons, voilà un exemple de ce que le Premier ministre dira sans doute lundi, au sommet de l’emploi. Vous savez, l’emploi, si c’était aussi facile que cela, comme pour l’immigration, si on avait une baguette magique, quel que soit le prix de la baguette magique, nous l’aurions achetée. Quand j’entends M. Jospin dire que, dans l’espace de deux ans, il créera 700 000 emplois pour les jeunes, comment fera-t-il ? Il les imposera aux collectivités locales. Vous avez vu un gouvernement qui pourrait imposer quelque chose aux collectivités locales ? Et s’il s’agit de créer des postes de fonctionnaires, nous n’avons pas besoin que M. Jospin nous le demande. Nous saurions le faire si cela n’était pas aussi coûteux pour nos compatriotes.

 

France 3 - lundi 10 février 1997  

É. Lucet : Vous êtes doublement concerné par ce résultat de Vitrolles en tant que président de la région PACA et en tant que ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration. Comment interprétez-vous cette victoire du Front national ? Est-ce, pour vous, une défaite de tous les grands partis politiques, ou bien est-ce une défaite du PS ?

J.-C. Gaudin : Je ne crois pas que l’on puisse comparer les trois villes qui ont été gagnées en 1995 par le Front national sur la division de la droite libérale et à cause d’elle, et Vitrolles où il y avait et il y a toujours eu une situation particulière. Dois-je vous rappeler que M. Mégret aux élections législatives de 1993, au second tour de l’élection, avait déjà fait 56 % des voix à Vitrolles ? Nous avons tenté de l’expliquer aux socialistes. Je voudrais que M. Hollande le comprenne bien ce soir : il fallait avoir pour le PS une autre attitude ; la gauche n’y arrivait plus ; la gauche a voulu maintenir son candidat ; elle est arrivée au résultat d’hier soir.

É. Lucet : Ils vous font des reproches…

J.-C. Gaudin : Ils ne manquent pas de culot s’ils nous font des reproches ! Regardez le score de M. Anglade hier : du premier tour à 37 %, il monte à 48 %, pendant que Mme Mégret ne progresse que de 5 %. Ce qui veut dire qu’il y a eu un réflexe républicain et que la grande majorité des électeurs UDF-RPR se sont reportés en faveur de M. Anglade. Ne pas le voir, c’est être de mauvaise foi.

É. Lucet : Les législatives, c’est dans un an. Faut-il continuer à avoir cette explication entre le PS et la majorité, ou faut-il trouver une attitude qui pourrait faire blocage au FN aux législatives ?

J.-C. Gaudin : Nous le faisons déjà dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur où, bien que le Front national soit très puissant, j’arrive à faire voter le budget de la région parce qu’il y a d’un côté ceux qui sont attachés aux valeurs fondamentales de la République et de la démocratie, et un Front national qui systématiquement est contre tout ce que je propose. J’ai construit 30 lycées neufs dans cette région, 20 écoles d’ingénieurs, des routes, et toujours le FN est contre. Dieu merci ! les républicains, les démocrates savent s’unir. Vous verrez : on peut pronostiquer beaucoup de choses, mais M. Le Pen ne sera pas président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

É. Lucet : Philippe Séguin affirme ce soir que l’élection de Vitrolles n’est qu’un thermomètre, qu’il ne sert à rien de s’attaquer à un thermomètre, qu’il faut trouver les racines du mal. Êtes-vous d’accord avec lui ?

J.-C. Gaudin : Je suis d’accord avec Philippe Séguin. Il faut d’abord répondre aux préoccupations des Françaises et des Français. Il faut établir un dialogue permanent avec eux. Il faut être, et il faudra l’être, à Vitrolles plus qu’ailleurs, vigilant, pour que la démocratie l’emporte toujours. Ce sont des fondements très simples. Les notions de patrie, de drapeau tricolore, d’honneur, elles n’appartiennent pas qu’au Front national ! Je m’insurge quand j’ai vu cette campagne calomniatrice que le couple Mégret a menée, voulant dire que tous les élus sont des prévaricateurs : les élus qui sont des prévaricateurs doivent être sanctionnés. D’ailleurs, ils le sont ! La quasi-totalité des élus sont des gens honnêtes et sincères et qui font leur travail avec beaucoup de générosité.

 

Le Parisien - 11 février 1997

Jean-Claude Gaudin (UDF), ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration, souhaite une plus grande mobilisation de la classe politique : « Généralement, les intentions de vote en faveur du Front national excèdent rarement 15 % et Jean-Marie Le Pen n’a jamais dépassé les 17 % d’opinions favorables. Les 18 % de satisfaits de la victoire des Mégret à Vitrolles signalent donc une progression. Pourtant, je suis sûr que les indifférents et ceux qui ont peur de la progression du FN ne demandent qu’à être convaincus par nous. Je crois que c’est un appel des Français à une plus grande mobilisation de la classe politique.

Le Parisien : Il ressort justement que les Français souhaitent clairement que les hommes politiques se préoccupent concrètement de leurs difficultés. C’est même, à leurs yeux, la seule façon de lutter efficacement contre le parti de Jean-Marie Le Pen.

Jean-Claude Gaudin : Oui, les Français souhaitent le retour sur le terrain des hommes politiques et on gagne toujours à écouter nos concitoyens. Mais enfin, les élus FN ne sont pas, en réalité, plus attentifs que nous aux préoccupations des Français ! Ils se contentent de dénoncer avec vigueur les problèmes que nous évoquons peut-être trop peu, comme l’immigration ou l’insécurité. Mais, pour le moment, ils n’ont aucune responsabilité importante et il est plus facile de parler ainsi que pour nous qui sommes au pouvoir et depuis longtemps.

Le Parisien : Un électeur sur deux seulement croit pourtant en l’efficacité du front républicain, c’est-à-dire le désistement entre les partis opposés au FN afin de lui faire barrage au second tour des élections. Comme si, finalement, l’attitude adoptée par le candidat de la majorité, Roger Guichard, à Vitrolles suscitait plutôt le scepticisme.

Jean-Claude Gaudin : C’est vrai, le front républicain n’est pas vraiment efficace contre la montée du FN. Je crois même que la systématisation du front républicain ne peut que le faire progresser et donner de la force à ses propos. Ce n’est donc qu’en étant elle-même et en étant unie que la majorité peut l’emporter contre le FN et contre la gauche. Mais, par-delà les clivages et contre le danger que représente le Front national, il faut tout de même que prime le réflexe républicain.