Interview de M. Gilles de Robien, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à RTL le 20 février 1997, sur les certificats d'hébergement prévus dans le projet de loi Debré sur l'immigration clandestine et le débat sur l'immigration.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : Un sondage publié par Libération indique que 59 % des Français sont favorables à l’article 1 de la loi Debré qui oblige l’hébergeant à déclarer le départ de son invité étranger. Votre amendement ne va-t-il pas à l’inverse de l’opinion majoritaire particulièrement celle de vos électeurs ?

G. de Robien : C’est exactement un amendement qui va dans le sens souhaité par les Français, c’est-à-dire que nous sommes dans un Etat de droit. Nous voulons un texte qui ne soit pas liberticide. Ce texte est un bon texte, équilibré, amélioré par cet amendement.

O. Mazerolle : Les Français n’avaient pas l’impression que le projet Debré était liberticide, apparemment.

G. de Robien : Non. Les Français approuvent le projet de loi de M. Debré, d’une part et, d’autre part, ils trouvent que c’est un texte équilibré parce qu’il y a des mesures effectivement de meilleure connaissance des entrées et de sorties des visiteurs temporaires en France. Il y a également des mesures intégratives, notamment en faveur des parents d’enfants nés en France.

O. Mazerolle : C’est la suite des protestations que vous avez proposé votre amendement. Cela ne va-t-il pas être interprété comme un succès de la désobéissance civique ?

G. de Robien : Non. La désobéissance civique, l’appel à l’incivisme, c’est blesser la démocratie quelque part. Je ne suis pas d’accord. D’ailleurs, j’aurais bien aimé écouter et entendre ces personnes qui aujourd’hui manifestent, les entendre l’été dernier quand j’ai essayé de régler l’affaire de Saint-Bernard. Là, il n’y avait pas grand monde pour soutenir cette initiative. Aujourd’hui on améliore un texte pour permettre tout simplement d’enlever cette impression – car c’était une impression – d’un texte qui, ici ou là, pouvait gêner les esprits ou les consciences, à savoir la déclaration par l’hébergeant du départ du visiteur. Maintenant, notre amendement permet de dire que c’est à l’hébergé de déclarer son départ. Cela se fait dans tous les pays démocratiques. Quand je vais à l’étranger, dans un pays où il y a besoin d’un visa, je suis bien obligé de déclarer mon départ, et c’est normal.

O. Mazerolle : Tout de même, beaucoup de Français semblaient ne pas partager cette impression sur le côté extrêmement gênant d’avoir à déclarer le départ de l’étranger. Pour reprendre la formule de G. de Robien : Badinter, avez-vous l’impression qu’il y a une lepénisation des esprits en France ?

G. de Robien : Lepénisation, sûrement pas. Il y a un vrai danger que les extrémismes gagnent un peu, non seulement des villes mais peut-être aussi les esprits. A ce moment-là, je préférerais de beaucoup que les intellectuels, qui sont des gens respectables, qui nous donnent des émotions sur scène ou sur les écrans, soient comme nous tous, puisqu’ils sont démocrates, qu’ils soient un peu moins critiques et un peu moins auteurs d’affrontements avec un gouvernement démocratique et qu’ils nous donnent plutôt l’union des démocrates bien plus que des affrontements. Par exemple, la manifestation, si elle est maintenue, samedi prochain…

O. Mazerolle : Pour le moment, elle l’est.

G. de Robien : Si elle l’est, je préférerais que cette manifestation soit une manifestation de satisfaction, et non une manifestation contre le Gouvernement. Cette démarche de samedi pourrait être au contraire une manifestation favorable à l’esprit républicain que nous partageons tous, une manifestation contre la progression – s’il y a progression – des thèses extrémistes. Ce serait positif pour notre Etat républicain.

O. Mazerolle : Elle n’en prend pas le chemin puisque les pétitionnaires, ceux qui se préparent à manifester, plus le Parti socialisme et le Parti communiste, demandent le retrait total de la loi Debré.

G. de Robien : Si cette manifestation a lieur sur le thème de la désobéissance civique, on voit dans le même sondage que 58 % des sondés sont opposés à l’appel à la désobéissance civique. Nous avons le devoir d’écoute de tout le monde, aussi bien des intellectuels, pour lesquels j’ai du respect, mais aussi un devoir d’écoute vis-à-vis de l’éleveur de Corrèze ou de l’ouvrier de filature de Roanne ou de Roubaix. Ceux-là nous disent clairement qu’il n’est pas bien d’appeler à la désobéissance civique. Je vous le dis encore une fois : il vaut mieux l’union des démocrates de tous bords, de gauche ou de droite, qu’il y ait des manifestations contre l’extrémisme croissant en France plutôt que des oppositions à un Gouvernement qui fait de son mieux pour régler un problème qui n’est pas le problème numéro un de Français. Le problème numéro un des Français, c’est la pauvreté, le chômage.

O. Mazerolle : Précisément, le Gouvernement et la majorité n’ont-ils pas commis une faute en relançant tout un débat sur l’immigration et en proposant un nouveau projet de loi ?

G. de Robien : Le débat sur l’immigration, c’est un débat nécessaire dans tout pays démocratique. Nous sommes dans un Etat de droit : il est normal que l’Etat de droit améliore ses textes pour éviter des situations comme celle qu’on a connue au mois d’août avec Saint-Bernard. On a très bien vu qu’il y avait des situations personnelles et familiales qui ne répondaient à aucun des critères des textes existants. Donc, on améliore le droit. C’est normal. En même temps, la France ne souffre pas que de l’immigration clandestine : c’est plutôt, d’ailleurs, les clandestins qui font des erreurs en venant en France et qui souffrent.

En tout cas, si on ne règle pas le problème par des textes de police, il faut un peu arrêter de focaliser uniquement sur un problème comme celui de l’immigration qui n’est pas le problème principal des Français. Il ne faut pas de politique du bouc émissaire. Un jour, la politique du bouc émissaire, cela se retourne contre les catégories de Français les unes après les autres – un jour, ce sont les immigrés clandestins, un autre, ce sont les immigrés en situation irrégulière, un autre, ce sont peut-être les politiques, un autre, ce peut être les Rmistes – on l’a déjà vu dans le passé -, un autre jour, les fonctionnaires, les riches, les pauvres, etc. Il faut donc arrêter de diviser comme ça les gens les uns contre les autres. Il faut qu’on soit un Etat de droit avec des textes équilibrés. Celui-là est un texte équilibré. On est dans une République. Acceptons la règle de la démocratie.

O. Mazerolle : Hier matin, dans Le Figaro, le sociologue A. Touraine disait que les mouvements de protestation traduisaient la rébellion de l’opinion contre l’incapacité des politiques à prendre en charges les aspirations de la société. Partagez-vous ce jugement ?

G. de Robien : Une fois encore, A. Touraine pratique cette politique ou cette démarche du bouc émissaire. Il faut toujours trouver un bouc émissaire. Un jour, c’est les immigrés ; un autre jour, c’est les politiques. Arrêtez un peu de tirer sur les pianistes ! Les politiques, ils font ce qu’ils peuvent. La méthode des boucs émissaires : c’est facile de donner des leçons du haut d’une chaire à ceux qui sont au boulot chaque jour pour aider les autres, pour aider la société, pour essayer de faire de bons textes ! La démocratie, c’est toujours fragile, c’est toujours délicat, cela demande toujours des perfectionnements. Que les acteurs de la démocratie se fassent sans arrêt attaquer comme la cause de la plupart des maux dont nous sommes tous globalement solidairement responsables, je trouve cela très facile ! Il vaudrait mieux au contraire que l’on soit positif, que l’on nous donne des idées, que l’on ait des débats intelligents et positifs pour toujours essayer d’améliorer la société.