Texte intégral
F. Laborde : Avant de parler des affaires européennes et du Sommet qui va avoir lieu à Luxembourg demain et après-demain, un mot si vous le voulez bien sur la cohabitation : on a l’impression qu’il y a de nouvelles tensions entre le Président de la République qui s’est exprimé sur les 35 heures, qui a un peu rappelé à l’ordre ou, en tout cas exprimé sa différence vis-à-vis du Gouvernement et du Premier ministre. P. Séguin disait que la cohabitation est un régime détestable. Vous diriez la même chose ?
P. Moscovici : C’est un régime démocratique. Moi j’observe que c’est la troisième fois que les Français le choisissent et qu’après cinq ans de gouvernement de gauche cela fera neuf ans sur seize de cohabitation. Donc, il faut faire avec et nous faisons avec. Je crois que cela se passe dans ces conditions, où l’on a un Président de la République qui a une certaine idée, un Premier ministre de gauche et un gouvernement de gauche qui ont d’autres idées, dans les meilleures conditions possibles. Moi, je n’ai pas été choqué : le Président de la République fait toujours ses réflexions de façon assez carrée, courte avec humour. Franchement, on sait qu’il n’est pas pour les 35 heures. Donc, pourquoi ne le dirait-il pas ? En même temps, le Gouvernement fait ce qu’il a à faire parce que c’est une mesure qui était promise aux Français, attendue par les Français, qui est à la fois bonne pour le temps qu’ils ont et qui est bonne pour l’emploi. Alors l’histoire tranchera.
F. Laborde : Vous, vous étiez au Conseil des ministres hier : c’était tendu, pas tendu ?
P. Moscovici : Non, ce n’était pas tendu parce que c’était attendu. On savait que le Président de la République n’était pas favorable aux 35 heures, il l’avait dit plusieurs fois, il l’a rappelé de façon très brève et très courtoise. Et puis on est passé à autre chose. L’autre chose cela va être surtout de le faire et ce qui m’importe à moi, ce n’est pas tant les commentaires qui sont faits que la façon dont on pourra traduire cette réforme dans la réalité sur le terrain. Moi, je souhaite que le plus vite possible il y ait des négociations qui s’ouvrent avec des incitations et qu’on aille vers les 35 heures en créant des emplois. C’est la volonté du Gouvernement.
F. Laborde : Mais on avait quand même eu l’impression, quand le Président de la République avait parlé d’expériences hasardeuses, faisant allusion aux 35 heures lors du dernier Sommet de Luxembourg que cela avait un peu agacé le Premier ministre qui, à Brest, avait répondu de façon assez vive ?
P. Moscovici : Écoutez, l’incident est clos mais je voudrais quand même marquer quelle était la différence. Que le Premier ministre et le Président de la République discutent avec le Gouvernement en conseil des ministres, c’est le lieu normal, car c’est le lieu démocratique. On est à Paris, l’instance est prévue pour cela. Qu’en revanche, il y ait des propos sur la politique intérieure à l’extérieur, c’est d’une tout autre nature. C’est pour cela que le Premier ministre avait réagi, le Président ayant parlé auparavant. On n’en parle plus. D’ailleurs nous allons avoir un Conseil européen dans deux jours – demain d’ailleurs – où la France va parler d’une seule voix comme c’est toujours le cas sur les affaires de politique extérieure.
F. Laborde : Il n’y aura pas de petits affrontements sur la politique intérieure au Luxembourg ?
P. Moscovici : Je pense très sincèrement que le sujet est suffisamment grave et en plus ce Conseil suffisamment difficile pour qu’on ait à cœur, au contraire, de parler de façon millimétrée les uns et les autres, ensemble.
F. Laborde : En tout cas la préparation du conseil se passe dans une bonne ambiance entre Matignon, l’Élysée et le quai d’Orsay ?
P. Moscovici : Comme à chaque fois le Président de la République nous a réunis tous ensemble avec H. Védrine, D. Strauss-Kahn, le Premier ministre pour parler de cela et nous parlerons d’une même voix.
F. Laborde : Alors à ce Sommet européen on va parler de la monnaie unique, de l’euro. Nous, la France, sommes favorables à un forum de coordination pour piloter la politique de l’euro mais, par contre, la France ne souhaite pas qu’il y ait les pays en dehors de l’euro qui siègent dans ce forum, par exemple la Grande-Bretagne.
P. Moscovici : C’est logique. On connaît la logique des clubs, les Anglais la connaissent mieux que nous parce que ce sont eux qui l’ont créée. Quand on est en train de faire une monnaie à onze et qu’on est quinze dans l’Union, il est assez logique que les Onze parlent ensemble des questions qui les concernent. Et je crois qu’il faut qu’ils le fassent parce que sinon, on ne va pas demander à des gens d’être e, dehors de l’euro et de parler des affaires de l’euro. Ce qui sera le cas des Anglais. Alors nous sommes ouverts à tous les compromis. Nous voulons bien qu’ils soient observateurs, nous voulons bien qu’ils soient informés de tout. On peut trouver toute une série de formules qui fasse qu’en fait les deux instances à Quinze et à Onze s’interpénètrent mais avec une seule limite : c’est que le conseil de l’euro – que la France a souhaité, que D. Strauss-Kahn a souhaité – et ce qu’on appelle le conseil Ecofin – c’est-à-dire le conseil des finances des Quinze – ce ne soit pas la même instance. Nous sommes ouverts à tous les compromis avec en même temps, quand même, cette idée : il faudrait bien que les onze pays qui seront dans l’euro, en tout cas c’est notre souhait, puissent parler ensemble des questions de politique économique face à la Banque centrale.
F. Laborde : Pourquoi les Britanniques insistent-ils tellement pour être dans ce forum ? C’est pour faire un peu d’obstruction, surveiller de plus près, savoir mieux ce qu’il se passe ?
P. Moscovici : Non, ce n’est pas de l’obstruction parce que les Britanniques sont maintenant dans une attitude très positive par rapport à l’Europe, c’est au contraire une question de prestance. Cela prouve même que l’euro est devenu terriblement attractifs. Ils ne peuvent pas le faire tout de suite mais ils aimeraient bien être tout de suite dans l’instance qui en parle. On verra, mais cela ne paraît pas complètement logique. Ce qui paraît logique, c’est que puisqu’ils ne sont pas tout de suite dedans, ils attendent un petit peu tout en étant informés de tout et puis qu’ils y rentrent très vite, quand ils entreront dans l’euro.
F. Laborde : Sur le président de la Banque centrale, est-ce qu’il y a aujourd’hui un accord : la France a proposé à J.-C. Trichet, gouverneur de la Banque de France – ce qui est un peu une surprise puisqu’on pensait que ce serait le néerlandais V. Duisenberg qui resterait à ce poste. Il y a un accord maintenant entre Français, Allemands et Néerlandais sur cela ?
P. Moscovici : Non, il n’y a pas d’accord. Il y avait au départ une candidature qui était celle de V. Duisenberg qui avait été adoptée par les gouverneurs des banques centrales, plutôt donc par des administratifs ou des technocrates comme on dit quand on veut être désagréable et non pas par des politiques. La France a soutenu une candidature, celle de Trichet, c’est une candidature politique, c’est un acte politique, personne ne le conteste.
F. Laborde : Cela n’a pas été très bien accueilli dans un premier temps.
P. Moscovici : Pendant 18 heures, et maintenant tout le monde sait que c’est une candidature légitime. Eh bien c’est toujours notre candidature et nous n’en parlerons pas demain. Nous pensons que la question doit être réglée au début de l’année 1998. Cela viendra vite : en janvier.
F. Laborde : Il pourrait y avoir une co-présidence ? C’est cela qui se dessine ?
P. Moscovici : Ce n’est pas notre préférence, ce n’est pas celle des Néerlandais. Non, je crois que c’est qu’il y ait un choix clair, qu’il y ait un président de la Banque centrale européenne pour une durée prévue du mandat. Mais on verra bien. Encore une fois, honnêtement, demain on a suffisamment de pain sur la planche. On parlera d’autre chose que de problèmes de personne dont on sait qu’on ne pourrait pas les régler.
F. Laborde : L’élargissement, ce sera difficile demain ?
P. Moscovici : Ce sera très difficile parce que vous savez, c’est une nouvelle problématique : il s’agit de faire entrer onze pays qui viennent du communisme et des pays d’Europe centrale et orientale. C’est une décision qui est lourde en termes financiers, nous souhaitons qu’elle soit encadrée. C’est-à-dire qu’on ne décide pas d’ouvrir les vannes sans avoir une maîtrise de nos finances publiques. Nous souhaitons aussi que soit préservée absolument la politique agricole commune et les politiques structurelles parce que cela, ce sont des éléments qu’on touche, chacun chez nous, sur le terrain. C’est l’Europe. Donc l’élargissement, oui, mais pas en diluant l’Europe, pas en affaiblissant les politiques européennes.