Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 23 janvier 1998 dans "La Provence" du 24 et "Libération" du 26, sur l'attitude des syndicats face aux associations et mouvements de chômeurs, et le débat sur la réduction de la durée légale du travail à 35 heures.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Annonce par Jacques Mairé, secrétaire général de l'union départementale FO de Paris, de son départ pour l'UNSA le 21 janvier-50e anniversaire du syndicat des municipaux FO à Marseille le 23 janvier 1998

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission Journal de 8h - Europe 1 - La Provence - Libération

Texte intégral


Europe 1 : vendredi 23 janvier 1998

J.-P. Elkabbach : Je trouve que vous avez vraiment maigri ?

M. Blondel : C’est vrai, parce je bois de l’eau, voilà le truc.

J.-P. Elkabbach : Non, je veux dire que Force ouvrière a maigri.

M. Blondel : Non.

J.-P. Elkabbach : Après une longue bataille votre ancien rival, J. Mairé, a donc quitté FO. Il entraînerait 2 000 à 3 000 militants. C’est sur combien ? Combien avez-vous de militants ?

M. Blondel : Je trouve que cette présentation, que je qualifie d’humoristique, va me permettre de préciser un peu les choses. J. Mairé, depuis un moment avait un pied dans la maison et un pied à l’extérieur. Pour tout vous dire, c’est moi qui lui ait demandé de choisir et de préciser. Il l’a fait, et ça s’est passé d’une manière relativement correcte et même, je dirai, avec élégance. Ceci étant, maintenant, ceux qui pensent que FO n’a pas beaucoup d’adhérents sont les premiers à dire : il y en a des milliers qui vont partir. Accordez-les moi encore !

J.-P. Elkabbach : Il y en a combien ?

M. Blondel : Combien vont partir ? Je n’en sais rien. À mon avis il y en a peu pour la bonne et simple raison que Mairé et ses amis sont plutôt des dirigeants de l’organisation au niveau parisien et que les syndicats, eux, ne vont pas s’émouvoir outre mesure. Et je vais faire prendre les dispositions qu’il faut pour que, bien entendu, ça soit plutôt un effet de rajeunissement de l’union départementale de Paris, qu’elle se rétablisse et qu’elle rende plus de service encore aux salariés.

J.-P. Elkabbach : Ce n’est pas un affaiblissement de Force ouvrière ?

M. Blondel : Là je suis sûr du chiffre : les gens de la SNCF qui ont quitté FO sont 30 et non pas 300 ! Je ne dis pas que ça me fait plaisir mais ça me permettra de gagner du terrain ailleurs.

J.-P. Elkabbach : Finalement vous êtes débarrassé du rival ?

M. Blondel : Non, je n’emploierai pas ce terme-là, ce serait péjoratif pour Mairé. Je respecte le militant Mairé, je ne respecte pas l’homme qui pendant trop longtemps a été ambigu.

J.-P. Elkabbach : Il a dit que Force ouvrière était entre les mains d’une secte politique et c’est vrai qu’on a entendu : il est entre les mains des activistes, des intégristes de l’agitation sociale, des trotskistes. Blondel otage des trotskistes ?

M. Blondel : Je vais vous donner un exemple concret. Les activistes de l’agitation sociale, les trotskistes ou sont-ils en ce moment ? Répondez-moi Monsieur Elkabbach ? Dites-moi ou ils sont ?

J.-P. Elkabbach : Vous voulez que je vous dise : dans les comités de chômeurs ?

M. Blondel : Oui, eh bien il n’y en a pas de FO.

J.-P. Elkabbach : Donc vous confirmez qu’il y a des trotskistes dans les comités de chômeurs ?

M. Blondel : Ça c’est clair. Ceux qui ne savent pas ça ne connaissent pas la politique dans ce pays.

J.-P. Elkabbach : Sont-ce plus des apparatchiks du mouvement des chômeurs que de vrais chômeurs ?

M. Blondel : Je ne fais pas de police, moi je m’en moque. Ce sont des militants, ce n’est pas ça le problème. Oui, il y a toujours eu des trotskistes dans le mouvement syndical français et puis je vais vous le dire confidentiellement : les trotskistes, ils ont les pieds fourchus ; ce ne sont pas des êtres comme les autres. Arrêtons un petit peu ! Quand on n’est pas trotskiste on dénonce les trotskistes et quand on est trotskiste on dénonce ceux qui ne le sont pas ou qui sont autre chose. Mon organisation est une organisation qui reçoit tout le monde depuis 50 ans. Elle a été créée pour ça parce que, justement, il y avait la mainmise du parti communiste sur la CGT, donc nous avons une organisation où tout le monde peut s’y trouver bien. C’est difficile à gérer. Pour le secrétaire général ce n’est pas facile parce qu’il faut faire des conciliations, des arbitrages, etc. Ceci étant les intolérants n’ont pas leur place au rein de l’organisation.

J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’il y aura des chômeurs FO aux manifestations de mardi ?

M. Blondel : Je n’en sais rien parce que nous ne donnerons pas de mot d’ordre. Cela est clair. Mais je n’en sais rien : si mes camarades veulent manifester ils manifesteront. Par contre je sais qu’il y aura des chômeurs prochainement à FO puisque le comité confédéral national que je viens de terminer a décidé de lancer une grande campagne qui commencera par une conférence sur le chômage avec des chômeurs qui sont des adhérents de l’organisation FO et qui ne se singularisent pas en étant des comités, des sections de chômeurs.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que c’est une manière de reconnaître que cette fois il faut à l’intérieur des grands syndicats s’occuper vraiment des chômeurs et pas seulement des salariés ?

M. Blondel : Toutes les organisations syndicales s’occupent du chômage avant les comités de chômeurs. Si c’est ce que vous voulez m’entendre dire.

J.-P. Elkabbach : Mais le mouvement vous a échappé ?

M. Blondel : Mais pas du tout.

J.-P. Elkabbach : Il est parti sans vous.

M. Blondel : Ce mouvement-là n’est pas dirigé par les organisations syndicales ou par toutes les organisations syndicales. Il y en a quand même une quand je vois la CGT et la façon dont Viannet fait ses opérations : il récupère ses enfants et je trouve que c’est tout à fait normal. Ce n’est pas cela le problème. Je rappelle, moi, que le 10 octobre je demandais déjà à la conférence sur l’emploi l’augmentation de l’ASS, c’est-à-dire des minima sociaux. Ce sont même eux qui viennent sur les revendications syndicales. Je rappelle que pendant x temps j’ai dénoncé l’AUD comme étant une machine à exclure des allocations, du chômage. Et je rappelle, si vous me permettez, celle-là je ne la lâcherai pas – à chaque fois que je peux j’en fais de la propagande – que je veux qu’on fasse sortir de la production les gens qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans et que l’État est prêt à mettre de l’argent et que c’est le patronat, en refusant de négocier, qui ne nous permet pas de mettre la mécanique en route. Je le dis clairement.

J.-P. Elkabbach : Alors vous avez fait votre choix dans le grand débat des 35 heures, on voit bien qu’il s’engage, qu’il s’enflamme et avant la discussion au Parlement, L. Jospin a cherché à rassurer et peut-être à entraîner les patrons. Il les a, en même temps, un peu sermonnés en rappelant leurs responsabilités. Alors M. Blondel devant le face-à-face Jospin-Seillière et ce qu’ils incarnent l’un et l’autre où vous situez-vous ?

M. Blondel : Moi, je suis le réalisateur dans ce genre de choses parce que c’est bien gentil de dire 35 heures, encore faut-il qu’elles soient effectives. Pour être effectives, il faut en discuter avec les employeurs. C’est cela le problème. Pour l’instant, M. Jospin s’est accordé un crédit que je ne conteste pas. Il est presque aussi beau que M. L. Blum. M. L. Blum a fait les 40 heures, M. Jospin a fait les 35 heures, sur le papier. M. L. Blum en faisait encore en 1965 45 heures dans ce pays, eh bien M. Jospin en fait encore 39 heures maintenant et je crains qu’à l’an 2000 on fasse encore 39 heures.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que cela va au moins créer des emplois ?

M. Blondel : Cela est beaucoup plus discutable.

J.-P. Elkabbach : Vous avez vu les enquêtes qui disaient que cela pourrait créer des milliers, des dizaines de milliers d’emplois d’ici deux ou trois ans ?

M. Blondel : C’est beaucoup plus discutable. Moi, je ne sais pas qui a considéré, par exemple, qu’il y aurait 4 % de productivité ? Vous connaissez le calcul, on réduit de 10 % la durée du travail, 39 heures deviennent 35. Cela fait 10 %. 4 % de productivité, 6 % d’embauche. Le 4 % est très contestable ! Il y a des patrons qui vont faire 8 %.

J.-P. Elkabbach : Il y avait un préalable dans ces enquêtes, que les salariés acceptent un gel momentané des salaires, y êtes-vous prêt ?

M. Blondel : Non.

J.-P. Elkabbach : Donc, on ne crée pas d’emplois ?

M. Blondel : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! C’est justement pour éviter ce genre de chose que je dis non, clairement. Je ne crois pas qu’on puisse opposer justement l’emploi et les salaires. Je crois qu’il faut être prudent en la matière. Regardez ce que cela donne. Là, justement, à l’occasion des manifestations de chômeurs, on a parlé des salaires, du niveau des salaires, des allocations, etc., on a dit les gens maintenant n’ont plus intérêt à travailler parce qu’ils gagnent… Bon, écoutez, très brièvement une petite anecdote. Je vais à Toulouse, je soutiens à Toulouse les aides maternelles du Conseil général. Lorsque j’arrive, les manifestations de chômeurs viennent de passer. Ils se sont opposés – vous m’entendez ! – parce que d’un côté, les chômeurs disaient : toi, tu as du travail et de l’autre côté, les aides maternelles disaient : vous avez des allocations qui dépassent les 2 700 francs que l’on reçoit par mois pour garder les enfants 24 heures sur 24.

J.-P. Elkabbach : Fin 1998, il y aura moins de chômeurs en France ?

M. Blondel : J’espère que oui. Je ne vais pas quand même pas dire que je souhaite qu’il y ait plus de chômeurs ! J’espère qu’il y aura moins de chômeurs, bien entendu ! C’est bien pour cela que je me bats, que je milite. C’est bien pour cela que mon organisation essaye d’imposer la possibilité pour ceux qui ont commencé à travailler à quatorze ans de partir, cela permettrait de libérer 150 000 emplois ; essaye de faire la réduction de la durée du travail avec des effets sur le chômage.

J.-P. Elkabbach : Dernière question, L. Jospin s’est-il bien débrouillé dans la crise ?

M. Blondel : Je ne sais pas s’il s’est bien débrouillé dans la crise mais je peux vous dire qu’il a été brillant à la télévision. Je m’en félicite d’ailleurs parce qu’en plus, c’est sympathique. Il fait rentrer les gens, il discute. Il va peut-être réussir la discussion au coin du feu dont parlait G. Pompidou. Je crois que L. Jospin est en train de la mettre en route et cela les Français le sentent même s’il est limité – nous n’avons pas parlé de cela mais je l’aurai bien voulu, à savoir l’autorité de la politique française par rapport à la finance – dans ses réponses et dans son action. Au moins sur la forme, il réussit à se faire comprendre des Français.

J.-P. Elkabbach : Donc, il est bon à la télé mais est-ce qu’il réduit le chômage ?

M. Blondel : C’est ce que j’espère qu’il va réussir à faire. En tout cas, c’est ce que je réclame.


La Provence : samedi 24 janvier 1998

La Provence : Comment réagissez-vous au départ de Force ouvrière de votre principal opposant, Jacques Mairé, le chef de file de votre syndicat à Paris ?

Marc Blondel : Mairé avait un pied dehors et un pied dedans depuis déjà trois ans. Il n’a jamais admis son échec, les 15 % de voix qu’il avait obtenues lorsqu’il s’était présenté contre moi en 1996. Je dois en fait le remercier d’avoir enfin choisi !

L. P. : Ne craignez-vous pas que ce conflit laisse des traces au sein de FO ?

M. B. : Mairé n’existe que parce qu’il s’est opposé à moi. Je ne pense pas que beaucoup de militants veuillent le suivre. Le mois dernier, chez les cheminots, ce sont 30 personnes qui ont quitté le syndicat et non 300 comme j’ai pu le lire ici ou là. Et puis cela va nous permettre de restaurer notre combativité à Paris où nous en avions bien besoin. C’est une rupture plus émotionnelle que réelle… Mais c’est aussi un demi-échec pour nous dans la mesure où plusieurs courants de pensée doivent pouvoir s’exprimer. FO ne sera jamais une organisation totalitaire.

L. P. : N’avez-vous pas le sentiment d’avoir sous-estimé le mouvement des chômeurs et le rôle des associations qui pilotent leur action ?

M. B. : Le rôle d’un syndicat est de défendre les salariés quelle que soit leur situation personnelle. Être chômeur, ce n’est pas un état, ou bien c’est que toute idée de lutte a été abandonnée… Nous ne voulons pas alimenter une opposition artificielle entre ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas. Je tiens à rappeler que le 10 octobre, lors de la fameuse conférence nationale sur l’emploi, nous avons été les seuls à demander le relèvement de l’Allocation de solidarité spécifique. Il faut aussi se souvenir que FO n’a pas signé le texte instituant l’Allocation unique dégressive. La solidarité, ce n’est pas seulement le milliard que vient d’attribuer Jospin, c’est surtout les 125 milliards distribués par l’Unedic.

L. P. : Les chômeurs ont donc leur place, mais dans les organisations syndicales…

M. B. : Évidemment ! D’ici un mois, nous allons réunir à Paris des chômeurs qui militent avec nous dans chaque département. Des milliers de signatures sont en train d’être recueillies pour que soit mis en œuvre un dispositif, proche de celui de l’Aide de remplacement pour l’emploi, permettant aux salariés qui ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans de cesser plus tôt leur activité. Cette mesure libérerait 150 000 emplois dans le privé.

L. P. : Le débat sur les 35 heures entre dans une phase décisive la semaine prochaine. Comment avez-vous évolué sur ce thème depuis le mois d’octobre ?

M. B. : Nous sommes d’accord sur le principe de la réduction du temps de travail. Mais pour que cela ait un effet significatif sur l’emploi, il fallait aller plus vite et frapper plus fort. Le Gouvernement apporte une réponse mi-chèvre mi-chou qui sera insuffisante. Nous continuons à penser qu’il faut jouer sur tous les tableaux en même temps, en particulier sur la revalorisation des salaires. Mais le patronat profite de cette loi sur les 35 heures pour geler les relations sociales.

L. P. : Quels sont vos rapports avec Ernest-Antoine Seillière, le nouveau président du CNPF ?

M. B. : Je l’ai rencontré pour la première fois ce mois-ci. Ce tête à tête s’est déroulé dans un climat courtois. Mais il est clair qu’il lui faut apprendre à devenir le président du CNPF, ce qui implique un sens des responsabilités qui dépasse le seul intérêt des entreprises. Pour le moment, le patronat a plutôt tendance à jouer à l’apprenti sorcier pour une raison purement politique, celle de foutre en l’air le gouvernement. Ce n’est pourtant pas le rôle d’un syndicat.


Libération : 26 janvier 1998

Q. N’êtes-vous pas en porte-à-faux vis-à-vis de certaines de vos fédérations,  qui se sont déclarées solidaires du mouvement des chômeurs ?

R. Hormis l’union départementale de Paris, il n’y a pas de problème, comme l’a montré la dernière réunion de notre comité national. Je n’ai aucun complexe à l’égard des chômeurs, dont j’ai toujours défendu les intérêts. La revalorisation des minima sociaux et de l’ASS font partie de nos revendications. Nous avons toujours contesté le mode de fonctionnement de l’Allocation unique dégressive (AUD). Je suis partisan d’une augmentation des cotisations des employeurs et des salariés si c’est la solution pour réformer complètement l’AUD. Plutôt que de s’apitoyer sur le sort des chômeurs, je préfère que les salariés aient de vrais gestes de solidarité et ne refusent pas cette cotisation supplémentaire.

Q. Justement, pourquoi ne pas avoir défendu ces revendications aux côtés des chômeurs ?

R. Vous ne vouliez quand même pas que je soutienne la revendication d’une prime de Noël ! Nous organiserons dans quelques jours une conférence sur le chômage. La situation des chômeurs est intenable, mais je ne suis pas obligatoirement d’accord avec certains comportements spectaculaires. Par ailleurs, je ne veux pas bêler avec les gens qui se donnent bonne conscience. Quand j’entends parfois les mêmes défendre la politique économique actuelle et pleurer le lendemain sur les chômeurs, je ne comprends pas. Un coup, on salue la cause de cette situation et, le lendemain, on verse des larmes de crocodile. Les intérêts des chômeurs et des salariés sont communs. Même dans la situation actuelle de chômage de longue durée. Ceux qui dérogent à ce principe entrent dans une logique poujadiste. On veut institutionnaliser l’état de chômeur. L’Unedic reste le principal et le plus efficace des instruments de solidarité entre les salariés et les chômeurs. Donner l’impression que l’assurance chômage est responsable de tous les maux, c’est faire le jeu de ceux qui veulent casser la forme paritaire de l’Unedic.

Q. Irez-vous manifester demain avec la CGT sur les 35 heures ?

R. Il n’en est pas question. Louis Viannet s’est appuyé sur les comités de chômeurs CGT et, aujourd’hui, lance cette manifestation sur les 35 heures. Ce n’est pas la revendication principale que j’avais perçue dans le mouvement des chômeurs. La CGT tente une manœuvre d’encerclement.

Q. Qu’attendez-vous du débat sur les 35 heures ?

R. Cette question a anesthésié toutes les autres discussions. Le 10 octobre, nous avions d’autres revendications que la durée du travail. Nous voulions que des mesures soient prises pour que les gens qui ont commencé à travailler entre 14 et 15 ans avec quarante ans de cotisations puissent partir en retraite. Cette mesure permettrait à 150 000 chômeurs de trouver un emploi. Ce n’est pas négligeable, surtout si l’on regarde les dernières études sur les effets des 35 heures. Nous avons recueilli plus de 100 000 signatures que nous irons déposer au CNPF et à Matignon. Nous n’excluons pas une journée d’action nationale pour pousser cette revendication. Si on avait voulu utiliser la durée du travail comme un élément de lutte contre le chômage, il aurait fallu fixer tout de suite la durée effective du travail à 35 heures et ne pas attendre l’an 2000.

Q. Vous avez eu l’occasion d’en parler avec le nouveau président du CNPF ?

R. Je l’ai rencontré officieusement. Je lui ai fait remarquer qu’il était en contradiction avec lui-même. S’il refuse de négocier avec les organisations syndicales dans un cadre interprofessionnel, nous essaierons alors d’obtenir satisfaction par la loi. Et lui, qui se veut libéral, aurait alors provoqué l’intervention de l’État…

Q. Le départ de votre principal opposant, Jacques Mairé, de FO vers l’Union nationale des syndicats autonomes, n’est-ce pas le signe d’une crise de votre organisation ?

R. Il n’y a pas de crise à Force ouvrière. Notre organisation rassemble tous les salariés, quel que soit leur engagement personnel. À partir de là, il est normal que des débats aient lieu. Ou alors, il faut considérer que nous sommes en crise permanente.

Q. Mais FO risque de subir une perte significative de militants…

R. Ceux qui partent annoncent que 3 000 militants vont les suivre. Quand Gilles Vaucouleur, de la fédération des cheminots, a joué les poissons pilotes pour Jacques Mairé et rejoint l’UNSA, il a déclaré qu’il amenait avec lui 300 militants. En fait, 30 personnes seulement l’ont suivi. Personne, pour l’instant, n’a les moyens de savoir qui s’en ira. Je suis pour ma part convaincu que ces départs ne seront pas nombreux.

Q. Est-ce que cela ne signifie pas tout simplement qu’une partie de vos militants ne se retrouvent plus dans la ligne que vous défendez ?

R. Le départ de Jacques Mairé traduit du dépit et un constat d’échec. Lors du dernier congrès, candidat au poste de secrétaire général, il n’avait recueilli que 15 % des voix. Selon lui, j’essaye de maintenir la confédération dans une ligne revendicative et combative. Il pense qu’en utilisant la politique contractuelle, on peut encore faire évoluer les choses. Je suis encore plus que lui attaché à la négociation collective. Mais force est de constater que, depuis la conférence de Matignon, le 10 octobre dernier, le patronat refuse toute discussion. Mairé n’a pas été revendicatif et il ne pouvait négocier. Il a perdu sur toute la ligne.

Q. Vous ne craignez pas de faire les frais de ces recompositions syndicales ?

R. Je remarque que ceux qui prétendent rassembler le syndicalisme créent des structures supplémentaires. Le mouvement syndical n’est pas un baril de lessive, ce n’est pas parce qu’il y aura plus syndicats qu’il y aura plus de syndiqués. Les restructurations syndicales ne se feront pas entre les réformistes et les protestataires, entre, d’un côté, un axe CGT et FO et, de l’autre, un pôle UNSA et CFDT. Un regroupement CGT et FO, qui n’est pas à l’ordre du jour, est dénoncé par ceux qui en ont peur.