Texte intégral
Bien sûr, j'arrive le dernier, lourde tâche ou mauvais moment, mais dites-vous une chose c'est qu'étant le dernier je conclus et donc que la journée s'achève. Je suis heureux de la conclure après un jour de discussion dont on m'a rapporté la richesse pour les ateliers de ce matin et dont j'ai pu apprécier les contenus cet après-midi. Je remercie d'abord les représentants des organisations syndicales et les responsables sociaux qui ont accepté de venir procéder à cette confrontation et à ce dialogue avec nous dans le cadre des propositions économiques et sociales que nous faisons au pays.
Je voudrais remercier naturellement les responsables des ateliers, tous ceux qui ont participé aux discussions de ce matin, Laurent Fabius, le président de notre groupe à l'Assemblée nationale qui s'est exprimé dans la table ronde de cet après-midi ; Henri Emmanuelli qui avait présidé la commission d'élaboration de nos propositions dans cette troisième convention et qui a présenté nos propositions ; Harlem Désir qui, au côté de Jean-Christophe Cambadelis, a largement contribué à l'organisation, à la préparation et au succès de cette journée ; Jean-Christophe enfin qui, depuis un an, consacre son énergie et son talent à ce dialogue vivant que nous nouons avec l'ensemble des forces de gauche et aussi avec l'ensemble des organisations syndicales et associatives représentatives.
À chaque moment de son travail d'élaboration collective depuis un an, le Parti Socialiste a voulu par principe et par méthode confronter ses propositions au regard et la critique d'autres. Sur la première convention Mondialisation il l'a faite essentiellement à la Mutualité avec les forces politiques de gauche et de progrès. Sur la deuxième convention, acteurs de la démocratie, naturellement il a été sur le terrain, dans les départements, dans les Assises citoyennes avec ceux qui font vivre la démocratie. Beaucoup des organisations représentées ici étaient déjà alors représentées. Il était logique qu'à propos de la troisième convention en cours sur nos propositions économiques et sociales ce soit avec les représentants des forces syndicales et d'un certain nombre de grandes associations ou mouvements sociaux qu'ils veuillent faire ce dialogue.
Mais je trouve que c'est un honneur qui nous est fait et nous y sommes sensibles. Nous respectons le caractère de cette démarche, de cette confrontation originale. Il est vrai que ce débat s'inscrit dans un moment où le Parti Socialiste rencontre les organisations syndicales. Nous poursuivons avec les principales d'entre elles un dialogue nécessaire. Mais aujourd'hui il s'agit de quelque chose de plus large, de plus original, cela dépasse le champ syndical et c'est dans une forme multilatérale, plurielle, que cette confrontation et que ce dialogue ont lieu dans le respect naturellement de l'indépendance de chacun et dans un esprit de transparence et de vérité. Je crois que l'on peut dire qu'une réunion comme celle d'aujourd'hui est sans doute une première dans l'histoire politique et sociale de notre pays.
Je voudrais, intervenant au terme de cette réunion, traiter de trois points. D'une part, revenir sur le diagnostic social et politique que nous portons sur la situation actuelle et qui d'ailleurs fonde la logique de nos propositions. D'autre part, à l'instar de ce qu'a fait Laurent Fabius, dire un mot des problèmes de méthode. Enfin évoquer nos propositions non pas tellement pour les présenter à nouveau, Henri Emmanuelli l'a fait, vous en avez discuté dans les ateliers et vous êtes destinataires de ces textes, mais peut-être pour insister sur les premières réactions à ces propositions qui peuvent nous apporter des éclairages intéressants.
Notre diagnostic social et politique est véritablement celui de l'urgence sociale. Depuis le mouvement de novembre-décembre 1995, c'est-à-dire depuis un an, non seulement rien n'a changé mais d'une certaine façon dans les champs où des interpellations, des refus étaient posés, la situation s'est aggravée. La question de la sécurité sociale et sa pérennité était en cause, on constate l'échec du plan Juppé, l'absence de véritable maîtrise des dépenses de santé alors que les prélèvements plus lourds sont là, que les remboursements plus faibles sont inscrits dans les faits et l'on voit même apparaître cette menace d'un groupe puissant s'agglomérant paraît-il bientôt avec un autre et proposant ouvertement et cyniquement la constitution d'une sécurité sociale privée au côté, mais il convient de dire contre, la sécurité sociale, conquête de 1945.
Le mouvement s'est débattu autour du statut et des problèmes posés à la grande entreprise nationale qu'est la SNCF depuis un an c'est bien la question du devenir de plusieurs si ce n'est même de l'ensemble de nos services publics qui est posé par les attaques systématiques de ce gouvernement.
L'emploi bien sûr était là en arrière plan et cette rentrée a vu une cascade sans précédent de licenciements, de plans sociaux dans le secteur privé comme dans le secteur public et il ne faut pas s'étonner que ce forum social se tienne à l'issue d'une semaine où des mouvements sociaux se sont manifestés.
Le gouvernement avait démontré à l'occasion de ce mouvement social sa faculté d'immobilisme, sa difficulté à envisager même de négocier, au point de ne pouvoir utiliser le terme depuis le mouvement social d'il y a un an. Vivant aussi de symbole, nous avons gardé dans les mémoires l'image de ce petit matin où les forces de l'ordre ont investi l'usine de l'Epée à Montbelliard ou plus exactement à Sainte Suzanne et j'évoquais avec Noëlle Grimm qui était avec nous dans des ateliers et que je retrouvais hier dans le hasard de mes engagements de militant à Besançon lors d'une fête de la Rose de la fédération socialiste du Doubs où les travailleuses et les travailleurs de l'entreprise avaient un stand. Nous avons vu comment le pouvoir maniant la hache dans les églises parisiennes comme dans les usines franc-comtoises, l'idée que ce pouvoir se faisait du dialogue ou de la façon de traiter le mouvement social, un pouvoir dur, cassant au moment où commence à se dresser devant lui un peuple qui se veut debout et qui perd patience. Notre pays dans cette situation a besoin de justice, de vérité mais aussi de dialogue et la France a certainement besoin d'un choc dans l'ordre économique et social.
Nous nous inscrivons dans un monde qui a considérablement changé depuis dix ans autour des phénomènes de globalisation, La construction européenne s'essouffle, perd de son attrait aux yeux de nos peuples parce qu'elle perd de son sens pour nos concitoyens. La situation française ne se redresse pas parce qu'au-delà des difficultés structurelles et des problèmes conjoncturels, c'est une politique économique et sociale fondamentalement inadaptée et injuste qui est poursuivie par le gouvernement. Elle se caractérise sur le plan fiscal par un alourdissement sans précédent de la pression injuste par sa répartition et inefficace dans son application aux problèmes de l'économie. Sur le plan budgétaire, l'asphyxie de Juppé succédant au laxisme balladurien est marqué par des coupes sombres dans le budget et des priorités qui ne servent pas l'intérêt général. Sur le plan monétaire, une décrue trop lente des taux d'intérêts. Sur le plan salarial, un refus réitéré d'envisager une relance maîtrisée, que l'atonie actuelle de la demande rendrait pourtant nécessaire. Quant à la situation financière de beaucoup d'entreprises et au partage de la valeur ajoutée, Henri Emmanuelli rappelait tout à l'heure à quel point il était devenu défavorable aux salariés.
Ce tableau de la politique macro-économique du gouvernement s'inscrit dans le cadre d'une menace ou de menaces nouvelles qui pèsent sur la société salariale très largement majoritaire dans la population de ce pays avec le creusement des inégalités, le retour en force du thème de la flexibilité et les propositions que j'évoquais il y a un instant de privatisation de la sécurité sociale.
Dans ce contexte, nous ne pouvons pas nous contenter de faire des critiques, nous ne devons pas nous contenter de nous opposer à des projets, même si nous le faisons avec de plus en plus de force, nous l'avons démontré tout récemment à propos du projet de privatisation de Thomson. Il faut impérativement, en tenant compte des contraintes certes, énoncer des propositions, c'est à dire les orientations économiques et sociale qui seront les nôtres. Il faut dire ce que nous ferons, pourquoi, avec qui et comment.
Ce qui me conduit à la question de la méthode. Ce forum social, je voudrais que nos invités en soient convaincus, revêt pour la formation politique que je dirige une importance toute particulière. C'est la première fois, que le Parti Socialiste discute à ce niveau avec les organisations syndicales et le mouvement associatif. Il l'a fait dans un débat de qualité, mené en profondeur, cordial et décrispé et je crois en résonance avec les préoccupations des français.
Il est d'une certaine façon l'exemple ou peut-être l'anticipation de ce que doit être l'approche du Parti Socialiste dans ce domaine. Quel est en effet la démarche que nous souhaitons mettre en œuvre ? D'abord ne pas surprendre nos partenaires. Chacun doit savoir où nous voulons aller et pourquoi. Nous devons introduire clarté et transparence dans notre relation. Tout doit être mis à plat et examiné y compris et je dirais peut-être surtout les points qui posent problème. C'est pourquoi, comme l'a rappelé Laurent Fabius tout à l'heure, nous mettons à un stage su précoce nos propositions économiques et sociales au banc d'essai de votre critique. Ceci suppose ensuite que nous soyons capables non seulement d'écouter mais aussi d'entendre les observations, les critiques, les réactions de nos partenaires et que nous soyons disposés notamment à intégrer une partie de ce qui a été dit aujourd'hui.
Enfin, il conviendra d'avancer pas à pas, c'est dire de refuser effectivement comme l'un d'entre vous le disait tout à l'heure, la politique de l'effet d'annonce suivi de l'immobilisme, tels des réformistes touche à tout et velléitaire.
Dans le respect de l'indépendance de chacun, dans le cadre de la tradition historique qui, depuis la charte d'Amiens, quelles que soient les évolutions que le mouvement syndical librement voudra lui faire subir, préside encore aujourd'hui aux relations entre l'ensemble des partis politiques et les syndicats, nous souhaitons la concertation et la discussion. En effet, l'objectif de cette démarche que je veux responsable, fondée sur le respect mutuel, est de fixer une politique qui ne soit pas celle d'un État, d'un gouvernement qui décide de tout à la place des organisation syndicales ou associatives. Mais ce n'est pas non plus de fixer une simple politique contractuelle qui se déroulerait sans la puissance publique et ses moyens politiques, même si nous en connaissons aujourd'hui les limites. Il s'agit désormais d'essayer d'instaurer une politique de contrat qui suppose de savoir d'où l'on part et où l'on veut aller. Cette méthode s'oppose à l'autisme social du gouvernement actuel qui n'est guère borné que par la conscience qu'il a désormais de sa propre faiblesse. De même s'oppose-t-elle tout autant à la tactique du front élastique qui était la caractéristique de M. Édouard Balladur. Et donc comme je l'avais d'ailleurs exprimé publiquement pendant la crise sociale de l'hiver dernier lié au plan Juppé, je suis favorable à un paritarisme rénové. La méthode n'a d'intérêt naturellement qui si elle porte sur des propositions, des objectifs, c'est à dire si elle est en relation avec le fond. J'en viens donc à mon troisième point : nos propositions.
Je ne vais faire ici que les rappeler. Henri Emmanuelli ayant eu la responsabilité de les présenter, je consacrerais plutôt une partie de mon propos à réagir, si j'ose dire, aux premières réactions qui se sont faites jour depuis une petite semaine, c'est à dire depuis notre conseil national.
On vous l'a dit, quatre piliers, la relance salariale, la réduction du temps de travail, l'engagement national en faveur de l'emploi des jeunes et la réforme fiscale. La priorité étant l'emploi ; l'objectif et le moyen étant la croissance économique. Sur ces quatre volets à l'évidence, des interpellations, des suggestions, des souhaits ont été formulés. L'association des partenaires sociaux est et sera naturellement essentielle.
Nous attendons beaucoup de ces mesures qui, comme je l'ai dit, doivent former un faisceau convergent, non pas au sens historique ou idéologique bien sûr, mais au sens physique du terme qui représenteront comme un traitement d'attaque de notre protocole de lutte contre le chômage et les inégalités. Et donc comme j'ai eu l'occasion de le dire, me référant aux années 30, je crois que c'est une sorte de nouveau new deal à la française que nous devons mettre en œuvre dans les conditions d'aujourd'hui bien sûr. Cette nouvelle donne, il nous faut également l'envisager à l'échelle européenne et je dirais dans cet ordre.
Je pense que si les responsables politiques s'adressent au pays en disant l'Europe étant ce qu'elle est, le rendez-vous monétaire nous fixant des obligations, les contraintes fixées par le traité ou par les directives de la commission étant ce qu'elles sont, voilà la politique économique et sociale que nous vous voyons contraints de présenter. Si les responsables dans notre pays compte tenu de ce qu'il est, de ce que sont ses caractéristiques, de ce qu'est le tempérament de notre peuple et de ce qu'est la situation de malaise psychologique dans lequel il vit, nous ne serons pas entendus et compris. Il faut changer au contraire l'ordre, non pas des priorités, mais de l'apport des problèmes en disant : nous sommes aux responsabilités ou nous aspirons aux responsabilités, voilà les propositions que nous voulons faire pour notre pays, pour notre peuple, pour vous françaises et français et nous accompagnons ces propositions d'une démarche européenne qui certes se mènent dans le carde de traité équidistant mais qui est comme le prolongement de nos choix politiques et sociaux. C'est dans cet esprit que nous classons nos conditions au passage à la monnaie unique : refus d'un noyau dur monétaire autour du mark et du franc mais aspiration à une union monétaire complète ; une monnaie unique pour toute l'Europe et auxquels participent d'entrée de jeu l'Italie, l'Espagne et la Grande-Bretagne si son gouvernement en décide ainsi. Face à la Banque centrale européenne, c'est à dire à un pouvoir monétaire échappant au contrôle démocratique, il est désormais nécessaire de mettre en place un gouvernement exprimant au niveau de l'Union européenne ce qui reste le fondement de nos pays, à savoir la légitimité d'un pouvoir politique, démocratique fixant les grandes orientations de politique économique et prolongeant l'action des États. À l'inverse d'un pacte de stabilité destiné à brider les possibilités de croissance en Europe, un pacte au contraire de solidarité et de croissance, et c'est bien entendu les références qui étaient faites par plusieurs syndicalistes tout à l'heure, a ses nécessités à l'échelle européenne. Enfin, volonté de donner à l'euro, si la monnaie unique se fait, un rapport au dollar qui ne mette pas l'euro en position de surévaluation, de façon à ce que nous ne restions pas dans une situation de faiblesse par rapport à la compétition avec les États-Unis et que nous puissions poser les premiers termes de la réorganisation d'un système monétaire international digne de ce nom.
Agir ainsi en liant les plans de la politique économique nationale et de la politique économique européenne c'est certainement, comme l'a dit Laurent tout à l'heure, faire prévaloir la politique sur la technocratie, mais c'est aussi faire prévaloir une politique, celle à mon sens de l'intérêt des peuples, contre les intérêts des puissants qui peuvent avoir leur propre politique, hors d'atteinte qu'ils sont à l'échelle internationale des souveraineté populaire, des exigences et des obligations du contrôle démocratique encore incarné dans les vieux États nationaux. Il n'est plus pensable de rester dans un cadre de mondialisation et de globalisation sans poser les termes d'une régulation allant plus loin que le cadre national. Il ne s'agit donc pas simplement de faire prévaloir la politique des peuples sur la politique des intérêts économiques et financiers qui cherchent à s'affranchir aujourd'hui de toute contrainte, de toute norme, affirmant aux politiques mais le problème des licenciements, le problème des délocalisations, le problème du chômage, le problème de la misère des quartiers, ça n'est plus notre problème ! Paradoxe ou contrainte supplémentaire, les mêmes qui considèrent qu'ils n'ont plus à régler ces problèmes dans le cadre de leur entreprise, en micro comme on dit dans le jargon des économistes, formulent des exigences idéologiques, politiques et sociales nous interdisant tous ces frais généraux, tout ce solde, ce qui n'a pas été réglé dans le cadre de l'entreprise et qui se retrouve donc au niveau de la communauté nationale, au nom des règles de la concurrence internationale au nom des nouvelles nécessités de la flexibilité, au nom de la lourdeur excessive des systèmes sociaux. Ils nous interdisent même de régler ces problèmes à l'échelle de la communauté internationale. L'idée que d'un côté eux n'ont pas à prendre en compte ces considérations lorsqu'ils prennent leurs décisions d'investissement, de délocalisation ou de licenciement et celle selon laquelle on ne peut plus se permettre le luxe de nos systèmes de protection sociale, le confort de notre droit du travail et donc que ces problèmes ne peuvent pas non plus être traités à l'échelle nationale posent les termes d'une contradiction littéralement explosive. Il faudra bien résoudre celle-ci.
J'en viens comme je l'avais dit à mes premières réactions. D'abord, je constate que nos propositions ont été entendues. Ça s'est vu, ça s'est entendu et je m'en réjouis. Je constate aussi qu'elles sont apparues assez clairement comme différentes de la politique de la droite et je m'en réjouis aussi. Qu'elles ont frappé par leur volontarisme, qu'elles partent des réalités d'aujourd'hui, chômage des jeunes, exclusion, précarité, injustice fiscale, qu'elles font apparaître semble-t-il de façon relativement lisible un clivage gauche-droite et de tout cela je me réjouis toujours.
Je passe naturellement sur les réactions a priori négatives de la droite, souvent caricaturales, pour m'arrêter un instant à un certain nombre de critiques ou d'interpellations qu'il ne faut pas négliger, parce que ce n'est pas notre méthode, que je voudrais pour aujourd'hui résumer à deux.
La première est l'idée que nous opérions par nos propositions un retour à 1981. Moi je crois que cet argument n'a pas beaucoup de force. En effet, le contexte économique et social a changé et la méthode que nous préconisons n'est nullement identique. En 1981, on avait un chômage moins élevé, même s'il était trop fort, en revanche on avait une inflation forte à plus de 14 %. On avait un équilibre de notre commerce extérieur qui n'était pas assuré. En 1996, on a un chômage beaucoup plus élevé qu'en 1981, on a une inflation vaincue et on a un commerce extérieur excédentaire. Les entreprises ayant souvent à travers la modernisation, y compris grâce à la politique des entreprises publiques, restauré leur marge et leur capacité. Le contexte économique n'est donc pas le même. Mais la méthode que nous préconisons n'est pas non plus identique.
Il me semble en 1981 qu'elle était plus globale, plus idéologique, qu'elle s'attachait à des grandes propositions qui n'étaient pas sans force et dont plusieurs ont été concrétisées. On employait beaucoup les termes de nationalisation, de décentralisation, d'autogestion. Sur les premiers points cela a été fait, sur le deuxième également, sur le troisième cela s'est perdu. Mais en 1996, ce n'est pas exactement la même démarche que nous utilisons y compris parce que le temps a passé, le goût, le sens des mots n'est pas le même et que certaines questions sont extrêmement aiguës. Nous ciblons nos propositions beaucoup plus directement sur des problèmes clairement identifiés, chômage, précarité, coût du travail, problème des jeunes, injustices fiscales. Et à partir de ces problèmes clairement identifiés, nous nous efforçons de préconiser des démarches, des propositions, des modes de traitement même si comme je l'ai dit il faut les regarder globalement par leur effet d'impact potentiel.
Le deuxième argument que l'on a entendu depuis quelques jours c'est celui selon lequel nos propositions présenteraient un réalisme insuffisant et c'est un argument apparemment plus fort. C'est une critique qui a surtout été formulée par la droite, notamment par les milieux économiques et financiers en disant en gros vous chargez la barque, vous empilez les dépenses, comment tout cela va-t-il tenir ? Mais qui peut aussi venir d'ailleurs, notamment des syndicalistes et il me semble que cette question a été présente dans les ateliers ce matin qui, sans nous reprocher d'être trop audacieux, nous demanderaient ou nous demandent « Cette fois, serez-vous capables de tenir vos engagements dans la durée ? »
Alors à cette interpellation globale sur le réalisme, je veux donner quelques premières réactions en forme de réflexion. Vous comprendrez donc qu'elles sont d'ordre différent. La première réflexion, je pense qu'on ne peut pas à la fois, comme le font nombre d'observateurs, de journalistes, d'éditorialistes, de sociologues, d'économistes parfois même de politiques, nous affirmer que la situation dans le pays est dramatique, insupportable que pour de plus en plus de gens c'est le désarroi, la désespérance, que des éléments explosifs petit à petit se rassemblent dans notre société en tout cas dans certaines parts de notre société et en même temps nous dire quand on avance nos premières propositions qu'il ne faut rien changer à ce qui se fait aujourd'hui.
Deuxième réflexion, si l'on considère que la chute massive de la confiance dans le pouvoir actuel n'est pas seulement dû à l'insuffisance des personnes, il est vrai que l'on peut être à la fois insuffisant et suffisant, mais a aussi quelque chose à voir avec la politique suivie par ce gouvernement. Alors n'est-il pas logique de vouloir changer cette politique ?
Troisième réflexion, si le chômage et la croissance faible sont les éléments dominants de la situation présente, n'est-il pas plus réaliste de centrer des propositions sur le traitement de ces mots là plutôt que de demander de continuer à centrer la politique économique et sociale contre une inflation désormais inexistante, sous prétexte qu'elle pourrait bien renaître.
Quatrième réflexion, il me semble que ce que nous disons très clairement dans nos propositions sur le prélèvement fiscal et social, sur le déficit budgétaire l'idée de ne pas augmenter ce prélèvement mais de le rééquilibrer, l'idée de ne pas accroître le déficit budgétaire mais de modifier les priorités de la politique budgétaire, montre que nous prenons en compte dans nos propositions les contraintes de la réalité.
Cinquième réflexion, ce que nous préconisons au plan national sur le plan économique est non seulement à mes yeux tout à fait compatibles avec la construction européenne, y compris avec la perspective de la monnaie unique qui reste en tout cas pour le Parti Socialiste un engagement, mais offre à mon sens une vraie chance de relancer l'Europe aujourd'hui en panne et de réhabiliter celle-ci aux yeux des peuples européens. Si j'en juge par l'interpellation incroyablement brutale à laquelle a procédé récemment Helmut Schmidt dans un article de Die Zeit à l'égard de Tit Mayer, le gouverneur de la Bundesbank, nous ne sommes pas les seuls à le penser, y compris hors de France.
(…) réflexion enfin, c'est qu'à mes yeux le réalisme de nos propositions doit aussi pour nos observateurs s'apprécier en intégrant le facteur temps. Nous ne ferons pas tout d'un coup. Nous agirons bien sûr d'emblée avec force pour créer un effet d'impact dans l'urgence. Le pacte national pour l'emploi des jeunes est illustratif à cet égard. Mais un programme de législature ne se réduit pas à un plan d'urgence pour six mois. Nous avons fait l'expérience de la durée au pouvoir, c'est un des acquis avec François Mitterrand de la période historique dernière, avec ses résultats, ses acquis, mais aussi ses risques, voire ses dérives. Il nous faut donc rompre et j'ai rompu pour ce qui me concerne avec l'idée que tout ce qui n'est pas fait dans les cent jours ne se fera pas, Thème qui était très à la mode je m'en souviens, juste à la veille de 1981. Je préfère une progression moins spasmodique, plus régulière à une belle flambée de réformes dès le début qui déboucherait ensuite sur des tournants indispensables puis sur l'immobilisme ; relancer la croissance, c'est aussi se donner la chance de maîtriser les déficits publics dans la durée.
Je veux conclure, nous avons, vous le savez, on en a parlé un peu à l'extérieur, élaborer collectivement nos propositions. Nous sommes attachés bien sûr à la cohérence de notre démarche. Il n'empêche que notre objectif est toujours de lancer un débat dans le pays. Celui-ci nous allons l'avoir avec nos militants et c'est naturellement notre affaire. Nous l'engageons avec nos interlocuteurs syndicaux et sociaux et nous vous remercions d'y avoir participé en toute indépendance. Mais nous allons aussi l'engager avec les français et donc nous allons au moins potentiellement tenir compte des objections, des observations, des demandes qui nous seront faites. Nous voulons, et je pense que ces premiers huit jours ont été de ce point de vue positifs, être au cœur du débat lancé dans notre pays sur des questions essentielles, afin de jouer le rôle d'une grande force certes d'opposition, mais prête aussi à assumer des responsabilités et qui, par contraste avec le désordre gouvernemental, de façon organisée mais façon publique offre ces propositions et ouvre un débat dans lequel les français puissent encore respirer et peut-être à nouveau espérer sur des réponses économiques et sociales. Nous y réfléchirons voyant les réactions, écoutant les objections dont certaines seront peut-être pertinentes pour la synthèse que nous opérerons pour présenter notre programme aux français en 1997. De même dois-je préciser que sur un certain nombre de questions où les orientations sont tracées, nous allons travailler techniquement avec nos experts pour bien sûr préciser, améliorer et rendre fiable nos propositions.
Je voudrais terminer en deux mots. Le premier pour revenir sur ce terme de réalisme. Je suis effectivement d'accord pour que le débat sur le réalisme ait lieu mais à condition de garder quand même à l'esprit que le réalisme n'a d'intérêt que s'il fait référence aux réalités, n'a d'intérêt sauf à être un pur thème idéologique ou politique que s'il est en quelque sorte connecté au réel. Et moi je connais bon nombre de spécialistes du réalisme qui aujourd'hui vivent tout à fait hors des réalités que vivent des millions et des millions de françaises et de français dans notre pays. Alors nous aurons le débat sur le réalisme.
Enfin deuxième réflexion, dans l'opposition aujourd'hui, nous avons voulu montrer concrètement notre volonté de dialoguer avec le mouvement syndical et social dans le respect de l'indépendance de chacun. Si nous devions demain être aux responsabilités, ce qui n'est nullement assuré, mais ce qui est en même temps, convenez-en, la seule hypothèse de travail que nous devions nous fixer, si nous devions donc être aux responsabilités, croyez bien que nous aurions vis-à-vis de vous la même attitude. Je crois profondément qu'une autre politique est possible. Je sais aussi qu'elle appelle de nouvelles façons d'agir et c'est le sens profond de la journée d'aujourd'hui.
Merci à toutes et à tous, à bientôt !