Texte intégral
Le Monde : Dans quel état d’esprit allez-vous rencontrer le Medef ?
Nicole Notat : Nous allons l’écouter et nous employer à ce qu’il clarifie ses intentions. Aujourd’hui, elles nous paraissent floues, pleines d’ambiguïtés. Si le Medef est d’ores et déjà déterminé à quitter le terrain de jeu ou s’il exprime son intention de le faire à un moment où à un autre, nous ne voyons pas l’intérêt qu’il y aurait à discuter de l’avenir de la Sécurité sociale avec lui. Le Medef est aujourd’hui tenté de poser un acte d’agression, de mécontentement à l’égard du gouvernement. Or il n’est pas crédible de commercer par une désertion, si telle est bien son intention, et de nous proposer en même temps de discuter de l’avenir de la Sécurité sociale. Il faudra qu’il lève très rapidement cette contradiction.
Le Monde : Le mécontentement du Medef vous semble-t-il justifié ?
Nicole Notat : A ce stade, il et peu utile de revenir sur l’histoire. Depuis le 10 octobre 1997, quand s’est engagée la réduction de la durée du travail, une relation très agressive s’est instaurée entre le Medef et le gouvernement. Si, en 1997, nous avions pu entrer dans ce processus en obtenant l’implication de tous les partenaires, le climat aurait été tout autre. Maintenant, c’est fait, l’heure n’est plus à faire la balance des responsabilités. Il faut regarder l’avenir.
Le Monde : Si le Medef quitte la Sécurité sociale, quelle sera l’attitude de la CFDT ?
Nicole Notat : C’est simple. La CFDT assumera ses responsabilités : nous continueront à faire fonctionner le conseil d’administration de l’assurance-maladie. Juridiquement, rien ne l’empêche. Cela dit, le départ du Medef sonnerait le glas du paritarisme, dont la légitimité est fondée sur la présence des deux acteurs patronaux et syndicaux. Dès lors qu’un acteur quitte le terrain, la voie est ouverte à l’étatisation de la "Sécu". Il faudrait réfléchir, avec l’Etat, à une nouvelle organisation.
Le Monde : Que proposez-vous ?
Nicole Notat : Nous n’avons pas misé sur ce cas de figure, mais nous avons déjà eu des contact avec la CGT et FO. Les discussions avec le CFE-CGC sont en route et, avec la CFTC, cela ne saurait tarder.
Le Monde : Un front syndical commune est-il envisageable ?
Nicole Notat : Nous partageons tous, dans le même état d’esprit, le souhait de faire clarifier au Medef ses positions, en préalable. Pour les organisations syndicales, il ne peut y avoir de désertion possible. Ce serait faire le jeu des libéraux. Sans confrontation entre patronat et salariés aux niveaux des branches ou interprofessionnel, cela veut dire qu’au mieux c’est au niveau de l’entreprise que se joueraient les négociations, alors que, dans ce pays, quatre salariés sur cinq ne sont jamais couverts par un accord d’entreprise ! La négociation cantonnée à l’entreprise se ferait au gré des rapport de forces locaux, sans principe de cohérence. Nous serions dans un système anglo-saxon. Ce n’est pas la tradition française, ni le choix des autres pays européens.
Le Monde : C’est pourtant la ligne défendue par une partie du patronat…
Nicole Notat : Peut-être, mais est-ce une pensée construite, majoritaire ? Je crois surtout qu’aujourd’hui le Medef navigue sans boussole ni repères.
Le Monde : Et l’Unedic ?
Nicole Notat : Voilà un terrain sur lequel une position commune des cinq confédérations pourrait très rapidement voir le jour. Il n’y a aucune raison pour que le Medef retarde l’ouverture des négociations sur l’assurance-chômage. Il faut, dans les meilleurs délais, rassurer les chômeurs et prendre les mesures nécessaires à la prolongation de leurs droits.
Le Monde : Au-delà du paritarisme, faut-il revoir les relations sociales ?
Nicole Notat : Je ne limite pas le renouvellement du rôle et de la responsabilité des partenaires sociaux aux seules institutions de protection sociale. Les questions de la politique contractuelle, des lieux où elle s’exerce, de la cohérence qu’elle prend à travers les différents niveaux (l’entreprise, la branche, l’interprofessionnel) sont au moins aussi essentielles. Mais, même là, il y a une contradiction : le Medef ne peut pas vouloir remettre à plat les relations de travail en commençant par ne pas assumer ses responsabilités dans des négociations urgentes.
Le Monde : N’avez-vous pas le sentiment d’être instrumentalisée dans le bras de fer qui oppose le Medef au gouvernement ?
Nicole Notat : Non, parce que nous avons une grande sensibilité à maintenir notre autonomie. Il ne faut jamais imaginer que la CFDT aurait une espèce de communauté d’intérêts, de connivence ou de rapprochement tactique avec le Medef.
Le Monde : Quelle alternative suggérez-vous ?
Nicole Notat : Le protocole social de Maastricht, entériné depuis dans le traité d’Amsterdam, nous semble avoir beaucoup de vertus pour établir des règles qui ne changent pas au gré des circonstances ni des alternances politiques. Il définit bien les prérogatives de l’acteur public et celles des partenaires sociaux. Il n’est donc peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle exception française.
Le Monde : Le Medef établit un lien avec le respect des accords de branche sur les 35 heures…
Nicole Notat : Au vu de la seconde loi Aubry, ils sont respectés à 95 %. Les quelques écarts existants concernent les cadres et la durée annuelle du travail. L’argument qui consisterait à faire de ce différend une raison pour quitter la Sécurité sociale montrerait d’entrée de jeu l’ambiguïté du Medef : On ne va pas chercher une raison qui n’a rien à voir avec la protection sociale pour déserter ce terrain !
Le Monde : L’accord dans la métallurgie doit-il être renégocié ?
Nicole Notat : A aucun moment, à la CFDT, nous n’avons imaginé que l’accord UIMM puisse avoir le même statut que les autres. Quand nous faisons référence au respect des accords de branche, nous parlons toujours des accords étendus, agréés par le ministère, et celui-là ne l’est pas. Il n’y a pas d’autre solution que de le renégocier. D’ailleurs, l’UIMM envisage de l’adapter.
Le Monde : Avez-vous l’impression que le Medef a adopté un positionnement politique ?
Nicole Notat : Je me méfie beaucoup de ce genre d’interprétation. Chaque acteur doit être considéré d’abord pour ce qu’il est. Nous rencontrons le Medef parce qu’il est le représentant des entreprises de ce pays.
Le Monde : Les relations entre le gouvernement et la CFDT semblent elles-mêmes s’être dégradées…
Nicole Notat : Je suis frappée de voir que, chaque fois que nous exprimons un désaccord, c’est présenté comme une "tension entre le gouvernement et la CFDT". Nous avons, chevillé au corps, le souci d’exprimer nos postions, que nous construisons. Quand elles rejoignent celles du gouvernement, on ne le remarque pas ; mais cela arrive ! Nous ne nous taisons pas au motif qu’il faudrait respecter des comportements convenus entre un gouvernement et un syndicat. Ce serait le plus mauvais service à rendre à tout le monde.
Le Monde : Faut-il modifier les règles de la représentativité syndicale ?
Nicole Notat : Si, par hasard, les discussion entre le Medef et les syndicats débouchaient sur une rénovation des relations professionnelles, la question des acteurs et de leur légitimité ne pourrait pas ne pas être posée. Notre système est à bout de souffle. Il est désormais souhaitable de considérer que les organisations qui engagent les salariés doivent être majoritaires.
Le Monde : La CFDT, qui préside l’assurance-maladie, est-elle déstabilisée par la crise du paritarisme ?
Nicole Notat : Non ! La CFDT continuera à jouer son rôle dans tous les cas de figure. Complexe. »