Texte intégral
L. Bignolas : L. Jospin s’engage sur un certain nombre de mesures que finalement vous ne pouvez qu’applaudir ?
N. Sarkozy : Je trouve d’abord que la montagne accouche d’une souris. Naturellement, on ne peut qu’approuver l’orientation qui consiste à actualiser les minima sociaux ou même à autoriser le cumul d’une allocation et d’un salaire. Je regrette que ça ne soit réservé qu’au temps partiel puisque c’est limité au niveau du Smic. Mais après avoir approuvé ces deux orientations, je veux dire combien je regrette qu’une fois de plus on s’en tienne à la résolution de quelques conséquences sans aucunement toucher aux causes structurelles du chômage dans notre pays.
G. Leclerc : On réaffirme bien, quand même, la priorité à l’emploi devant l’assistance, ce que vous rejoignez un peu ?
N. Sarkozy : Réaffirmer la priorité à l’emploi et tout faire pour décourager les gens de travailler : c’est sympathique la réaffirmation mais dans les faits ça ne change rien. Lorsqu’on a, comme seul slogan, de mobiliser le pays sur les 35 heures, puis les 32 heures, puis les 28 heures, on va aboutir d’abord à une diminution généralisée des salaires parce que les gens doivent savoir qu’à force de diminuer leur temps de travail, on va diminuer leur salaire, et comme on fait économiquement le contraire des autres, cela pose problème. Je voudrais quand même faire deux remarques. La première c’est que les bons résultats économiques dont vous parlez, l’honnêteté m’oblige à dire — et chacun peut le comprendre — que c’est plus facile de succéder à la droite que de succéder à la gauche. Nous avons géré le pays ces quatre dernières années. M. D. Strauss-Kahn que j’entendais, je n’ai rien à titre personnel contre lui, mais quand même, il faut un certain estomac pour dire que tout est grâce à lui. Je vous rappelle quand même que les socialistes se sont installés au mois de juin, qu’ils n’ont rien fait jusqu’au mois d’octobre — ils réfléchissaient, tellement ils avaient été surpris, nous aussi d’ailleurs, par leur victoire inattendue — et on ne peut pas considérer qu’un gouvernement en place depuis le mois d’octobre, en vérité, alors que nous sommes en février, est responsable à lui tout seul de la maîtrise de l’endettement de la France, de la maîtrise du déficit de la France et de la reprise de la croissance. Je crois que l’honnêteté aurait amené à dire : finalement ils ont trouvé la France dans un état qui n’avait rien à voir avec ce qu’ils avaient décrit.
G. Leclerc : Vous vous félicitez tout de même de tous ces clignotants, plutôt au vert aujourd’hui, de cette croissance retrouvée ? C’est plutôt bien pour notre pays ?
N. Sarkozy : Je suis Français et j’aime mon pays et naturellement que c’est une bonne chance que les clignotants soient au vert. Simplement, en matière économique, vous le savez, les bonnes nouvelles et les paris sur l’avenir… mieux vaut être humble et prudent en la matière.
L. Bignolas : Quand on regarde les chiffres de l’emploi, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu une courbe aussi favorable ?
N. Sarkozy : Ah bon ! Je ne partage pas cet avis si vous le permettez. C’est une question ou c’est une affirmation ?
L. Bignolas : C’est une question.
N. Sarkozy : Ah bon, parce qu’en 1994, vous vous souvenez certainement que le nombre de chômeurs avait diminué de 250 000. Mais peu importe d’ailleurs. Le chiffre du chômage de ce mois-ci, qui n’est pas bon, montre quoi ? Il montre que la lutte contre le chômage doit être menée différemment. Je veux redire, envers et contre tout, qu’il n’y a pas de fatalité du chômage. J’admets bien volontiers qu’on dise : c’est un homme politique qui le dit. Mais la preuve qu’il n’y a pas de fatalité du chômage, c’est que partout ailleurs dans le monde, le chômage recule.
G. Leclerc : L'indice est à la baisse en France si l’on regarde ces derniers mois ?
N. Sarkozy : Nous sommes à un niveau de chômage parmi les plus élevés dans tous les pays d’Europe et, d’une certaine façon, je veux dire que nous aussi nous en portons notre part de responsabilité. Mais si vous me permettez, qu’ont fait les autres pour diminuer fortement le chômage ? Les Anglais l’ont diminué de moitié, les Américains sont en situation de plein emploi et le chômage recule de manière assez formidable dans l’Europe du Nord. Tous les pays qui ont résolu le problème du chômage ont diminué les dépenses publiques. Nous nous acharnons à les augmenter, c’est l’affaire des emplois Aubry et des 350 000 fonctionnaires de plus. Tous les pays encouragent le travail et la création de richesses, nous, nous la décourageons ; c’est l’affaire des 35 heures. Tous les pays s’engagent dans plus de flexibilité, plus de souplesse, plus d’adaptabilité, nous, au contraire, on rigidifie. Je ne vous le dis pas parce que ça me fait plaisir, pas parce que je suis dans l’opposition.
L. Bignolas : Vous êtes pessimiste après tous ces signaux-là ? La production industrielle est remontée, la croissance aussi, il y a plein d’indicateurs comme ça. Le Gouvernement à l’air prudent quand il regarde ces signaux-là ?
N. Sarkozy : Je veux dire que je suis assez optimiste s’agissant des conséquences de la gestion dont ils ont héritée. Comprenez, encore une fois, je ne voudrais pas le redire.
L. Bignolas : Vous auriez fait la même ?
N. Sarkozy : Non, il y a bien d’autres choses que j’aurais fait différemment et je considère qu’on n’a pas mis assez en œuvre nos idées. Mais les clignotants sont aujourd’hui en train de passer au vert. La vérité oblige à dire que nous y sommes pour quelque chose, puisque nous avions des responsabilités de gouvernement depuis quatre ans. Et la question de savoir si je suis optimiste pour l’avenir ? Non, parce que nous mettons en œuvre une politique économique, en France, à la demande de M. Jospin, symétriquement inverse de ce que font les autres. J’ajoute un dernier point : je ne voudrais pas qu’on recommence la même erreur qu’à l’époque de M. Rocard, en 1989, c’est-à-dire qu’on considère, comme je le vois dans la majorité dite plurielle, que tous les problèmes sont, comme par miracle, résolus et qu’il nous faut maintenant réfléchir à la façon dont on doit dépenser l’argent que l’on n’a pas encore encaissé. De ce point de vue j’approuve la prudence de M. Jospin.
G. Leclerc : Justement, à propos de cette croissance, L. Jospin reste prudent. Il dit qu’il n’oppose pas ce que l’on appelle la distribution — c’est-à-dire que l’on pourrait redistribuer une partie de cet argent — et ce que l’on appelle les grands équilibres économiques. Est-ce que vous êtes à peu près d’accord avec cette philosophie, ou est-ce que pour vous, il faut s’orienter volontairement par exemple vers une baisse d’impôts, ce qu’il n’a pas dit hier ?
N. Sarkozy : C’est incontestable. Tous les pays, et les Etats-Unis sont un exemple extraordinaire. Je vous rappelle qu’il y a cinq ans, les Etats-Unis avaient un déficit par rapport à la richesse nationale supérieure à celui de la France. Et l’an passé, le débat aux Etats-Unis consistait à savoir ce qu’ils allaient faire des excédents. Nous n’en sommes pas là, puisque nous sommes à 3,02 % de déficit et à 58 % dans la richesse nationale d’endettement. Que faut-il faire ? Je crois profondément qu’il faut continuer à faire reculer l’endettement et le déficit, parce que dépenser plus qu’on ne gagne, pour un pays comme pour une famille, cela ne va pas. S’il y avait des marges de manœuvre qui devaient se dégager, je crois profondément que l’on doit s’en servir pour réformer en profondeur le pays dans un certain nombre de secteurs. Je pense à la réforme de l’Etat : nous devons repenser l’organisation de l’Etat. Je pense à la réforme hospitalière, nous avons trop de lits actifs — c’est un problème formidable qui se pose à la France. Je pense à la formation professionnelle, où le maquis de la formation professionnelle n’a d’égal que son efficacité dans bien des cas. Or c’est un enjeu majeur. Je pense à l’Education nationale. Donc s’il devait y avoir des marges de manœuvre pour préparer l’avenir, alors j’espère que le Gouvernement considérera qu’à l’inverse de ce qu’a fait le gouvernement Rocard et les socialistes en 1989, il ne faut pas dépenser sans compter, être la cigale en quelque sorte. Je ne suis pas pour que l’on soit uniquement la fourmi, je dis qu’il faut préparer l’avenir.
L. Bignolas : Rapidement, un mot sur les 3 %. On rentre maintenant dans les critères de l’euro. C’est ce que vous avez toujours voulu ?
N. Sarkozy : Bien sûr. Vous posez des questions très difficiles, complexes, et il faut toujours répondre, bien sûr, je le comprends, avec la contrainte horaire de votre émission. Je dis simplement qu’il y a eu un très gros travail de fait. J’ai été le ministre du Budget, qui en 1993, dans le gouvernement de M. Balladur, a succédé aux socialistes. Je vous le rappelle : ils avaient fait voter un déficit de 140 milliards de francs, et on avait trouvé 350 milliards de francs. Cinq ans après, donc quatre années et demi avec la droite au pouvoir, nous sommes arrivés à ce résultat. Il faut persévérer, parce que ce n’est pas un objectif pour un pays que d’être structurellement en déficit.
G. Leclerc : N'y a-t-il pas tout de même un vrai problème pour l’opposition aujourd’hui ? C’est vrai que tous ces signes sont encourageants pour le pays et pour la France, et du coup, c’est un peu un manque de chance pour vous. C’est quand même compliqué ?
N. Sarkozy : Si la question était : fallait-il faire la dissolution, évidemment la question mérite d’être posée. Que cela soit difficile, c’est une évidence. Avec P. Séguin et quelques autres, nous sommes en campagne sur les routes de France, en permanence. Mais c’est justement parce que c’est difficile qu’il faut se battre. Mais je veux le dire, parce que je le crois, le choix d’envoyer les jeunes dans l’administration, le choix de faire les 35 heures, le choix des augmentations d’impôts, le choix des dépenses n’est pas un bon choix économique pour la France. Je crois que la France a besoin de liberté, comme un certain nombre d’autres pays qui réussissent, et même si c’est difficile, c’est le devoir d’un homme politique d’essayer de faire partager ses convictions.
L. Bignolas : Cela dit, on parlait de chiffres et notamment de l’emploi. Ce qui est également dans le rapport que l’on a eu sur janvier, c’est que sur un an, le nombre d’offres d’emploi a augmenté quand même de 16,5 % à peu près. Un sondage CSA pour le quotidien La Croix révèle que les listes de la gauche plurielle recueillent 40 % des intentions de vote devançant ainsi les listes d’union RPR-UDF, qui n’en rassemblent que 32 %, et les Divers droite 5 %. D’autres parts, 15 % des personnes interrogées affirment qu’elles voteront pour le Front national, et 4 % pour l’extrême gauche. Enfin, dans ce sondage, il apparaît, et c’est important, que 54 % des électeurs s’intéressent peu ou pas du tout à ces élections régionales. Ce n’est pas là-dessus qu’il faut réagir sur le terrain ?
N. Sarkozy : Vous vouliez me donner le moral à tout casser, ce soir ! J’espère que le sort des sondages sera strictement inverse de celui que nous avions connu au printemps dernier. Ils annonçaient dans leur immense majorité une grande victoire pour nous ; aujourd’hui, il semble que les échos de campagne ne nous soient pas favorables, donc simplement, la conclusion, c’est qu’il faut se battre pour convaincre.
G. Leclerc : La bonne nouvelle, le 15 mars au soir pour l’opposition, ce serait quoi, grosso modo ?
N. Sarkozy : Vous savez, j’ai bien appris à être prudent s’agissant des réactions de l’électorat et du choix qu’ils feront. Il y en a 54 % qui disent ne pas s’y être intéressés, ne pas avoir choisi.
L. Bignolas : Pourquoi ? C’est votre discours qui est décalé, à votre avis ?
N. Sarkozy : Non, je crois tout d’abord que tout est compliqué. Ils ont à voter à la proportionnelle pour les régionales, en même temps au scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour les cantonales, et encore, tous n’ont pas à voter pour les cantonales car, comme vous le savez certainement, seuls la moitié des cantons sont renouvelables. Allez-y comprendre quelque chose. Et puis, il y a le calendrier : neuf mois, c’est un peu court pour pouvoir juger du bilan de la majorité plurielle, et peut-être un peu court pour oublier certaines déceptions de notre part. Mais encore une fois, le calendrier en démocratie, on ne le choisit pas. On doit le prendre tel qu’il est, faire son devoir, se battre pour ses convictions, et puis on commentera le jugement des Français quand ils se seront prononcés, pas celui des sondeurs.