Article de M. François Hollande, secrétaire national et porte-parole du PS dans "Libération" du 14 novembre 1996, sur le programme économique et social du PS, notamment la réduction du temps de travail à 35 heures et le passage à la monnaie unique, intitulé "l'enterrement du social-libéralisme".

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Circonstance : Adoption le 9 novembre 1996 par le Conseil national du PS du projet économique soumis aux militants

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

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Bonne nouvelle, Alain Minc ne goûte pas les propositions économiques du Parti socialiste ! Il est parfois des opérations qui nous convainquent que nous allons dans le bon sens. Car la politique recommandée par Alain Minc – et appliquée avec constance depuis 1993 et même, convenons-en, depuis plus longtemps encore – a échoué. La baisse du coût du travail, par des exonérations de charges en faveur des entreprises, ajoutée à la rigueur salariale qui a déformé de plus de 10 points le partage de la valeur ajoutée, n’a pas suscité les création d’emplois promises. Le recours accru à la flexibilité et le refus de toute réduction de la durée du travail n’ont engendré qu’une augmentation simultanée de la précarité et du chômage.

Enfin, l’obstination à poursuivre une baisse de la dépense publique au nom de la réduction des déficits a abouti à affaiblir la demande sans rétablir l’équilibre des finances publiques.

Bref, les donneurs de leçons doivent être appelés à plus de modestie. Et le soutien accordé à Édouard Balladur contre Jacques Chirac au nom d’une orthodoxie à laquelle le second a fini par se rallier, sitôt éteints les lampions de la fête électorale, n’autorise l’attribution d’aucun titre de gloire. De même qu’il est toujours commode de se réclamer de la gauche, dès lors qu’elle se situe loin de chez nous. Et à aller chercher les modèles étrangers, Alain Minc finit par trouver du charme au communisme italien, dont il aurait tort de croire que Clinton est un compagnon de route.

Mais l’essentiel n’est pas là. Car, après tout, « d’où qu’il parle », Alain Minc a bien le droit de nous questionner sur deux aspects essentiels de nos propositions.

Libération : Nos propositions sont-elles économiquement responsable ?

François Hollande : Notre économie souffre d’une évidente langueur : consommation anémiée, investissement ralentis. Seul le commerce extérieur vient au secours de la demande. Est-il donc si déraisonnable – dans un contexte marqué par une croissance faible mais aussi une inflation nulle et une balance commerciale suréquilibre – de suggérer une augmentation du pouvoir d’achat fondée sur une augmentation des salaires (en fonction des gains de productivité) et un allègement de la fiscalité pesant sur la consommation ? La politique de l’offre qui a pu, au milieu des années 80, avoir une légitimité, est aujourd’hui inopérante. À quoi servirait-il de la prolonger au-delà de la dose prescrite ?

Et qui prétendra que, même avec une croissance plus élevée, le chômage pourra substantiellement reculer sans une diminution conséquente de la durée du travail ? Forts de l’expérience de 1982, dont les résultats limités tiennent à la taille réduite de la marche descendues (une heure…), les socialistes proposent d’accélérer un mouvement interrompu depuis quinze ans et pourtant rendu possible par le progrès technique, qui a pour effet de diminuer la quantité de travail nécessaire à la protection des biens et des services.

Les trente-cinq heures constituent-elles une mesure insupportable pour les entreprises, au prétexte que les salaires seront maintenus, alors que l’on prend le soin de préciser qu’une loi cadre fixera les principes et les calendriers et que des négociations s’engageront à l’échelon décentralisé pour trouver les formules les plus favorables à la création d’emplois ? Prétendre le contraire revient à généraliser le temps partiel au nom d’une fausse solidarité à l’égard des exclus !

La lutte pour l’insertion est une urgence. Et arguer de risques de dérapages budgétaires pour récuser un programme de 700 000 emplois pour les jeunes, c’est ne pas voir que toutes les aides à l’embauche coûtent aujourd’hui plus cher et son sans réel effet sur le volume de l’emploi. C’est ne pas comprendre que la désespérance des jeunes infligera demain – si nous ne faisons rien – des coûts sociaux bien plus considérables. Ce programme est peut-être notre meilleur investissement public en terme de rentabilité sociale, pour parle comme Alain Minc.

Je ne conteste pas l’audace de nos propositions et je m’en félicite plutôt, mais elles se seront financées ni par un relèvement des prélèvements obligatoires – cela nous changera des gouvernements Balladur et Juppé, qui ont fait plus pour décourager les classes moyennes qu’aucun de leurs prédécesseurs – ni par un creusement du déficit public. Nous n’oublions pas qu’en trois ans la dette publique s’est alourdie de 1 500 milliards sans qu’Alain Minc ne s’en émeuve outre mesure ou qu’il crie à l’abandon de l’objectif de la monnaie unique. Les indignations sont toujours sélectives.

Libération : Nos propositions sont-elles sincèrement européennes ?

François Hollande : Il y a deux manières de faire la monnaie unique. La première consiste à n’y voir qu’un objectif en soi, moins pour ce qu’un instrument commun peut procurer que pour l’adoption collective d’une orthodoxie financière irréversible. Alain Minc aime plus les critères que la monnaie unique. C’est une vision de l’Europe avec pacte de stabilité, sanctions financières et zone mark.

La seconde obéit à une logique politique qui vise à faire de l’euro une arme économique à la disposition de l’Europe et un moyen de refondre le système monétaire international.

Nous affirmons quatre conditions au passage à la monnaie unique : une union plus large qu’un noyau dur : nos amis italiens et espagnols nous pressent d’aller dans ce sens. Un véritable gouvernement économique face à la banque centrale ; c’est l’esprit et même la lettre du traité de Maastricht. Un pacte de croissance qui réveille la vieille Europe ; c’est ce que proposait le « dangereux » Jacques Delors et, enfin, une évaluation réaliste de l’euro par rapport au dollar. C’est ce que réclame un léniniste du nom d’Helmut Schmidt. Bref, nous disons oui à la monnaie unique, mais non à la façon actuelle de le faire. Et nous nous battons pour ne pas sacrifier l’Europe à des dogmes comptables.

Que M. Minc ne s’inquiète pas inutilement ; MM. Prodi, d’Alema et Blair nous soutiennent d’ores et déjà d’un porte-parole improvisé pour nous le faire savoir.

Qu’il nous reste d’ici à 1998 à préciser davantage la méthode, le calendrier et le financement de nos engagements, cela va de soi. Qu’il nous faille donner du sens et de la perspective à l’ensemble de nos propositions dans le cadre d’un projet de société, c’est évident. Mais je ne laisserai pas croire à M. Minc que la fin du social-libéralisme sonne le glas de la social-démocratie. C’est même la condition de sa résurgence.