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Le Figaro : La réouverture de la maternité de Pithiviers était-elle une nécessité de santé publique ? Ou une nécessité économique et politique ?
Bernard Kouchner : Suspendre la chirurgie et la maternité de Pithiviers cet été fut une nécessité de sécurité. Transformer cette maternité pour lui permettre de rouvrir correspondait à une nécessité de santé publique.
Pithiviers est exemplaire de la politique que nous avons choisi d’appliquer aux hôpitaux : elle s’efforce toujours de créer des complémentarités, des réseaux, autour du malade. Les équipes hospitalières doivent travailler ensemble, les hôpitaux se compléter, les libéraux faire partie intégrante de ce réseau de soins. Nous avons fait preuve d’une pédagogie acharnée pour démontrer que les hôpitaux pouvaient se renforcer en coopérant entre eux. Les malades seront désormais mieux pris en charge. C’était l’objectif politique et de santé publique.
Le Figaro : Les décrets d’application du plan périnatalité prévoient la fermeture de toutes les petites maternités, faisant moins de 300 accouchements par an. Si l’on en croit certaines estimations, 77 devraient fermer.
Bernard Kouchner : Ces décrets visent surtout à mettre en œuvre rapidement un maillage étroit entre les différentes maternités existantes sur le territoire pour améliorer la sécurité des mamans et des bébés. Il faut savoir que la mortalité maternelle et la mortalité infantile sont bien trop élevées dans notre pays. Ce n’est pas étonnant : 16 % seulement des accouchements à risque de complications se déroulent dans des maternités adaptées à leur prise en charge.
Certains de nos voisins européens ont déjà réalisé la hiérarchisation des maternités, en niveau 1, 2 et 3, selon les moyens matériels et humains. Cela doit garantir à chaque femme enceinte, en fonction d’un certain nombre de critères définis par les professionnels, la possibilité d’accoucher dans la structure lui offrant le maximum de sécurité pour elle et son enfant. Certaines femmes présentant des grossesses à risque se verront proposer un trajet supplémentaire de quelques kilomètres pour que l’accouchement se passe bien. Mais elles seront suivies avant et après au plus proche. Il faut le dire : proximité et sécurité ne riment pas toujours ensemble. Il est possible de dépister près de 90 % des grossesses à risque pour bien les orienter avant l’accouchement. Faire preuve d’amour, pour un conjoint, c’est aussi faire en sorte que sa femme accouche dans un milieu qui la protège et assure pour elle et son enfant une sécurité optimale, même si cela lui impose quelques kilomètres de plus pendant quelques jours.
Le Figaro : Confirmez-vous donc la fermeture d’un certain nombre de maternités ?
Bernard Kouchner : Les chiffres avancés sont d’autant plus fantaisistes que rien pour l’instant n’a été décidé. Nous n’allons pas faire fermer brutalement les maternités faisant moins de 300 accouchements par an. Chaque décision sera prise au cas par cas, en fonction des besoins des femmes, de la localité et des possibilités de réseaux, de soins, de coopération hospitalière, en concertation avec les usagers, les syndicats, les élus locaux.
Quand nous avançons le chiffre de 300 accouchements, ce n’est pas pour dire qu’il faut systématiquement fermer ces maternités. C’est pour attirer l’attention sur des structures à faible activité pour lesquelles un effort de mise aux normes de sécurité va être difficile et qui doivent donc faire l’objet d’une analyse très sérieuse. Si la situation géographique d’une maternité est très isolée, il y a lieu de la maintenir, même si son activité est faible. Tout en organisant une coopération avec des maternités plus importantes pouvant prendre en charge les grossesses difficiles.
Le Figaro : Vous allez expérimenter une sorte de Samu obstétrical. Comment va-t-il fonctionner ?
Bernard Kouchner : Il s’agit en réalité d’une cellule de régulation obstétricale qui devrait fonctionner sous peu dans la région parisienne. La régulation sera faite par un obstétricien et des sages-femmes qui tiendront en permanence à jour les places disponibles dans les maternités de niveau 3, les mieux équipées en réanimation maternelle et néonatale. En cas de problème, avant un accouchement, la cellule sera chargée de trouver rapidement un lit disponible pour organiser le transfert de la mère sans perdre de temps. Mais il s’agit aussi d’enclencher un nouveau processus, un changement de mentalités pour apprendre aux maternités les moins équipées à passer la main, dès qu’un problème qui risque de les dépasser apparaît.
Le Figaro : Selon les spécialistes, une vraie pénurie d’obstétriciens est à prévoir à court terme. Quelles solutions envisagez-vous ?
Bernard Kouchner : Je suis très préoccupé par cette question urgente. J’ai mis en place, dès mon retour au ministère de la santé, des groupes de travail autour du professeur Nicolas sur ce sujet. Dès 2002, il est clair que, le simple renouvellement de certains spécialistes n’est pas assuré. Nous devons mettre en œuvre la mobilité des médecins dans ces fameux réseaux centrés sur le malade. Nous devons tenir compte de la pénibilité de certaines disciplines, celles qui entraînent des gardes fréquentes, en particulier. Et nous entamons, avec Martine Aubry, les discussions indispensables sur le statut des praticiens hospitaliers. Il faut adapter le choix sur des futurs médecins en fonction des besoins du pays et les études médicales dans leur ensemble doivent être modernisées. Avec Claude Allègre, nous nous y attelons.