Interview de M. Frank Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, dans "Les Echos" du 20 novembre 1996, sur l'amélioration de la compétitivité de l'industrie automobile avant l'ouverture du marché en l'an 2000 et sur les mesures d'accompagnement de l'Etat.

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Les Échos : Comment réagissez-vous face aux demandes de MM. Schweitzer et Calvet de rajeunir leur effectif en faisant 40.000 FNE ?

Franck Borotra : Les constructeurs automobiles ont fait connaître un certain nombre de demandes au gouvernement mais, aujourd’hui, la forme d’un plan éventuel d’aide à l’industrie automobile n’est pas finalisée. Nous sommes décidés à aider cette industrie pour qu’elle puisse faire face au défi de l’an 2000. Mais la réponse à ce défi ne peut se résumer à un plan social.

Je voudrais insister sur le fait que le secteur automobile a une place à part dans le tissu industriel français. Il représente 17 % des emplois industriels, de l’ordre de 700.000 directement et indirectement. C’est un élément considérable des exportations françaises. Le solde est de 26,4 milliards en 1995 et les trois constructeurs automobiles, Citroën, Renault et Peugeot, sont parmi les tout premiers exportateurs de France.

En second lieu, il faut dire que ce secteur a fait des efforts très importants d’adaptation, dans le domaine de l’innovation technologique d’abord, et en particulier par les synergies qui existent entre les constructeurs et les équipementiers, qui représentent aujourd’hui pratiquement 40 % de la valeur ajoutée d’un véhicule. Effort également dans le domaine des gammes pour répondre à une demande beaucoup plus large des acheteurs. Enfin, les constructeurs ont réalisé des efforts importants en matière d’exportation et d’implantations à l’étranger.

Les Échos : Comment expliquer alors que, malgré ces efforts, l’industrie française se retrouve dans une situation difficile ?

Franck Borotra : Le marché automobile européen va beaucoup évoluer d’ici à 2000. Les taux de croissance ne seront plus les mêmes qu’autrefois. La concurrence va se renforcer, encore accrue par l’arrivée de nouveaux acteurs, par l’ouverture totale des frontières au 1er janvier 2000 et par le fait qu’aujourd’hui la guerre des prix est en train de devenir l’une des données structurantes du marché. On est donc en face d’une nouvelle donne qui va conduire à chercher de nouveaux gains de productivité pour abaisser les coûts. Ce sera la condition sine qua non pour garder ou accroître ses parts de marché.

Les Échos : Comment résoudre ce problème de compétitivité ?

Franck Borotra : C’est là que se situe la demande des constructeurs. Ils font état vis-à-vis des pouvoirs publics des spécificités du secteur automobile qui justifieraient une aide forte et exceptionnelle sous la forme d’un plan de départs à la retraite anticipée, fortement dérogatoire aux règles normales, et étalé sur plusieurs années. A ce stade de la discussion, je peux dire que ces demandes n’ont pas été finalisées mais qu’elles auraient un coût humain et financier très élevé.

Les Échos : Confirmez-vous le chiffre de 30 milliards qui circule ?

Franck Borotra : Je ne confirme aucun des chiffres dans la mesure où il n’y a pas eu de discussions approfondies entre les constructeurs et les pouvoirs publics. Il s’agit de demandes très dérogatoires et qui, vues par le ministre de l’Industrie, s’inscrivent à contre-courant de la politique de maîtrise des mesures d’âge qui a été mise en place en 1993.

Les Échos : Vous refusez donc ce plan ?

Franck Borotra : Ma première réaction est de dire que le ministre de l’Industrie, comme le ministre des Affaires sociales, ne peut pas recevoir de telles propositions et considérer que cette affaire est close. On va donc chercher à éclairer le gouvernement sur la réponse à apporter à ces demandes. C’est pourquoi nous allons nommer un expert, M. Bernard Cabaret. Il sera chargé par le gouvernement d’analyser dans leurs dimensions sociales, industrielles et commerciales, l’ensemble des modalités permettant d’accompagner les efforts des constructeurs automobiles. Il s’agit de voir quelle est la réponse industrielle des constructeurs. En tout cas, plus de plan social sans projet industriel.

Les Échos : Vous proposez donc aux constructeurs une politique de donnant-donnant ?

Franck Borotra : Ce que je dis, c’est que nous allons regarder la situation pour voir quelles sont les réponses les mieux adaptées à la situation de l’industrie automobile. Mais, en tout état de cause, ce n’est certainement pas uniquement en termes de plan social que cela se situe. Il faut regarder tous les aspects du problème. En particulier, il y a deux directions qui sont très importantes : il faut examiner comment les deux constructeurs peuvent améliorer leur productivité en particulier en développant des coopérations nouvelles avec d’autres constructeurs européens, ou entre eux. Parce qu’il y a une certitude : l’abaissement du coût passe nécessairement par des économies d’échelle et donc des coopérations ponctuelles.

Les Échos : Les deux constructeurs français coopèrent déjà entre eux...

Franck Borotra : Ils font un moteur et une boîte de vitesses. Il faut aller plus loin et regarder ce qu’ils peuvent faire d’autre, qu’il s’agisse d’échanges d’organes, de production en commun de véhicules à faible volume, de partage des investissements dans les marchés émergents, de rapprochement de structures. PSA Peugeot Citroën et Renault ont développé des politiques de coopération entre eux. Ils l’ont fait aussi avec d’autres grands constructeurs mondiaux. C’est un des éléments de la réponse industrielle.

Les Échos : Faut-il aller au-delà de ces coopérations ponctuelles pour déboucher sur un rapprochement ?

Franck Borotra : Non. Aujourd’hui, le problème principal, c’est l’abaissement du prix de revient. Deuxième orientation sur laquelle nous souhaitons que l’expert, M. Cabaret, se penche : il faut étudier toutes les possibilités offertes par la démarche volontaire d’aménagement et de réduction du temps de travail.

Les Échos : Jacques Calvet ne semble pas vouloir en entendre parler ?

Franck Borotra : Aucune solution ne doit être a priori exclue. C’est clair. Nous nous engageons dans une discussion au fond sur toutes les solutions et toutes les modalités susceptibles d’être retenues pour permettre l’adaptation aux défis qui nous attendent.

Les Échos : Quand M. Cabaret devra-t-il rendre son rapport ?

Franck Borotra : Nous attendons la conclusion de ses travaux pour la seconde quinzaine de janvier.

Les Échos : Au cas où il n’y aurait pas d’accord entre les constructeurs et les pouvoirs publics, comment réagirez-vous si l’un d’entre eux décide de fermer une usine ?

Franck Borotra : Ce n’est pas sous cet aspect que j’envisage les relations avec les constructeurs automobiles. On a un objectif commun : on sait qu’on a besoin les uns des autres. Il faut donc trouver ensemble les solutions acceptables pour toutes les parties. Nous sommes décidés à ce qu’en l’an 2000 il y ait deux groupes généralistes en France qui soient en position de faire face aux conditions de la concurrence.

Les Échos : Mais dans l’hypothèse où vous arriveriez à ce que vous souhaitez, c’est-à-dire une vision industrielle de leur avenir qui s’accompagnerait d’un plan social dérogatoire, est-ce que cela ne risque pas de se heurter à la vigilance de Bruxelles ?

Franck Borotra : Je voudrais rappeler que c’est dans l’objectif 4. Il était prévu, au moment où l’on a mis en place l’accord entre l’Union européenne et le Japon, des moyens pour aider l’industrie automobile à s’adapter aux conditions de la concurrence.

Jusqu’à présent, les moyens mobilisés sont extrêmement faibles pour ne pas dire nuls.

J’ajoute que derrière tout cela se trouve un problème d’emplois. Or, qu’on le veuille ou non, les conditions de l’emploi en France relèvent du gouvernement. Je m’intéresse au renforcement du potentiel industriel français parce qu’il participe au renforcement du potentiel industriel européen et que les approches administratives en face de ce problème ne comptent pas.